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Le Petit Pierre/22

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Calmann-Lévy (p. 206-222).


XXII

L’ONCLE HYACINTHE


Je fus fort surpris, ce jour-là, en entrant dans le salon, d’y trouver ma mère conversant avec un vieillard d’un air respectable que je voyais pour la première fois. Son crâne dénudé, ceint d’une couronne de cheveux blancs, se colorait de rose. Son teint était clair, ses yeux bleus, sa bouche souriante. Rasé de frais, deux pattes de lièvre encadraient ses joues rondes. Il portait un bouquet de violettes à la boutonnière de sa redingote.

— C’est ton petit bonhomme, Antoinette ? demanda-t-il, en me voyant. On dirait une fille, tant il est doux et timide. Il faut lui faire manger de la soupe pour qu’il devienne un homme.

M’ayant fait signe d’approcher, il me posa la main sur l’épaule :

— Mon petit, tu es dans l’âge où l’on croit que la vie n’a que des sourires et des caresses. On s’aperçoit un jour qu’elle est souvent dure et parfois injuste et cruelle. Je te souhaite de ne pas en faire l’expérience dans des conditions trop pénibles. Mais sache bien et n’oublie jamais qu’avec du courage et de la probité, on surmonte toutes les épreuves.

Son visage exprimait la franchise et la bonté. Sa voix allait au cœur. On ne pouvait soutenir sans émotion le regard de ses yeux qui se mouillaient.

— Mon enfant, la fortune t’a donné d’excellents parents qui te guideront, à l’heure voulue, dans le choix difficile d’une carrière. N’as-tu pas envie de devenir soldat ?

Ma mère répondit pour moi qu’elle ne le croyait pas.

— C’est pourtant un beau métier, repartit le vieillard. Le soldat, aujourd’hui sans pain et sans gîte, couche comme un gueux sur la paille ; le lendemain, il soupe dans un palais où les plus grandes dames tiennent à honneur de le servir. Il connaît toutes les vicissitudes, vit toutes les vies. Mais, si tu as un jour l’honneur de porter l’uniforme, souviens-toi, mon enfant, que le devoir d’un soldat est de protéger la veuve et l’orphelin et d’épargner l’ennemi vaincu. Celui qui te parle a servi sous Napoléon le Grand. Hélas ! voilà déjà plus de trente ans que le dieu des batailles a quitté la terre ; et personne après lui n’est capable de conduire nos aigles à la conquête du monde. Enfant, ne te fais pas soldat !

Il me repoussa doucement et, se tournant vers ma mère, reprit la conversation interrompue.

— Oui, une installation modeste. Quelque chose comme le logis d’un garde-chasse… C’est donc une affaire décidée, et je puis, grâce à toi, ma chère Antoinette, réaliser mes vœux les plus chers. Au terme d’une vie agitée et pleine de traverses, je goûterai le repos. Il me faut si peu pour vivre ! J’ai toujours souhaité de finir mes jours dans la paix des champs.

Il se leva, baisa galamment la main de ma mère, m’adressa un signe de tête affectueux et sortit. Son port était noble et sa démarche assurée.

J’éprouvai une grande surprise en apprenant que cet aimable vieillard était l’oncle Hyacinthe dont je n’avais entendu parler qu’avec effroi et réprobation, qui portait partout la ruine et le désespoir, l’oncle Hyacinthe enfin, la terreur et l’opprobre de la famille. Mes parents lui avaient fermé leur porte. Mais Hyacinthe, après dix ans de silence, venait d’annoncer à ma mère, par une lettre touchante, sa résolution de se retirer dans un hameau de son pays natal, si elle pourvoyait aux frais du voyage et d’une modeste installation. Il se faisait fort d’y subsister en administrant les propriétés d’un frère de lait avec lequel il restait en excellents termes. Et ma mère, trop crédule, sourde aux conseils de mon père, consentit le prêt.

À quelque temps de là, elle apprit que l’oncle Hyacinthe, ayant dissipé dans la débauche l’argent reçu pour un autre usage, tenait l’emploi de comptable chez un marchand d’hommes de la rue Saint-Honoré. Ainsi nommait-on ceux qui fournissaient, moyennant salaire, des remplaçants aux jeunes gens riches, peu désireux d’être soldats. Les marchands d’hommes étaient fort achalandés, mais tenus en médiocre estime et leurs secrétaires ne pouvaient aspirer à beaucoup de considération. Ces marchands d’hommes habitaient, pour la plupart, une grande maison de la rue Saint-Honoré qui faisait le coin de la rue du Coq, et que couvraient du haut en bas des enseignes ornées de croix d’honneur et de drapeaux tricolores. Au rez-de-chaussée s’ouvraient un magasin de vieux galons et d’épaulettes et une brasserie fréquentée par les soldats qui, ayant fourni le service de sept ans exigé par l’État, désiraient se rengager. Il y pendait, pour enseigne, une peinture sur tôle représentant deux grenadiers attablés sous une tonnelle et débouchant tous deux en même temps leur cannette de bière d’une main libérale et assez heureuse pour que chaque jet de la liqueur mousseuse, échappée de la bouteille d’un soldat, après avoir décrit une courbe hardie, allât retomber dans le verre du camarade. C’était là, je le crains, derrière des rideaux sales, que l’oncle Hyacinthe exerçait ses fonctions nouvelles, qui consistaient à faire jouer et boire les militaires libérés jusqu’à les rendre faciles sur le prix de leur rengagement. Et peut-être, quand je passais devant cette maison de la rue Saint-Honoré, la gaîté de l’enseigne m’aidait-elle à supporter la vue du cabaret où se consommait le déshonneur de ma famille.

Hyacinthe, sans instruction, mais bon calculateur et chiffrant bien, possédait ce qu’on appelait alors une belle main ; c’est-à-dire qu’il était calligraphe. On citait de lui la proclamation de Bonaparte à l’armée d’Italie, tracée en caractères microscopiques et formant, par la disposition des lignes, un portrait du premier consul. Conscrit en 1813, élevé au grade d’adjudant l’année suivante, pendant la campagne de France, il se vantait d’avoir eu une conversation avec l’Empereur, la nuit, au bivouac près de Craonne :

— Sire, lui dit Hyacinthe, nous verserons notre sang jusqu’à la dernière goutte sous vos aigles, parce que vous incarnez la Patrie et la Liberté !

— Hyacinthe, vous m’avez compris, répondit l’Empereur.

Nous ne connaissons cet entretien, je me hâte de le dire, que par le témoignage d’Hyacinthe, qui le lendemain, de son propre aveu, se couvrit de gloire, à Craonne. Et comme les plus belles actions produisent parfois les pires effets, Hyacinthe, devenu en quelques instants un héros, se tint quitte pour le reste de sa vie de toutes les obligations auxquelles se soumet le vulgaire et n’eut plus ni foi ni loi. Il avait dépensé toute sa vertu en une seule journée. On doute s’il était à Waterloo et ce point ne sera probablement jamais éclairci. Déjà il fréquentait les cabarets et aimait mieux conter ses exploits que de les renouveler. Il accomplissait ses vingt-deux ans quand il fut licencié en 1815. Beau, vigoureux, gaillard, la coqueluche des femmes, le bourreau des cœurs, il fut aimé d’une tante de ma mère, paysanne riche, qu’il consentit à épouser et dont il fit danser les écus. En la trahissant, en la maltraitant, en la délaissant, il lui donnait des occasions nombreuses de montrer la ferveur de son idolâtrie et la folie de son amour. Après l’avoir accablée d’offenses, il pardonnait et elle le trouvait alors plus aimable que s’il eût été toujours fidèle. Parcimonieuse et même avare, elle se montrait pour lui follement prodigue. On le voyait, à cette époque, entre Paris et Pontoise, coiffé d’un chapeau gris à boucle d’acier, largement évasé par le haut, portant une redingote verte, à boutons d’or, une culotte nankin et des bottes vernies, conduire une charrette anglaise à deux roues, digne sujet d’un crayon de Carle Vernet. Fréquentant avec des Cydalises le Bœuf à la Mode et le Rocher de Cancale et passant les nuits dans les tripots, il dévora en quelques années les champs, les prés, les bois et le moulin de sa femme. Ayant mis la pauvre amoureuse sur la paille, il la quitta pour mener une vie d’aventures, en compagnie d’un ancien maître de postes nommé Huguet, mince, bref, bancal, mal peigné, dont il faisait, selon le besoin, son domestique, son associé ou même son patron quand on y courait des risques. Huguet, qui était un fripon et avait dupé tout le monde, se montrait, à l’égard d’Hyacinthe, le plus fidèle, le plus généreux, le plus noble des amis. Huguet, royaliste, un peu chauffeur, disait-on, et qui avait porté la Terreur Blanche dans l’Aveyron, dont il était originaire, se fit bonapartiste par dévouement à son cher Hyacinthe, qui était bonapartiste par profession. Hyacinthe en portait le costume : longue redingote boutonnée sous le menton, bouquet de violettes à la boutonnière, gourdin à la main. Sur le boulevard de Gand, entouré de quelques frères d’armes, et suivi d’Huguet comme d’un barbet, il faisait un opprobre à l’Angleterre de la captivité de Napoléon et, au sortir de l’estaminet, se tournant vers le nord-ouest, il dénonçait d’un doigt vengeur la perfide Albion ; ses lèvres formaient des vœux pour qu’advînt le règne du fils de l’homme. S’il rencontrait quelque fidèle sujet décoré par le roi d’un lys d’argent, il grognait imperceptiblement et disait : « Encore un compagnon d’Ulysse ! » S’il pouvait attraper un chien sans être vu, il lui attachait à la queue une cocarde blanche. Mais il ne se mêlait ni de complots ni de conspirations et même évitait les duels. L’oncle Hyacinthe, comme Panurge, craignait naturellement les coups. Huguet était brave pour lui et toujours prêt à en découdre. Réduit à vivre des ressources de son esprit, Hyacinthe s’étant fait professeur d’écriture et de tenue de livres, rue Montmartre, Huguet lavait les planchers et faisait griller des saucisses, tandis qu’en attendant les élèves, Hyacinthe taillait magistralement ses plumes d’oie et en posait la pointe sur l’ongle du pouce gauche pour porter avec décision le coup de canif magistral qui ouvrait le bec. Mais en vain il taillait les plumes d’oie, en vain un tableau en ronde, anglaise, gothique et bâtarde, accroché à la porte de la rue, énumérait les titres du calligraphe expert et comptable diplômé. Nul élève ne se présenta. Il se fit courtier d’assurances sur la vie. Sa belle prestance et sa parole persuasive lui eussent procuré de nombreux abonnements. Mais le vin et l’amour consommèrent ses premiers gains et l’empêchèrent d’en réaliser de nouveaux, malgré le zèle d’Huguet qui faisait le courtage pour son ami, mais n’y réussissait pas, parce qu’il louchait horriblement, puait le vin, était bègue, et que la persuasion n’habitait pas ses lèvres. Les deux compères ouvrirent, après cette déconvenue, à Montrouge, dans l’atelier d’un mouleur, une salle d’armes où Hyacinthe, maître d’escrime, avait Huguet pour prévôt. Comme le mouleur continuait à travailler, à ses heures, dans la salle, le plâtre qui remplissait les fentes du plancher s’élevait, à chaque assaut, sur les pas des escrimeurs et les enveloppait d’une acre nue qui leur tirait sous le masque des larmes et des éternuements. Ce furent encore le vin et l’amour qui mirent fin à cette noble profession des armes. Après quelques essais tombés dans l’oubli, Hyacinthe imagina d’exploiter l’Élixir du Vieux de la Montagne, selon la formule du docteur Gibet. Huguet distillait la liqueur et Hyacinthe la plaçait chez les épiciers et les pharmaciens. Mais cette association fut courte et menaça de finir mal, la justice ayant soupçonné le sieur Gibet d’usurper le titre de docteur en médecine ; on croit même que le distillateur Huguet ne s’en tira pas sans quelques mois de prison. Hyacinthe mit alors ses facultés au service de l’État et occupa une place d’inspecteur aux Halles. Il exerçait la nuit ses fonctions, mais on le trouvait plus souvent dans les cabarets que sur le carreau et, bien que son ami Huguet s’étudiât à le seconder, il fut plusieurs fois réprimandé et finalement révoqué. Cette sanction extraordinaire passa pour une mesure politique. On poursuivait en Hyacinthe un vieux soldat de Napoléon. Cette persécution lui assura l’aide de quelques libéraux qui lui procurèrent un emploi de copiste et il s’enorgueillit de copier Les Plaideurs sans procès, comédie en trois actes et en vers, de M. Étienne, de M. Étienne, « moins grand, disait Hyacinthe, pour être entré à l’Institut par son mérite que pour en avoir été chassé par un roi ». On sait qu’Étienne fut exclu en 1816 de l’Institut réorganisé. Cependant, à l’instigation d’Hyacinthe, Huguet fit le commerce des vins et frauda l’octroi, ce qui lui valut cinq mille francs environ de bénéfice et six mois de prison. « Ce n’est pas la plus mauvaise affaire que j’aie faite, » disait Huguet après réflexion. Ce cynisme révoltait le héros de Craonne qui avait des principes, professait la morale du vicaire savoyard agrandie du sentiment de l’honneur, et enseignait à Huguet, quand ils buvaient ensemble, les règles du devoir et l’autorité des lois. Suivre la droite voie ou la reprendre après l’avoir quittée ; innocence ou repentir, telle était la devise du vieux soldat. Huguet, en l’écoutant, le regardait avec admiration et pleurait dans son verre. Le voyant ainsi réhabilité par le repentir, Hyacinthe fonda avec lui une Société pour la distribution des imprimés dans la ville de Paris, qui ne réussit pas. C’est peu après, je crois, la déconfiture de cette Société que l’oncle Hyacinthe vint trouver ma mère, comme je l’ai rapporté, et devint secrétaire d’un marchand d’hommes.

Ses entreprises avaient cela de bon qu’elles ne duraient guère. Il ne resta pas longtemps occupé à acheter des hommes sous l’enseigne des deux grenadiers. On ne saurait dire les métiers qu’il fit ensuite. Le dernier seul fut connu de sa famille. Hyacinthe, devenu très vieux, établit, dans l’arrière-boutique d’un cabaretier de la rue Rambuteau, un cabinet d’affaires. Attablé devant une bouteille de vin blanc et un sac de marrons rôtis, il donnait des consultations aux petits marchands du quartier sur les moyens d’éluder une dette ou d’éviter des poursuites. Ai-je dit que l’oncle Hyacinthe avait le génie de la chicane ? Ce trait achève son portrait. Rusé, madré, retors en fait de procédure, il eût rendu des points à Chicaneau. Le papier timbré faisait ses délices. Dans son arrière-boutique, il servait aussi de secrétaire aux servantes du quartier. Son ami Huguet, tout menu, tout clochant et vif encore, ne l’avait pas abandonné. Ils logeaient dans une soupente, au fond du cabaret. Huguet s’ingéniait pour garnir de tabac la pipe de son ami. Une nuit d’hiver, il fut frappé d’un coup de couteau entre les deux épaules, dans une rixe avec des rôdeurs, et porté à l’hôpital. Hyacinthe l’alla voir. Huguet lui sourit et mourut. Hyacinthe se remit à rédiger des baux et à faire pour les boutiquiers en détresse et les maritornes amoureuses office d’avocat et de parfait secrétaire. Mais sa belle main commençait à trembler, son regard se voilait, sa tête s’appesantissait ; il demeurait de longues heures somnolent et sans pensée. Six semaines après la mort d’Huguet, il tomba frappé d’apoplexie. On le porta dans la chambre de la rue du Sabot où logeait sa pauvre femme qui ne l’avait pas vu depuis quarante ans et l’aimait comme au jour de ses noces. Elle l’entoura des soins les plus tendres. Paralysé du bras gauche et traînant la jambe, il bougeait à peine et ne parlait plus. Chaque matin, elle le portait de son lit à la fenêtre où il passait la journée, regardant du côté du soleil. Elle lui bourrait sa pipe et ne le quittait pas des yeux. Au bout de six mois, frappé d’une seconde attaque, il vécut six jours sans mouvement. Sa langue embarrassée ne laissait passer que des sons indistincts ; mais on crut l’entendre appeler Huguet au moment de sa mort.

Mon père ne prononçait jamais le nom de l’oncle Hyacinthe. Ma mère évitait de parler de lui. Pourtant, elle conta plusieurs fois l’anecdote que voici et qui pour elle résumait le caractère de cet homme, frivole et trompeur.

Hyacinthe, lors de la révolution de 1830, ayant passé la quarantaine, mais resté galant, s’ennuyait au logis. Pendant les Trois Glorieuses, il se tint coi, faisant des vœux pour le peuple. Le 30 juillet, après la défection des troupes royales, alors que le feu avait partout cessé et que le drapeau tricolore flottait sur les Tuileries, notre homme mit le nez dehors et désira se rendre, pour une raison à lui connue, au coin de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine. Il habitait aux environs, alors rustiques et déserts, de la barrière de l’Étoile. Pour contenter son désir, il lui fallait cheminer, sous un soleil ardent, par les rues dépavées et franchir plus de trente barricades gardées par le peuple, ou faire de longs détours à travers des quartiers peu sûrs. Pour résoudre cette difficulté, Hyacinthe imagina un artifice ingénieux. Il se rendit chez un sien voisin, marchand de vin traiteur, s’enveloppa le front d’un linge trempé dans le sang d’un lapin et se fit porter par le gargotier et son garçon devant la première barricade, qui était toute proche sur le faubourg du Roule. Comme il l’avait prévu, les défenseurs de la barricade, le prenant pour un blessé, le reçurent des mains des porteurs et lui firent passer l’obstacle avec toutes sortes de précautions. Puis, lui ayant fait boire un verre de vin, désignèrent deux d’entre eux pour le porter sur un brancard. Un cortège se forma et grossit chemin faisant ; un élève de l’École Polytechnique, épée au clair, en prit la tête. Des hommes du peuple, en bras de chemise, les manches retroussées, des rameaux verts au canon de leur fusil, se tenaient aux côtés du brancard et criaient :

— Honneur au brave !

Des apprentis typographes, reconnaissables à leur bonnet de papier, des mitrons, tout de blanc vêtus, des écoliers portant les épaulettes et les buffleteries de la garde, un enfant de dix ans coiffé d’un shako qui lui descendait sur les épaules, suivaient en répétant :

— Honneur au brave !

Des femmes, sur leur passage, s’agenouillaient. D’autres jetaient des fleurs à la victime héroïque et déposaient sur le brancard des rubans tricolores et des branches de laurier. Au coin de la rue Saint-Florentin, un épicier libéral le harangua et lui décerna une médaille de bronze à l’effigie de La Fayette. Les défenseurs des barricades, à l’approche du cortège, écartaient pavés, tonneaux, voitures, pour ouvrir, à travers les obstacles, un passage au blessé. Sur tout le parcours, les postes d’insurgés présentaient les armes, les tambours battaient aux champs, les clairons sonnaient. Les cris de : « Vive le défenseur du peuple ! vive le soutien de la Charte ! vive le héros de la Liberté ! » s’élevaient dans un poudroiement de lumière, vers un ciel torride. De tous les cabarets les verres remplis d’une liqueur vermeille volaient aux lèvres de l’inconnu couché sur son lit de gloire et les bouteilles pleines allaient abreuver les porteurs fumants comme des cassolettes.

Et l’oncle Hyacinthe fut déposé avec honneur dans la boutique de madame Constance, blanchisseuse, au coin de la place de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine.