Le Piège d’or/XIXI

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Traduction par Paul Gruyer et Louis Postif.
Hachette (p. 179-184).


CHAPITRE XIX

UNE COURSE DE VITESSE


Philip se délesta de son javelot et de son gourdin, ne gardant pour toute arme que le couteau de l’Esquimau, et prestement enleva Célie dans ses bras.

« C’est maintenant, dit-il, qu’il va falloir courir et gagner de vitesse. Sinon… »

Il parcourut ainsi, toujours courant, une centaine de yards, puis remit Célie sur ses pieds. C’était pour lui expliquer que la vie ou la mort dépendaient de la rapidité de leur allure, que toutes leurs énergies devaient se tendre vers le salut. Courageusement, elle se mit à courir à côté de lui. La neige avait cessé de tomber.

Chemin faisant, Philip soupesait les bonnes et les mauvaises chances. Il savait qu’après s’être rassemblés auprès de leurs morts, les Esquimaux commenceraient, non sans maintes simagrées, par tenir un jacassant conseil, dont la durée serait autant de temps gagné. Puis la poursuite qu’ils entameraient serait prudente, sans nul doute, vu la blessure dans le front d’un des leurs.

En ce qui concernait l’inconnu dont Célie et lui suivaient maintenant la piste, la circonspection s’imposait. L’important était de le surprendre et de s’en rendre maître tout d’abord, afin de le mettre hors d’état de nuire, s’il était ennemi, et, s’il portait un fusil, de s’en emparer. Un fusil ! Quelle proie précieuse et magnifique !

La piste, au surplus, n’était pas ancienne. Cela seul était certain. À peine une légère couche de neige la recouvrait. Il ne semblait pas qu’elle dût dater de plus d’une heure.

Célie, bientôt, s’essouffla. Son capuchon était retombé en arrière et sa figure apparaissait toute rouge de l’effort accompli. Philip s’arrêta. La jeune femme, dont les yeux brillaient comme deux étoiles, était charmante ainsi. Philip l’enleva à nouveau dans ses bras et se remit à courir.

Tout irait bien s’il pouvait maintenir quelque temps cette allure. Cela dépendrait de ses forces. Au bout de quatre cents yards environ, Célie lui fit signe qu’elle était reposée. Il continua pendant encore une cinquantaine de yards, puis la replaça sur ses pieds. Au total, ils couvrirent de la sorte près d’un mille.

Brusquement, la piste tourna de l’Est vers le Nord. Philip s’en étonna. Afin de se reposer un peu, il s’assit, ainsi que Célie, sur une souche de sapin mort. L’étranger avait dû, lui aussi, faire halte à cet endroit. Aucune neige ne recouvrait plus ses empreintes.

« Je parierais, dit Philip, qu’à cette minute il n’est pas à plus d’une demi-heure de nous. »

Et, comme il examinait le sol glacé, il aperçut, sur la neige dure, plusieurs petits points, de couleur brun foncé.

« Ici, dit-il en riant, notre homme a sorti son tabac ! »

Malgré les protestations de Célie qu’elle ne demandait qu’à courir, il exigea qu’elle se laissât porter. Visiblement son courage la trahissait. Sa respiration oppressée, et la légère tension qui se marquait dans ses traits autour de la bouche, disaient sa lassitude. Même pour une promenade ordinaire, ses lourds vêtements de fourrure et les gros mocassins dont elle était chaussée eussent été une fatigue.

Afin de diminuer la sienne propre, il la porta un peu plus haut qu’il n’avait fait, avec les bras de Célie passés autour de son cou, et leurs deux figures à même hauteur.

Lorsqu’il s’arrêta, il était à son tour hors d’haleine et il la laissa, une dernière fois, tenter de courir à son côté. Mais ses jambes flageolaient. La rougeur de ses joues, roses purpurines épanouies, avait disparu pour laisser place à une blême pâleur. L’éclat de ses yeux s’était éteint et ils devenaient hagards. Sans se voir elle-même, elle vit les mêmes signes paraître dans les traits exténués de Philip. Leurs deux énergies fléchissaient. Elle s’efforça cependant de sourire.

Plus calmement ils reprirent leur chemin. Philip, autant qu’il en pouvait juger, estima qu’ils avaient parcouru près de cinq milles depuis la cabane en feu. Les Esquimaux ne pouvaient avoir encore regagné sur eux plus de deux milles.

Ils arrivèrent au pied d’une longue croupe neigeuse, formant dos d’âne, faite de neige accumulée depuis longtemps par le vent, solidement tassée, et gelée dans toute sa masse. Philip la reconnut pour l’avoir rencontrée déjà, en compagnie de Bram, et l’avoir alors franchie, après qu’ils eurent dépassé la première cabane abandonnée. La piste inconnue passait par-dessus. Sans doute allait-elle vers cette même cabane. Et Philip se félicita de l’avoir suivie, car il apparaissait évident qu’il s’était, auparavant, lancé dans une fausse direction.

Même au pas ralenti, Célie était incapable de se traîner davantage et, pour escalader cette petite crête, les bras de Philip durent intervenir. Elle essaya de s’en défendre, puis éclata en sanglots.

« Courage ! lui dit Philip. La cabane ne peut plus être loin. Je suis fort assez pour vous y conduire. »

Et il avala une salive épaisse, accumulée dans sa gorge, tandis qu’elle s’abandonnait à lui, de lassitude et de tendresse.

Il fallut marcher pendant une demi-heure encore. Puis, inopinément, à quelque distance devant eux, la cabane apparut.

Quelqu’un devait s’y trouver, car une fine spirale de fumée montait de la cheminée.

Là était la vie ou la mort, la désespérance dernière ou le salut, pour Philip et pour la jeune femme. Philip déposa Célie à l’abri d’un buisson, pour qu’elle ne fût pas vue. Puis il retira son vêtement d’Esquimau et le laissa tomber dans la neige. Il se préparait à combattre. Ses muscles se raidirent. Célie était aussi blanche que le sol que foulaient ses pieds.

« Dieu soit loué ! dit Philip. Nous sommes arrivés au but avant que les Esquimaux ne nous aient rejoints. Je vais aller à la découverte. Ne bougez pas d’ici. »

Comme il se séparait d’elle, ses mains s’accrochèrent à lui et elle étouffa un soupir. Elle aurait voulu le retenir ou l’accompagner. Mais elle savait qu’il fallait obéir.

« Philip ! » murmura-t-elle.

Et il partit.