Le Piège d’or/XXI

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Traduction par Paul Gruyer et Louis Postif.
Hachette (p. 185-192).


CHAPITRE XX

BRÛLANT ACCUEIL


Philip fit le tour de la cabane. Il avait remarqué, en passant devant avec Bram, qu’elle n’avait qu’une seule fenêtre, avec un volet qui s’élevait et s’abaissait comme une trappe et qui était formé de planchettes de sapin. Prudemment, il alla vers elle.

Le volet était fermé. Il colla son oreille contre les interstices du bois et entendit, intérieurement, quelqu’un qui marchait. Célie, de l’endroit où elle était restée, pouvait voir agir Philip et celui-ci sentait l’anxiété jaillir de ses yeux jusqu’à lui.

Puis il avança vers la porte. Il avait hâte de connaître quel était cet inconnu, et son pouls battait à la pensée que l’homme aux raquettes était peut-être un ami. Mais son premier but était de s’emparer du fusil du mystérieux personnage, si celui-ci en possédait un. Par ruse ou par force, peu importait. Car les Esquimaux devaient se rapprocher d’instant en instant.

En arrivant devant la porte, faite de bûches, les premiers objets qui frappèrent sa vue furent la paire de raquettes et un faisceau de javelots, appuyés, à côté d’elle, contre le mur de la cabane. Ce lui fut une désillusion. L’homme aux grandes enjambées n’était-il donc qu’un Esquimau géant et non un blanc ?

Il renifla l’air, à la manière d’un chien. De la porte entrouverte sortait un arôme mixte de café et de tabac ! Un Esquimau pouvait bien avoir en sa possession du tabac, voire même du thé, et en faire usage. Mais jamais il ne boit de café.

Philip ferma les yeux, pendant quelques instants, afin de les reposer de l’éblouissement produit par le blanc reflet de la neige. Puis, sans bruit, il regarda dans la cabane, par l’entrebâillement de la porte qui n’était point entièrement close.

Dans la demi-obscurité intérieure, il distingua un foyer, d’où s’élevait, à travers le toit, le tuyau qui fumait. Puis il vit la silhouette confuse d’un homme, penché sur le feu. Il avança d’un pas et continua à observer.

L’homme s’était lentement redressé, en tirant des cendres un pot de café. Son large dos et sa stature colossale prouvèrent immédiatement à Philip que ce n’était pas un Esquimau. L’homme, s’étant retourné, fit face au jour, l’espace d’un moment. Son visage était bien celui d’un blanc. Une barbe épaisse le cachait en partie ; et de longs cheveux, mal peignés, retombaient sur les épaules.

Presque aussitôt, l’homme aperçut Philip. Il en demeura comme pétrifié.

Philip le coucha en joue avec le petit revolver de Célie.

« Je suis Philip Brant, dit-il, de la police royale, au service de Sa Majesté. Haut les mains ! »

Les deux hommes se tenaient face à face, l’un droit et rigide, comme figé dans son étonnement, l’autre attendant, anxieux, ce qui allait advenir.

Philip, qui tournait le dos à la porte, pensait que l’ombre projetée par son épaule et son visage dissimulait la dimension réelle du petit revolver. De toute façon, un coup tiré d’aussi près pouvait être efficace. Il s’attendait donc à voir le mystérieux personnage élever, après réflexion, ses mains au-dessus de sa tête et ne prévoyait guère ce qui allait se passer.

Le bras qui tenait le pot de café s’éleva et rapidement envoya en avant un déluge bouillant vers le visage de Philip. Celui-ci esquiva le jet brûlant, en baissant la tête, et tira. Mais, avant qu’il pût redresser le chien du revolver et lâcher un second coup, l’homme était sur lui.

L’élan de son agresseur fut si formidable que tous deux allèrent s’écraser contre le mur intérieur de la cabane. Puis, dans une étreinte sauvage, ils roulèrent ensemble sur le plancher.

C’est alors que Philip se félicita d’avoir déposé sur la neige sa lourde houppelande d’Esquimau et de s’être mis à l’aise pour la lutte. Il poussa un cri rauque et, dans cette tragique étreinte, il songea à Bram.

Son adversaire était, en taille et en force, l’égal de l’homme-loup. Contre lui il mit donc en pratique le mode de combat qu’il avait médité au cas d’un corps à corps avec Bram.

Il lui fallait se dégager, tout d’abord, de l’énorme poids qui pesait sur son corps. D’un coup de poing bien appliqué, il frappa son adversaire en pleine figure, avant que l’emprise de celui-ci fût complète. L’homme en fut ébranlé durant un instant et Philip en profita pour se relever sur ses genoux, puis pour sauter sur ses pieds. C’était un premier triomphe, dû à son sang-froid raisonné. Mais il était encore trop tôt pour clamer victoire. Il avait pour lui son agilité, pareille à celle d’un chat. Son partenaire avait pour soi son poids et sa masse.

L’homme s’était aussi relevé, et déjà Philip revenait à la charge par un coup droit, qui l’atteignit dans la mâchoire. Un coup semblable eût mis bas, à l’état de loque, un adversaire ordinaire. Le géant encaissa et ne broncha pas. Philip réitéra et l’homme, cette fois, tituba. Il alla, en décrivant des zigzags, s’affaler sur un sac de grains.

Le poing de Philip se détendit une troisième fois, en un suprême effort musculaire. Mais c’était mal visé. Le poing fermé passa par-dessus l’épaule de l’homme et Philip, perdant à son tour l’équilibre, vint choir littéralement dans les bras de son ennemi. Presque aussitôt il se sentit pris à la gorge par une main de fer, qui tentait de l’étrangler.

D’une de ses mains, il s’agrippa à l’autre main de son adversaire, pour la tenir immobile, et, de son poing resté libre, il frappait à petits coups répétés le cou et la mâchoire du géant, qui paraissait ne rien sentir. Alors, d’un croc-en-jambe, il le fit vaciller et tous deux s’étalèrent de nouveau sur le plancher. Ni l’un, ni l’autre n’aperçurent Célie qui, les yeux dilatés, se tenait debout dans l’encadrement de la porte, spectatrice épouvantée.

Ils roulèrent, enlacés, presque sous ses pieds. Elle vit la face ensanglantée et toute bosselée du géant, martelée par le poing de Philip, qui frappait toujours. Elle vit aussi les deux mains velues de l’homme, qui, rouges de son propre sang, étreignaient maintenant Philip à la gorge.

Elle jeta un cri et l’azur violâtre de ses yeux s’obscurcit du sombre feu de la bataille.

Elle s’élança, comme un trait, vers un gros gourdin, qui était appuyé contre une des cloisons de la cabane. Philip vit sa pâle figure, encadrée d’or, apparaître derrière le colosse qui le strangulait et le coup s’abattre sur la large nuque inclinée. Instantanément l’étau se desserra et l’homme aux raquettes, assommé, perdit connaissance.

Philip, se redressant, ouvrit tout grands ses bras, avec un rire délirant, et Célie courut s’y jeter, haletante et sanglotante.

L’homme, cependant, était devenu pour le moment une quantité négligeable. S’il n’était pas mort, il ne semblait pas qu’il valût guère mieux. Philip, à demi étranglé, commença par respirer à pleins poumons et à se refaire une provision d’air. Puis ses yeux scrutèrent autour de lui la pénombre de la cabane.

Il ne put retenir un cri de joie en apercevant, appuyé contre l’âtre qui était fait de pierres empilées, cimentées avec de la terre, un fusil ! Une ceinture de cuir était munie d’un étui et, dans cet étui, était un revolver ! Voilà qui valait mieux, à l’heure présente, que des lingots d’or.

Philip se boucla immédiatement la ceinture autour du corps. Elle était toute garnie de cartouches, au nombre d’une quarantaine. Deux tiers d’entre elles pour le fusil, avec balles dumdum, à pointe molle ; l’autre tiers pour le revolver. Celui-ci, entièrement chargé, était d’un fort calibre, numéro 0,303, et le fusil était de fabrication ultra-moderne. Devant Célie, il en fit jouer les chiens et la culasse. Elle aussi exultait.

Il alla vers la porte de la cabane et cria, d’une voix sonore et forte :

« Vous pouvez maintenant venir, démons ! Je ne vous crains plus. Allons, approchez ! Le premier qui se présentera est assuré d’étre, dans la minute même, un homme mort ! »

Un autre cri, qui ne partait pas de bien loin, retentit dans le silence. C’était la réponse au défi lancé par Philip.