Le Poisson d’or/03

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Albin Michel (p. 52-86).


III


M. le comte de Corbière demanda cinq minutes pour souffler. La marquise se montrait très sobre de ces permissions, son opinion étant que, dans un récit, les points sont un luxe et les virgules une prodigalité condamnable ; néanmoins, comme Son Excellence fit observer que la Cour, au temps où il plaidait, et la Chambre, depuis qu’il gouvernait, l’avaient habitué à ces cinq minutes de grâce, Mme la marquise crut devoir céder.

Dans le salon, des conversations murmurantes s’établirent aussitôt. L’intérêt avait peut-être tardé à venir ; mais il était venu, plus vif que si le récit eût été combiné selon l’art du romancier. Sous le conte à dormir debout, comme l’avait tiré son auteur lui-même, on voyait poindre l’action réelle et d’autant plus dramatique qu’elle était la vérité vraie. La présence de Mme la comtesse douairière de Chédéglise était ici comme un vivant contrôle et comme un gage d’authenticité irrécusable.

Ceux qui ne savaient pas profitèrent de cet instant de vacance pour demander à ceux qui savaient l’explication de certains termes maritimes ou populaires un peu trop abondants dans la bouche de Seveno. Quelqu’un donna les origines matelotesque du fameux cric crac. À bord, pendant les nuits de calme, le conteur du gaillard d’avant est spécialement chargé d’éloigner le sommeil qui rôde autour de la bordée. Quand il voit faiblir une ou plusieurs paupières, il lance l’interjection : Cric ! tout le monde, sans exception, doit aussitôt répondre Crac ! Ce serait trop peu ; à la rigueur, on peut prononcer en dormant ces monosyllabes aussi la formule a-t-elle deux autres rimes qui varient et dont la richesse est généralement médiocre.

Combien serait utile une pareille mécanique à certains professeurs en Sorbonne, ainsi qu’à certains orateurs parlementaires !

La belle duchesse, toujours pressée de savoir, s’était emparée de la douairière de Chédéglise.

— Dites-moi bien vite, chère comtesse, supplia-t-elle, si feu M. le comte s’appelait Vincent de son petit nom ?

La comtesse souriait déjà pour répondre, lorsque la redoutable marquise, fantôme de la loi, se dressa entre deux et rendit cet arrêt :

— Ma nièce, n’anticipez pas ! vous tuez ainsi l’intérêt dans son germe.

– Mesdames, reprenait en ce moment M. de Corbière, voici que tout est dit, à peu de chose près, sur mon voyage de Lorient. Dès le lendemain, je m’enfermais dans ma chambre, à l’hôtel de France, pour étudier sérieusement l’affaire. Je suivis aussi les audiences du tribunal, afin de prendre langue auprès de mes confrères du barreau de Lorient. Ces deux épreuves furent pour moi également défavorables à mes pauvres clients. Le dossier de M. Keroulaz, tourné et retourné en tous sens, ne contenait aucune pièce probante, tandis que sa correspondance, imprudente comme la bonne foi, fournissait des armes légales à son adversaire, déjà trop fort. L’opinion du barreau me parut toute faite et celle des juges mieux arrêtée encore. On me regardait presque en pitié : M. Bruant tenait le pays par tous les bouts ; il était à la fois le plus riche commerçant et le plus opulent propriétaire du département.

Je me souviens d’un rude accent bas breton qui me mit un soir cette gracieuseté dans l’oreille :

– Foi de Dieu confrère, pour venir plaider de pareilles loques jusque chez nous, il faut que le pain blanc soit rare chez vos boulangers de Rennes !

Je n’étais pas trop bien vu à l’hôtel, où M. Bruant dépensait bien, bon an, mal an, deux petits écus de trois livres. Mais notez qu’aux puissants on tient compte de tout, même de leur ladrerie. Si ce colossal Bruant avait voulu, le maître de l’hôtel de France aurait mis son buste sur la cheminée de la salle à manger. Les garçons et les servantes m’appelaient « le petit avocat râpé qui vient se frotter à M. Bruant. »

Je ne peux pas vous dire, moi, mesdames, comme ce nom de Bruant sonnait à Lorient et à Port-Louis. Dès que quelqu’un le prononçait tout bas, on l’eût entendu d’une ville à l’autre, par-dessus la rade. On ne l’aimait pas, certes, bien au contraire, mais on l’admirait, ce qui vaut mieux, et surtout on le redoutait. Le culte dont l’opinion publique l’entourait se traduisait par cette phrase, assurément significative : « Il est capable de tout ! »

Il y avait un bon vieux juge du tribunal qui portait la main à sa toque en parlant de lui.

Dans les rues, on commençait à me reconnaître. Les pauvres ne me demandaient pas l’aumône. La marchande de tabac servait tout le monde avant moi.

Ma seule consolation était de traverser la rade parfois et d’aller m’asseoir une heure entre M. Keroulaz et sa fille. Quand j’aborde ce souvenir, il me semble que je vais me répandre en détails honnêtes, gracieux et charmants. Mon cœur est plein ; mais, à mieux regarder ces humbles reliques sont d’attache et ne se peuvent point exhiber au dehors. Ce qui emplit mon cœur y reste. Je ne saurais comment déchiffrer tout haut cette chère page de ma conscience.

Non, madame et bonne amie, ce n’est pas ici votre présence qui me gêne. J’ai pris mon parti de tout dire, et d’ailleurs qu’y a-t-il cacher ? Mais il faut l’ombre pour repousser la lumière, et il n’y avait point d’ombre dans l’admirable placidité de cet intérieur. À ce foyer je me sentais plus chrétien et meilleur. C’était un saint, ce fier et doux vieillard ; il avait pitié de son ennemi victorieux et plaçait chaque soir le nom de Bruant dans sa prière.

Dans cette maison, j’interrogeais peu, et il eût fallu positivement interroger pour savoir. Mon aventure au cabaret Mikelic avait fait naître en moi de nombreux et graves soupçons ; je craignais de les voir confirmés, tant je me sentais au-dessous de mon rôle de vengeur.

Je ne suis pas encore entré dans les détails du procès Keroulaz. Il y avait là aussi des présomptions, très vagues, mais décidément lugubres. Je dois avouer que, dès lors, Bruant était pour moi un malfaiteur de la pire espèce et que mes yeux voyaient du sang a ses mains. Mais j’étais en quelque sorte complice de la lâcheté générale qui me paralysait. Je ne pense pas que j’eusse dès ce temps le moyen de soulever le voile ; en tous cas, je ne l’essayai point.

J’éprouvais à la fois de la frayeur et du dégoût. L’idée que cet homme avait demandé la main de Jeanne me faisait frisonner. Je ne l’avais jamais vu. Au demeurant, je ne savais de lui que son âge, sa richesse et son avarice. Les gens de Lorient, qui le connaissaient bien mieux que moi, ne voulaient point croire à ce roman de la demande en mariage. Ils disaient que M. Keroulaz se vantait. Étant donnés le caractère de M. Bruant, l’époque et le courant d’idées qui menait alors le monde, il est bien sûr que les gens de Lorient avaient vraisemblance en leur faveur.

Il y eut un point cependant sur lequel je pris des informations discrets mais précises. Vous vous souvenez de mon grand beau mousse contemplant cette lueur qui brillait au troisième étage, chez mon client ? Je voulus savoir au vrai quelles relations existaient entre Vincent et Jeanne. Voici ce que j’appris : Keroulaz et Penilis étaient cousins, mais Jeanne ne connaissait pas Vincent.

J’ai dit que j’étais un esprit positif. La nature de mes études et mon précoce acharnement au travail de cabinet m’avaient éloigné de plus en plus du pays des rêves. Dussé-je me perdre auprès de vous, mesdames, je puis affirmer que je n’ai pas eu de jeunesse. Huit jours me séparaient déjà de cette étrange journée, unique dans ma vie, où six heures durant j’avais laissé mon imagination galoper la bride sur le cou. J’avais désormais défiance de moi-même au sujet de l’impression qui me restait de cette journée. Qu’était-ce, en somme ? Un sommeil de ma raison, bercé par une absurde légende.

L’impression subsistait pourtant, au point qu’à certaines heures de faiblesse j’entrevoyais un dénoûment fantastique aux cruelles réalités qui m’entouraient.

Espérais-je que Vincent, mystérieux chevalier de ma belle opprimée, avait pêché le Saint-Graal au Trou-Tonnerre ! la boîte mystique et qui, selon Vincent, ne devait pas être sacrilège avait-elle tenté encore une fois le poisson d’or ? Je n’espérais pas cela, puisque je ne cherchais nullement à savoir ce qui était advenu de la téméraire tentative du dernier des Penilis.

Qu’attendais-je donc ? En vérité, je ne saurais le dire au juste, mais j’éprouvai un désappointement profond la veille du jour où l’affaire Keroulaz devait venir à l’audience. Je vis à bord d’une chaloupe de pêche qui était à quai mon Seveno aux larges épaules et son équipage. Il fumait sa pipe magistralement à l’arrière ; tandis que les quatre matelots comptaient des cents de sardines dans les paniers, Vincent, rose comme une cerise, les jambes nues et les cheveux hérissés, passait et repassait la planche d’abordage, une corbeille dans chaque main. Il chantait je ne sais quoi de monotone et de lent, comme un bon gars dont les aïeux sont morts, partout ailleurs qu’à la croisade.

Évidemment, mon Vincent n’avait pas croché le damné merlus du Trou-Tonnerre.

Le lendemain, M. Keroulaz, sur ma plaidoirie, perdit son procès avec dépens devant le tribunal civil de Lorient. Les juges me donnèrent à entendre que le choix d’une semblable cause ne témoignait pas en faveur de ma moralité, ce qui fit sourire mes confrères. Comme je revenais à l’hôtel, les polissons me chantèrent pouille et les convives de la table d’hôte me demandèrent si je ne retournais pas bientôt à Rennes.

Quand je pris congé des Keroulaz, Jeanne me dit :

— Cela coûte-t-il bien cher pour aller devant la Cour d’appel ?

– Trop cher, répondis-je.

Elle ajouta :

– Mon grand-père en mourra… et pourtant je ne peux pas être la femme de M. Bruant !

Le grand-père m’apprit que ce jour-là même M. Bruant avait renouvelé sa demande en mariage.

Comme je montais en diligence, on me mit dans la main un petit panier recouvert de paille. Il faisait nuit déjà et j’étais préoccupé je repoussai l’objet, disant :

– Cela n’est pas à moi.

– Excusez, monsieur l’avocat, répartit une voix qui me fit tressaillir. Je ne sais pas écrire, sans ça j’aurais mis votre nom dessus.

Je levai les yeux. C’était Vincent, la joue rouge et le regard baissé. Il me vit hésiter et dit encore la larme à l’œil.

Je vous prie bien de ne pas me refuser, monsieur Corbière. Allez ! c’est de bon cœur !

La voiture s’ébranlait, je n’eus que le temps d’y prendre ma place et je gardai le panier. Vincent me remercia d’un geste qui me remua le cœur ; les polissons rassemblés ayant voulu saluer mon départ d’une dernière huée, Vincent ferma les poings et les dispersa comme une volée de moineaux. J’avais un ami, à tout le moins, parmi cette population hostile. Le panier de Vincent contenait deux superbes homards que maman Corbière trouva frais comme des roses.

À peine étais-je de retour à Rennes, que le courant de mes occupations me reprit. Il me semblait que je perçais ; je plaidais fort souvent, et l’on commençait à compter avec moi au Palais, mais les résultats matériels venaient avec une extrême lenteur. On eût dit que les bonnes causes me fuyaient, et j’étais décidément l’avocat des désespérés. Ce travail qui fait passer sous les yeux de l’homme de loi tant d’intérêts divers, tant de faits bizarres ou dramatiques, tant de subtilités, tant de complications de toute sorte, est absorbant au dernier point, et si un clou ne chassait pas l’autre, ce serait à devenir fou. Je cite donc, comme un fait à part, l’obstination de ma pensée à revenir sans cesse vers le procès Keroulaz.

Dès que ma tâche de galérien me donnait un instant de répit, je cherchais les moyens de confondre ce coquin de Bruant, je m’efforçais, je me creusais la tête, je plaidais à vide, comme don Quichotte combattait des fantômes. Ma femme et ma mère furent d’abord jalouses de cette idée fixe qui ressemblait si bien à une passion, puis, auprès d’elles, du moins, je gagnai ma cause et je conquis, en elles, des alliées. Aux repas, je leur expliquai l’affaire Keroulaz minutieusement, surabondamment, non point telle que je l’avais plaidée devant des juges malveillants et prévenus, mais comme je la façonnais en moi-même, comme je l’éclairais de rayons factices, comme je l’entourais de mes propres inductions. Ainsi faite, la cause de mon vieux ci-devant et de sa petite-fille était simple comme le bon sens et plus claire que le jour. Les deux chères, les deux excellentes créatures qui ont été mes anges gardiens dans la lutte si longtemps stérile, parlèrent bientôt de faire une bourse pour subvenir aux frais d’un appel.

Mais je ne sais, mesdames, pourquoi j’ai tant tardé à vous instruire, car, de ce fameux procès Keroulaz, vous ne connaissez que deux faits : la vente par le citoyen Bruant d’une presse à sardines située à Gavre, et l’action en revendication intentée par le même contre son acheteur insolvable. À cette action, l’acheteur répondait par son affirmation d’avoir payé le prix de vente intégralement, avec les intérêts et frais. Le vendeur répliquait « Fournissez votre quittance. »

Il n’y avait pas autre chose que cela dans l’affaire portée devant le tribunal de Lorient, mais, Dieu merci, ma cause à moi, la cause que je plaidais et que je gagnais matin et soir par-devant les deux dames Corbière, ne ressemblait point à cette plate exposition. En manière de préface, je faisais d’abord la biographie de Bruant, dit Judas, ancien domestique des Penelis, puis matelot, puis millionnaire. La prétendue pêche du poisson d’or, source de sa fortune, était touchée ici de main maître, et je montrais sa barque, cette nuit-là, glissant sournoisement, non point vers le Trou-Tonnerre mais vers la grève où fut trouvé le corps d’un homme assassiné.

Le voilà riche tout d’un coup et achetant d’abord, pour la vingtième partie de leur valeur, les biens de ses anciens patrons, puis d’autres biens, car le mauvais domestique et le mauvais matelot s’est révélé usurier de première force. Il manœuvre ses capitaux avec une telle habileté, il acquiert de toute main, des châteaux, des terres, des navires, des établissements industriels, et il revend à son loisir avec des bénéfices extravagants. Ainsi, dans notre espèce, la presse cédée aux Keroulaz pour une somme de douze mille francs, avait été achetée, deux ans auparavant, au prix de cinq cents écus !

Je dis aux Keroulaz, car ils étaient deux Keroulaz dans ce temps-là, le père et le fils : le ci-devant marquis et le ci-devant comte, mieux connu sous le nom de M. Yves, et père de notre Jeanne.

Quelqu’un ici a dû se demander, tout comme nos juges au tribunal de Lorient, pourquoi M. Keroulaz ne pouvait fournir quittance, si vraiment il avait soldé le prix de sa presse. M. Keroulaz avait soldé le prix de sa presse, mais il n’avait jamais eu de quittance.

Le 16 octobre 1802, terme fixé pour le payement, M. Bruant vint à la presse de sa personne en homme ponctuel qu’il était, et réclama son dû. Il manquait à M. Keroulaz, qui avait rassemblé toutes ses ressources quelques centaines de francs pour parfaire la somme, et M. Yves devait le soir même rapporter cet appoint de Vannes. Bruant accorda jusqu’au lendemain, parce que Jeanne brodait auprès du bureau de son aïeule. Jeanne avait alors seize ans, et, M. Bruant lui caressa le menton paternellement, disant qu’elle était « bien mignonnette ». Le lendemain, M. Yves revint de Vannes avec l’argent. Il prit à peine le temps de déjeuner et se rendit au château de Penilis, où le Judas faisait sa demeure. M. Bruant était absent ; M. Yves attendit son retour jusqu’au soir, et ne sortit de chez lui que fort tard. Depuis lors, son père et sa fille ne le revirent jamais.

Pendant cette soirée et la nuit qui suivit, il y eut grande tempête. On supposa que M. Yves avait pu se perdre en traversant la rade.

M. Bruant déposa lui-même devant le commissaire de police de Port-Louis que, le dernier bateau de passage étant parti, M. Yves lui avait emprunté son canot de plaisance pour regagner Lorient. Ce canot était une baleinière de Dunkerque, qu’un seul homme pouvait aisément manœuvrer.

La baleinière était perdue.

Je dois faire observer que, de la plage de Sainte-Catherine, où la baleinière de M. Bruant était amarrée, jusqu’à Lorient, on ne compte pas plus d’une demi-lieue par mer, mais que, par terre, il faut remonter le Blavet pour trouver le pont d’Hennebon, ce qui donne un voyage de plus de cinq lieues. M. Yves, bon marin qu’il était, avait donc intérêt à risquer le passage en bateau, malgré le gros temps et l’heure avancée.

La baleinière de M. Bruant fut retrouvée plusieurs jours après, dans les roches du Trou-Tonnerre, à la pointe ouest de Groix. C’est là, directement, que porte le courant du jusant, à la sortie de la rade. La baleinière avait touché ; elle était presque désemparée. Il fut constaté qu’elle ne contenait point d’avirons et son bordage manquait de tolets.

Les tolets sont les chevilles qui servent de point d’appui à la rame.

Il y eut des gens pour dire que si la baleinière avait eu ses agrès, M. Yves aurait dormi tranquillement dans son lit une heure après avoir quitté Sainte-Catherine ; mais le matelot qui avait la garde de la baleinière affirma sous serment qu’il y avait laissé, le soir même, trois avirons, dont un de godille et quatre bons tolets de fer.

Cet homme eut, peu de jours après, une place lucrative dans le chantier de M. Bruant, à Nantes où il mourut à la fin de l’année.

Dernier détail : le préposé de garde au Kernevel et celui de Larmor déclarèrent avoir vu passer dans le chenal un objet blanc. Il ventait de l’ouest à décoiffer l’église de Port-Louis, et cependant l’un et l’autre avouèrent qu’ils avaient cru entendre des cris de détresse. Mais il faut autre chose qu’un doute pour troubler le placide sommeil d’un préposé de la douane dormant debout dans sa guérite.

La baleinière de M. Bruant était peinte en blanc.

Il n’en fut que cela quant à l’enquête judiciaire. M. Keroulaz fit sonder tout le long de la côte ouest de Groix et fouiller tous les rochers, mais le corps de son fils ne se retrouva point.

Le temps passa. La pauvre maison Keroulaz fut pendant plusieurs mois tout entière à son deuil. Bien que le grand-père n’eût rien en lui des qualités d’un homme d’affaires, au bout de l’an, son bon sens le porta à réclamer un double de la quittance perdue. Bruant ne dit ni oui ni non. Il parla du malheureux événement, et répéta sur tous les tons cette phrase, si terrible dans la bouche des trafiquants : Nous nous entendrons toujours bien. Du reste, il ne demandait point d’argent, ce qui, chez un usurier de sa force, était une bien formelle reconnaissance du payement effectué. Il venait de temps en temps visiter la presse, qui marchait comme il faut ; il était aimable autant que faire se pouvait. Un jour, il apporta dans sa poche un vieux bout de masse-pain pour la levrette de Jeanne. Les trancheuses de sardines pronostiquèrent qu’il allait mourir.

Jeanne, depuis la perte de M. Yves, tenait les écritures de la petite usine.

Les trancheuses se trompaient, M. Bruant n’était pas en danger de mort il avait son idée. Il vint s’asseoir tout contre le bureau de Jeanne et lui offrit un cornet de pastilles de chocolat qu’il avait eues à bon compte, pour cause d’avarie. Jeanne avait instinctivement horreur de cet homme. Elle ne répondit point comme il le souhaitait, quand il lui demanda si elle ne serait pas bien contente d’épouser l’homme le plus riche de Port-Louis. Cela méritait réflexion ; Jeanne n’en fit point : Jeanne refusa du même élan son bonheur et le cornet de pastilles avariées. M. Bruant s’en alla furieux. Pour la première fois, depuis la catastrophe, il dit au grand-père, qu’il rencontra sur son chemin :

— Quand donc parlerons-nous de nos affaires, M. Keroulaz ?

Le vieillard saisit la balle au bond et réclama sa quittance. Le Judas répondit :

— À merveille ! nous nous entendrons toujours bien. Demain je vous enverrai quelqu’un à qui causer.

Il tint parole. Un homme de loi vint le lendemain qui déclara nettement au grand-père qu’il fallait payer ou déguerpir.

On était encore sous l’empire de cette législation confuse où le droit romain, l’ancien droit français et la coutume de Bretagne s’amalgamaient pour former un monstrueux amas de contradictions. Le Code Napoléon est loin d’atteindre la perfection, mais quand je me reporte aux barbares procédures que j’ai suivies, dans ma jeunesse, devant cette Cour de Rennes qui est une des plus illustres du royaume, j’en ai encore le frisson. Le Code de procédure civile ne fut rendu obligatoire qu’en 1808, et nous avions, à l’époque où le procès s’engagea, des procureurs de la vieille roche, capables de noyer sous le flot de leur encre la lumière même du soleil. De la première citation au jugement, la contestation la plus simple pouvait vivre une couple d’années. Quand j’arrivai au procès, il durait depuis vingt mois, et il y avait un an que M. Keroulaz avait été dépossédé de son usine par provision.

Après la perte du procès, M. Keroulaz et Jeanne travaillèrent tout uniment de leurs mains ; le grand-père corda des lignes de crin, la petite-fille montait des bonnets. Ils m’écrivaient souvent ; nous pleurions en lisant leurs lettres ils disaient, cependant, qu’ils étaient heureux.

Quant à M. Bruant, il continuait de jouir de la publique vénération, à cela près qu’on l’appelait tout bas le Judas à tous les étages de toutes les maisons, et que chacun, du haut en bas de l’échelle sociale, le regardait comme un effronté scélérat dans son for intérieur.

En ce monde étrange où nous sommes, les choses vont ainsi parfois jusqu’au bout. Je pourrais citer des coquins connus, avérés, des marauds célèbres qui ont poussé la plaisanterie jusqu’à mourir entourés d’hommages.

Les gens d’esprit de Lorient disaient :

— Si cette petite Keroulaz n’était pas une sotte, elle vous le prendrait pour mari, et puis gare dessous !

À Lorient et ailleurs j’ai admiré, en effet, des demoiselles qui eussent été de cruelles vengeances. Mais Jeanne n’était qu’une sotte, à ce qu’il paraît. Figurez-vous que, pendant et après le procès, le Bruant ne laissa pas passer une semaine sans renouveler sa demande, directement ou non. Il avait son idée fixe. Le procès n’était qu’une galanterie à rebours. Il s’était dit « Je réduirai la place par la famine. »

Un soir d’été, un an après mon excursion morbihannaise, je reçus deux lettres à la fois, toutes deux de Port-Louis. Mes bons amis Keroulaz ne me laissaient jamais bien longtemps sans nouvelles, mais aucune des deux adresses ne portait la mignonne écriture de Jeanne. J’ouvris la première, dont voici textuellement le contenu, sauf ortographe :


« À M. Corbière, de Rennes en propre, à lui-même.

« Mon cher monsieur, quoique n’ayant pas l’avantage d’être connu réciproquement, vous recevrez par le roulage Morel et Cie, rue Nantaise, une caisse contenant quarante bouteilles de vin d’Espagne ; désirant lier amitié avec une personne dont les bons renseignements le méritent, à cause de mes acquisitions de terrain dans l’Ille-et-Vilaine, sachant qu’outre avocat vous faites aussi la régie des biens et propriétés foncières moyennant le tant pour cent, auquel nous nous entendrons toujours à l’amiable, d’un commun accord, si vous voulez vous charger de cette affaire avantageuse. Réponse, s’il vous plaît et que vous avez bien reçu le vin.

« Votre serviteur, etc.

«  Signé : J. B. Bruant. »

« Post-Scriptum. Il y a contre moi plusieurs clabaudages des calomniateurs, mais j’ai tous mes titres en règle, ayant suivi constamment le sentier de l’honneur avec probité. »


Cette lettre m’étonna médiocrement. Pendant mon séjour à Lorient, je n’avais jamais rencontré M. Bruant ; je ne le connaissais même pas de vue, mais je le savais par cœur. Du haut de leurs millions ces gens ont peur très souvent ; leur conscience est comme un enfant dans les ténèbres, elle frissonne au moindre bruit.

Le récit du patron Seveno m’avait donné dès l’abord la clef du caractère de M. Bruant. Mon enquête sourde et patiente, qui marchait depuis un an, confirmait de tout point mon impression première : M. Bruant était un coquin admirablement doué pour réussir en un milieu ignorant, à une époque troublée : il était effronté, mais prudent ; il était astucieux, mais naïf. Je n’aimerais pas vous voir sourire, mesdames, quand je vous dirai que sa fable du poisson d’or au ventre cousu et décousu était imaginée fort heureusement et prouvait un tact peu ordinaire. Cela devait réussir, et sous l’incrédulité même de Seveno il restait un doute.

Je parle ici au point de vue populaire. Devant la justice, M. Bruant avait tous ses titres en règle, et cela suffisait.

Pourtant il n’était pas tranquille. J’étais homme de loi ; je le gênais ; il voulait m’avoir. Entre nous deux, notez bien ceci, la guerre était déclarée tacitement ; il le sentait ; une guerre à mort. Son avarice seule, dont je vais parler tout à l’heure, l’avait empêché de parlementer plus tôt.

Il était avare incomparablement et avec cette naïveté qui était le fond de sa nature. Je prononçais naguère le mot conscience. Ma persuasion est que certains hommes n’ont pas du tout de conscience, dans l’acception philosophique du mot. Au fond du sac qui aurait dû contenir une conscience, M. Bruant avait trois choses son avarice, son désir entêté d’épouser Jeanne et sa peur.

Son avarice était née de sa fortune. C’est le châtiment ordinaire. Cet homme, qui avait des gourmandises de toute sorte au temps de la misère, vivait de rien maintenant qu’il possédait des millions. Il amassait sans trêve ni relâche ; il n’était bon à personne, pas même à lui ; son argent était au fond d’un trou, et c’était devant ce trou que les bonnes gens de Lorient dévotement s’agenouillaient.

Bruant savait cela : c’est en quoi je reconnais sa force. Son argent était l’armure dont il revêtait sa peur. Chaque louis d’or devenait une maille ajoutée à sa cuirasse. La logique instinctive de son avarice lui criait sans doute « À force d’être riche, tu seras invulnérable. »

De sorte que, chez lui, l’avarice était un mode de la peur.

J’en dirais volontiers autant de son violent désir d’épouser Jeanne, du moins au point de départ. L’idée avait dû naître en lui d’éteindre ainsi des droits hostiles et d’annihiler un menacent souvenir, mais ici, en jouant avec le feu, il s’était brûlé profondément ; l’obstacle avait grandi sa fantaisie jusqu’à la souffrance, et nous verrons bientôt l’idée de son mariage avec Jeanne le poursuivre comme une véritable folie.

Il avait trente ans de plus que Jeanne ; excellente condition pour extravaguer dans les questions de mariage.

J’en étais à délibérer avec moi-même sur la question de savoir si je devais retourner l’envoi de Judas sans réponse ou si mieux ne valait pas entrer en négociations avec lui, dans l’intérêt de Kéroulaz. Il y avait du pour et du contre. Sa démarche me le livrait un peu, mais pas assez, et peut-être la prudence diplomatique conseillait-elle d’irriter son caprice par un refus. La seule chose qui combattait cet ordre d’idées en moi, c’était le désir très vif que j’avais de voir enfin cet homme et d’entamer avec lui une bataille réglée. Je ne peux pas prétendre que j’eusse des opinions arrêtées bien solidement sur le double assassinat, que les apparences mettaient à sa charge ; j’étais déjà trop imbu des prudences du Palais pour me laisser entraîner au vertige des présomptions, mais un problème était posé, je voulais passionnément le résoudre.

À quelque degré que cet homme fût coupable, indépendamment même de la querelle sacrée que j’avais à défendre, je voulais me servir de lui comme l’apprenti médecin se sert du sujet étendu sur la table de dissection. Je l’avais voué a mes études, il me le fallait.

Tout en réfléchissant, j’ouvris machinalement ma seconde lettre de Port-Louis. Elle était d’une écriture large et lourde comme celle des enfants. Elle disait :


« Monsieur l’avocat,

« Je vous apporte encore deux homards avec moi et je vous prie de dire à vos valets de me recevoir, car j’ai vous consulter pour affaire de vie et de mort.

« Signé : Chédéglise (Vincent). »

« P.-S. Je prends la malle et j’arriverai le même soir de ma lettre. »


Vincent ! mon beau Vincent ! J’appelai aussitôt tous mes valets, c’est-à-dire la vieille Goton, notre factotum, et je lui ordonnai de recevoir un grand jeune homme à la crinière blonde et embrouillée, rouge en figure, très timide, très débraillé et probablement pieds nus.

– Bonne pratique gronda Goton, qui, chez nous, tenait un peu la caisse.

— Attends donc ! m’écriai-je en ressaisissant la lettre. Pieds nus ! Ah ! bien oui !… Je n’ai pas la berlue ! Il a pris la malle-poste ! Est-ce qu’il aurait enfin croché le poisson d’or !

Goton me regarda d’un air compatissant. Elle ne me considérait pas comme ayant la tête forte.

— Entrez, monsieur, dit maman Corbière au bout du corridor.

Pendant que je faisais la leçon à mes valets, ma bonne mère avait été obligée d’ouvrir la porte. Le « monsieur » : entra c’était Vincent avec ses deux homards. Mais combien il avait gagné ou plutôt perdu, hélas ! Sans le panier lorientais, je ne l’aurais pas reconnu. C’était Vincent, mais il avait des souliers ; c’était Vincent, mais ses grands cheveux blonds étaient coupés ; au lieu de sa chemise débraillée, il portait une redingote noire. Mon mousse ressemblait à un séminariste.

Il entra, les yeux baissés. La seule chose qu’il eût conservée intacte, c’était un pied de rouge sur le front.

– Bien le bonsoir, monsieur l’avocat, dit-il en saluant respectueusement, voilà les homards avec ales compliments de M. Keroulaz et de Mlle Jeanne.

J’avais pensé à ce bon garçon tant et tant de fois depuis un an, qu’il était pour moi comme une connaissance intime. Il ne pouvait pas deviner cela, aussi tomba-t-il de son haut quand je lui tendis familièrement la main. En vérité, il n’osait pas toucher la mienne.

— Eh bien, Vincent, eh bien, lui dis-je, qu’y avait-il dans le ventre du poisson d’or ?

Il recula d’un pas et fixa sur moi son œil presque hagard. Il avait certes, une opinion fort exagérée des mérites de M. l’avocat, mais, pourtant, il ne le croyait pas si sorcier que cela. Je fus obligé de lui dire en deux mots le hasard qui m’avait rendu maître de son secret.

— J’ai bien étudié depuis un an, murmura-t-il d’un air sérieux et modeste. Je suis encore un ignorant, mais je n’irai plus maintenant au Trou-Tonnerre.

Il avait donc été au Trou-Tonnerre.

Ma mère et Goton venaient de partir. Nous étions seuls. Je rapprochai mon siège vivement.

Vincent eut, ma foi, un sourire. C’est étonnant comme il s’était formé !

— Voyons m’écriai-je, moquez-vous de moi tant que vous voudrez, mais racontez-moi l’histoire !

— Me moquer de M. l’avocat ! répartit Vincent avec une sorte d’effroi.

Il ajouta en baissant la voix :

— Faudrait n’avoir jamais parlé avec M. Keroulaz ni avec Mlle Jeanne !

— L’histoire, Vincent, l’histoire !… Allâtes-vous la nuit même de la bénédiction des couraux ?

— Puisqu’il ne sert de rien d’aller les autres nuits…

— Et la boîte ?…

— Oh ! répliqua-t-il en rougissant, j’avais mon idée pour la boîte.

– Vous ne la prîtes pas à l’église, je le sais Vincent. La prîtes-vous au cimetière ?

– Pour quant à ça, monsieur Corbière, fit-il en se redressant comme malgré lui, j’ai été enfant bien tard, et il n’y a pas six mois qu’on m’appelait encore l’innocent. Mais je me suis toujours souvenu de la comtesse de Chédéglise, ma mère, et je serais mort avant de commettre un sacrilège. Voyez-vous, j’avais mon idée pour la boîte. Patron Seveno me pria bien de lui dire le fin mot, mais bernique ! Ça aurait été des si et des mais. Quand on est déterminé, pas vrai, faut marcher. J’obéissais à Seveno à bord de la Sainte-Anne, c’est vrai, mais la bonne créature m’aurait nourri de poulets rôtis si j’avais voulu, et, des fois, il me traitait tout d’un coup comme le fils de mon père… Il avait levé la main sur moi mais sans frapper, un soir que j’étais à la barre et que le bateau pensa toucher sur les dangers du Groaisus. Tout le long du chemin, il ne parla plus et je croyais qu’il était fâché contre moi, mais, à la maison, quand on alluma la résine, je vis qu’il avait des larmes dans les yeux. Il me dit : « Si j’avais tapé, je m’aurais puni de mort ! » Ceux qui connaissent patron Seveno savent bien qu’il fait ce qu’il dit…

– Monsieur l’avocat, interrompit ici Vincent avec un sourire modeste où perçait toute la candeur de son orgueil, j’ai appris pas mal de choses depuis le temps. Je lis dans le moulé et aussi dans l’écriture ; c’est moi que je vous ai tourné ma lettre de ma propre main.

— C’est au mieux, Vincent, mais la boîte ?

— Ah ! ah ! la boîte Monsieur l’avocat a envie de savoir. C’est drôle tout de même ce qui m’est arrivé là-bas, et je suis venu pour vous dire tout comme à mon confesseur. Je fus donc à Port-Louis en quittant l’auberge du père Mikelic et j’achetai trois lignes à congres pour les mettre bout à bout, avec un hameçon de trois pouces, et puis je dis un ave sous les fenêtres de Mlle Jeanne, car c’était pour elle et son grand-papa que j’allais au Trou-Tonnerre.

Il était dix heures quand je poussai au large avec la plate du vieux Crozic : un bateau de pauvre, monsieur l’avocat, rapiécé partout comme la veste d’un chercheur de pain. Je dressai le mât, je bordai la voile, percée de plus de trous qu’une écumoire, et me voilà parti, profitant du vent et de la mer. Beau temps, vous souvenez-nous ? Je ne mis pas plus d’une heure à traverser les couraux. C’était désert comme si on avait été à cinq cents lieues de la côte, rapport à la fête qui mettait tous tes équipages au cabaret. Je dis la vérité : à Lorient ni à Port-Louis, personne n’a eu connaissance de ce grain-la qui montai, vers les basses de Crescoret, à une demi-lieue l’île. Mon mât fut brisé comme un tuyau de pipe et ma voile s’envola le diable sait où. Un grain sec, pas un nuage au ciel, des étoiles à boisseaux, et qui brillaient comme un million de chandelles ! Qu’est-ce que c’était que ce grain-là ? Demandez à un plus savant. Tout de même, ! a mer se mit à danser fameusement, ma plate vira bord sur bord et j’aurais juré que tous les tonnerres du ciel canonnaient au-dessus de ma tête. Je commençai à vider la barque avec mon chapeau, car je ne trouvais par l’écuelle, et la lame embarquait en grand, comme chez elle. Si j’avais été en état de péché, gare à moi ! C’est là que je fus content de n’avoir pas sur moi la damnée boîte ! Je dis un bout de patenotre et, aussi vrai que nous sommes là tous deux, monsieur l’avocat, je n’eus pas peur.

N’empêche qu’un grain pareil, ça ne s’est jamais vu.

J’avais bordé mes avirons pour me tenir debout à la lame, et j’en vaux un autre quand j’ai du bois dans les deux mains, mais je t’en souhaite ! Autant gouverner une baille ! J’allais à la dérive, tantôt de ci tantôt de là, virant au remous, puis au courant, quand tout à coup calme plat ! La mer était autour de moi douce comme de l’huile et les roches du Trou-Tonnerre faisaient ombre au-dessus de moi.

Le petit clocher de la chapelle de Lokeltas tinta le coup qui précède l’heure. Je n’avais que bien juste le temps pour couler ma ligne, avant minuit. J’ôtai ma veste et ma chemise, j’affûtai mon couteau sur le fer du grappin avant de mouiller, et je taillai sur la chair de mon bras gauche une jolie tranche que mon hameçon y passa et repassa six fois sa pointe. Ça tenait dur. C’était là mon idée que je vous disais, monsieur l’avocat : je donnais au merlus la boîte qu’il fallait, sans rien prendre à l’église ni au cimetière. Ma chair est celle d’un chrétien, pas vrai ?

À l’eau le plomb ! La longueur de mes trois lignes y passa. Mon bras taillé me faisait durement mal, mais je pensais aux douze mille francs, on payait le Judas, et le grand-papa Keroulaz était heureux. Je souriais, parce que je voyais le sourire de Mlle Jeanne.

L’idée ne me venait même pas que ma boîte pût aller en vain au fond de la mer.

Minuit sonna. Au dernier coup je sentis comme une caresse faible au bout de ma ligne et je me dis « Voilà la bête ; ne nous pressons pas ! » Quand on pêche, on sait ce qui se passe sous le bateau ; la ligne parle et dit aux doigts si le poisson mord, ou si le poisson s’amuse. Parfois la boîte arrive devant un animal qui vient de prendre son repas ; alors il joue. Il me semblait que je voyais le damné merlus jouer autour de mon hameçon. Mors donc, fainéant, qu’on te pique !

Tâche ! il jouait toujours comme un quelqu’un qui a dîné et qui fait des boulettes avec la mie de son pain au dessert.

Auquel cas faut lui tirer l’objet tout doucement, pour lui faire envie. Les poissons, ça ressemble au monde. Ce qu’on craint de perdre, on le croche. Je halai sur ma ligne. Attention ! y avait quelque chose au bout. L’animal avait mordu à la sournoise. L’animal ? Il n’y a pas dans la mer d’animal si lourd que ça ! C’était la roche. On aurait joué un air de musique sur la corde, tant elle était tendue ; mes mains se déchiraient et l’effort faisait ruisseler ! e sang de mon bras.

Tiens bon, pourtant ! Ça venait un petit peu. Ce n’était pas la roche, car j’avais bien déjà trois ou quatre brasses de ma corde dans le bateau. J’avais ouï conter à Seveno qu’il avait péché au Glenan la grand’raie qu’on appelle un posteau ; elle pesait soixante-seize livres, mais elle gigotait, fallait voir, et son bateau allait comme une balançoire. Ici, rien ; on aurait dit que je montais un seau d’eau du fond d’un puits.

Était-ce Dieu possible ? J’amenai peut-être le poisson d’or, le vrai. L’or, ça n’est pas une chose vivante. Un poisson tout en or ne peut pas remuer.

Je halais. L’idée me vint que je halai un noyé.

Mais les noyés ne pèsent pas si lourd.

Je ne pourrais pas dire tout ce qui me passa par la tête. Je n’avais pas encore étudié. Mais maintenant que j’ai étudié, je n’en serais pas plus fin de beaucoup.

J’avais quarante brasses de tirées dans le bateau. Il en restait bien encore une fois autant à tirer, car c’est long, trois lignes bout à bout. J’eus comme un rêve et je vis à travers l’eau une baleine morte. Il en vient de temps en temps jusque chez nous. Ma sueur et mon sang coulaient à la fois ; je râlais tant j’avais de fatigue ?

Enfin le paquet monta ; je dis bien, le paquet : un monceau de goëmons, lesté par un tas de petites roches, des grandes feuilles huileuses, emmêlées avec ce qui me parût être des guenilles. J’eus le courage de passer cela par-dessus bord et je tombai épuisé au fond de la plate.

Mon hameçon n’avait plus de boîte, et ma ligne était mêlée comme une tignasse de petit grésilon qui n’a pas été peigné depuis sa naissance.

Mes pauvres douze mille francs, monsieur l’avocat. Ma pêche ne valait pas douze liards, c’est sûr ! Il était bien une heure du matin quand je me sentis assez fort pour lever mon grappin. J’avais maintenant contre moi le vent et la marée, et j’étais faible par le sang que j’avais perdu avant de bander mon bras. Il fallut pourtant nager et nager ferme, car je voulais arriver avant le jour. La honte me tenait ; il me semblait que tout le monde allait dire en voyant passer Voici Vincent, l’innocent, qui revient de pêcherie poisson d’or !

Les nuits sont courtes en juin. Les couraux se couvraient déjà de barques quand j’accostai à la pointe de Gavre. Je ne peux pas dire non, monsieur l’avocat, l’espoir est quelque chose d’entêté avant de quitter ma plate, je voulus éplucher le tas de goëmons que j’avais amené, pour voir si, dedans, il n’y avait rien de bon à prendre. Le fond de la mer est plein de trésors. Quand je n’aurais trouvé qu’un gros diamant ou une poignée de perles fines ! On dit que ça vaut cher.

Dans mon paquet il y avait des crabes morts et vivants, des coquilles d’huitres, des pinces de homard, des roches, du corail, des herbes de toute sorte et en quantité, car le paquet pesait plus de deux cents livres, mais il n’y avait ni perles ni diamants. Au centre du tas, c’était comme je l’avais cru voir dans l’obscurité un amas de guenilles, de vrais lambeaux d’étoffe où restaient des débris informes d’ossements humains. Le cadavre d’un noyé avait été le premier noyau de cette bizarre agrégation. Le doute n’était pas possible, car une portion du costume restait presque entière ! c’était une capote en toile cirée, à laquelle des myriades de coquillages s’étaient attachés.

Le soleil se levait derrière les blanches maisons d’Étel, que j’étais encore à fouiller mon misérable trésor. Je le rejetais à la mer à pleines poignées, et bientôt il n’y eut plus dans le bateau que la capote cirée. Elle allait suivre les autres débris, lorsque je sentis dans la poche un objet dur. Je retournai vivement le vêtement, qui pesait bien quarante livres avec ses lourdes broderies de coquilles et je m’emparai d’une boîte de fer-blanc cylindrique, pareille à celles où les patrons abritent leurs rôles et autres papiers d’équipages. Il y avait des papiers dans cette boîte. Je ne savais pas lire, mais je gardai la boîte et les papiers. Ce fut tout le produit de mon expédition.

Seveno voulut m’interroger à mon retour ; je lui fermai la bouche. Chose singulière, ma mauvaise chance, au lieu de m’abaisser vis-à-vis de Seveno, me rendit plus ombrageux et presque fier. Bien loin de se fâcher, le bonhomme descendit d’un cran et prit à tâche de diminuer ses familiarités à mon égard. Ses matelots, mes camarades, firent comme lui. J’étais toujours mousse à bord de la Sainte-Anne, mais il arrivait souvent qu’on me parlait le bonnet à la main. Monsieur l’avocat, il faut voir pour comprendre ce qu’il y a de brave bonté dans ces cœurs-là.

Je fus malade un mois, pas tout de suite, mais quand vous eûtes quitté Lorient, bien malade ; ma plaie était mauvaise, elle eut grand’peine à se fermer. Il y avait toujours auprès de moi un de nos marins qui veillait à mon chevet comme ma mère. J’avais le meilleur médecin de Lorient. Un jour que le docteur avait hoché la tête en examinant ma blessure, Seveno eut des larmes plein les yeux.

— Il faut te repiquer, Vincent, me dit-il. Les temps sont meilleurs, et tu coucheras peut-être bientôt dans le lit de ton père.

Je lui fis signe d’approcher et je lui dis à l’oreille :

— Je voudrais la voir avant de mourir.

Il savait tout, et ce n’était pas grand’chose allez, ce tout-là, monsieur l’avocat. Mon secret était que j’allais à la nuit sous les croisées de Mlle Jeanne et que je brûlait des cierges à Notre-Dame de Larmor pour son bonheur. Nous ne nous étions jamais parlé. Keroulaz et Chédéglise sont cousins, mais, outre que j’étais tombé bien bas, il y avait eu entre les deux familles des procès et des querelles main armée. Mlle Jeanne me connaissait un petit peu, cependant. Elle rougit quand Seveno la pria de venir me voir. Certes, elle eût accordé cette grâce à tout autre malade. Sa vue me fit mieux que toutes les médecines. Dès qu’elle fut partie, je me sentis plus fort à la pensée qu’elle allait prier pour moi, la douce sainte.

Elle vint trois fois à Gavre ; la troisième fois, je pus la reconduire un petit bout de grève, et, huit jours après, je pris le chemin de Port-Louis pour parler au grand-père. En route, j’étais bien tremblant ; je pensais que j’aurais dû allumer au moins un cierge à Larmor pour le succès de mon entreprise ; mais dès que le grand-père m’eut demandé ce que je voulais, je me sentis du courage plein le cœur.

Pour sûr, Jeanne priait, et ma force, c’était sa prière.

Je vivais avec de bien pauvres gens ; mais la pauvreté de ceux qui ont les mains rudes n’attriste pas comme l’indigence qui était chez M. Keroulaz, autour de moi, indigence pleine encore du souvenir des jours meilleurs. Sans la prière que Jeanne faisait, je serais resté muet, tant j’avais de compassion et de respect.

– Je suis Vincent Penilis, dis-je il n’y a plus que moi. Voulez-vous me fiancer votre petite-fille ?

Il me regarda de la tête aux pieds. Je m’étais pourtant habillé de mon mieux, mais la rougeur vint sous ses cheveux blancs. Ce qu’il pensa, il ne le dit point, et ses seules paroles furent celle-ci :

– Nous avons tous été ce que nous ne sommes plus, vous et nous.

Après un silence pendant lequel mon cœur tremblait, il reprit :

– Vous êtes bien jeune, mon cousin Penilis.

Vous le connaissez, vous savez quelle généreuse bonté il y a dans son âme, monsieur l’avocat. Il voulait me refuser, mais il ne voulait pas m’humilier. La Vierge m’inspira de répondre :

— Vous êtes bien vieux, mon cousin Keroulaz.

Il leva sur moi ses yeux, où le sourire allait naître, et murmura :

– Cela est vrai.

– Si Dieu vous appelait à lui par malheur, poursuivis-je, Mlle Jeanne n’aurait plus personne.

Je vis bien qu’il avait envie de me tendre la main, mais une idée lui passa, et son front se rembrunit pendant qu’il disait tout bas :

— Il n’y avait point de sentier du château de Keroulaz au château de Penilis.

Il n’y a plus ni château de Penilis ni château de Keroulaz, répartis-je. Que la paix soit entre les morts !

– Tu parles comme un homme pensa-t-il tout haut.

Il appela Jeanne, qui vint souriante et blanche, comme une promesse de bonheur. Ils causèrent ensemble si bas, que je ne les entendais pas, mais je voyais le rose monter aux joues de Jeanne, et j’invoquais, avec Jésus et Marie, tous les saints du paradis. Après une minute qui me sembla longue comme un jour, M. Keroulaz renvoya sa petite-fille d’un geste, et je restai de nouveau seul avec lui.

On venait de me juger ; il allait prononcer l’arrêt.

— Vincent, me dit-il, je n’ai jamais eu de haine contre les tiens ; si j’avais eu de la haine, ton père, le colonel, aurait forcé mon pardon en mourant pour Dieu et le roi comme un martyr. Je te prends pour mon fils, mais il faut gagner Jeanne. Tu l’as dit je suis vieux : après moi, elle n’aura personne. Tu n’es rien, sois quelque chose. Un simple matelot…

– Je ne suis que mousse, interrompis-je ; mais je vous comprends, et j’ai du cœur.

— Que sais-tu ?

— Rien.

— Apprends donc tout, garçon, et hâte-toi. Jeanne a promis de t’attendre. Nous ferons la noce le jour où tu seras reçu patron au cabotage.

J’eus comme un éblouissement de joie, et je sortis pour commencer mes études. J’achetai un alphabet de cinq sous. Je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait apprendre pour devenir patron au cabotage, mais il me semblait que j’allais devenir savant en quelques jours.

Par le fait, monsieur l’avocat, la science du patron au cabotage n’est pas le Pérou, à ce qu’il paraît ; mais je ne suis pas près de passer mon examen. J’ai la tête dure, et sans l’idée de Jeanne, je jetterais mes bouquins par-dessus bord.

— Celui qui parlait ainsi en 1805, mesdames, dit ici M. de Corbière en s’interrompant, devait dix ans plus tard, siéger avec éclat à la Chambre des pairs et venir en aide, presque seul parmi ses collègues, aux efforts éloquents de Berryer, lors du procès du maréchal Ney ; il devait porter jusqu’au chevet de Louis XVIII sa vaillante protestation, et, en présence du roi lui-même, – je puis le garantir, j’étais présent, — imposer silence au duc de Duras, qui conseillait de ne point entendre les clémentes supplications de la duchesse d’Angoulême.

Celui-là, qui était si loin de son humble examen de patron au cabotage, devait être un grand chrétien, un savant distingué et un éminent homme de mer : le contre-amiral comte de Chédéglise, membre de l’Institut, et l’un des meilleurs officiers généraux de notre marine sous la Restauration.

Nous devions changer de rôles, lui et moi, voyez-vous, et vous pardonnerez à l’émotion qui met un temps d’arrêt dans mon récit. De protecteur que j’étais ce jour-là, je devais devenir protégé.

Mais poursuivons. Il était assis sur le coin d’une chaise dans mon très modeste bureau, et me parlait avec plus de respect que jamais solliciteur ne le fit, par la suite, en mon cabinet ministériel. Il fallait, pour l’encourager, tout l’intérêt évident et profond que je prenais à son histoire.

— Je fus six mois à connaître mes lettres, monsieur l’avocat, reprit-il. C’est le plus long. Ce n’étaient pas les professeurs qui me manquaient, bien au contraire. Je n’osais pas m’adresser à M. Keroulaz, et je faisais le fanfaron auprès de Mlle Jeanne, qui croyait à mes prétendus progrès ; mais j’avais Seveno et les quatre matelots de la Sainte-Anne. Seveno était le plus instruit de tous, comme de raison, et n’en savait pas beaucoup plus que moi ; les autres à l’avenant ; mais tous avaient de la bonne volonté à revendre, et l’équipage entier se réunissait pour me faire perdre la tête. Le grand secret avait transpiré ; personne n’ignorait à bord que je marchais à la conquête de Mlle Jeanne ; chacun voulait m’aider. La Sainte-Anne devenait une école après la journée finie, on allumait une résine, et en avant la croix de Dieu !

Ils travaillaient comme si la science eût dû entrer dans ma tête en passant par leur cervelle. Ça vous aurait fait rire et peut-être pleurer aussi, monsieur l’avocat, de les voir tous les cinq épelant à grand effort l’alphabet déjà désemparé. Je tenais le centre ; on commençait à m’appeler monsieur Vincent, bien malgré moi ; toutes les têtes, penchées sur le malheureux petit livre, travaillaient. Seveno ne contait plus d’histoires, il s’agissait d’étudier à six, pour que je fusse patron au cabotage.

J’ai omis de vous dire que le Judas avait eu vent de mon entrevue avec M. Keroulaz. Il fit venir un soir Seveno et lui ordonna de me débarquer. Seveno l’envoya paître, selon son expression et nous quittâmes la Sainte-Anne pour faire la pêche à notre compte, sur une barque de rebut. J’étais toujours le mousse, c’est-à-dire le dernier de l’association ; mais j’avais une manière de lit dans la cabine, tandis que patron et matelots couchaient à fond de cale.

Plus nous allions, plus le monsieur Vincent devenait d’usage. Un jour, Seveno me dit, et je répète ses propres paroles :

— On peut se passer de toi, ces temps-ci, monsieur Vincent, ma garçaille. Tu resteras à la case et tu mangeras ton livre en grand toute la sainte journée. Par quoi, ce sera autant de pris. Nage a la maison !

L’équipage applaudit et vida cinq pots chez Mikelic en l’honneur de l’idée. Non seulement je restai tranquille à la case, mais on me donna la femme de Courtecuisse pour faire ma cotriade. À dater de ce moment, je mordis à la besogne et je fis de véritables progrès. Ce fut grande fête, la première fois que je lus à l’équipage stupéfait une page de gazette qui avait enveloppé deux sous de tabac. On but je ne sais combien de pots chez Mikelic, et Seveno déclara qu’il avait vu bien des commissaires à qui j’aurais donné le tour !

Enflé de ce succès, j’allai à Port-Louis m’offrir à l’examen de M. Keroulaz, qui me dit :

— Penilis, mon garçon, il faut aller à l’école, sans quoi Jeanne risque de t’attendre cent ans.

La bonne chance accompagnait notre vieille barque, qu’on avait baptisé la Jeanne. je n’ai pas besoin de vous dire en l’honneur de qui. Quand je revins, bien triste, conter à mes braves amis le résultat de mon épreuve, Seveno cassa d’un coup de poing une table vermoulue, qui était la meilleure de tout le mobilier de Mikelic.

— Nom de nom de nom ! gronda-t-il, ça n’est pas juste ! L’enfant lit tous les cornets à tabac comme père et mère… N’empêche que, si le vieux l’a dit, monsieur Vincent, faut te patiner différemment et mettre le cap sur l’école. Allume !

Le lendemain, je fis mon entrée l’école, où je fus placé dans la classe des petits enfants. Il y a un mois de cela, monsieur l’avocat, et j’ai bientôt fini mon histoire. Je n’ai plus à vous dire que le motif de mon voyage.

Il y avait près d’un an déjà que j’avais jeté ma ligne au Trou-Tonnerre. Je ne peux pas dire que j’avais oublié cette nuit-là ; mon bras qui restait faible et douloureux, m’en faisait souvenir a chaque instant ; mais l’ardeur que je mettais à mes pauvres études avait éloigné de moi toute autre pensée. Il est certain que, dans les premiers jours qui suivirent mon équipée, j’avais un ardent désir de savoir lire pour prendre connaissance des papiers qui étaient dans la boîte de fer-blanc trouvée dans la poche du caban de toile cirée, mais peu à peu cette préoccupation avait disparu, et l’étui de fer-blanc était absolument sorti de ma mémoire ; ceci, à tel point que, sachant lire et tenant, par conséquent, dans ma main la clef de ce mystère, je ne songeais pas à m’en servir. Il fallut un hasard. Jeudi dernier, patron Seveno se plaignit en rentrant que ses papiers de bord étaient tout trempés, parce que son étui dessoudé faisait eau.

— J’en ai un ! M’écriai-je.

Et je courus à mon coffre, où je trouvai la boîte de fer-blanc sous mes anciens habits de mousse.

— Ça n’est pas du fer-blanc, ça me dit Séveno. Où l’as-tu eu, monsieur Vincent ?

— Au Trou-Tonnerre, répondis-je.

Le patron déposa l’objet sur la table comme si ses doigts avaient touché un charbon ardent. Les autres se mirent en cercle et regardèrent avec curiosité.

— On dirait de l’argent ! firent-ils.

Et Courtecuisse demanda :

— Qu’y a-t-il donc sur le couvercle ?

Je n’avais pas remarqué qu’il y eût rien d’écrit. Je pris la boîte vivement, et je restai tout ébahi en lisant ces deux noms Yves Keroulaz.

Vous êtes aussi étonné que moi, monsieur l’avocat ; mais attendez !

Vous pensez si j’eus vite fait d’ouvrir la boîte. Mes mains tremblaient. Je songeais que ces haillons pleins d’ossements, mêlés parmi les goëmons, avait appartenu au père de Mlle Jeanne et qu’au lieu de mettre ses restes en terre sainte, je les avais rejetés dans la mer.

Le premier papier qui me tomba sous les yeux fut une quittance et timbrée signée J. B. Bruant : une quittance de douze mille francs pour solde du prix de la presse à sardines vendues à M. Keroulaz…

— Vous avez cette quittance ? m’écriai-je en saisissant le bras de Vincent.

— Je suis venu tout exprès pour vous la remettre, monsieur l’avocat. La voici.