Le Pommier

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Traduction par Armand Le François.
Librairie Hachette et Cie (p. 25-57).



LE POMMIER.


Le jeune Hardy était un des meilleurs écoliers de M. Sincère, maître de pension dans un comté d’Angleterre. Honnête, obéissant, attentif et d’un excellent naturel, il possédait l’estime et l’affection de ses maîtres et de ses condisciples. Les bons sujets recherchaient son amitié, et il se souciait fort peu d’être aimé des méchants. Les railleries et les sarcasmes des paresseux et des mauvais écoliers ne l’embarrassaient en rien et ne le touchaient même pas. Son ami Loveit, au contraire, visait aux suffrages de tout le monde. Son ambition était de passer pour le meilleur enfant de la pension. On l’appelait ordinairement le pauvre Loveit, et chacun le plaignait, lorsqu’il était en faute, ce qui lui arrivait assez souvent. Quoiqu’il fût naturellement disposé au bien, il se laissait entraîner au mal, parce qu’il n’avait pas le courage de dire non. Il craignait de désobliger les méchants et ne pouvait supporter les railleries des sots.

Un beau soir d’automne, les élèves obtinrent la permission d’aller jouer sur une verte pelouse, dans le voisinage de l’école. Loveit et un de ses camarades, nommé Tarlton, entreprirent une partie de volant. On fit cercle autour d’eux : c’étaient les plus forts de l’école, et ils faisaient assaut d’habileté. Quand on eut compté jusqu’à trois cent vingt, la partie devint très intéressante. Les joueurs étaient si fatigués qu’ils avaient peine à tenir la raquette. Le volant commençait à vaciller dans l’air. Tantôt il touchait presque la terre, tantôt il passait par-dessus leur tête, au grand étonnement des spectateurs. Les coups devenaient de plus en plus faibles. « À toi Loveit ! à toi, Tarlton ! » criait-on de tous côtés. La victoire fut encore quelques minutes indécise ; mais enfin le soleil couchant, qui donnait en plein dans le visage de Loveit, lui causa un éblouissement qui l’empêcha de voir le volant tomber à ses pieds.

Après les premières acclamations qui saluèrent le triomphe de Tarlton, chacun s’écria : « Pauvre Loveit ! c’est bien le meilleur enfant du monde ! Quel dommage qu’il n’ait pas tourné le dos au soleil !

— Maintenant, je vous défie tous de faire une partie avec moi, y s’écria Tarlton dans son orgueil. Et, en disant ces mots, il poussa le volant avec tant de force, qu’il le fit passer par-dessus la haie et tomber dans un chemin creux qui se trouvait derrière le champ. « Ah ! dit-il, qu’allons-nous faire à présent ? »

Il était expressément défendu aux élèves d’aller dans le chemin. Ils avaient promis de ne point enfreindre ce commandement, et à cette condition on leur avait permis d’aller jouer dans le champ. Ils n’avaient pas d’autre volant et la partie se trouvait interrompue. Ils montèrent sur le talus du fossé afin de regarder par-dessus la haie.

« Je le vois là, dit Tarlton. Qui veut aller le chercher ? Il n’y a qu’à franchir la barrière qui est au bout du pré. C’est l’affaire d’une demi-minute, ajouta-t-il en regardant Loveit.

— Mais… tu sais bien qu’il est défendu d’aller dans le champ, fit Loveit, non sans hésitation.

— Bast ! reprit Tarlton. Quel mal y aurait-il à cela ?

— Je ne sais pas, répondit Loveit en battant la mesure sur sa raquette ; mais…

— Mais quoi ? puisque tu ne sais pas, pourquoi as-tu peur ? je te le demande. »

Loveit rougit, continua de battre sur sa raquette et balbutia : « Je ne sais pas, moi ! » Mais Tarlton répéta d’un ton plus insolent :

« De quoi as-tu peur, voyons ?

— De rien…

— Si fait, tu as peur, dit, en s’avançant dans le cercle, Hardy qui se tenait à l’écart.

— Et de quoi ? reprit Loveit.

— De mal faire.

— Peur de mal faire ? répéta Tarlton en imitant si bien le ton de Hardy que chacun se mit à rire. Dis plutôt qu’il a peur du fouet.

— Non, il n’a pas plus peur du fouet que toi, Tarlton ; mais je voulais dire…

— Que nous importe ce que tu voulais dire ! Pourquoi viens tu te mêler de nos affaires avec ta sagesse et tes grands mots ? Personne ne t’a prié de te déranger pour nous. Mais nous nous adressons à Loveit parce que c’est un bon enfant.

— C’est justement pour cela que tu ne devrais pas le faire, car tu sais bien qu’il est incapable de rien refuser.

— Ah ! dit Loveit d’un ton piqué, tu te trompes, je refuserais bien si je voulais. »

Hardy sourit. Loveit, craignant le blâme de l’un et les plaisanteries de l’autre, n’osait lever les yeux. Il eut encore une fois recours à sa raquette qu’il balançait avec art sur son pouce.

« Voyez donc, voyez donc, s’écria Tarlton, avez-vous jamais vu dans votre vie un garçon si stupide ? Hardy le tient sous sa férule. Il a si grand’peur de maître Freluquet que, pour le salut de son âme, il n’ôterait pas les yeux de dessus son nez. Regardez donc comme il louche !

— Je ne louche point. Personne ne me tient sous sa férule, et, lorsque Hardy veut m’éviter une punition, il me prouve qu’il est mon meilleur ami. »

Loveit mit tant de feu dans sa réponse que tous les écoliers en furent surpris.

« Allons, retirons-nous, » dit Hardy en lui frappant sur l’épaule amicalement ; et il l’emmenait lorsque Tarlton lui cria : « C’est bien ! va avec ton meilleur ami, et prends garde qu’il ne te fasse faire quelque sottise. Que Dieu te garde, petite panade.

— Qui est-ce qui m’a appelé petite panade ?

— Ne fais pas attention, dit Hardy, cela ne signifie rien.

— Je sais bien que cela ne signifie rien, répondit Loveit ; mais je ne veux pas permettre qu’on me donne un pareil sobriquet ; d’ailleurs, ajouta-t-il après avoir fait quelques pas en arrière, ils croiraient que j’ai un mauvais caractère. J’aime mieux retourner et leur porter la raquette que je ne veux pas garder avec moi.

— Tu as tort, répliqua Hardy. Si tu retournes près d’eux, tu ne reviendras plus.

— Je te garantis que je serai de retour en moins d’une minute. » Et il se dirigea vers les écoliers pour leur prouver qu’il n’était pas une petite panade.

Une fois retourné sur ses pas, le reste alla tout seul. Pour ne pas perdre sa réputation de meilleur garçon de la pension, il fut obligé de satisfaire à toutes les exigences de ses camarades. Il commença bien par leur reprocher leurs mauvais procédés, mais ensuit il se laissa prendre à leurs protestations ; et ne tarda pas à être persuadé qu’il pouvait sans mal faire aller chercher le volant. Enfin il monta sur le talus et sauta lestement par-dessus la haie aux acclamations réitérées des écoliers.

« Me voici, dit-il en revenant après quelques minutes, j’ai retrouvé le volant et je vais vous dire ce que j’ai vu.

— Quoi donc ? fit la bande curieuse.

— Lorsque je suis arrivé à l’extrémité du sentier…

— Voyons, dépêche-toi, qu’as-tu vu ? dit Tarlton impatienté.

— Attends donc un moment que je prenne haleine.

— Tu n’en as pas besoin. Allons, voyons, nous écoutons.

— Lorsque je suis arrivé à l’extrémité du sentier, comme je cherchais le volant, j’ai vu un grand jardin, et, dans un endroit qui fait face au chemin, un enfant à peu près aussi grand que Tarlton, monté sur un arbre et qui en secouait les branches ; et à chaque coup, il faisait tomber une quantité considérable de pommes rouges qui m’ont fait grande envie. J’en ai demandé une au garçon que j’apercevais ; mais il m’a répondu qu’il ne pouvait pas m’en donner, parce qu’elles appartenaient à son grand-père ; et à l’instant même, j’ai vu derrière un groseillier un vieillard, le grand-père sans doute, mettre la tête à la fenêtre et jeter de mon côté des regards menaçants. Je l’ai entendu brailler après moi tout le long du chemin.

— Laissons-le brailler. Il ne criera pas pour rien, je le jure, dit Tarlton ; pour ma part, je suis résolu à remplir mes poches de ses pommes rouges avant d’aller me coucher. »

À ces mots, chacun resta silencieux, regardant Tarlton avec anxiété. Loveit seul comprenait déjà qu’il irait plus loin qu’il ne le désirait, et il se dit en lui-même : « J’ai réellement bien mal fait de ne pas suivre le conseil de Hardy. »

Profitant de la confusion produite par ses premières paroles, Tarlton ajouta : « Il ne faut pas qu’il y ait d’espions parmi nous ; si quelqu’un craint d’être puni, qu’il décampe à l’instant. »

Loveit rougit et se mordit les lèvres. Il voulait s’en aller, mais il n’avait pas le courage de donner l’exemple. Il attendait donc que quelqu’un de ses camarades partît pour s’en aller avec lui ; mais personne n’ayant osé bouger, le pauvre Loveit resta.

« C’est bien, murmura Tarlton, prenant la main de chacun des assistants. Vous jurez sur votre honneur que vous viendrez avec moi. Aidez-moi, je vous aiderai. »

Chacun tendit sa main et fit la promesse exigée. Loveit fut le dernier ; il faisait semblant de s’occuper des boutons de son habit lorsque Tarlton lui frappa sur l’épaule et lui dit :

« Eh bien ! Loveit, voyons, fais le serment.

— C’est que je désirerais ne pas faire partie de cette expéditions.

— Comment !

— Non. Je crois que ce n’est pas bien. Et puis, il n’y a peut-être plus de pommes sous l’arbre.

— Que dis-tu là ?… Et puis, quand même, tu ne peux pas reculer maintenant. Tu savais bien ce que tu faisais quand tu as franchi la haie, et surtout quand tu nous a vanté avec tant d’emphase la beauté des pommes que tu as vues. »

Après un moment de silence, Tarlton ajouta :

« Allons ! je ne te reconnais plus. Je ne sais pas ce que tu as aujourd’hui ; toi, qui es d’ordinaire le meilleur enfant du monde, complaisant, prêt à tout, tu es tout à fait changé. Va, reste de ton côté ; mais sache bien qu’à dater d’aujourd’hui nous ne t’aimons plus ; n’est-ce pas, mes amis ?

— Vous ne n’aimerez plus ! s’écria Loveit avec angoisse. Non, non, il ne sera pas dit que je me ferai détester par vous. »

Et, présentant machinalement sa main à Tarlton, qui la serra avec force, il lui dit :

« Eh bien ? oui, je l’avoue maintenant, ce que vous voulez faire est bien, très-bien. »

Sa conscience murmurait : « C’est mal, très-mal. » Mais il n’écoutait plus cette voix intérieure. Fasciné par les transports de joie qu’il vit éclater, il ne conserva même plus ni le désir ni l’espoir de résister, et ses camarades, joyeux de sa faiblesse, de s’écrier :

« Pauvre Loveit ! nous savions bien qu’il ne nous refuserait pas. »

Le complot ainsi formé, Tarlton prit le commandement de l’expédition, exposa son plan, et indiqua comment il fallait s’y prendre pour s’emparer plus facilement des pommes du pauvre homme.

Entre neuf et dix heures du soir, Tarlton, Loveit et un autre camarade sortirent de la maison par une fenêtre située au bout d’un long corridor du rez-de-chaussée. Il faisait clair de lune. Après avoir traversé le champ et franchi la barrière, nos petits maraudeurs, dirigés par Loveit, arrivèrent à la porte du jardin. Loveit reconnut la maison blanche et le pommier qui en était proche. Ils firent un trou dans la haie et réussirent, non sans égratignures, à pénétrer dans le jardin. Tout était silencieux. À peine entendait-on le bruissement des feuilles, agitées par un léger souffle du vent ; Ils étaient émus et leur cœur battait violemment. Comme Loveit grimpait sur l’arbre, il crut entendre une porte qui s’ouvrait dans la maison. Il conjura à voix basse ses compagnons d’abandonner l’entreprise et de retourner au logis. Mais ceux-ci ne voulurent pas consentir avant d’avoir rempli toutes leurs poches. Alors ils se décidèrent à s’en retourner par le même chemin, et chacun se retira dans sa chambre aussi doucement que possible.

Illustration

Loveit couchait dans la même chambre que Hardy. Par précaution, Tarlton crut devoir enlever des poches de Loveit les pommes volées, afin que Hardy ne fut pas instruit de leur escapade, et il le fit avec tant d’habileté et si peu de bruit, que Loveit lui-même ne s’en aperçut pas. Il ne dormait pourtant pas ; les reproches de sa conscience l’agitaient ; il sentait qu’il n’avait pas assez de courage pour être bon, et que son manque de résolution l’avait seul conduit à faire partie de cette malheureuse expédition.

On s’étonnait que Hardy, avec toute sa pénétration, n’eût pas découvert le vol commis pendant la nuit ; mais Loveit, qui le connaissait mieux que les autres, ne fut pas longtemps à s’apercevoir qu’il n’était pas aussi ignorant qu’il voulait bien le paraître. Plusieurs fois il fut sur le point de confier à son ami toutes ses angoisses ; mais, fidèle à sa promesse, il préféra garder pour lui son chagrin et ses remords, et répondre toujours d’une manière évasive aux questions que lui adressait son ami.

C’était en vain qu’il demandait à Tarlton la permission de se confier à Hardy. Le mauvais sujet repoussait toujours sa demande et l’apostrophait en ces termes :

« J’étais loin de me douter que nous avions parmi nous un pareil faquin. Dis-lui tout ce que tu voudras, tout ce que tu sais, afin qu’il nous dénonce, et qu’ensuite on nous chasse de l’école. Tu seras alors bien avancé, imbécile !

— Tiens ! c’est ainsi qu’on me traite, se dit Loveit ; je me suis compromis pour eux, j’ai fait une mauvaise action, et on m’appelle faquin pour ma peine. On ne me traitait pas ainsi quand j’ai consenti à faire la corvée. »

En effet, son profit ne répondait guère à la part qu’il avait prise au vol ; on ne lui avait donné qu’une pomme et demie, et lorsqu’il s’était plaint, on lui avait répondu qu’on avait fait un égal partage, que du reste elles étaient excellentes, et qu’une autre fois on dédommagerait « ce pauvre Loveit. »

Cependant, le vieillard examinait chaque jour son pommier ; c’était le seul de cette espèce qu’il y eût dans le district ; il comptait tous les matins le nombre des pommes qui étaient sur l’arbre, et il s’aperçut bien vite, à la brèche qu’on avait faite à la haie de son jardin et aux traces de pas qu’on avait laissées dans les plates-bandes, qu’il avait été volé pendant la nuit.

Ce n’était pas un méchant homme ; il ne voulait faire de mal à personne, et surtout aux enfants, qu’il affectionnait beaucoup. Sans être avare, il n’était pas assez riche pour donner les produits de son jardin. Il avait travaillé toute sa vie pour acheter un petit coin de terre, et il conservait bien précieusement pour son fils ce résultat de ses économies. Le vol qu’on avait commis chez lui l’affligea donc profondément, et il fut obligé de se recueillir un instant pour savoir quel parti il devait prendre.

« Si je me plains à leur maître, ils seront certainement punis, et j’en serais bien fâché. Cependant il ne faut pas qu’ils puissent recommencer : ce serait leur rendre un bien mauvais service, et cela pourrait en conduire quelques-uns plus loin qu’on ne le pense… Voyons… Oh ! j’y suis. J’attacherai dans le jardin Barker, le chien du fermier Kent ; il m’a promis de me le prêter, et je suis sûr qu’il le fera. »

Le fermier Kent consentit, en effet, à prêter au voisin son Barker, le chien le plus fort et le meilleur gardien de toute la contrée. Ils l’attachèrent au tronc du pommier.

La nuit venue, Tarlton, Loveit et leurs camarades retournèrent à la maraude. Fiers de leur prouesse de la veille, ils arrivèrent en dansant et en chantant ; mais à peine eurent-ils sauté dans le jardin, que le chien, se soulevant sur ses pattes de derrière et faisant résonner sa chaîne, aboya avec fureur. Nos maraudeurs, saisis d’épouvante, ne savaient que devenir. « Essayons de ce côté, » dit Tarlton ; et ils prirent une allée détournée.

« Le chien vient de briser sa chaîne ; sauve qui peut ! »

À ces mots de Tarlton, chacun s’empressa d’escalader la haie ; Loveit, se trouvant seul en arrière, leur criait :

« À mon secours ! Oh ! je vous en prie ! venez à mon secours, je ne puis m’en aller seul ; oh ! une minute, une seule, mon cher Tarlton. »

Le cher Tarlton n’entendait pas, et Loveit, abandonné de tous ceux qui, un instant auparavant, se disaient ses amis, ne put regagner le dortoir qu’avec beaucoup de peine. Il commença à ne plus voir dans Tarlton qu’un garçon aimant à vanter ses prouesses, et qui, au moment du danger, était le premier disposé à, se sauver ; aussi le lendemain dit-il à ses camarades :

« Pourquoi ne m’avez-vous pas aidé hier, quand je vous en ai prié ?

— Je n’ai pas entendu, répondit l’un.

— J’étais déjà si loin ! dit un autre.

— Je ne le pouvais pas, argua un troisième.

— Et vous, Tarlton ?

— Moi ! j’avais bien assez de penser à moi. Chacun pour soi en ce monde.

— Ah ! chacun pour soi ?

— Eh ! oui, certainement, Qu’y a-t-il là de si étrange ?

— Il y a d’étrange que je me figurais que vous m’aimiez.

— Ah ! grand Dieu ! mais oui, cela est vrai ; seulement nous nous aimons mieux nous-mêmes.

— Hardy ne m’a pas compromis comme toi, et cependant…

— Bast ! fit Tarlton un peu alarmé, ce que tu dis là n’a pas le sens commun. Voyons, écoute-moi. Nous sommes très-fâchés de ce qui est arrivé, et nous t’en demandons pardon. Donne-moi la main, pardonne et oublie.

— Je te pardonne, répondit Loveit en présentant sa main, mais je ne puis oublier.

— Allons, je le vois, tu n’es pas de bonne humeur ; mais nous te connaissons, tu ne gardes pas rancune. Viens avec nous, tu sais bien que tu es le meilleur garçon du monde, et que nous faisons tout ce qui te fait plaisir. »

La flatterie l’emporta encore ; Loveit était si heureux de se croire réellement aimé, qu’il n’apercevait pas qu’il servait de jouet à ses méchants condisciples.

« C’est étrange, dit-il cependant, que vous m’aimiez autant, et que vous m’ayez laissé cette nuit dans un si cruel embarras. »

Et il se mit à comparer ses nouveaux amis avec Hardy. Celui-ci lui parlait toujours avec bonté, ne l’engageait qu’à faire du bien, lui faisait part de ses secrets et le mettait dans ses confidences les plus intimes.

Le soir, à la récréation, Hardy se trouvait près de Loveit, qui roulait dans ses mains un morceau de papier, lorsque Tarlton, s’approchant, lui prit le bras, et l’interpella d’un ton brusque.

« Viens avec moi, j’ai quelque chose à te dire.

— Je ne puis maintenant.

— Et pourquoi donc, s’il vous plaît ?

— J’irai tout à l’heure.

— Viens maintenant, tu es un bon enfant et j’ai quelque chose de très-important à te communiquer.

— Qu’est-ce donc ? répondit Loveit ; et il craignait qu’on n’eût encore quelque mauvaise action à lui proposer.

Tarlton le tira à part, le flatta, et voulant se l’attacher par quelque cadeau :

« Loveit, lui dit-il, l’autre jour tu as manifesté le désir d’avoir une toupie ; veux-tu accepter la mienne ?

— Oui, certainement, mon cher Tarlton, et je t’en remercie. Mais qu’avais-tu de si importante me dire ?

— Je ne puis te le dire tout de suite ; tout à l’heure, quand nous serons seuls.

— Mais personne ne peut nous entendre.

— Viens un peu plus loin ; écoute-moi. Tu te rappelles la peur que le chien nous a causée la nuit dernière ?

— Je le crois bien.

— Eh bien ! rassure-toi, il ne nous en causera plus.

— Comment cela ?

— Regarde. »

Et Tarlton montra à son camarade un paquet enveloppé d’un mouchoir bleu.

« Qu’est-ce que cela ?

— Vois.

— Et mais, c’est de la viande. Qui donc te l’a donnée ?

— C’est Tom, le garçon, moyennant six sous.

— Et c’est pour le chien ?

— Oui. Je veux me venger de lui, et l’empêcher de recommencer.

— L’empêcher de recommencer ! mais c’est donc du poison ? s’écria Loveit avec horreur.

— C’est du poison, mais pour un chien seulement ; tu penses bien, ajouta Tarlton un peu confus, que je n’aurais pas voulu me procurer du poison qui tue les hommes. »

Loveit regardait avec stupeur ; puis, après un moment de silence, il dit à Tarlton d’une voix indignée :

« Je ne vous connais plus, je ne veux plus avoir rien de commun avec vous.

— Reste, répondit Tarlton, en prenant le bras de son camarade, reste ; tout ce que je t’ai dit n’était qu’un jeu.

— Laissez-moi, laissez-moi, vous êtes un mauvais sujet.

— Mais quand je te dis que je ne sais pas si cela peut faire du mal… Si tu crois qu’il y ait quelque danger…

— Oui, je le crois.

— Cependant Tom m’a assuré qu’il n’y en avait aucun ; il s’y connaît, Tom, puisqu’il est habitué à soigner les chiens.

— Je n’écoute et ne crois rien.

— Avant de te prononcer, tu devrais, ce me semble, consulter le garçon.

— Je n’ai pas besoin de cela, dit Loveit avec véhémence ; le chien, si vous lui donnez ce morceau de viande, éprouvera d’épouvantables souffrances. C’est ainsi qu’on a fait périr un chien qui appartenait à mon père. Pauvre animal ! comme il se débattait, comme il se tordait !

— Pauvre animal ! repéta Tarlton. Oh ! s’il en est ainsi, il ne faut pas lui donner cela. »

Il cherchait à donner le change à Loveit ; mais, dans le fond, il était bien décidé à mettre son projet à exécution.

Loveit retourna près de Hardy ; son esprit était si agité, sa figure était tellement bouleversée, qu’on, le reconnaissait à peine. Il ne parlait pas, mais de grosses larmes coulèrent à plusieurs reprises sur ses joues.

« Combien tu es meilleur que moi ! dit-il enfin à Hardy, qui ne cessait de le questionner ; si tu savais… »

À ce moment, la cloche sonna, et ils se rendirent à la chapelle pour faire la prière du soir.

Puis, au moment où ils se retiraient dans leurs dortoirs, Loveit aperçut Tarlton, et lui dit :

« Eh bien ?

— Eh bien ! répondit celui-ci d’un ton qui écartait toute défiance.

— Qu’allez-vous faire cette nuit ?

— Ce que tu vas faire toi-même : dormir, je présume.

— Il a changé d’idée, se dit Loveit ; oh ! il n’est pas si méchant.

Quelques minutes s’étaient à peine écoulées que Hardy, s’apercevant qu’il avait oublié son cerf-volant sur le gazon, dit :

« Oh ? il sera bien mouillé demain matin !

— Appelle Tom, » lui dit Loveit.

Mais Tom ne répondit pas.

« Où est donc Tom ? demanda Loveit.

— Je suis ici, » dit le petit domestique en sortant du dortoir de Tarlton.

Hardy le pria d’aller chercher son cerf-volant, et, pendant qu’il se disposait à y aller, Loveit aperçut dans sa poche le coin d’un mouchoir bleu. Cette vue réveilla en lui les plus pénibles émotions ; il se leva aussitôt, et se mit à la fenêtre du dortoir qui donnait sur la prairie. Il pouvait ainsi voir tout ce qui allait se passer.

« Que fais-tu donc là ? demanda Hardy. Pourquoi ne te couches-tu pas ? »

Loveit ne répondit rien ; il continua de regarder par la croisée, et ne tarda pas à voir Tom se glisser le long de la prairie ; monter sur le banc qui leur servait pour sauter dans le sentier, et se rendre de là dans le jardin du voisin.

« Il va le lui donner ? s’écria Loveit avec une émotion difficile à dépeindre.

— Qui et quoi ? demanda Hardy.

— Oh ! le méchant, le cruel !

— Qui est-ce qui est méchant ? qui est-ce qui est cruel ? explique-toi. »

Et Hardy, prévoyant un danger à courir ou un malheur à empêcher, exerça sur Loveit assez d’ascendant pour se faire expliquer ce qui se passait. S’habiller sur-le-champ et courir après Tom ne fut pour lui que l’affaire d’un moment.

« Prends garde, lui dit Loveit, ils ne me le pardonneront jamais. Oh ! je t’en prie, ne me trahis pas, ne dis pas que je t’en ai parlé.

— Je ne te trahirai point, tu peux avoir confiance en moi. »

En disant ces mots, Hardy quitta le dortoir, traversa la prairie en courant, santa par dessus la haie, suivit lestement les traces de Tom et l’atteignit au moment où il jetait le morceau de viande dans le jardin du pauvre homme.

« Ah ! c’est vous, monsieur Hardy ; pourquoi venez-vous ici ? Est-ce que vous n’étiez pas bien couché ?

— Je viens, misérable, reprendre le poison que tu as dans ta poche.

— Et qui vous a dit que j’avais du poison ? c’est une plaisanterie. Pourquoi en aurais-je ? Tenez, regardez plutôt.

— Donne-le-moi, te dis-je, je le veux.

— Sur mon honneur, monsieur Hardy, je n’en ai pas ; je vous jure que je n’en ai pas.

— Tu es un mauvais garnement.  »

Et au même moment le chien, éveillé par le bruit de ce colloque, se mit à aboyer. Tom était terrifié ; il craignait que le vieillard ne sortît de sa maison et ne s’aperçût du projet d’empoisonnement qu’il essayait de mettre à exécution. Le chien s’approcha de la haie, sauta sur le mouchoir et le déchira en continuant de grogner, de hurler, d’aboyer. Hardy, sans perdre courage, guetta le moment favorable ; il piqua avec une fourche le morceau de viande empoisonné et le ramena vivement de son côté.

Nous laissons à nos lecteurs le soin de se figurer le plaisir, le bonheur du brave garçon après avoir ainsi préservé le superbe Barker d’une mort certaine. Loin d’en tirer vanité et de chercher à recevoir une récompense pour sa bonne action, Hardy se dirigea du côté de la pension et monta tranquillement l’escalier. Il se disposait à rentrer dans son dortoir, lorsqu’il se trouva face à face avec M. Pouvoir, le maître d’étude, qui, les bras croisés, l’attendait d’un air indigné.

« Venez par ici, dit-il, que je sache qui vous êtes. Je savais bien que je finirais par vous découvrir ; allons, venez… Hardy ! Comment, c’est vous, c’est bien vous, Hardy ?

— Oui, monsieur.

— Je suis sûr que, si M. Sincère était là, il ne voudrait pas en croire ses yeux ; quant à moi, je ne sais vraiment que penser. Voudriez-vous me dire ce que vous avez là dans vos poches ?

— Vous pouvez voir, monsieur, répondit Hardy en tirant un paquet.

— Quoi ! un morceau de viande ; mais ce n’est pas tout.

— Je vous demande pardon, monsieur, c’est tout.

— Vraiment ! dit M. Pouvoir en prenant le morceau de viande entre ses mains.

— Prenez garde, monsieur, elle est empoisonnée.

— Empoisonnée ? et qu’en vouliez-vous faire ? Voyons, parlez. »

Hardy garda le silence.

« Voulez-vous me répondre ? »

Hardy continua de garder le silence.

« À genoux, monsieur, à genoux, et avouez tout. Dites-moi quels sont ceux de vos camarades qui étaient avec vous, ce que vous alliez faire, ce que vous avez fait. Allons, dites, dépêchez-vous ; c’est le seul moyen d’obtenir votre pardon.

— Monsieur, répondit Hardy, d’une voix tout à la fois ferme et respectueuse, je n’ai pas de pardon à demander. Je n’ai point d’aveu à faire. Je suis innocent ; mais, si je ne l’étais pas, je me laisserais punir et je ne dénoncerais pas mes camarades.

— Très-bien, monsieur, c’est très-bien. Voilà un procédé ingénieux, ma foi, je vous en félicite. Mais nous verrons ce que vous direz demain quand mon oncle le docteur sera ici.

— Je lui dirai ce que je viens de vous dire, répondit Hardy sans s’émouvoir. Depuis que je suis à la pension, ajouta-t-il, je n’ai jamais fait de mensonge, et je pense que vous voudrez bien me croire : je vous affirme donc, monsieur, sur mon honneur, que je n’ai rien fait de mal.

— Rien de mal ? De mieux en mieux ! Quoi ? quand je vous trouve ici pendant la nuit ?

— Vous avez raison, cela est mal… À moins que…

— À moins que quoi, monsieur ? Je n’excepte rien. Suivez-moi, le temps du pardon est passé. »

Et ce disant, le maître d’étude conduisit Hardy par un obscur passage dans un endroit appelé le cabinet noir.

« C’est là, lui dit-il en le faisant entrer, que vous passerez la nuit. Je veux en savoir davantage, et, quoi qu’il arrive, je parviendrai bien à découvrir toute la vérité. »

Cette conversation fut entendue de tous les élèves ; mais aucun d’eux n’avait pu la suivre complétement, la plupart des paroles prononcées ne venant pas jusqu’à eux. Ce qu’ils savaient néanmoins, c’est que Hardy avait été enfermé dans le cabinet noir, que quelques-uns ne connaissaient pas et que d’autres connaissaient trop. Le matin, ils se réunirent tous et se regardèrent avec anxiété. Loveit et Tarlton étaient les plus tourmentés ; mais il y avait entre eux cette différence, que Tarlton ne se préoccupait que de lui seul, tandis que Loveit craignait en même temps pour tous ceux qui la veille avaient fait partie de la trop fameuse expédition. Le matin, tous les enfants s’assemblèrent, se consultant des yeux et s’abordant avec une certaine anxiété. Tarlton considérait Loveit comme l’auteur de tout ce qui se passait, et l’apostrophant d’un ton de colère mal contenue :

« Que dis-tu de cela ? Tu as instruit Hardy de nos projets malgré ta promesse. Nous voilà maintenant de jolis garçons ! Loveit, c’est ta faute.

— Toujours ma faute, pensa Loveit, toujours ma faute !

— Grand Dieu, voici le prisonnier ! » s’écrièrent en même temps plusieurs écoliers qui aperçurent Hardy.

Et tous, se formant en demi-cercle, se demandaient : « Est-ce lui ? Non. — Si. — Le voilà. » Et M. Pouvoir, tenant une baguette à la main, vint prendre place en haut de la salle.

« Taisez-vous ! leur dit-il d’une voix sévère ; que chacun de vous se mette tranquillement à sa place. »

Et chacun s’empressa d’obéir, songeant que le moment était critique et se demandant si Hardy avait parlé, s’il avait accusé quelqu’un. Le remords gagnait toutes les consciences, et tous les petits garnements s’attendaient à subir le châtiment dû à leur faute.

« Il nous a tous dénoncés, dit Tarlton.

— Je vous garantis, répondit Loveit, qu’il n’a dénoncé personne.

— Tu le crois donc assez bête pour subir un châtiment qu’il lui est si facile d’éviter ? » répliqua Tarlton d’un air moqueur.

Et au même instant parut Hardy. Tous les yeux se fixèrent sur lui, et Loveit lui frappa sur l’épaule quand il passa devant lui.

« Approchez, dit M. Pouvoir, qui était monté sur le fauteuil qu’occupait ordinairement M. Sincère, approchez et dites-nous ce que vous savez de plus ce matin.

— Je ne sais rien de plus, monsieur, répondit résolument Hardy.

— Comment, rien de plus ?

— Non, monsieur, rien de plus.

— Eh bien ! moi, monsieur, j’ai quelque chose de plus à vous dire. »

Et saisissant sa baguette, le maître d’étude se disposait à en frapper l’écolier, lorsque M. Sincère entra suivi du vieillard, que Loveit reconnut sur-le-champ.

« Hardy ! dit M. Sincère d’une voix de douloureuse surprise, Hardy ! c’est vous ! Je ne puis en croire mes yeux.

— N’agissez pas avec trop de rigueur, murmura le vieillard.

— Soyez sans inquiétude ; » puis s’adressant à Hardy : « Jamais, je l’avoue, je n’ai été aussi cruellement trompé qu’en ce moment. J’avais placé en vous ma confiance ; je vous croyais un jeune homme d’honneur, et voila que vous donnez l’exemple de la désobéissance la plus effrontée, Vous êtes un voleur.

— Moi, monsieur ? s’ecria Hardy ; et il fondit en larmes devant une pareille accusation.

— Vous et plusieurs autres.

— Demandez-lui de vous nommer ses complices, interrompit M. Pouvoir.

— Je ne veux rien lui demander. Que voulez-vous tirer d’un écolier qui n’a pas conservé intact le sentiment de la probité ? La vérité et l’honneur n’habitent pas sous les vêtements d’un voleur.

— Je ne suis pas un voleur, je n’ai jamais eu rien de commun avec ce monde-là, s’écria Hardy indigné.

— N’avez-vous pas volé ce vieillard ? n’avez-vous pas pris ses pommes ?

— Non, monsieur, je n’ai jamais touché aux pommes de ce vieillard.

— Vous n’y avez jamais touché ? Prenez garde ! je ne tolère pas de honteuses équivoques. Vous avez eu la honte, l’indignité, l’infamie, la bassesse de chercher à empoisonner son chien ; vous ne le nierez pas sans doute, puisque la viande empoisonnée a été retrouvée cette nuit dans votre poche ?

— Le poison a été trouvé dans ma poche, c’est vrai ; mais je n’ai jamais voulu empoisonner le chien ; loin de là, je lui ai sauvé la vie.

— Dieu vous bénisse ! dit le vieillard.

— C’est un non sens, une imposture ! s’écria M. Pouvoir : n’essayez donc pas de nous en imposer.

— Je ne vous en impose pas.

— J’ai cependant la preuve, dit M. Sincère, que le poison avait été préparé pour cela ; » et il montra le mouchoir de poche bleu.

À cette vue, Tarlton pâlit ; Hardy, au contraire, ne changea pas de contenance.

« Connaissez-vous ce mouchoir de poche ?

— Oui, monsieur, je le connais.

— Et il est à vous ?

— Non, monsieur.

— À qui appartient-il donc ? »

Hardy garda le silence.

« Vous ne répondez pas ? c’est bien ; nous savons à quoi nous en tenir, nous allons faire les recherches nécessaires, et, lorsque j’aurai la preuve qu’il me faut, soyez certain que je sais ce qu’il me restera à faire.

— Ce mouchoir n’est pas à moi.

— Voyons, messieurs, à qui appartient-il ? » et M. Sincère le montra aux écoliers.

« Ce n’est pas le mien ! ce n’est pas le mien ! » fut la réponse qui sortit de toutes les bouches à la fois. Et en effet, personne, à l’exception de Hardy, de Loveit et de Tarlton, ne savait la vérité.

« Ma canne, s’écria M. Sincère, ma canne ! »

Tarlton devint blême comme la neige ; Loveit baissa les yeux ; quant à Hardy il regardait tranquillement son maître et ne paraissait nullement ému.

« Voyons, avant de frapper, dit M. Sincère, peut-être découvrira-t-on quelque indice à la marque. »

Et regardant attentivement les coins du mouchoir : « J. T., » dit-il.

Tous les yeux se fixèrent à l’instant sur Tarlton, qui, tremblant de tous ses membres, vint se jeter aux pieds de M. Sincère et lui demanda pardon.

« Sur mon honneur, dit-il, je vais tout vous dire. Je n’aurais jamais eu l’idée de voler les pommes de ce vieillard, si Loveit ne m’en avait parlé le premier. Quant au poison, c’est Tom qui m’y a engagé. »

Et comme le maître hésitait à le croire :

« N’est-ce pas que c’est cela, Hardy ? Oh ! mon bon monsieur, pardonnez-moi pour cette fois. Je ne suis pas le plus coupable ; mais je désire que vous me punissiez seul, que je serve d’exemple pour tous les autres.

— Je ne veux pas vous punir.

— Oh ! merci, monsieur, répondit Tarlton en essuyant ses yeux.

— Mais je ne veux pas non plus vous garder. Reprenez votre mouchoir, montez au dortoir, habillez-vous et allez-vous-en. Si j’avais encore quelque espoir de le ramener, je le conserverais, ajouta M. Sincère dès que l’écolier fut sorti ; mais je n’ai pas cet espoir. Le châtiment ne convient qu’à ceux qui peuvent devenir meilleurs ; quant à ceux qui n’ont pas assez de cœur pour sortir de leur état d’abjection, il faut leur appliquer ces paroles de l’Évangile : « Si l’arbre ne vaut rien, coupez-le et le jetez au feu. »

À ces mots, Loveit et ses autres complices déclarèrent qu’ils méritaient qu’on les traitât de la sorte.

« Oh ! ils sont bien assez punis comme cela, dit le vieillard ; pardonnez-leur, monsieur, pardonnez-leur, je vous en prie. »

Hardy se joignit au vieillard.

« Ce n’est pas parce que vous me le demandez, dit M. Sincère, que je pardonne, bien que j’aie une grande vénération pour vous ; mais il y a parmi ces jeunes enfants un garçon qui a mérité une récompense, et je suis sûr que je ne puis lui faire plus de plaisir qu’en lui accordant la grâce de ses camarades. »

Hardy était rayonnant de joie et heureux de voir tous les élèves lui témoigner leur cordiale sympathie. « Je suis certain, mon cher Loveit, dit-il, que c’est là une leçon dont tu sauras profiter.

— Mes enfants, reprit alors le vieillard d’une voix émue, ce n’est pas pour la valeur de mes pommes que je suis venu me plaindre, mais seulement pour vous arracher à un penchant qui aurait pour vous les conséquences les plus funestes. Si vous me le permettez même je planterai dans votre jardin, et dès aujourd’hui, un pommier semblable au mien ; j’en prendrai soin aussi longtemps que je le pourrai, et lorsque vous le verrez, lorsque vous mangerez les fruits qu’il produira, vous vous rappellerez où le vol a conduit votre mauvais camarade Tarlton. Quant à vous, dit-il à Hardy en lui prenant les mains, je prie Dieu qu’il vous bénisse, et, soyez en certain, mon ami, Dieu récompensera tous les bons sujets comme vous. »