Le Préjugé à la mode/Acte IV

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Le Préjugé à la mode
Œuvres de monsieur Nivelle de La ChausséePraultTome I (p. 191-216).
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ACTE IV



Scène I.

CONSTANCE, FLORINE.
Constance, avec un paquet de lettres & l’écrin à la main.

Durval n’est point ici : va, ne perds point de tems ;
Tâche de le trouver, dis-lui que je l’attends ;
Mais ne lui parle point du sujet qui m’agite ;
Il ne daigneroit pas me rendre une visite.
Fais en sorte, en un mot, que je puisse le voir.

Florine.

J’y cours ; mais je ne sçais si j’aurai ce pouvoir.



Scène II.

CONSTANCE, seule.

Eh ! quoi ! de tous côtés la fortune ennemie
S’obstine à traverser ma déplorable vie !
Au moment que je prends un trop crédule espoir,
On vient me l’arracher par le trait le plus noir.

(En montrant un paquet de lettres.)
Un inconnu m’apporte une preuve trop sûre
Des mépris d’un ingrat, & d’un nouveau parjure.
Une rivale indigne, & barbare à la fois,
M’avertit que Durval, qui vivoit sous ses lois,
La quitte, la trahit pour prendre d’autres chaînes…
Est-ce elle qu’il trahit ? Et pour surcroît de peines,
Il semble qu’on se plaise encore à redoubler
(En montrant l’écrin.)
Ces indignes présens, dont on veut m’accabler.



Scène III.

CONSTANCE, FLORINE.
Constance.

As-tu trouvé Durval ?

Florine.

As-tu trouvé Durval ?Non, ma recherche est vaine.

Constance.

Quel fâcheux contre-tems !

Florine.

Quel fâcheux contre-tems !On dit qu’il se promene.

Constance.

Je l’attendrai. Je veux m’expliquer avec lui :
Je ne puis plus souffrir l’excès de mon ennui.

Florine.

Oui, Madame, éclatez, cessez de vous contraindre :
Quand on n’est plus aimée, il faut se faire craindre.

Constance, tendrement.

Quand on n’est plus aimée !

Florine.

Quand on n’est plus aimée !On peut le mener loin.
Moi, je déposerois, s’il en étoit besoin.

Constance.

Je ne veux employer que mes uniques armes.

Florine.

Eh ! qui sont-elles donc ?

Constance.

Eh ! qui sont-elles donc ?Les soupirs & les larmes.

Florine.

Bon ! il vous laissera gémir & soupirer.
On croit nous faire grace, en nous faisant pleurer :
On ne convient jamais des chagrins qu’on nous donne :
On croit que dans nos cœurs le plaisir s’empoisonne ;
Que le sexe se fait lui-même son tourment,
Et qu’il n’a pas l’esprit d’être jamais content.
Servez-vous contre lui de ces lettres fatales,
Que vous a fait remettre une de vos rivales.
Que j’aurois de plaisir à confondre un ingrat !

Constance, remettant les lettres dans sa poche.

Je me garderai bien de faire cet éclat.
Il ne saura jamais, si j’en suis la maîtresse,
Que je sçais à quel point il trahit ma tendresse.
Je ne veux point aigrir son cœur & son esprit,
Ni détruire un espoir que mon amour nourrit.
En feignant d’ignorer, & de vivre tranquille,
J’assure à mon volage un retour plus facile :

Je lui donne un moyen de me mieux abuser,
Et, quand il le voudra, de se mieux excuser.
Je veux lui demander ce qu’il faut que je fasse
Des présens qu’on m’a faits, & qu’il m’en débarrasse :
Je veux entre ses mains remettre cet écrin.

Florine.

Vous en aurez, Madame, encore du chagrin ;
Ce ne sera, pour lui, que des galanteries :
Il vous éconduira par des plaisanteries,
Comme il a déjà fait : vous aurez la douleur
De ne le pas trouver sensible à son honneur.

Constance.

Tu le crois ?… Il est vrai… j’y serois trop sensible ;
Mon cœur, que je contiens dans un calme pénible,
Pour la première fois ne m’obéiroit plus,
Et j’en aurois après des regrets superflus.
Fuyons l’occasion, peut-être inévitable,
De trouver mon époux encore plus coupable.
Je ne le verrai point… Je m’en prive à regret…
Et toi, prends cet écrin ; tu connois l’indiscret…
Que je le hais !

Florine.

Que je le hais !Lequel ?

Constance.

Que je le hais !Lequel ?Ah ! tu me désespères !

Florine.

Je vous l’ai dit, Madame, ils sont deux téméraires.

Constance.

Que ce soit l’un ou l’autre, il n’importe. Au surplus

Fais comme tu voudras ; mais ne m’en parle plus.
Que cette indignité ne blesse plus ma vûe.

(Elle sort.)
Florine.

Allons, Madame, quitte à faire une bévue.



Scène IV.

FLORINE, seule.

Voyons pourtant. À qui remettrai-je l’écrin ?
Entre nos deux Marquis le choix est incertain ;
Gens de même acabit, personnages frivoles,
Fiers d’avoir peut-être eu le cœur de quelques folles,
Étourdis par instinct & par réflexion,
Effrontés sans succès & sans confusion,
Impudens, toujours pleins d’un espoir téméraire,
Qu’on éconduit toujours, sans pouvoir s’en défaire,
Satisfaits sans sujet, indiscrets sans faveurs,
Jaloux de nos vertus, ravis de nos malheurs,
Scélérats en amour, dont les langues traîtresses
Nous font bien plus de tort que toutes nos foiblesses :
Voilà les compagnons, dont le couple indiscret
M’a vingt fois confié leur risible secret.
Quel est celui des deux qui s’est mis en dépense ?…
Comment le démêler ?… C’est en vain que j’y pense.
C’est l’un ou l’autre ; mais de quel côté pencher ?…
Il faut pourtant résoudre… Attendez : pour trancher,

Si j’empochais l’écrin… j’en aurois pour ma vie…
Ce n’est pas l’intérêt qui m’en donne l’envie :
Oh ! non ; c’est seulement pour finir ce tracas,
Et tirer ma Maîtresse avec moi d’embarras…
Ne nous y jouons point : l’intention est pure ;
On y pourroit donner toute une autre tournure.
(Elle voit Clitandre & Damis.)
Mais la fortune ici les amene tous deux
Fort à propos. Partez, bijoux trop dangereux.



Scène V.

DAMIS, CLITANDRE, FLORINE.
Florine.

Reprenez votre enjeu, la boëte est complette ;
Ma maîtresse, à ce prix, ne veut point faire emplette.
Consolez-vous, une autre en fera plus d’état :
Vous sçavez ce que c’est : entre vous le débat.

(Elle sort.)



Scène VI.

DAMIS, CLITANDRE, (recevant l’écrin.)
Damis.

Eh ! c’est à toi, Marquis, que tes présens reviennent ?

Clitandre.

À moi ! c’est bien à toi, parbleu, qu’ils appartiennent.

Damis.

Tu veux par vanité me les abandonner.

Clitandre.

Le change me paroît difficile à donner.

Damis.

La gloire…

Clitandre.

La gloire…Le dépit…

Damis.

La gloire…Le dépit…Prends toujours, à bon compte ;
Je m’engage au secret.

Clitandre.

Je m’engage au secret.Je cacherai ta honte.

Damis.

Que ne me disois-tu ?…

Clitandre.

Que ne me disois-tu ?…Tu devois m’avouer…

Damis.

Je t’aurois, à coup sûr, empêché d’échouer.

Voyons donc à quel prix tu mettois ta conquête.
(Il ouvre l’écrin.)
Comment, diable ! Ah ! Marquis… le présent est honnête.

Clitandre.

Une cruelle est rare ; on en trouve si peu,
Qu’elle n’a point de prix. Retire ton enjeu.

Damis.

C’est le tien. L’art de plaire épargne bien la bourse.

Clitandre.

Auprès du sexe aussi c’est toute ma ressource.
Te voilà bien piqué.

Damis.

Te voilà bien piqué.Te voilà bien confus
De ce qu’en ma présence on te les a rendus.
On avoit ses raisons.

Clitandre.

On avoit ses raisons.Finis ce badinage.

Damis.

Va, je te trouve encor bien plus heureux que sage.

Clitandre.

Voici Durval.

Damis.

Voici Durval.Qu’importe ? Il peut être présent,
En ne nommant personne.

Clitandre.

En ne nommant personne.Oui. Le tour est plaisant !



Scène VII.

DURVAL, DAMIS, CLITANDRE.
Durval, à part, en entrant.

Que vois-je ! Mon écrin !

Clitandre, à Durval.

Que vois-je ! Mon écrin !Nous disputons ensemble.

Damis, en montrant l’écrin.

En voici le sujet.

Durval.

En voici le sujet.Oui, c’est ce qu’il me semble.
(à part.)
Constance aura pensé qu’il venoit de l’un d’eux.

Damis.

Clitandre est mon rival.

Durval, ironiquement.

Clitandre est mon rival.C’est être courageux.

Clitandre.

À peu près comme lui.

Damis.

À peu près comme lui.Passons, je te l’accorde.
(En lui montrant l’écrin.)
Durval, je te remets la pomme de discorde.

Durval.

Vous ne pouviez la mettre en de plus sûres mains.

Damis.

Mais ce n’est qu’un dépôt.

Durval.

Mais ce n’est qu’un dépôt.Soyez-en bien certains.

Damis.

Ce n’est que pour le rendre à son propriétaire.

Durval.

C’est comme s’il l’avoit.

Damis.

C’est comme s’il l’avoit.Apprends donc ce mystere.

Clitandre.

Nous ne nommerons pas.

Durval.

Nous ne nommerons pas.Il n’en est pas besoin.

Damis.

Certaine dame, à qui nous rendons quelque soin,
Nous a fait, de sa part, sans désigner personne,
Renvoyer cet écrin.

Durval.

Renvoyer cet écrin.C’est ce que je soupçonne.

Damis, en regardant Clitandre.

Un de nous l’a donné.

Clitandre, en regardant Damis.

Un de nous l’a donné.Oui, rien n’est plus constant.

Damis.

Mais aucun n’en convient.

Durval.

Mais aucun n’en convient.J’en ferois bien autant.

Clitandre.

Damis, par vanité, n’ose le reconnoître.

Damis.

Il aime mieux le perdre.

Durval, ironiquement.

Il aime mieux le perdre.Eh ! mais vous pourriez être

Bien plus honnêtes gens que vous ne vous croyez.

Damis.

Durval, à qui crois-tu qu’on les ait renvoyés ?

Durval.

Messieurs, en supposant, mais sans que je le croie,
Que, pour plaire, un de vous ait tenté cette voie,
Qu’il ait donné l’écrin, de grace, dites-moi,
Quelle conclusion tirez-vous du renvoi ?

Damis.

On ne refuse rien de quelqu’un qui sçait plaire.

Clitandre.

Ce n’est donc point de moi ? La conséquence est claire.

Damis, en frappant sur l’épaule de Durval.

Si je l’avais donné, crois qu’on l’auroit gardé.

Durval.

Tiens, Marquis, cet espoir lui paroît hazardé.
Son désaveu peut être aussi vrai que le vôtre ;
Vous pourriez n’être pas plus heureux l’un que l’autre.
Qui sçait si quelque tiers, qu’on n’imagine pas,
N’a point secrettement causé cet embarras ?
Quelqu’autre pourroit être épris des mêmes charmes.
Bornez-vous sur vous seuls la force de leurs armes ?

Damis.

Oh ! qu’il paroisse donc, ce rival ténébreux.
En tout cas, que celui qui fait le généreux
Cherche quelqu’autre objet ailleurs qui le console.
Quand je le dis, on peut m’en croire à ma parole.

Durval.

Clitandre veut encore une autre caution.

Clitandre.

Oui.

Damis.

Oui.Ne me fais point faire une indiscrétion.

Clitandre.

De grace, fais-en une ; il y va de ta gloire ;
Sans quoi, Durval & moi, nous n’osons pas te croire.

Damis.

Il faut vous satisfaire.

Durval.

Il faut vous satisfaire.En puis-je être témoin ?

Damis, à Durval.

En t’éloignant un peu ; car il n’est pas besoin
Que tu sois plus avant dans cette confidence.
(Il le place au fond du théâtre.) (À Clitandre, à demi-bas.)
Te voilà bien… & toi, sur-tout, point d’imprudence.
(Il tire un portrait. Clitandre se trouble.) (à Durval.)
Tiens, considère un peu… Vois sa confusion.
(à Clitandre.)
Est-ce là le portrait de celle… en question…
De la Dame à l’écrin… Eh ! bien ?

Clitandre, avec confusion.

Ah ! l’infidelle !

Il sort.



Scène VIII.

DAMIS, DURVAL.
Damis, en regardant Clitandre.

Infidelle !… Est-ce ainsi qu’on nomme une cruelle ?
Mais c’est encore un trait de vanité. 2(à Durval.)
Mais c’est encore un trait de vanité. Pour toi,
Durval, une autre fois, pense un peu mieux de moi.



Scène IX.

DURVAL, seul.

Est-ce une illusion ?… Est-ce un songe funeste ?…
Quel rapport !… Ah ! cruels, achevez donc le reste.
La vie, après les biens que vous m’avez ôtés…
Je ne sçaurois forcer mes esprits révoltés…
Le doute… La fureur… Ô ciel !… Ah ! malheureuse…
Est-ce à moi qu’ils ont fait leur confidence affreuse ?…
Constance, est-il possible ?… Ai-je bien entendu ?
Ton foible cœur s’est-il lassé de sa vertu ?
Que dis-je ? Elle n’en eut jamais que l’apparence.
Étoit-ce à moi d’y prendre une folle assurance ?
Mais ma crédulité se laisse empoisonner
Par des convictions que je dois soupçonner.

Rejettons loin de nous… Le puis-je ? Quand j’y songe !
Quoi !… d’une vérité puis-je faire un mensonge ?…
Douce sécurité, préjugé si flatteur,
Que sa fausse vertu nourrissoit dans mon cœur !
Ah ! pourquoi n’ai-je plus ton voile salutaire ?
L’affreuse vérité découvre ce mystere…
Voilà donc le sujet de sa tranquillité,
De ce calme trop vrai, que je crus affecté.
Elle ne se faisoit aucune violence.
Tout ce que je croyois le fruit de sa prudence,
L’effet de son amour, l’effort de sa raison,
Ne l’a jamais été que de sa trahison.



Scène X.

DURVAL, DAMON.
Damon, en suivant Durval.

Sans doute que l’écrin aura fait des merveilles ?
De ce récit charmant enchante mes oreilles.

Durval, avec un regard fixe sur Damon.

Il a bien réussi.

Damon.

Il a bien réussi.Je m’en étais douté :
Tu ne te repens plus de m’avoir écouté ?

Durval, en prenant la main de Damon.

Constance a surpassé ton attente & la mienne.

Damon.

Tant mieux.

Durval, avec fureur.

Tant mieux.Hola… Quelqu’un… Ma femme, qu’elle vienne.

Damon.

Tu ne l’as donc pas vue ?

Durval.

Tu ne l’as donc pas vue ?Ami, je vais la voir.

Damon.

Je ne sçais que penser, je ne sçais que prévoir
Du trouble où je te vois.

Durval.

Du trouble où je te vois.Sa cause est imprévue.
Tu vas être témoin d’une étrange entrevue.
Quel aveu différent de celui !…

Damon.

Quel aveu différent de celui !…Quel courroux !

Durval.

Je suis désespéré.

Damon.

Je suis désespéré.Quoi ! serois-tu jaloux ?

Durval.

Je ne le fus jamais ; j’estimois trop Constance :
Je serois trop heureux dans cette circonstance…
Estime, amour, il faut tout changer en fureur.
Ah ! quel supplice entraîne après lui plus d’horreur,
Que de se voir forcé de haïr ce qu’on aime ?

Damon.

On soupçonne aisément, on accuse de même.

Durval, avec fureur.

J’ai des rivaux heureux… L’un d’eux a son portrait,
Et l’autre avoit son cœur : c’est l’aveu qu’on m’a fait…
C’est un mystere affreux.

Damon.

C’est un mystere affreux.Que je ne sçaurois croire.
Constance absolument n’a point trahi sa gloire.

Durval.

Ne prends plus sa défense ; il n’est aucun moyen.
Que fera l’amitié, quand l’amour ne peut rien ?

Damon, en apercevant Constance.

Modérez-vous du moins ; la voilà qui s’approche.



Scène XI.

CONSTANCE, DURVAL, DAMON.
Durval, avec un air un peu plus modéré.

Madame, épargnons-nous la plainte & le reproche :
Il faut nous séparer pour ne nous voir jamais.
Voyez où vous voulez vous fixer désormais,
Jusqu’à ce que le Ciel, au gré de votre envie,
Termine, mais trop tard, ma déplorable vie.
Vivez, & reprenez ce que je tiens de vous :
Je n’excepte qu’un bien, que je préfère à tous,
Ce fruit de mon amour, si cher à ma tendresse,
C’est, de tous vos bienfaits, le seul qui m’intéresse.

Constance.

Disposez de mon sort au gré de vos souhaits ;
Je n’examine rien, puisque je vous déplais.
Daignez déterminer ma derniere demeure :
Où faut-il que je vive, ou plutôt que je meure ?

Durval.

Eh ! Madame, vivez.

Constance.

Eh ! Madame, vivez.Vous ne le voulez plus ;
Mais vous serez bientôt satisfait. Au surplus,
Jouissez de ces biens que vous voulez me rendre ;
De vos seules bontés je veux toujours dépendre.
À l’égard de ma fille… il m’eût été bien doux
De garder le seul bien qui me reste de vous.
Puisse-t-elle éviter les malheurs de sa mere,
N’être pas moins fidelle, & vous être plus chere !

Durval, avec fureur.

Je ne puis supporter cette témérité ;
Perfide ! il vous sied bien, ce langage affecté !

Constance.

Ah ! quel titre odieux ! Est-ce à moi qu’il s’adresse ?

Durval.

Oui, Madame.

Constance.

Oui, Madame.Est-ce là le prix de ma tendresse ?
Eh ! quoi ! de quels transports êtes-vous enflammé ?
Doit-on déshonorer ce qu’on a tant aimé ?

Durval.

Il falloit sçavoir mieux conserver mon estime.

Constance.

Pourquoi ne l’ai-je plus ? Apprenez-moi mon crime.
Qu’ai-je fait ?

Durval.

Qu’ai-je fait ?Vous osez encor me défier ;

Constance.

Hélas ! Dois-je mourir sans me justifier !
Que je sçache du moins ce qui m’ôte la vie…
J’y succombe… Je meurs…

Damon.

J’y succombe… Je meurs…Elle est évanouie.

(Constance se laisse aller dans un fauteuil ; & en tirant son mouchoir, elle laisse tomber un paquet de lettres, que Damon veut ramasser furtivement ; mais il est aperçu par Durval, qui les saisit.)
Durval, en saisissant le paquet de lettres.

Donne, donne, à quoi sert tant de discrétion ?
Sans doute ce sera quelque conviction
Des affronts que m’a faits une épouse infidelle.

Damon.

Il faut la secourir ; permettez que j’appelle.

Il sort.



Scène XII.

DURVAL, CONSTANCE, presque évanouie.
Durval.

Que m’importe le soin de ses jours & des miens ?
Je vais donc la convaincre ; en voici les moyens.
Ah ! ciel ! quelle ressource accablante & funeste !
L’espoir de la confondre est tout ce qui me reste.

Constance, ouvrant les yeux.

Ah ! que tenez-vous là ? Je voulois les brûler.

Durval.

S’ils ne vous chargent point, pourquoi tant vous troubler ?
Ils s’adressent à vous.

Constance.

Ils s’adressent à vous.Hélas ! qu’allez-vous faire ?

Durval.

Plus vous craignez, & plus je veux me satisfaire.

Constance.

Sur ces tristes écrits ne portez point vos yeux ;
Durval… ce n’est qu’à moi qu’ils sont injurieux.
De grace… écoutez-moi.

Durval.

De grace… écoutez-moi.Je ne veux rien entendre.

Constance.

Puisque nous sommes seuls, je vais…

Durval.

Puisque nous sommes seuls, je vais…Il faut attendre.
À des discours sans preuve on auroit répondu ;
Mais je prétends qu’ici chacun soit confondu.

Constance.

Je me jette à vos pieds ; souffrez que je vous presse.

Durval.

Vous vous justifierez.



Scène XIII.

SOPHIE, ARGANT, FLORINE, DAMON, DURVAL, CONSTANCE.
Florine, en courant à Constance.

Vous vous justifierez.Ah ! ma chère maîtresse,
Dans quel abbaissement…

Sophie, à Durval.

Dans quel abbaissement…Constance à vos genoux ?

(Ils la relevent, & la mettent dans un fauteuil.)
Durval.

Reconnoissez l’erreur qui vous prévenoit tous
En faveur d’une femme instruite en l’art de feindre :
Jugez qui de nous deux étoit le plus à plaindre.
(à Argant.)
Damon vous aura dit ce qui se passe ici ?

Argant.

C’est un fait important qui doit être éclairci.

Durval.

Il va l’être à l’instant ; je vous en fais arbitre.

Argant.

Outre ce qu’on m’a dit, vous avez quelque titre ?

Durval, distribuant des lettres.

En voici ; lisez donc ces coupables écrits.
Que je me trouve heureux de les avoir surpris !

Sophie, en prenant un billet.

Moi, je les soutiens faux.

Durval.

Moi, je les soutiens faux.Je vois ce qu’elles craignent :
Je la veux accabler devant ceux qui la plaignent.

Constance.

Je vous conjure encore en cette occasion…
Monsieur, épargnez-vous cette confusion.

Argant, surpris, en ouvrant les billets.

Diable ! Allons doucement ; ceci change la these.
Ce billet-là…

Durval.

Ce billet-là…Quoi donc ?

Argant.

Ce billet-là…Quoi donc ?Eh ! mais, par parenthèse ;
Il est de votre main.

Sophie.

Il est de votre main.Le mien en est aussi.

Durval.

De mon écriture ?

Argant.

De mon écriture ?Oui.

Durval.

De mon écriture ?Oui.Que veut dire ceci ?

Argant.

Mais voyez.

Durval, en regardant, reconnoît son écriture

Mais voyez.Juste ciel !

Argant.

Mais voyez.Juste ciel !Parbleu, c’est de vous-même.

Florine.

Et celui-ci, Monsieur ?

Sophie.

Et celui-ci, Monsieur ?Ma joie en est extrême.

Argant, en lui rendant le sien.

N’allons pas plus avant ; le reste est superflu.

Sophie.

Nous lirons, s’il vous plaît ; c’est lui qui l’a voulu.
(Elle lit.)
Que je suis offensé de toutes vos allarmes !
S’il est vrai qu’à mes yeux Constance ait eu des charmes,
Ils ont fait, dans leur tems, leur effet sur mon cœur.
Vous allumez des feux qui ne peuvent s’éteindre :
Une épouse n’est point une rivale à craindre.
Puis-je vous préférer un semblable vainqueur ?
Madame, en vérité, c’est trop d’être incrédule,
Et de me soupçonner d’un si grand ridicule.
Le style est obligeant.

Argant.

Le style est obligeant.Ne nous épargnez pas :
Nos fautes ont pour vous de furieux appas.
Vous nous ressemblez peu, vous triomphez des nôtres,
Et nous ne demandons qu’à partager les vôtres.

Sophie.

Fort bien.

Florine, s’avance pour lire la sienne.

Fort bien.Autre lecture… Enfin… Oh ! par ma foi,
Celui-ci me paroît un peu trop fort pour moi.
(Elle rend ou brûle le billet.)
Monsieur, en vérité, l’on ne peut mieux écrire ;
C’est dommage pourtant qu’on ne puisse vous lire.
(Damon reprend les billets.)

Durval, en revenant de son étonnement.

Mais enfin le portrait…

Sophie.

Mais enfin le portrait…Quoi ! vous récriminez ?

Florine.

C’est une trahison que vous imaginez.

Sophie.

Vous voulez joindre encor l’insulte à la blessure ?
C’est être trop cruel.

Florine, vivement.

C’est être trop cruel.C’est un traître, un parjure,
Qu’une autre traiteroit de la bonne façon.

Sophie, elles enlevent Constance.

Venez ; pour vous venger, laissez-lui son soupçon.

Constance, entraînée malgré elle.

Je ne puis… Permettez… Quoi ! ne pourrai-je apprendre…

Sophie.

Non. Ce n’est plus à vous, Madame, à vous défendre.

Florine.

Il ne mérite pas ce que vous demandez.

Sophie, en se retournant vers Damon.

Voilà ce beau retour… Damon, vous m’entendez.

(Elles sortent.)
Damon.

Ô ciel !



Scène XIV.

ARGANT, DURVAL, DAMON.
Argant, à Durval.

Ô ciel !Vous avez fait une rude entreprise ;
Vous n’y reviendrez plus, votre bisque est mal prise.
Pour convaincre une femme, il faut bien du bonheur ;
Rarement un époux en vient à son honneur.
Quand on veut s’embarquer dans ces sortes d’affaires,
On ne sçauroit avoir des preuves assez claires ;
Et par malheur pour vous, vous ne les avez point.
Les femmes sont d’ailleurs terribles sur ce point :
Elles ne s’aiment pas ; mais accusez-en une,
L’émeute est générale, & la cause est commune.

Vous verrez aussi-tôt le peuple féminin
S’élever à grands cris, & sonner le tocsin ;
Protéger l’accusée, & s’enflammer pour elle ;
Se prendre aveuglément de tendresse & de zele ;
Passer de la pitié jusques à la fureur,
Et traiter un époux de calomniateur…
Tenez, voilà pourquoi, sans accuser la vôtre,
J’ai toujours crû ma femme aussi sage qu’une autre.
Je vous plains ; mais que faire ? Elle a barre sur vous :
Il faut, en attendant, se taire & filer doux.

(Il sort.)



Scène XV.

DURVAL, DAMON.
Durval.

Tu me vois pénétré de douleur & de rage.
Je ne m’attendais pas à ce nouvel orage…
Quelle vengeance affreuse exerce contre moi
Cet objet étranger dont j’ai quitté la loi !…
Que m’importe, après tout, qu’une épouse volage
Sache de sa rivale à quel point je l’outrage ?…
Cependant je l’accuse, & je suis confondu.

Damon.

N’es-tu pas plus heureux, que d’être convaincu ?

Durval.

En suis-je moins certain ? L’injure est manifeste.
Va, je ne cherchois plus que le plaisir funeste

De la rendre odieuse autant que je la hais ;
Mais sa fausse vertu couvre tous ses forfaits.

Damon.

J’ignore les détails de cette perfidie ;
Mais je connois Constance, & je mettrois ma vie…

Durval.

Tu la perdrois… Constance… Ô regret superflu !
J’ai creusé cet abîme où son cœur s’est perdu ;
Mon exemple a causé la chûte qui m’accable.
Est-ce une autorité qu’un exemple coupable ?

Damon.

Ne le suivez donc plus, comme vous avez fait,
Puisque vous convenez d’un si funeste effet.
Si tu voulois pourtant m’instruire davantage,
Ton repos deviendroit peut-être mon ouvrage :
Tu n’as que trop suivi ton premier mouvement.

Durval.

Je le paye assez cher, hélas ! en ce moment.
J’avois beau m’enflammer & m’irriter contre elle,
J’ai frémi du danger où j’ai mis l’infidelle ;
Et je mourois du coup que j’allois lui porter.

Damon.

J’ai des pressentimens que je ne puis m’ôter.

Durval.

Ils sont faux ; mais enfin je cède à ta priere :
Suis-moi, je t’en ferai la confidence entiere.
Mais ce n’est point l’espoir d’être désabusé
Qui m’arrache un récit que j’aurois refusé.
Je te veux inspirer la fureur qui m’anime :
Tu sens que j’ai besoin de plus d’une victime ;
Puisque j’ai des rivaux, je dois compter sur toi,
Et tu vas t’engager à te perdre avec moi.