Le Principe de relativité et la théorie de la gravitation/chap. 18

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CHAPITRE XVIII.

UNION DU CHAMP DE GRAVITATION
ET DU CHAMP ÉLECTROMAGNÉTIQUE.
GÉOMÉTRIES DE WEYL ET D’EDDINGTON.


115. Généralisation de la théorie d’Einstein.

L’existence des phénomènes électromagnétiques et les lois qui les régissent s’accordent parfaitement avec la théorie de la relativité ; cette théorie a même pour origine la théorie de Maxwell dont elle est la suite nécessaire (no 16). Cependant, dans ce qui précède, le champ de gravitation et le champ électromagnétique sont complètement séparés en ce sens que l’électricité n’est pas rattachée à une propriété géométrique de la structure d’Univers, cette structure étant entièrement représentée par les dix potentiels de gravitation La loi de la gravitation, aux points où se trouve de l’énergie électromagnétique, s’exprime bien par l’égalité d’un tenseur de courbure et du tenseur d’énergie électromagnétique, mais il n’en reste pas moins vrai que ce sont toujours les valeurs des potentiels qui expriment seules explicitement les propriétés géométriques de l’Espace-Temps.

Ce serait un grand progrès si l’on pouvait unir, dans une même géométrie, le champ de gravitation et le champ électromagnétique. Cette fusion a été réalisée par H. Weyl[1].

Avant d’aborder les développements mathématiques, nous donnerons une vue d’ensemble des idées qui conduisent à la généralisation de la théorie d’Einstein.

Procédant suivant la méthode qui a été si féconde dans le développement progressif de la théorie de la relativité : suppression des axiomes et des restrictions non nécessaires, nous devons nous demander si nous n’aurions pas conservé jusqu’à présent une restriction que la raison n’impose pas a priori.

Effectivement, nous avons laissé subsister une hypothèse arbitraire : nous avons admis qu’on peut toujours, en des points d’Univers différents, employer la même unité de mesure pour la comparaison des intervalles. À première vue, il ne paraît pas y avoir d’objection ; en un point d’Univers nous définissons une unité de longueur en choisissant une règle étalon, règle qui peut aussi servir pour la mesure optique du temps si nous prenons comme unité naturelle la vitesse de la lumière ; il semble donc qu’en transportant en un autre point d’Univers une copie exacte de l’étalon choisi en on puisse, en mesurer les intervalles élémentaires et faire la comparaison avec les intervalles mesurés en Sans doute, nous pouvons opérer de la sorte si deux copies exactes de l’étalon, transportées de en par des chemins différents, sont toujours identiques au point c’est ce que nous avons implicitement admis ; peu importe d’ailleurs de savoir si l’unité ainsi définie en est réellement la même qu’en — comme dit Eddington, c’est une question de pure métaphysique — ce qui nous intéresse, c’est de savoir si nous pouvons obtenir sans ambiguïté en une longueur que nous considérerons, par définition, comme représentant la même unité qu’au point

Cependant, rien ne prouve, a priori, que deux copies exactes de l’étalon choisi au point transportées en par des voies différentes et avec des orientations différentes, soient identiques en en d’autres termes, rien ne prouve que la longueur soit intégrable. Il y a donc là une restriction qu’il faut supprimer.

Nous avons montré que le champ de gravitation correspond à la non-intégrabilité de la direction (no 74) ; de même la non-intégrabilité de la longueur doit caractériser un champ d’une autre nature : ne serait-ce pas le champ électromagnétique ?

Si nous abandonnons l’hypothèse de l’intégrabilité de la longueur, il devient impossible de définir une unité valable en tous les points d’Univers ; il faut définir une unité, un étalon exact en chaque point de l’Espace-Temps ; nous appellerons jauge l’unité d’intervalle choisie en chaque point d’Univers. De même que le système de coordonnées est arbitraire, le système de jauges est arbitraire ; il faut, dans le cas le plus général, diviser l’Univers en cellules quadridimensionnelles par un système quelconque de coordonnées, et dans chaque cellule infiniment petite adopter une jauge. Les jauges sont seulement soumises à la condition qu’en deux cellules infiniment voisines les jauges soient infiniment peu différentes, ce qui est possible car l’ambiguïté disparaît à la limite pour un déplacement infiniment petit. Dans la théorie primitive, où les jauges étaient supposées les mêmes partout, dix mesures d’intervalles autour d’un point permettaient de déterminer les dix potentiels correspondant au système de coordonnées employé, c’est-à-dire permettaient de décrire le champ de gravitation ; dans la théorie plus générale, quatorze mesures vont être nécessaires, comme nous allons le montrer, pour déterminer les dix et quatre « potentiels » supplémentaires qui paraissent bien correspondre aux composantes du quadrivecteur potentiel électromagnétique.

Ce sont les quatorze potentiels et qui définissent la géométrie du système de coordonnées et du système de jauges choisis, et qui contiennent en eux la structure de l’Espace-Temps.

116. La géométrie de Weyl.

Faisons décrire à un vecteur par déplacement parallèle, un contour fermé infiniment petit, limitant l’élément de surface d’après (7-14) sa variation est[2]

(1-18)

Comme est symétrique gauche par rapport à et (no 73), nous avons

ce qui prouve que est orthogonal à la longueur généralisée du vecteur n’a donc pas changé (no 67) ; sa direction seule a varié. Ainsi la restriction admise a priori dans la géométrie d’Einstein est que, par déplacement parallèle (c’est-à-dire tel que le long du parcours), la longueur généralisée d’un vecteur se conserve toujours, alors la direction de ce vecteur change lorsque l’Espace-Temps n’est pas euclidien

Supprimons cette restriction : il faut remplacer par un tenseur d’un type plus général Ce tenseur peut être décomposé en une somme de deux tenseurs et le premier symétrique gauche, le second symétrique en et il suffit en effet de poser

(2-18)
(symétrique gauche en et )
(symétrique en et )

On peut donc écrire au lieu de (1-18)

(3-18)

La variation devant être annulée quand le circuit est décrit une seconde fois, mais en sens inverse du premier parcours, le tenseur et par suite les tenseurs et doivent être symétriques gauches en et

Soit la longueur généralisée de on a

ou, d’après (3-18),

(4-18)

car étant symétrique gauche en et

Ici, Weyl a adopté une limitation. Il a supposé :

1o Que est décomposable en un produit

2o Que est le rotationnel d’un vecteur.

D’après la première condition, (4-18) devient

(5-18)

la variation de longueur est donc proportionnelle à la longueur et indépendante de la direction du vecteur.

La variation d’un vecteur qui décrit un contour fermé devant être déterminée par le contour lui-même, les différentes surfaces limitées par ce contour doivent conduire à une même valeur de l’intégrale de surface doit alors porter sur un rotationnel, d’où la seconde condition de Weyl.

La raison de la limitation de Weyl est la suivante. Supposons qu’un vecteur nul soit transporté de à D’après (5-18) sa longueur reste nulle quel que soit le chemin suivi ; la longueur nulle est donc quelque chose d’absolu, et une perturbation lumineuse a une trajectoire bien définie, celle dont l’intervalle est constamment nul. Au contraire, d’après la formule générale (4-18), il n’existe pas de moyen unique permettant de définir en un intervalle nul, et l’on se demande comment se propagera une perturbation lumineuse émise en

Soit une règle extrêmement courte, de longueur généralisée déplaçons-la de quantités infiniment petites puisque est le rotationnel d’un vecteur, nous pouvons écrire

(6-18)

Les étant quatre fonctions de point, composantes d’un vecteur d’Univers, qui ne sont déterminées qu’à des fonctions près, telles que soit une différentielle totale.

Il est vrai que doit dépendre de l’ordre dans lequel on effectue les déplacements, mais cette variation avec l’ordre des déplacements est infiniment petite par rapport à parce que l’ambiguïté provenant de la différence entre deux règles, primitivement identiques en un point, transportées par des chemins différents en un autre point, doit disparaître à la limite quand les positions initiale et finale sont infiniment voisines et les chemins suivis infiniment petits.

Cette expression (6-18) de est analogue à l’expression de mais c’est une forme linéaire au lieu d’une forme quadratique avec quatre fonctions au lieu des dix fonctions

Nous raisonnerons pour les comme pour les les dépendent de la structure de l’Espace-Temps et du système de coordonnées ; les dépendent aussi d’une propriété intrinsèque de l’Espace-Temps et du système de jauges employé. De même que les ne peuvent pas prendre des valeurs complètement arbitraires par un choix convenable de coordonnées (c’est ce qu’exprime la loi de la gravitation), de même les doivent remplir une condition bien déterminée — doivent obéir à une loi — puisque ces potentiels dépendent d’une propriété intrinsèque de l’Univers qui reste inaltérée par un changement du système de jauges.

D’après (6-18) nous avons par intégration

(7-18)

La longueur après un parcours entre et sera indépendante du chemin suivi si

est une différentielle totale, c’est-à-dire si le rotationnel des est nul :

(8-18) ou (et ).

Faisons maintenant l’hypothèse que les représentent le quadrivecteur potentiel électromagnétique ; l’annulation du rotationnel exprime, d’après le premier groupe des équations de Maxwell généralisées (17-15), que les forces électriques et magnétiques sont nulles : la condition d’intégrabilité de la longueur ou la condition pour qu’on puisse comparer directement deux intervalles en deux points éloignés et est donc qu’on puisse passer de à sans rencontrer de champ électromagnétique. Si cette condition est réalisée, la géométrie précédemment exposée est suffisante : la structure de l’Espace-Temps est exprimée par les S’il y a champ électromagnétique, cette structure est exprimée par quatorze potentiels : les dix qui décrivent les propriétés gravifiques et les quatre qui décrivent les propriétés électromagnétiques.

La loi à laquelle doivent obéir les est toute trouvée : c’est la loi du champ électromagnétique exprimée sous forme tensorielle par la généralisation des équations de Maxwell (17-15). L’union de cette loi et de la loi de la gravitation constitue la loi générale de la structure d’Univers ; la géométrie des et celle des sont maintenant unies en une seule et même géométrie.

Puisque les ne sont déterminés qu’à des fonctions près, telles que soit une différentielle totale, on peut ajouter au second membre de (7-18) une fonction de point complètement arbitraire, ce qui exprime précisément l’indétermination du système de jauges. Quant au rotationnel il reste le même malgré cette indétermination puisque les sont nuls : cela signifie que les forces électriques et magnétiques sont indépendantes du système de jauges.

Nous avons montré que la quadruple indétermination des coordonnées conduit nécessairement à quatre identités, d’où résulte la conservation de l’impulsion-énergie. De même, l’indétermination du système de jauges doit avoir pour conséquence une loi supplémentaire de conservation ; nous connaissons cette loi : elle exprime la conservation de l’électricité (no 99).

Ainsi, il est tout à fait raisonnable de penser que la non-intégrabilité des longueurs est caractéristique du champ électromagnétique, car précisément la suppression de la restriction illogique qui avait été conservée nous donne les quatre quantités dont nous avons besoin pour définir complètement l’état de l’Espace-Temps en chaque point. Il est difficile de ne voir qu’une coïncidence dans un pareil résultat.

Mais Weyl a encore conservé une restriction, puisqu’il a admis que la variation de la longueur (généralisée) ne dépend que du parcours suivi et qu’elle est indépendante de la manière dont a été fait le transport sur un même parcours. Nous avons dit qu’il a cru cette condition nécessaire parce que sa suppression soulevait une grosse difficulté pour attribuer à la lumière une trajectoire définie.

Eddington a fait tomber la restriction de Weyl, la dernière qui subsistait. Dans la théorie d’Eddington, l’Univers n’est assujetti qu’à la condition, évidemment nécessaire, de posséder une structure géométrique ; il paraît impossible de réduire davantage les hypothèses : c’est le moins qu’on puisse supposer.

117. Théorie géométrique de l’Univers (Eddington).

Prendre un système de coordonnées signifie choisir quatre familles d’espaces pour diviser en cellules l’Univers quadridimensionnel ; dans chacune de ces familles, chaque espace peut être caractérisé par un nombre (c’est, en somme, faire un numérotage). Il résulte de là qu’un déplacement est un exemple simple de vecteur absolu, car les différences de coordonnées s’expriment par des nombres purs, indépendants de tout système de jauges.

Soit un vecteur absolu représentant un déplacement infiniment petit au point d’Univers Si nous voulons que l’Univers ait une structure géométrique, il faut admettre qu’en un point infiniment voisin de nous pouvons trouver un déplacement équivalent à ce déplacement n’est pas car (comme au no 70) il faut tenir compte d’une pseudo-variation de attribuable au caractère curviligne des coordonnées, même si le vecteur est déplacé « sans variation absolue » ou « par déplacement parallèle ». Pour un déplacement infiniment petit du vecteur la pseudo-variation peut être limitée à une expression linéaire, parce que et sont infiniment petits. Dans la théorie d’Einstein, cette pseudo-variation a pour expression (no 70)

Ici, le symbole de Christoffel doit être remplacé par une fonction à trois indices que nous préciserons plus loin, et que nous désignerons par cette fonction n’est pas nécessairement un tenseur. La pseudo-variation s’écrit

(9-18)

et, par déplacement parallèle, on a

(10-18)

étant un déplacement infiniment petit qui par déplacement parallèle devient la condition pour qu’on arrive au même point en interchangeant les deux déplacements est

La symétrie en et de est la condition pour que la géométrie soit « affine » ; elle exprime que l’Univers possède en chaque point un Univers euclidien tangent.

Le tenseur de Riemann-Christoffel généralisé. — Faisons maintenant décrire au vecteur un circuit fermé très petit, par déplacement parallèle ; nous pouvons répéter identiquement les calculs du no 74, en remplaçant les symboles de Christoffel par les et nous obtenons, au lieu de (5-14),

(11-18)

en posant

(12-18)

L’aire à laquelle s’étend l’intégrale double doit être très petite, car le vecteur n’est défini que sur le contour ; toute ambiguïté est évitée si l’aire est infiniment petite et l’on a

(13-18)

est un vecteur, car c’est la variation de quand on est revenu au point de départ, est un vecteur,

est un tenseur, par conséquent est un tenseur, et c’est un tenseur absolu, car nous n’avons eu à faire intervenir aucun système de jauges.

Ce tenseur est la généralisation du tenseur de Riemann-Christoffel, les symboles de Christoffel étant remplacés par les

Contractons nous obtenons la généralisation du tenseur

(14-18)

Ces deux tenseurs absolus et traduisent les propriétés intrinsèques du continuum. On n’en voit pas d’autres qui jouissent des mêmes propriétés.

Pour introduire les il nous faut adopter un système de jauges quelconque, mais défini. Nous définissons la longueur d’un déplacement par

(15-18)

est un invariant à l’égard du système de coordonnées ; est un tenseur symétrique.

Un système de coordonnées étant adopté, les sont des nombres purs, mais dépend, par les du système de jauges. La longueur n’est donc pas un invariant absolu ; c’est une convention purement géométrique et non une notion physique. Imprimons à un déplacement parallèle le long de nous avons

(16-18)
  [d’après (10-18)]

ou, en écrivant

(17-18)

Puisque est un invariant (à l’égard du système de coordonnées), la quantité entre parenthèses est un tenseur ; désignons celui-ci par (symétrique en et )

De même

De ces trois dernières équations on déduit étant symétrique en et

(19-18)

Posons

(20-18)

est un tenseur symétrique en et nous obtenons

(21-18)

et, en posant

(22-18)
(23-18)

Le symbole de Christoffel généralisé ou est invariant à l’égard du système de jauges, car les ont été introduits sans que ce système intervienne (9-18). Au contraire le tenseur n’est pas absolu, car dépend de la jauge.

Si nous prenons pour le produit de par un vecteur, nous obtenons la géométrie de Weyl, mais, avec Eddington, nous supprimons cette restriction.

Nous pouvons maintenant, d’après (23-18), exprimer le tenseur de Riemann-Christoffel généralisé

Les six termes qui suivent se réduisent à la différence des dérivées covariantes et on a donc

(24-18)

Le tenseur généralisé contracté s’écrit

(25-18)

en posant

(26-18) dérivée cov. de

Enfin le scalaire a pour expression

(27-18)

оù

(28-18)

Il est à remarquer que et sont des vecteurs différents ; dans (26) occupe une des places symétriques, ce qui n’a pas lieu dans (28)

et

Dans l’expression de tous les termes sont symétriques en et sauf Écrivons

(29-18)

nous obtenons

(30-18)

étant un tenseur symétrique et étant le tenseur symétrique gauche,

(31-18)

Les tenseurs

(32-18)

sont des tenseurs absolus.

Le tenseur se divise de même en deux tenseurs (voir 2-18) :

(33-18)

étant symétrique gauche et symétrique en et ils sont tous deux symétriques gauches en et

La variation d’un vecteur se trouve ainsi mise sous la forme précédemment donnée (3-18), et si est la longueur généralisée du vecteur, on a, par déplacement parallèle le long d’un contour infiniment petit limitant l’élément de surface l’équation (4-18)

On peut vérifier que

(34-18)

On doit remarquer que ni ni ni ne sont des tenseurs absolus, car les doivent intervenir pour abaisser l’indice Le scalaire n’est pas non plus un invariant absolu.

Tenseurs absolus et co-tenseurs. — On voit, par ce qui précède, qu’il faut distinguer les tenseurs absolus indépendants de tout système de jauges et les tenseurs qui varient avec les jauges (pour un même système de coordonnées, c’est-à-dire pour une même division de l’Espace-Temps en cellules quadridimensionnelles).

Supposons qu’on ait adopté un système de coordonnées (rappelons que les sont des nombres purs) et un système de jauges ; nous avons, comme dans la théorie d’Einstein (d’après la définition 15-18).

Conservant la même division en cellules (le même système de coordonnées), changeons maintenant le système de jauges, et à cet effet divisons l’unité d’intervalle en chaque point d’Univers par une fonction de point (arbitraire) le nombre exprimant est multiplié par En accentuant les quantités mesurées avec les nouvelles jauges, nous avons

D’où

Le tenseur des est donc multiplié par nous dirons qu’il est de dimension 1 ; le tenseur des multiplié par il est de dimension −1 ; le déterminant multiplié par est de dimension 4, etc. Quand on fait passer un indice de bas en haut ou de haut en bas, on diminue ou l’on augmente d’une unité la dimension d’un tenseur.

Ainsi, un tenseur a pour dimension l’exposant de la puissance de par laquelle il est multiplié dans un changement de toutes les jauges, celles-ci étant divisées par Les tenseurs absolus sont de dimension zéro ; les tenseurs dont la dimension n’est pas nulle sont appelés co-tenseurs.

Les tenseurs

sont, comme nous l’avons vu, des tenseurs absolus.

Les tenseurs

sont des co-tenseurs de dimension +1.

Invariants absolus et co-invariants. — On distingue de même les invariants absolus, indépendants de tout système de jauges (dimension zéro), et les co-invariants dont la dimension est représentée par l’exposant de la puissance de par laquelle il faut les multiplier quand les jauges unités sont divisées par

Proposons-nous de chercher les invariants absolus.

Il n’existe pas de fonction invariante absolue des potentiels, mais on peut trouver des densités invariantes absolues.

est de dimension +2 ; par conséquent en multipliant par des co-invariants de dimension −2 nous formons des densités invariantes de dimension zéro, c’est-à-dire indépendantes du système de jauges. Les expressions suivantes sont donc des densités invariantes absolues :

Il existe deux autres densités invariantes absolues basées sur le tenseur fondamental du sixième ordre ; elles sont d’ailleurs identiques entre elles :

il y a peut-être encore une autre densité invariante absolue dérivée de

Ainsi le nombre des caractères d’Univers distincts dont les combinaisons peuvent s’exprimer par des nombres purs, indépendants de tout système de coordonnées et de jauges, est très restreint et ne paraît pas dépasser 6.

Weyl a fait remarquer que c’est seulement dans un Univers à nombre pair de dimensions[3] que les tenseurs fondamentaux donnent naissance à des densités invariantes absolues. Un invariant a, en effet, toujours une dimension représentée par un nombre entier ; or une densité invariante absolue s’obtient en multipliant une puissance convenable de l’invariant par ayant pour dimension dans un Univers à dimensions, le produit obtenu ne pourra être de dimension zéro que si est pair.

Un Univers à nombre impair de dimensions n’aurait aucun caractère absolu et nous ne saurions l’imaginer.

En plus des densités invariantes absolues, qui sont des caractéristiques absolues de l’Univers en chaque point, nous pouvons former un invariant absolu simple lié à un déplacement (dimension zéro) :

(35-18)

Après celui-ci, l’invariant le moins compliqué est

Sans doute, d’autres combinaisons pourraient être imaginées, mais elles seraient très compliquées.

118. Théorie physique de l’Univers. Identification physique des tenseurs, vecteurs et invariants de la théorie géométrique (Eddington).

Le système de jauges naturel. — Soit un déplacement infiniment petit en un point d’Univers ; c’est un nombre pur (dimension zéro), et nous avons défini sa longueur par

(dimension 1),

mais cette longueur n’est invariante que par rapport au système de coordonnées.

Si nous voulons que les ne soient pas quelconques, qu’ils se trouvent contenus dans la géométrie de l’Univers, en d’autres termes que la longueur cesse d’être une convention géométrique pour devenir une entité physique, il faut que soit un invariant absolu.

Autrement dit : le minimum d’hypothèses qu’on puisse faire sur la structure d’Univers est qu’il existe des éléments objectifs (intervalles) indépendants de ceux qui peuvent les observer (indépendants du système de coordonnées-jauges). Il est donc naturel de chercher à représenter ces éléments absolus par des invariants absolus ; dès lors, le carré de l’intervalle doit être identifié avec un invariant absolu quadratique, s’il y en a un. Précisément, nous venons de voir (35-18) qu’il en existe un et un seul nous posons donc

d’où

(36-18)

étant une constante universelle (de dimension −1, puisque est de dimension 1). Cette constante nous laisse libres d’adopter telle unité de longueur que nous voulons (centimètre, mètre, etc.) en un point d’Univers déterminé ; l’unité de temps est le temps dans lequel la lumière parcourt cette unité de longueur, et par conséquent nous prenons pour unité la vitesse de la lumière. Ce choix étant fait en un point, les jauges en tous les points d’Univers sont fixées par la condition (36-18).

La différence qui sépare du tenseur de la théorie d’Einstein provient des termes issus de nous verrons que ce tenseur s’identifie avec « quelque chose » d’électromagnétique. Plus le champ électromagnétique est faible, c’est-à-dire plus l’espace est vide, plus est voisin de Dans le vide complet, l’équation fixant le système de jauges est

(37-18)

C’est précisément la loi d’Einstein (15-17). Nous obtenons donc la loi de la gravitation dans le vide d’une façon absolument indépendante des considérations développées dans la théorie primitive.

Ce résultat nous montre que, dans le vide, c’est-à-dire partout où il n’y a rien d’« électromagnétique » l’Univers est jaugé, d’après Einstein, conformément à (37-18) : en transportant les étalons d’un point à un autre pour la comparaison des intervalles, on emploie le système de jauges naturel.

Propagation de la lumière. Une perturbation lumineuse issue d’un point occupe dans l’Univers un cône qui doit satisfaire une équation de la forme

(38-18)

Comme ce cône est bien déterminé et n’a aucun rapport avec un système quelconque de coordonnées ou de jauges, il est nécessaire que soit un invariant absolu, et par conséquent que soit un tenseur absolu. Ce ne peut être que est une fonction des coordonnées. On a donc, pour équation du cône lumineux,

(39-18)

Nous voyons que, dans la théorie d’Einstein où la propagation de la lumière s’exprime par l’Univers est jaugé conformément à l’équation

(40-18)

Nous avons le droit d’écrire cette équation partout où la lumière se propage, c’est-à-dire partout où il existe un Univers tangent, autrement dit en tout point, sauf à l’intérieur de l’électron si celui-ci est un point singulier. pourrait être une fonction de point, mais la condition de jaugeage dans le vide (37-18) — ou la loi de la gravitation dans le vide nous montre que

const.

Nous pouvons donc conclure que partout où la lumière peut se propager, le jaugeage employé dans la théorie d’Einstein est le jaugeage naturel.

Ainsi Eddington a réussi à supprimer la difficulté qui avait conduit Weyl à poser de manière que la longueur nulle reste nulle quel que soit le déplacement. Dans la théorie d’Eddington, une longueur nulle peut ne pas rester nulle par déplacement parallèle, mais cette généralisation de la théorie n’apporte aucune ambiguïté pour la propagation de la lumière, parce que le cône lumineux est défini par la seule équation invariante absolue qu’on puisse former. La condition qui exprime que ce cône correspond à la longueur nulle, condition nécessaire pour que la trajectoire du rayon lumineux nous apparaisse comme déterminée est précisément celle qui sert de base pour la détermination du système de jauges naturel.

La courbure constante. Avec le système de jauges naturel, l’Univers possède une courbure constante ; prenant les scalaires des deux membres de (36-18) on a, en effet

(41-18)

qui dans le vide, devient

Il est bien évident que la constante ne saurait être nulle, c’est-à-dire que les dimensions de l’Univers ne peuvent être infinies par rapport à nos systèmes de mesures, car il n’y aurait plus de système de jauges naturel. Suivant les termes d’Eddington « il n’y aurait aucune jauge naturelle pour déterminer, par exemple, les dimensions d’un électron ; l’électron ne pourrait savoir quelle grandeur il devrait prendre s’il n’avait plus de point de comparaison ».

Nous sommes donc conduits, plus logiquement et plus directement que dans la théorie primitive, à la conception de la courbure constante et de l’espace fini. L’Univers jaugé dans le système naturel est nécessairement à courbure constante, puisque cette condition est imposée par celle qui détermine le système de jauges. Cela revient à dire que le système naturel consiste à prendre pour jauge en chaque point le rayon de courbure de l’Univers, ou encore que tout instrument de mesure, tout objet est une portion déterminée et constante de l’Univers ; que tout électron doit avoir pour rayon une fraction constante du rayon de courbure d’Univers au point où il se trouve. Si le rayon d’Univers changeait d’un point à l’autre — par rapport à un sur-étalon que nous ne saurions d’ailleurs imaginer — l’électron, nos instruments, nous-mêmes, tout changerait dans le même rapport : par conséquent le rayon de courbure doit nous apparaître comme constant. Par le choix de notre système de jauges, nous forçons l’Univers à posséder une courbure constante.

Si l’on se place au point de vue de la théorie généralisée, et si c’est qu’on envisage comme « courbure », cette courbure est constante, non pas seulement dans le vide, mais partout. Si l’on conserve le point de vue de la théorie d’Einstein, en séparant le champ de gravitation et le champ électromagnétique, et appelant courbure le scalaire qui ne fait pas intervenir les on doit dire que les électrons correspondent à des déformations locales ; l’Univers apparaît comme déformé dans les régions où de la matière est présente, et c’est précisément cette déformation qui constitue la matière. L’électron devient une région de forte courbure bien que, avec le système de jauges naturel, ait la même valeur que dans le vide. Cela signifie que les qui font différer de doivent être considérables dans l’électron, ce qui revient à dire que le champ électrique doit y être colossal.

La matière et l’électricité. Après avoir identifié l’Espace-Temps, il nous faut identifier la « substance » qu’il contient, c’est-à-dire trouver des tenseurs géométriques qui correspondent aux tenseurs physiques par lesquels nous représentons les grandeurs que nous révèle l’expérience. Ces tenseurs géométriques n’ont pas besoin d’être des tenseurs absolus, car l’étude expérimentale des phénomènes suppose que nous utilisons le système de jauges naturel (aux faibles erreurs près dues à l’ambiguïté résultant de la non-intégrabilité des longueurs), et nous n’avons aucune raison de penser que toutes les lois de notre science doivent se conserver dans un système de jauges arbitraire.

Le tenseur d’énergie et la loi de la gravitation. Désignons par le tenseur total d’énergie ; ce tenseur doit vérifier la loi de conservation exprimée par il faut donc l’identifier à un tenseur géométrique dont la divergence soit nulle. Ici, il n’y a rien à changer à la théorie primitive, car la généralisation de Weyl-Eddington n’introduit pas de nouveau tenseur à divergence nulle qui puisse être adopté[4]. On a donc, comme dans la théorie d’Einstein,

(42-18)

avec

est une constante qui n’est pas déterminée par la loi de conservation, mais qui est fixée par la condition que le tenseur disparaisse en l’absence de matière et de champ électromagnétique, ce qui donne dans le vide

ou

D’après (37-18), la constante est la même que celle qui s’introduit dans la définition du système de jauges naturel et qui est égale à

Le champ électromagnétique. — Le tenseur des forces électrique et magnétique (no 98) doit satisfaire le premier groupe (15-15) des équations de Maxwell (généralisées)

(43-18)

et ces équations deviennent des identités si est le rotationnel d’un vecteur. Nous voyons donc qu’il n’y a qu’un tenseur géométrique que nous puissions identifier (à un facteur constant près) avec le tenseur des forces électriques et magnétiques : c’est celui que nous avons précisément désigné par dans la théorie géométrique (31-18). Le vecteur dont est le rotationnel, est le potentiel.

C’est bien la seule identification possible, car si l’on identifiait le champ électromagnétique avec le rotationnel de (28-18), le tenseur fondamental ne présenterait plus aucun caractère justifiant son existence[5].

Le quadrivecteur courant électrique. Le vecteur densité de courant-densité de charge doit satisfaire à la loi expérimentale de conservation de l’électricité. Il faut donc que cette équation devient une identité si est la divergence d’un tenseur symétrique gauche contrevariant ; nous sommes ainsi conduits à identifier avec la divergence de

(44-18)

Ces équations représentent, comme nous l’avons vu précédemment, le second groupe des équations de Maxwell.

Eddington a donc réussi à trouver les tenseurs géométriques

ou

qui, dans notre science expérimentale, se présentent à nous sous les aspects de tenseur d’impulsion et d’énergie, potentiel électromagnétique (potentiel vecteur et potentiel scalaire de la théorie ancienne), champ électromagnétique, courant électrique (densité de courant et densité de charge de la théorie ancienne).

Le problème de la matière. Lorsque nous avons étudié le tenseur matériel, en supposant la matière continue, c’est-à-dire en l’envisageant sous l’aspect macroscopique, nous avons vu que le scalaire de ce tenseur représente la densité au repos.

Nous avons montré, d’autre part, qu’il est impossible de construire un électron et, par suite, de la matière à partir du champ électromagnétique seul, parce que le scalaire du tenseur d’énergie électromagnétique est nul ; on savait d’ailleurs déjà que l’électron ne pouvait exister qu’en admettant des forces de cohésion non maxwelliennes (pression de Poincaré). Ce sont ces faits qui ont conduit Einstein à modifier la loi de la gravitation et à introduire le terme cosmologique (no 107).

Admettons, pour un moment, la continuité dans la structure géométrique de l’Univers, et partons de la loi de la gravitation, basée sur la conservation de l’impulsion-énergie,

(45-18)

représente maintenant le tenseur total d’énergie ; nous pouvons calculer le scalaire de ce tenseur ; nous devrons considérer ce scalaire comme représentant, en chaque point, la densité au repos de la substance ; nous aurons ainsi l’expression microscopique de la densité au repos.

D’après (25-18), (30-18), (31-18), nous avons

(46-18)

Nous pouvons écrire

(47-18)

avec

(48-18)
(49-18)

On a alors les relations

(50-18)

[identique à (21-17), car dans le système de jauges naturel, est la valeur de dans le vide], et, en tenant compte de (système naturel),

(51-18)

Cette formule, se rapportant au tenseur donne l’aspect électrique du tenseur impulsion-énergie, par opposition avec (45-18) qui en donne l’aspect gravitationnel.

D’après (50-18) nous avons, pour expression de la densité de « substance » en chaque point d’Univers,

(52-18)

Rappelons que

La substance apparaît ainsi comme une structure d’Univers qu’on peut caractériser par un scalaire formé à partir des tenseurs géométriques fondamentaux (ou puisque, dans le système de jauges naturel, ) et

Avec la restriction de Weyl, et prennent une forme beaucoup plus simple. Admettons que soit le produit de par un vecteur ; pour avoir (26-18), nous devons poser

(53-18)

Le calcul des différents termes de et de donne

(54-18)

Il est permis de se demander si les forces de cohésion mystérieuses (pressions de Poincaré) qui permettent l’existence de l’électron ne seraient pas les qui, ajoutées aux composantes du champ de gravitation , constituent les forces, invariantes vis-à-vis de tout système de jauges, c’est-à-dire absolues, [6] (23-18). Toujours est-il que l’union du tenseur de gravitation et du tenseur « d’électricité », (ou plus simplement, si l’on admet la restriction de Weyl, l’union du tenseur et du potentiel électromagnétique ) suffit pour déterminer c’est-à-dire pour rendre compte de l’existence des électrons et de la matière, alors que le champ de gravitation et les forces maxwelliennes ne suffisaient pas. « Le potentiel électromagnétique a en lui quelque chose de fondamental qui disparaît quand nous en prenons le rotationnel pour obtenir la force électromagnétique observable » (Eddington).

Mais, dans le calcul qui vient d’être fait, il y a une hypothèse bien douteuse : la structure est supposée continue. Nous ne pensons pas que ce soit exact, car l’expérience a révélé une loi de discontinuité étrange, la loi des quanta : on ne voit pas comment la faire intervenir dans la théorie ; elle est peut-être même tout à fait en dehors du domaine de la théorie de la relativité. Où est la discontinuité ? Intervient-elle dans la constitution de l’électron ? Ce sont des questions auxquelles nous ne pouvons répondre aujourd’hui. Toujours est-il que les lois du continu ne doivent pas être applicables à l’électron. Peut-être cependant les considérations qui précèdent sur la densité de la substance contiennent-elles une part de vérité en décrivant une structure moyenne dans un domaine de dimensions comparables aux dimensions qu’on attribue à l’électron, et qui est pour nous un domaine extrêmement petit.

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  1. Berlin. Sitzungsberichte, 30 mai 1918 ; Ann. d. Physik, t. LIX, 1919, p. 101 ; Raum, Zeit, Materie (1921).
  2. Le facteur est introduit à cause de la sommation qui fait écrire deux fois chacune des composantes du tenseur on a en effet et
  3. Il est à peine besoin de faire remarquer que le mot « dimension » est employé dans deux sens absolument différents selon qu’il s’agit des dimensions de l’Univers ou de ce qui vient d’être appelé dimension d’un tenseur.
  4. La divergence de n’est pas identiquement nulle.
  5. Mais on ne voit pas ce que représente physiquement
  6. Il est à remarquer que les constituent un tenseur, alors que les ne sont pas les composantes d’un tenseur.