Le Puits de la vérité/Reliques

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Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 56-57).



RELIQUES



Il en est décidément des reliques des grands hommes, comme des reliques des saints, qui ne sont plus très sûres depuis qu’on les examine avec des yeux qui ne sont pas ceux de la foi. Un musée vient d’acheter, à une vente publique, le lit de Napoléon à Sainte-Hélène. On en garantit l’authenticité, laquelle repose sur une suite de déductions parfaites, en apparence irréfutables. Il provient de Bertrand. Sans doute, Napoléon avait un lit à Sainte-Hélène ; il en avait même plusieurs (ne compliquons pas le raisonnement), mais Bertrand en avait un aussi et probablement aussi marqué d’un aigle ou d’une couronne, comme tout le mobilier de la maison de l’empereur. Tout objet timbré d’un N couronné, et nous en avons tous vu, a-t-il donc appartenu à Napoléon III ? La vérité est qu’une relique est toujours problématique. Qu’elle soit religieuse, qu’elle soit civile, ce n’est que la foi qui la garantit. La plupart du temps, elle la crée. L’émotion est la même, et, s’il y a lieu à miracles, cela n’empêche aucunement les miracles de se produire. Aussi, je ne vois pas bien pourquoi on attache tant d’importance à l’authenticité d’une relique. En somme, la plume d’oie (une seule ? elle était de bonne qualité) avec laquelle Victor Hugo a écrit les Misérables, pourrait être remplacée par toute autre, pas trop fraîche, que l’effet serait le même sur notre rétine et sur notre sensibilité. C’est la grande supériorité des reliques sur les communs objets périssables, qu’elles peuvent vivre éternellement, mieux encore que le couteau de Janot, sans aucun dommage pour la vérité qu’elles représentent. Je n’ai probablement pas la bosse de la vénéralité, mais je n’irai pas voir le lit de Napoléon. J’aurais trop peur de rester insensible, ou peur, ayant éprouvé une émotion, d’apprendre plus tard qu’elle était illicite.


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