Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/1
Je fais gloire d’avoir les mêmes opinions que l’auteur de l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations : je ne veux ni un pyrrhonisme outré, ni une crédulité ridicule ; il prétend que les faits principaux peuvent être vrais, et les détails très-faux. Il peut y avoir eu un prince égyptien nommé Sésostris par les Grecs, qui ont changé tous les noms d’Égypte et de l’Asie, comme les Italiens donnent le nom de Londra à London, que nous appelons Londres, et celui de Luigi aux rois de France nommés Louis. Mais, s’il y eut un Sésostris, il n’est pas absolument sûr que son père destina tous les enfants égyptiens qui naquirent le même mois que son fils à être un jour avec lui les conquérants du monde. On pourrait même douter qu’il ait fait courir chaque matin cinq ou six lieues à ces enfants avant de leur donner à déjeuner.
L’enfance de Cyrus exposée, les oracles rendus à Crésus, l’aventure des oreilles du mage Smerdis, le cheval de Darius, qui créa son maître roi, et tous ces embellissements de l’histoire, pourraient être contestés par des gens qui en croiraient plus leur raison que leurs livres.
Il a osé dire, et même prouver, que les monuments les plus célèbres, les fêtes, les commémorations les plus solennelles, ne constatent point du tout la vérité des prétendus événements transmis de siècle en siècle à la crédulité humaine par ces solennités.
Il a fait voir que si des statues, des temples, des cérémonies annuelles, des jeux, des mystères institués, étaient une preuve, il s’ensuivrait que Castor et Pollux combattirent en effet pour les Romains ; que Jupiter les arrêta dans leur fuite ; il s’ensuivrait que les Fastes d’Ovide sont des témoignages irréfragables de tous les miracles de l’ancienne Rome, et que tous les temples de la Grèce étaient des archives de la vérité.
Voyez dans le résumé de son Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations[2].
- ↑ Cet ouvrage ne se trouve dans aucun des dix-neuf volumes de Nouveaux Mélanges, imprimés à Genève chez les Cramer, suite et complément de leurs éditions de 1756 et 1764 des Œuvres de Voltaire, ni dans l’édition in-4°, ni dans l’édition encadrée ou de 1775. Les éditeurs de Kehl, qui l’ont donné dans leurs éditions, ne lui assignaient aucune date, et ne l’avaient pas compris dans leur Liste chronologique des ouvrages de Voltaire. Mais une note manuscrite de feu Decroix, l’un des éditeurs de Kehl, lui donne la date de 1768 ; et s’il y a erreur, elle ne peut être grande, puisque le Pyrrhonisme de l’histoire est dans le tome IV (sous le millésime 1769) de l’Évangile du jour. Il n’avait alors que trente-huit chapitres. Les chapitres ajoutés depuis sont les VI, VII, VIII, X, XI ; plusieurs morceaux avaient paru, en 1765, dans le tome VIII de l’Encyclopédie, au mot Histoire. Plusieurs furent reproduits, en 1770 et 1771, dans les Questions sur l’Encyclopédie, aux mots Ana et Histoire.
De l’omission dans les éditions des Cramer du Pyrrhonisme de l’histoire ne peut-on pas induire que ces éditeurs n’avaient point imprimé cet écrit, et que l’édition qui fait partie de l’Évangile du jour est la première ? (B.)
— Cet opuscule est bien de 1769, et non, comme le croient quelques éditeurs, de 1768. Les dates de publication des ouvrages qui y sont cités l’attestent. Il a paru pour la première fois dans le recueil intitulé l’Évangile du jour. Voltaire attaque ici toutes les autorités historiques qu’on acceptait de son temps les youx fermés : Hérodote, Tacite, Bossuet, Fleury, etc. Il relève pour la centième fois les traditions erronées de l’enseignement des écoles, et il lui suffit de quelques traits pour donner une idée de la grande révolution qu’il a faite en histoire. (G. A.)
- ↑ Pages 173 et suivantes du tome XIII de la présente édition.