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Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/11

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Le Pyrrhonisme de l’histoireGarniertome 27 (p. 254-256).
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CHAPITRE XI.
des autres peuples nouveaux.

La Grèce et Rome sont des républiques nouvelles en comparaison des Chaldéens, des Indiens, des Chinois, des Égyptiens.

L’histoire de l’empire romain est ce qui mérite le plus notre attention, parce que les Romains ont été nos maîtres et nos législateurs. Leurs lois sont encore en vigueur dans la plupart de nos provinces ; leur langue se parle encore, et, longtemps après leur chute, elle a été la seule langue dans laquelle on rédigea les actes publics en Italie, en Allemagne, en Espagne, en France, en Angleterre, en Pologne.

Au démembrement de l’empire romain en Occident commence un nouvel ordre de choses, et c’est ce qu’on appelle l’histoire du moyen âge : histoire barbare des peuples barbares, qui, devenus chrétiens, n’en deviennent pas meilleurs.

Pendant que l’Europe est ainsi bouleversée, on voit paraître, au viie siècle, les Arabes, jusque-là renfermés dans leurs déserts. Ils étendent leur puissance et leur domination dans la haute Asie, dans l’Afrique, et envahissent l’Espagne ; les Turcs leur succèdent, et établissent le siége de leur empire à Constantinople, au milieu du xve siècle.

C’est sur la fin de ce siècle qu’un nouveau monde est découvert[1], et bientôt après la politique de l’Europe et les arts prennent une forme nouvelle. L’art de l’imprimerie[2] et la restauration des sciences font qu’enfin on a quelques histoires assez fidèles, au lieu des chroniques ridicules renfermées dans les cloîtres depuis Grégoire de Tours. Chaque nation, dans l’Europe, a bientôt ses historiens. L’ancienne indigence se tourne en superflu ; il n’est point de ville qui ne veuille avoir son histoire particulière. On est accablé sous le poids des minuties. Un homme qui veut s’instruire est obligé de s’en tenir au fil des grands événements, d’écarter tous les petits faits particuliers qui viennent à la traverse : il saisit dans la multitude des révolutions l’esprit des temps et des mœurs des peuples.

Il faut surtout s’attacher à l’histoire de sa patrie, l’étudier, la posséder, réserver pour elle les détails, et jeter une vue plus générale sur les autres nations : leur histoire n’est intéressante que par les rapports qu’elles ont avec nous, ou par les grandes choses qu’elles ont faites ; les premiers âges depuis la chute de l’empire romain ne sont, comme on l’a remarqué ailleurs[3], que des aventures barbares sous des noms barbares, excepté le temps de Charlemagne. Et que d’obscurités encore dans cette grande époque !

L’Angleterre reste presque isolée jusqu’au règne d’Édouard III. Le nord est sauvage jusqu’au xvie siècle ; l’Allemagne est longtemps une anarchie. Les querelles des empereurs et des papes désolent six cents ans l’Italie, et il est difficile d’apercevoir la vérité à travers les passions des écrivains peu instruits qui ont donné des chroniques informes de ces temps malheureux.

La monarchie d’Espagne n’a qu’un événement sous les rois visigoths, et cet événement est celui de sa destruction. Tout est confusion jusqu’au règne d’Isabelle et de Ferdinand.

La France, jusqu’à Louis XI, est en proie à des malheurs obscurs, sous un gouvernement sans règle. Daniel, et après lui le président Hénault, ont beau prétendre que les premiers temps de la France sont plus intéressants que ceux de Rome, ils ne s’aperçoivent pas que les commencements d’un si vaste empire sont d’autant plus intéressants qu’ils sont plus faibles, et qu’on aime à voir la petite source d’un torrent qui a inondé près de la moitié de la terre[4].

Pour pénétrer dans le labyrinthe ténébreux du moyen âge, il faut le secours des archives, et on n’en a presque point. Quelques anciens couvents ont conservé des chartes, des diplômes, qui contiennent des donations dont l’autorité est très-suspecte. L’abbé de Longuerue dit que de quinze cents chartes il y en a mille de fausses, et qu’il ne garantit pas les autres.

Ce n’est pas là un recueil où l’on puisse s’éclairer sur l’histoire politique et sur le droit public de l’Europe.

L’Angleterre est de tous les pays celui qui a, sans contredit, les archives les plus anciennes et les plus suivies. Ces actes, recueillis par Rymer, sous les auspices de la reine Anne, commencent avec le xiie siècle, et sont continués sans interruption jusqu’à nos jours. Ils répandent une grande lumière sur l’histoire de France. Ils font voir, par exemple, que la Guienne appartenait au prince Noir, fils d’Édouard III, en souveraineté absolue, quand le roi de France Charles V la confisqua par un arrêt, et s’en empara par les armes. On y apprend quelles sommes considérables et quelle espèce de tribut paya Louis XI au roi Édouard IV, qu’il pouvait combattre, et combien d’argent la reine Élisabeth prêta à Henri le Grand pour l’aider à monter sur son trône[5], etc.

  1. En 1492 ; voyez tome XII, page 376.
  2. L’invention de l’imprimerie en Europe est d’environ 1440 ; voyez tome XI, page 171.
  3. Tome XIV, page 61 ; et XXIV, 543.
  4. On lit la moitié de l’hémisphère dans l’édition de 1765 du Pyrrhonisme de l’Histoire, qui fait partie du tome IV de l’Évangile du jour, et encore dans le tome VII des Questions sur l’Encyclopédie, où le morceau a été reproduit en 1771. Mais, dans le tome VIII de l’Encyclopédie, publié en 1765, à l’article Histoire il y a : la moitié de la terre. (B.)
  5. Dans l’Encyclopédie, en 1765, après le mot etc. venaient les morceaux qui forment aujourd’hui la majeure partie de la troisième section de l’article Histoire dans le Dictionnaire philosophique, tome XIX, page 356.