Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/19
Les temps de la reine Brunehaut ne méritent guère qu’on s’en souvienne ; mais le supplice prétendu de cette reine est si étrange qu’il faut l’examiner.
Il n’est pas hors de vraisemblance que, dans un siècle aussi barbare, une armée composée de brigands ait poussé l’atrocité de ses fureurs jusqu’à massacrer une reine âgée de soixante et seize ans, ait insulté à son corps sanglant, et l’ait traîné avec ignominie. Nous touchons au temps où les deux illustres frères de Witt furent mis en pièces par la populace hollandaise, qui leur arracha le cœur, et qui fut assez dénaturée pour en faire un repas abominable. Nous savons que la populace parisienne traita ainsi le maréchal d’Ancre. Nous savons qu’elle voulut violer la cendre du grand Colbert.
Telles ont été, chez les chrétiens septentrionaux, les barbaries de la lie du peuple. C’est ainsi qu’à la journée de la Saint-Barthélemy on traîna le corps mort du célèbre Ramus dans les rues, en le fouettant à la porte de tous les colléges de l’Université, Ces horreurs furent inconnues aux Romains et aux Grecs ; dans la plus grande fermentation de leurs guerres civiles, ils respectaient du moins les morts.
Il n’est que trop vrai que Clovis et ses enfants ont été des monstres de cruauté ; mais que Clotaire II ait condamné solennellement la reine Brunehaut à un supplice aussi inouï, aussi recherché que celui dont on dit qu’elle mourut, c’est ce qu’il est difficile de persuader à un lecteur attentif qui pèse les vraisemblances, et qui, en puisant dans les sources, examine si ces sources sont pures. (Voyez[1] ce qu’on a dit à ce sujet dans la Philosophie de l’Histoire, qui sert d’introduction à l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations depuis Charlemagme, etc.)
- ↑ Page 154 du tome XI de la présente édition.