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Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/27

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Le Pyrrhonisme de l’histoireGarniertome 27 (p. 280-282).
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CHAPITRE XXVII.

sottise infâme de l’écrivain qui a pris le nom de chiniac de la bastide duclaux, avocat au parlement de paris.

Après cet exposé fidèle, je dois témoigner ma surprise de ce que je viens de lire dans un commentaire nouveau du discours du célèbre Fleury sur les libertés de l’Église gallicane[1]. Je vais rapporter les propres paroles du commentateur, qui se déguise sous le nom de maître Pierre de Chiniac de La Bastide Duclaux, avocat au parlement. Il n’y a point assurément d’avocat qui écrive de ce style[2].

« Si on ne consultait que les Voltaire et ceux de son bord, on ne trouverait en effet que problèmes et qu’impostures dans nos historiens, » Ensuite cet aimable et poli commentateur, après avoir attaqué les gens de notre bord avec des compliments dignes en effet d’un matelot à bord, croit nous apprendre qu’il y a dans Ravenne une pierre cassée sur laquelle sont gravés ces mots : « Pipinus pius primus amplificandæ Ecclesiæ viam aperuit, et exarchatum Ravennæ cum amplissimis…. — Le pieux Pepin ouvrit le premier le chemin d’agrandir l’Église, et l’exarchat de Ravenne avec de très-grands…. » Le reste manque. Notre commentateur gracieux prend cette inscription pour un témoignage authentique. Nous connaissons depuis longtemps cette pierre : je ne voudrais point d’autre preuve de la fausseté de la donation. Cette pierre n’avait été connue qu’au xe siècle : on ne produisit point d’autre monument pour assurer aux papes l’exarchat ; donc il n’y en avait point. Si on faisait paraître aujourd’hui une pierre cassée avec une inscription qui certifiât que le pieux François Ier fit une donation du Louvre aux cordeliers, de bonne foi, le parlement regarderait-il cette pierre comme un titre juridique ? Et l’Académie des inscriptions l’insérerait-elle dans ses recueils ?

Le latin ridicule de ce beau monument n’est pas à la vérité un sceau de réprobation ; mais c’en est un que le mensonge avéré concernant Pepin. L’inscription affirme que Pepin est le premier qui ait ouvert la voie. Cela est faux : avant lui, Constantin avait donné des terres à l’évêque et à l’église de Saint-Jean-de-Latran de Rome jusque dans la Calabre. Les évêques de Rome avaient obtenu de nouvelles terres des empereurs suivants. Ils en avaient en Sicile, en Toscane, en Ombrie ; ils avaient les justices de Saint-Pierre, et des domaines dans la Pentapole. Il est très-probable que Pepin augmenta ces domaines. De quoi se plaint donc le commentateur ? Que prétend-il ? Pourquoi dit-il que l’auteur de l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations « est trop peu versé dans ces connaissances, ou trop fourbe pour mériter quelque attention » ? Quelle fourberie, je vous prie, y a-t-il de dire son avis sur Ravenne et sur la Pentapole ? Nous avouons que c’est là parler en digne commentateur ; mais ce n’est pas, à ce qu’il nous semble, parler en homme versé dans ces connaissances, ni versé dans la politesse, ni même versé dans le sens commun.

L’auteur de l’Essai sur les Mœurs, etc., qui affirme peu, se fonde pourtant sur le testament même de Charlemagne pour affirmer qu’il était souverain de Rome et de Ravenne, et que par conséquent il n’avait point donné Ravenne au pape. Charlemagne fait des legs à ces villes, qu’il appelait nos principales villes. Ravenne était la ville de l’empereur, et non pas celle du pape.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que le commentateur est lui-même entièrement de l’avis de mon auteur : il n’écrit que d’après lui ; il veut prouver, comme lui, que Charlemagne avait le pouvoir suprême dans Rome, et, oubliant tout d’un coup l’état de la question, il se répand en invectives ridicules contre son propre guide. Il est en colère de ne savoir pas quelle était l’étendue et la borne du nouveau pouvoir de Charlemagne dans Rome. Je ne le sais pas plus que lui, et cependant je m’en console. Il est vraisemblable que ce pouvoir était fort mitigé pour ne pas trop choquer les Romains. On peut être empereur sans être despotique. Le pouvoir des empereurs d’Allemagne est aujourd’hui très-borné par celui des électeurs et des princes de l’empire. Le commentateur peut rester sans scrupule dans son ignorance pardonnable ; mais il ne faut pas dire de grosses injures parce qu’on est un ignorant, car, lorsque l’on dit des injures sans esprit, on ne peut ni plaire ni instruire : le public veut qu’elles soient fines, ingénieuses, et à propos. Il n’appartient même que très-rarement à l’innocence outragée de repousser la calomnie dans le style des Philippiques ; et peut-être n’est-il permis d’en user ainsi que quand la calomnie met en danger un honnête homme : car alors c’est se battre contre un serpent, et on n’est pas dans le cas de Tartuffe, qui s’accusait d’avoir tué une puce avec trop de colère[3].

  1. Réflexions importantes et apologétiques sur le nouveau Commentaire de M. l’abbé de Fleury, touchant les libertés de l’Église gallicane, 1766, in-12. (B.)
  2. L’avocat Chiniac est un personnage très-réel ; mais, quoique ce zélé défenseur de l’Église janséniste ait essuyé une accusation juridique d’adultère, et que ces procès fassent toujours rire, il n’en est pas plus connu, et n’a jamais pu réussir à occuper le public ni de ses ouvrages ni de ses aventures. (K.) — Né en 1741, Chiniac mourut en 1802.
  3. Acte I, scène VI.