Le Pyrrhonisme de l’histoire/Édition Garnier/26
On a vu depuis, très-souvent, des consuls et des patrices à Rome, qui furent les maîtres de ce château au nom du peuple. Le pape Jean XII le tenait comme patrice contre l’empereur Othon Ier. Le consul Crescentius[1] y soutint un long siége contre Othon III, et chassa de Rome le pape Grégoire V, qu’Othon avait nommé. Après la mort de ce consul, les Romains chassèrent de Rome ce même Othon, qui avait ravi la veuve du consul, et qui s’enfuit avec elle.
Les citoyens accordèrent une retraite au pape Grégoire VII dans ce môle, lorsque l’empereur Henri IV entra dans Rome par force en 1083. Ce pontife si fier n’osait sortir de cet asile. On dit qu’il offrit à l’empereur de le couronner en faisant descendre sur sa tête, du haut du château, une couronne attachée avec une ficelle ; mais Henri IV ne voulut point de cette ridicule cérémonie. Il aima mieux se faire couronner par un nouveau pape qu’il avait nommé lui-même.
Les Romains conservèrent tant de fierté dans leur décadence et dans leur humiliation que, quand Frédéric Barberousse vint à Rome, en 1155, pour s’y faire couronner, les députés du peuple qui le reçurent à la porte lui dirent : « Souvenez-vous que nous vous avons fait citoyen romain d’étranger que vous étiez. »
Ils voulaient bien que les empereurs fussent couronnés dans leur ville ; mais, d’un côté, ils ne souffraient pas qu’ils y demeurassent, et, de l’autre, ils ne permirent jamais qu’aucun pape s’intitulât souverain de Rome : et jamais en effet on n’a frappé de monnaie sur laquelle on donnât ce titre à leur évêque.
En 1114, les citoyens élurent un tribun du peuple, et le pape Lucius II, qui s’y opposa, fut tué dans le tumulte.
Enfin les papes n’ont été véritablement maîtres à Rome que depuis qu’ils ont eu le château Saint-Ange en leur pouvoir. Aujourd’hui, la chancellerie allemande regarde encore l’empereur comme l’unique souverain de Rome, et le sacré collége ne regarde l’empereur que comme le premier vassal de Rome, protecteur du saint-siége. Telle est la vérité qui est développée dans l’Essai sur les Mœurs, etc.
Le sentiment de l’auteur que je cite est donc que Charlemagne eut le domaine suprême, et qu’il accorda au saint-siége plusieurs domaines utiles dont les papes n’eurent la souveraineté que très-longtemps après.
- ↑ Voyez tome XI, page 345 ; et XIII, 278.