Le Salut par les Juifs/Chapitre 17

La bibliothèque libre.
Joseph Victorion et Cie (p. 65-68).

XVII


Et la Mère des fidèles, glacée d’horreur, continue, dans l’introublable sérénité de sa Liturgie, les Lamentations sublimes :

« Comment est-elle accroupie dans la solitude, la Cité pleine de peuple ? Elle est faite comme une veuve, la Dominatrice des nations ; la Princesse des provinces est devenue tributaire.

« En larmoyant elle a pleuré dans la nuit et ses larmes sont en ses joues ; il n’est aucun de ses bien-aimés qui la console : tous ses amis l’ont méprisée et lui sont devenus ennemis.

« Juda a changé de lieu à cause de l’affliction et du cumul de la servitude. Il a habité parmi les gentils et n’a pas trouvé de repos ; tous ses persécuteurs l’ont appréhendé dans les lieux étroits.

« Les chemins de Sion pleurent parce qu’il n’y a personne qui vienne à la Solennité : toutes ses portes sont détruites, ses prêtres gémissants, ses vierges sordides, elle-même oppressée d’amertume.

« Les étrangers ont été mis à sa tête et ses ennemis se sont enrichis, parce que le Seigneur a parlé sur elle, à cause du grand nombre de ses injustices. Ses tout petits ont été conduits en captivité devant la face de celui qui leur fait tribulation.

« — Jérusalem, Jérusalem, reviens au Seigneur ton Dieu !

« Et de la fille de Sion s’est évadé tout son décor : ses princes ont été faits comme des béliers qui ne trouvent point de pacage et s’en sont allés sans force devant la face de celui qui les pourchassait.

« Jérusalem s’est souvenue du jour de son affliction et de l’inconstance de toutes les choses désirables qui étaient siennes, pour les avoir eues dès les anciens jours, lorsque son peuple tombait dans la main hostile et qu’il n’était point d’auxiliateur. Les ennemis l’ont vue et se sont moqués de ses sabbats.

« Jérusalem a grièvement péché, c’est pourquoi elle a été faite instable. Tous ceux qui la glorifiaient l’ont méprisée, parce qu’ils ont vu son ignominie ; elle-même en gémissant est retournée en arrière.

« Ses ordures sont sur ses pieds et elle n’a pas eu souvenance de sa fin. Elle est mise en bas effroyablement, n’ayant point de consolateur. Vois, Seigneur, mon affliction, puisque l’ennemi s’est dressé.

« — Jérusalem, Jérusalem, retourne-toi vers ton Seigneur Dieu !

« L’adversaire a mis sa main sur toutes les choses désirables qu’elle possédait ; car elle a vu les nations qui étaient entrées dans son sanctuaire, desquelles tu avais commandé qu’elles n’entrassent en ton église.

« Tout son peuple est gémissant et cherchant le pain ; ils ont donné toutes les choses précieuses pour avoir de quoi manger à la réfection de leur âme. Vois, Seigneur, et considère que je suis devenue très vile.

« Ô vous tous qui passez par le chemin, soyez attentifs et voyez s’il est une douleur comme ma douleur ; car le Seigneur m’a vendangée, ainsi qu’il l’a dit au jour du déchaînement de sa fureur.

« Il a envoyé le feu d’en haut dans mes os et il m’a ouvert l’entendement. Il a étendu le filet devant mes pieds, il m’a forcée de retourner en arrière ; il m’a laissée désolée, tout le jour broyée de tristesse.

« Le joug de mes iniquités a veillé dans sa main : elles ont été enroulées et posées à mon cou ; ma vigueur est extrêmement affaiblie et le Seigneur m’a abandonnée à une puissance dont je ne pourrai me délivrer[1].

« — Jérusalem, Jérusalem, amende-toi pour l’amour de ton pauvre Dieu qui t’implore ! »


  1. Office de Ténèbres, 1er nocturne du Jeudi Saint.