Le Sylphe galant et observateur/05
§ V.
Elisca, ou le nouveau Gabriel.
L’enchanteresse que vous voyez,
et qui tournerait la tête à tous les
pairs d’Angleterre, se nomme
Elisca. Son début dans la carrière
amoureuse est neuf et plaisant :
elle avoit à peine quatorze ans,
que, grace à l’influence du tempérament
le plus amoureux, elle
rêvait déjà confusément un
bonheur dont elle devait avoir la réalité
à la première occasion ; une
mère sévère et dévote, faisant
force oraisons à monsieur
Saint-André, l’éloignait par les
moyens les mieux combinés. Cependant
Verteuil, voisin d’Elisca,
la vit et en devint éperduement
amoureux ; mais comment déclarer
son amour, comment s’approcher
de celle qui l’a inspiré,
et franchir toutes les barrières
qu’une dame honnête a élevées
entre sa fille et le plaisir ; l’amour
est un grand maître, a dit Lafontaine ;
il servit Verteuil, qui,
sous des habits de femme, s’introduisit
dans la maison de son
amante, où il fut découvert avant
le dénouement. Elisca, d’abord
grondée, prêchée, menacée de
tous les habitans de l’infernal séjour,
fut ensuite conduite dans
un couvent, et bien invitée à y
oublier Satan, ses pompes et ses
œuvres. Verteuil, dont l’amour
croissait avec les obstacles, ne
perdit point l’espérance, et, après
de longues et pénibles recherches,
fut assez heureux pour découvrir
la prison d’Elisca. — Ah ! je
respire, dit alors Bel-Rose
Mais attendez, répondit le
diable, nous ne sommes pas
au dénouement : découvrir le couvent,
ce n’était rien ; y pénétrer
était le point important et principal.
Imaginez un de ces vilains
châteaux décrits par la lugubre
R**. ; des tours bien antiques
dans une espèce de désert, un
pont-levis, des souterrains consacrés
aux plus affreux mystères,
des grilles, une tourrière bien
vieille, point bavarde, point sensible,
point gourmande et buvant
de l’eau ; enfin, deux chiens cent
fois plus terribles que les gardiens
de la toison fameuse livrée par
Médée à l’infidèle Jason (9). Tels
étaient les obstacles dont il fallait
triompher : Verteuil n’en fut pas
effrayé. Secondé par le plus coquin
comme le plus ingénieux des
Frontins, il se trace un plan, et
s’écrie, avec cet enthousiasme qui
donne le pressentiment du succès :
la place est à moi ! Cerbères, religieuses,
tourrières, vous serez
tous vaincus ; et toi, mon Elisca,
tu verras enfin ta couche solitaire
et si long-tems mouillée de larmes,
devenir le théâtre et le témoin des
plaisirs qu’appelle sans doute, que
devine ton instinct virginal, et
pour lesquels la bienfaisante nature
paraît avoir formé tes charmes
et ton cœur. — Il dit et part. —
Mais quels étaient ses moyens et
son appareil de siège ? — Patience :
ni canons, ni tambours, ni trompettes ;
mais un léger esquif, une
échelle de cordes, deux gigots de
mouton et un costume de diable,
complété par une lanterne qui servait
de coëfure, et contenant elle-même
plusieurs lampions renfermés
dans des verres diversement
colorés et taillés à facettes. Ce que
Verteuil avait prévu, ce que vous
devinez arriva : avec l’esquif, il
suppléa au pont-levis et parvint
dans la cour du couvent ; les gigots
de mouton, livrés en entrant aux
deux cerbères, les occupèrent
trop, pour leur laisser le tems
de mordre ou d’aboyer, et cette
première séduction fut complette ;
à l’aide de l’échelle de soie, fixée
avec un crochet au sommet du
rampart d’un second bâtiment, le
mur fut franchi ; et après avoir
disposé convenablement toute son
illumination, Verteuil, en habit
couleur de feu, muni d’aîles diaboliques
et de sa coëfure en lampions,
se présente à la tourrière,
lui ordonne, au nom du Ciel,
d’ouvrir à son ministre Gabriel,
tout illuminé des feux de la vérité,
pour éclairer sœur Saint-Agathe :
(c’était le nouveau nom d’Elisca)
la vieille tourrière, transie de
peur, stupéfaite d’admiration,
fléchit le genou devant le ministre
du très-haut, et le conduit elle-même
à la cellule de la sœur que
le Dieu tout-puissant veut mettre
dans la grande route du salut et
de la vie éternelle.
Au nom du Ciel, ouvrez à son ministre Gabriel,
tout illuminé des feux de la vérité, pour éclairer
Sœur Ste. Agathe. — Qui fut
surpris de la visite de l’ange ? ce
fut la charmante Elisca. Au moment
de son entrée, elle se disposait
à placer entre deux draps
des charmes que préliminairement
elle cherchait à défendre contre
les puces, et qu’en même tems
elle admirait en songeant au plaisir
que leur possession donnerait
à son amant. Verteuil, heureux
Verteuil, il surprend Elisca occupée
de cet exercice enchanteur :
Elisca, effrayée, éperdue, ne le
reconnaît pas au premier aspect ;
mais bientôt sa crainte et ses inquiétudes
se dissipent, l’amant
est reconnu et applaudi ; cependant
sa victoire n’est pas obtenue
sans combats : Elisca, abusée par
de vains préjugés, veut lutter
contre son amant et contre ses
désirs ; une robe envieuse, rapidement
saisie, cache ses charmes
au regard indiscret, et une prière
fervente est adressée à Verteuil,
pour l’engager à des respects et
à une retenue que la violence de
son amour lui rend impossibles.
Non, s’écrie-t-il avec force ; ce
bonheur qu’appellent tes veux et
les miens, ne peut être un crime :
ne résiste pas à mes tendres efforts,
rends-moi caresses pour
caresses, et loin de placer entre
nous ce rampart de vêtemens que
je déteste, sois sans voile comme
sans crainte, et ne connais plus
d’autre pouvoir que celui de l’amour.
Elisca ne répond pas, mais
veut encore résister : cette robe,
qu’elle a reprise, est entr’ouverte
malgré ses efforts ; sa bouche,
qu’elle ne peut plus dérober à
celle de Verteuil, reçoit le premier
baiser de l’amour. Alors plus
de résistance, tout son être a
changé : son ame s’est confondue
avec celle de l’amant le plus
tendre ; moins timide, sa langue
voluptueuse cherche le trait enflammé
qui l’a touchée, l’irrite,
l’irrite encore, et conduit, par
les plus douces agitations, à une
première convulsion de volupté.
Dès ce moment, plus de retenue ;
Elisca elle-même laisse tomber
sa tunique, s’affranchit des voiles
qui la couvrent ; et Verteuil, fortement
armé par la nature, met
dans la main de sa maîtresse l’instrument
de leurs nouveaux plaisirs ;
Elisca détourne les yeux ;
mais au même instant elle est précipitée
sur sa couche : sa chemise,
le seul voile qui lui reste, est entièrement
soulevé ; placé entre
ses cuisses, qu’il écarte et soutient,
son amant se présente à l’entrée
d’un azyle dont le contour
se couvrait à peine d’un léger duvet,
et dont l’ouverture virginale
fut pourtant déjà disposée au plaisir,
par les essais d’un bonheur
solitaire. Aucun moment, aucun
effort n’est perdu : Elisca répond
aux transports de son amant ; ses
tétons, sa bouche, ses jolies
fesses, excitées par des carresses
stimulantes, tout est de la
partie : l’intrépide Verteuil fait
des progrès ; il avance, Elisca
souffre ; mais, courageuse, son
sang qu’elle voit couler redouble
son ardeur, et, au même instant,
un coup nerveux fait entrer le couteau
sacré qui la déchire. La douleur
et le plaisir se succèdent
alors ; mais le dernier demeure,
la douleur est oubliée, et, après
des secousses plus vives et plus
faciles, Verteuil et Elisca, confondus,
pamés, sentent les approches
du bonheur, les proclament
par leurs accens entrecoupés,
répandent la liqueur enchanteresse,
et terminent enfin avec cette plénitude
de volupté qui caractérise
les premières jouissances de l’amour.
Grace à l’heureux stratagême
de Verteuil, la cellule de
sœur Sainte-Agathe fut, pendant
plusieurs mois, un temple d’amour
et de plaisirs. Cependant, toutes
les sœurs, quoiqu’honorées de la
visite fréquente d’un ange, parurent
avoir quelques soupçons,
et, pour ne pas s’exposer aux
suites fâcheuses qu’ils pouvaient
avoir, Elisca fut enlevée et conduite
à Paris, où elle a vécu pendant
deux ans avec son amant.
Plusieurs lui ont succédé, et la
belle Elisca, presqu’aussi aventureuse
que cette Aline dont Bouflers
a crayonné l’histoire, est arrivée,
après avoir dépensé plusieurs
millions, au point de se
trouver placée parmi les très-publiques
prêtresses de Vénus, dont
elle exerce la profession avec autant
de gaîté que de philosophie.
Après avoir terminé ces deux intéressantes histoires, non moins dignes de la plume éloquente et sacrée de Laharpe, que le cantique des cantiques, le diable voulut quitter Bel-Rose ; mais pressé par ses vives sollicitations, il consentit à continuer ses voyages, dont voici quelques nouveaux résultats.