Le Système d’Aristote/Chapitre XVI

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Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 280-296).

SEIZIÈME LEÇON


L’INFINI, L’ESPACE, LE VIDE, LE TEMPS

La physique a pour objet le changement, avec tout ce qu’il implique en fait d’êtres et de relations sensibles. Aristote, dans celui de ses ouvrages par lequel il ouvre la série de ses spéculations physiques, commence donc par montrer comment le changement est possible, puis par définir le principe du mouvement, et ensuite les diverses espèces du changement. Mais, arrivé à ce dernier point, il ne continue pas immédiatement l’étude du changement et du mouvement. Avant de pénétrer jusqu’au cœur de ces phénomènes fondamentaux, il s’arrête pour s’occuper de certaines généralités qui doivent, dit-il, être étudiées avant les déterminations plus spéciales du changement et du mouvement. Le mouvement en effet est, suivant l’opinion générale, quelque chose de continu ; or le continu est le premier siège de l’infini. De plus, toujours suivant l’opinion générale, le mouvement n’est pas possible sans l’espace, sans le vide et sans le temps. Une fois donc qu’il a indiqué la définition du mouvement et les espèces du changement, Aristote étudie l’infini, l’espace, le vide et le temps (Phys. III, 1 déb. à 200 b, 25). Comme ces quatre choses ne supposent, parmi les caractères du changement et du mouvement, que les plus extérieurs et les moins contestés, il n’y a sans doute aucun inconvénient à en présenter d’abord la théorie de façon à pouvoir suivre après cela, d’un trait, celle du mouvement.

Il y a cinq raisons de penser que l’infini existe. D’abord l’infinité est un caractère essentiel du temps. Ensuite les grandeurs mathématiques se divisent à l’infini. En troisième lieu on peut penser qu’il faut un infini pour alimenter sans fin la génération des substances. De plus on peut penser que toute limite suppose un au delà, de sorte qu’on s’avance sans fin au delà d’une limite, puis d’une autre. Enfin, comme la pensée va toujours de l’avant, la série des nombres, l’accroissement des grandeurs ou étendues mathématiques, la progression dans un espace extérieur au monde apparaissent comme autant d’infinis (Phys. III, 4, 203 b, 15-25).

Comment donc faut-il concevoir l’existence de l’infini ? L’infini existe-t-il en lui-même et par lui-même sans support d’aucune sorte, de façon à ce qu’il soit une substance ? Ainsi l’ont envisagé les Pythagoriciens et Platon. Mais l’infini n’est infini que s’il est divisible et constitué par une infinité de parties ; car autrement il ne s’opposerait au fini que comme appartenant à un autre genre : il serait infini comme la voix est invisible. Le véritable infini est donc divisible. Or la divisibilité n’existe que dans la grandeur ou dans la pluralité[1]. C’est dire que l’infini n’est pas une chose en soi, que c’est un simple attribut de la grandeur et du nombre (5 déb. à 204 a, 19 ; 4, 203 a, 4). Si d’ailleurs l’infini, en même temps qu’il serait une substance, était pourtant divisible, chacune de ses parties, retenant la nature de la substance à laquelle elle appartiendrait, serait elle-même infinie : de sorte que, dans l’unité de l’infini, il y aurait une pluralité d’infinis (5, 204 a, 20-26). L’infini existera-t-il donc en tant que qualité d’un support, ainsi que l’ont pensé, sans aucune exception, tous ceux des Physiologues qui ont cru à l’existence de l’infini (4, 203 a, 16) ? Contre cette thèse les arguments d’Aristote sont de deux sortes. Comme il entend examiner l’infini en physicien (5, 204 b, 1), c’est à ses arguments les plus physiques (φυσικῶς μᾶλλον 204 b, 10) qu’il attache le plus d’importance, et c’est d’eux qu’il parle en dernier lieu. Pour nous au contraire, ce sont les arguments les plus logiques, bien que déjà physiques à quelque degré dans la pensée d’Aristote (λογικῶς b, 4), qui nous intéressent le plus, aussi les réserverons-nous pour la fin. — Voyons ses arguments les plus physiques. Le corps infini des Physiologues est-il composé ? Si chacun des éléments qui le composent est fini, le tout est fini. D’autre part, il est impossible qu’ils soient tous infinis ; car un infini ne laisse pas de place pour autre chose que lui. Enfin, si, les autres éléments étant finis ; l’un d’eux est infini, cet élément, fût-il le moins agissant de tous, l’emportera pourtant sur tous les autres et les ramènera à sa propre nature ; de sorte que, dans ces conditions, il n’y aura pas de composé possible (5, 204 b, 10-23). Le corps infini serait donc un corps simple. Mais il n’y a pas de corps simple unique, soit qu’on entende par là l’un des quatre éléments, tel le feu d’Héraclite, soit au contraire qu’il s’agisse de l’Infini d’Anaximandre, supérieur aux quatre éléments. Un tel corps n’existe pas, puisqu’on ne l’a jamais aperçu au terme d’aucune corruption (5, 204 b 22-205 a, 7 ; cf. 4, 203 b, 10). Mais l’argument physique qu’Aristote estime le plus considérable, parmi ceux qu’il oppose à l’existence de l’infini, est certainement celui qu’il tire de sa doctrine sur le lieu. Tout corps a un lieu naturel. Or un lieu est quelque chose de déterminé et de fini. Le haut et le bas, qui sont des déterminations spatiales, réelles en soi et non pas seulement par rapport à une position que nous occupons, n’auraient aucun sens dans l’infini. Ils désignent des régions limitées de l’espace : le haut, c’est ce qui est éloigné du bas au maximum, et le bas est ce au-dessous de quoi on ne peut descendre, et, d’autre part, ce qui occupera le bas sera séparé par une limite ou par des intermédiaires de ce qui occupera le haut. Dans ces conditions il n’est pas possible que rien de corporel soit infini (5, 205 a, 8-fin du ch.). — Restent maintenant les arguments moins physiques et plus logiques que nous avions ajournés. Il y en a deux. Le premier se fonde sur la définition du corps en général. Qu’est-ce qu’un corps ? C’est ce qui est limité par une surface. D’après cela il ne saurait y avoir de corps infini, que ce corps soit d’ailleurs sensible ou qu’il soit intelligible, c’est-à-dire mathématique. Le second argument s’appuie sur la nature du nombre. Considérons, non pas la série des nombres, mais un nombre réalisé et existant par lui-même (κεχωρισμένος), un tel nombre ne peut pas être infini. En effet un nombre, c’est ce qui est nombrable ou ce qui est déjà nombre ; dans le cas même où un nombre est seulement quelque chose de nombrable, puisque ce nombrable peut, par définition, être nombre, le nombre n’est pas infini. S’il l’était, ce serait donc qu’on peut accomplir et achever le parcours de l’infini ; car nombrer, c’est parcourir (5, 204 b, 5-10). Et dans le VIIIe livre de la Physique, exposant une forme nouvelle qu’on avait donnée à l’argument zénonien de la dichotomie, Aristote dit : « de cette façon, quand le mobile a parcouru la totalité de la ligne, il arrive qu’il a nombre un nombre infini ; mais cela, d’un commun accord, est impossible[2] ». Ainsi il est démontré que l’infini n’existe pas, du moins au sens plein du mot exister.

Cependant il est impossible de nier d’une façon absolue l’existence de l’infini. En effet, si nous nous reportons aux cinq raisons que nous avons indiquées d’admettre l’infini, on voit que certaines se laissent écarter, et non toutes. Il n’y a pas besoin d’un infini pour alimenter la génération des substances, parce que cette génération est circulaire : la génération d’un élément est la corruption d’un autre : on passe ainsi sans fin d’un élément à l’autre (8, 208 a, 8-11). Il n’est pas exact que toute limite suppose un au-delà, attendu que être limité et toucher à autre chose sont des notions qui ne se confondent pas : car la première de ces notions ne signifie pas, comme la seconde, une relation (ibid., 11-14). La marche en avant de la pensée ne prouve rien quant à la réalité de l’infini ; car le fait de penser qu’un homme se trouve en dehors de la ville ne prouve pas qu’il se trouve effectivement à cet endroit (ibid., 14-19). Mais les autres raisons d’admettre l’infini subsistent. Il faut bien que le temps n’ait ni commencement ni fin, que les grandeurs se divisent en grandeurs à l’infini, que la série des nombres soit infinie (ch. 6, déb.). La seconde de ces raisons surtout est puissante ; elle est la vraie raison d’être de l’infini. En effet la grandeur, c’est-à-dire avant tout l’étendue, ne se compose pas de points qui se toucheraient, puisque, se touchant, les points se confondraient, de sorte qu’avec autant de points qu’on voudra on n’aurait jamais qu’un seul point. Donc les points, dans la grandeur, sont séparés l’un de l’autre (cf. par ex. Gen. et corr. I, 3, 317 a, 11). Cela revient à dire que la grandeur est composée de parties qui sont situées les unes par rapport aux autres (Cat. 6, déb.), ou, comme nous disons en langage moderne, extérieures les unes aux autres. Mais des parties extérieures les unes aux autres ne feraient pas un tout, ou quelque chose d’un, si elles ne faisaient que se suivre, fût-ce en se touchant ; il faut encore qu’elles soient continues l’une avec l’autre[3], car la continuité consiste précisément dans l’identité de limite entre choses qui se suivent, une même limite étant terme d’une partie et commencement de l’autre[4]. Il suit de là, d’une part, qu’il n’y a pas de morceaux isolés l’un de l’autre dans une grandeur, mais, d’autre part aussi, qu’on pourrait partout opérer l’isolement de deux parties en dédoublant leur commune limite. En un mot une grandeur est essentiellement divisible à l’infini : il n’y a pas de lignes insécables (5, 206 a, 17). — Puis donc qu’on ne peut se passer de l’infini et qu’il ne peut non plus exister au sens plein, il faut lui reconnaître une existence inférieure à l’existence pleine, et cependant distincte du néant. Ce mode intermédiaire d’existence, qu’Aristote reconnaît d’une manière générale et dont la solution du problème de l’infini n’est qu’une application particulière, c’est la puissance. L’infini, qui ne saurait exister en acte, existe en puissance. Mais il faut voir de quelle sorte de puissance il s’agit. Une statue existe en puissance dans un bloc de marbre. Sous les conditions voulues cette puissance deviendra acte, et nous aurons sous les yeux un Hermès, par exemple, complètement réalisé. Tel ne saurait être le cas de l’infini, puisque précisément il ne peut jamais exister en acte. L’espèce de puissance qu’il est reste toujours une puissance. Nous verrons plus tard qu’il y a au moins une autre puissance de cette sorte, à savoir le mouvement ; car il est passage entre deux extrêmes et s’évanouit dès qu’il atteint son terme. Comme le mouvement, l’infini n’est rien de substantiel ; il est toujours en voie de génération ou de corruption. En langage moderne, nous dirions que c’est un processus[5]. Ainsi compris, non seulement l’infini n’est que matière ; il est même moins encore : il est privation dans ce sujet ou matière qu’est le continu[6]. Il convient de le définir, non pas par un attribut positif, mais par une négation. Au lieu qu’il soit, comme on l’a dit, ce en dehors de quoi il n’y a rien, il est au contraire ce en dehors de quoi il y a toujours quelque chose (6, 207 a, 1). Anaximandre, lorsqu’il lui reconnaissait un prestige particulier (σεμνότης), le définissait de la manière positive, et c’était se tromper entièrement (ibid. 207 a, 17-21 ; cf. 4, 203 b, 10-15). L’infini est l’imparfait, car le parfait c’est l’achevé (207 a, 10-15). Aussi la nature évite-t-elle partout l’infini autant qu’elle peut, puisque ce qu’elle vise c’est un terme fixe (De gen. an. I, 1, 715 b, 14). — En conséquence de cette manière de comprendre l’infini, Aristote rejette, bien entendu, l’infini de composition (τὸ κατὰ τὴν πρόσθεσιν ἄπειρον), en ce sens qu’on pourrait, par la composition, réaliser un tout infini. Il n’y a point de corps infini. Le ciel est fini et nous avons vu que le fait d’être limité ne suppose pas un au-delà. Le seul infini qui mérite considération est celui de la division (κατὰ διαίρεσιν ou ἀφαιρέσει) toujours inachevée. S’il y a un infini de composition, c’est celui qui serait l’inverse de l’infini de division (6, 206 b, 3-6 et 24-27).

Les théories de l’espace, du vide et du temps sont exposées suivant cet ordre dans le IVe livre de la Physique.

Le mot dont se sert Aristote, pour désigner l’espace est τόπος. Ce mot signifie plutôt encore le lieu que l’espace. C’est que pour Aristote, comme on verra, il n’y a pas d’autre espace que le lieu. Peut-être nous arrivera-t-il d’ailleurs d’employer alternativement les deux termes.

L’étude de l’espace s’impose au physicien, d’abord parce que tout être, ou du moins tout être sensible (Phys. IV, 1, 208 b, 28), est dans l’espace et parce que le mouvement local est le premier et le plus général des mouvements (ibid., déb. du ch.). C’est d’ailleurs, dit Aristote, une étude nouvelle ; car les philosophes antérieurs n’ont point résolu les difficultés que soulève la nature de l’espace, puisque Platon seul a essayé de dire ce qu’il est, et ils n’ont même pas, à l’exception de Zénon d’Élée, appelé l’attention sur quelques-unes au moins de ces difficultés (1, 208 a, 32 et 2, 209 b, 17). Relativement à l’existence de l’espace il n’y a pas de contestation, bien que peut-être il pût y en avoir quand on a compris les difficultés que soulève sa nature. Mais l’existence de l’espace se présente tout de suite comme fortement appuyée sur deux faits, qui sont d’ailleurs connexes. L’un est la substitution d’un corps à l’autre dans un même lieu (ἀντιμετάστασις) ; l’autre est le mouvement local (1, 208 b, 1-8 et 4, 211 a, 11-17). Par ces deux faits l’espace se détache des corps et se pose en lui-même. Puis un troisième fait survient, qui achève de faire ressortir la réalité de l’espace, une réalité très proprement physique cette fois et, pour ainsi dire, qualitative : caractère qu’Aristote exprime en disant que l’espace possède τινὰ δύναμιν. Le fait en question est l’existence dans l’espace de déterminations qui lui sont essentielles et qui apparaissent comme la cause, ou l’une des causes, du mouvement naturel des corps : le droit et le gauche et surtout le haut et le bas (1, 208 b, 8-22). La réalité de l’espace paraît si bien établie par ces divers faits qu’on peut songer un moment à se demander s’il n’est pas le premier et le plus fondamental des êtres (ibid. 208 b, 29-209 a, 2).

Mais il faut voir quelles difficultés on rencontre quand on entreprend d’assigner sa nature. Comme il a, ou paraît avoir, les trois dimensions, cette propriété, qu’il partage avec les corps, fait qu’on est tenté tout d’abord de voir en lui un corps, bien que, comme nous l’avons dit, il se distingue des corps. Cependant, s’il est un corps, il y aura, ou il pourra y avoir, deux corps à la fois dans le même lieu (ibid. 209 a, 2-7). D’ailleurs il faut un lieu pour les surfaces et les autres limites, aussi bien que pour les corps ; l’espace, puisqu’il est ainsi requis par des choses abstraites, ne serait donc pas une chose concrète, et, par conséquent, ne serait pas un corps. Néanmoins l’espace a une grandeur réelle et non pas seulement idéale. Or avec des êtres de raison on ne fait aucune grandeur réelle (ἐκ δὲ τῶν νοητῶν οὐδὲν γίνεται μέγεθος) (ibid. 209 a, 8-18). Admettons que l’espace soit le contenant des corps : deux difficultés vont se présenter. D’abord il faudra se demander avec Zénon dans quoi est l’espace, si tout être est dans l’espace (209 a, 23-26). En second lieu, si l’espace est un être, que faut-il penser de l’espace qui sert de lieu aux êtres en voie d’accroissement ? Comme le lieu d’un corps doit être de même étendue que ce corps, l’espace va donc avoir sa croissance, comme l’être en voie d’accroissement qu’il renferme (209 a, 26-29) ? — Il convient évidemment de distinguer deux sortes de lieux : le lieu qui est commun à plusieurs corps, comme quand on dit que la terre est dans le ciel ; parce qu’elle est dans l’air, qui est lui-même dans le ciel (τόπος κοινός), et le lieu propre (τόπος ἴδιος), celui où chaque chose est immédiatement contenue (2, déb.). Mais, cette distinction faite, le lieu qui mérite vraiment son nom, le lieu propre, va apparaître connue embrassant et limitant le corps qu’il contient, c’est-à-dire comme la forme de ce corps (2, 209 b, 1-5). Or, d’autre part, en tant qu’il paraît posséder les dimensions de l’étendue (διάστημα τοῦ μεγέθους), c’est-à-dire en tant qu’il paraît s’étendre entre les limites, l’espace se présente comme étant la matière des choses, et telle est précisément la première en date des conceptions définies de l’espace, la conception de Platon dans le Timée (209 b, 5-17). Il est donc difficile de connaître la nature de l’espace (209 b, 17-20), et même les difficultés de se faire de l’espace une conception quelconque sont telles qu’on pourrait aller jusqu’à douter de l’existence de l’espace (1 fin).

Quelque embarras que puissent causer les difficultés ainsi rassemblées, leur exposition, et aussi l’ordre dans lequel elles sont rangées, préparent une solution. Cette solution, qui sera fournie par une bonne définition de l’espace, Aristote achève de s’en rapprocher en considérant une dernière fois, et de plus près, les deux tentatives opposées pour définir l’espace, ou par la forme, ou par la matière, et en cherchant dans une distinction des divers sens de l’expression « être dans quelque chose » un moyen de mieux préciser l’idée du rapport spatial de contenu à contenant et d’écarter la difficulté proposée par Zénon. — Les difficultés sur la nature de l’espace qu’Aristote a eu soin de ranger à la suite et au-dessus de toutes les autres sont celles que soulève l’application à cette essence des idées de matière et de forme. Et en effet, tout en nous laissant encore loin du but, il est incontestable que la tentative d’employer ces deux notions à définir l’espace nous prépare à comprendre ce qu’il est effectivement. L’espace ne peut pas être la matière des choses, parce qu’il les enveloppe et les limite, tandis que la matière est l’indéfini qui est entre les limites (2, 209 b, 31). Mais il y a une raison commune qui empêche l’espace d’être forme comme d’être matière, c’est qu’une forme et une matière sont l’une et l’autre inséparables de la substance dont elles sont éléments. Au contraire, en vertu du fait capital de l’ἀντιμετάστασις, l’espace, au lieu d’être une partie ou une habitude des corps, est séparé des corps (χωριστὸς ὁ τόπος ἑκάστου) (ibid. 209 b, 17-20). — Si maintenant nous essayons de nous rendre compte avec quelque exactitude de ce qu’il faut entendre par « être dans quelque chose », nous allons voir se préciser notre conclusion que l’espace n’est ni la matière, ni la forme, et qu’il est distinct de ce qu’il renferme. L’expression « être dans » a évidemment beaucoup de sens : par exemple, le sujet est dans l’attribut, c’est-à-dire dans l’extension de l’attribut, et l’attribut est dans le sujet, c’est-à-dire dans la compréhension du sujet ; et même le sort des Grecs est dans les mains du roi de Macédoine. Mais le sens le plus propre de « être dans », c’est celui qui se rapporte à l’espace. Or, à ce point de vue, que faut-il entendre par l’expression dont il s’agit ? Peut-on dire qu’une chose est dans elle-même ? Oui, si on considère une chose qui se divise en deux parties : dire, par exemple, qu’une amphore de vin est dans elle-même, c’est dire que le vin, d’une part, et, d’autre part, l’amphore sont, à titre de parties, dans le tout qu’est l’amphore de vin. En un mot on dit très bien : dans une amphore de vin, dans le volume total que fait une amphore de vin, il y a l’amphore et le vin, il y a place pour l’amphore et le vin. Mais une chose ne peut être mise ainsi dans elle-même que médiatement, grâce à l’intervention de l’idée de totalité, opposée à celle des parties Si, au contraire, on considère une chose en bloc, et si l’on se demande ce qu’on entend lorsqu’on dit que cette chose est immédiatement dans quelque chose, on s’aperçoit que ce quelque chose est une autre chose, que c’est une chose extérieure à celle qui est dans elle, que c’est « comme un vase[7] ». Quant à la difficulté soulevée par Zénon, à savoir dans quoi sera l’espace, question à laquelle il faut bien répondre sous peine de se perdre dans un procès à l’infini, la réponse est que l’espace est dans autre chose que lui : mais que Zénon a cru à tort que l’expression « être dans » devait continuer à recevoir, quand on l’applique au tout même de l’espace, son sens propre ou spatial. Le tout de l’espace est dans autre chose comme une propriété est dans un sujet, une habitude dans une matière, une limite dans le corps qu’elle limite (3, 210 b, 22-27 ; cf. 5, 212 b, 27 sq.). Quoi qu’il en soit d’ailleurs de cette difficulté, la détermination du sens propre de l’expression « être dans » nous fait voir une fois de plus que l’espace n’est ni matière ni même forme (3, fin).

Grâce à cette préparation, nous voilà mis en mesure et en demeure d’apercevoir la véritable nature de l’espace. Nous touchons à la définition exacte, capable de rendre compte de toutes les propriétés et de résoudre toutes les difficultés que nous avons signalées (4 déb.). L’espace, avons-nous dit, est « comme un vase ». C’est là une métaphore sans doute, mais si juste qu’elle exprime adéquatement la nature de l’espace, à l’exception d’un seul trait. Un vase se transporte, l’espace non : un vase c’est un lieu transportable ; l’espace est un vase qu’on ne peut mouvoir[8]. Il n’y a qu’à traduire cette image en termes abstraits pour obtenir la définition cherchée : « L’espace est la limite immobile et immédiate du contenant[9] ». La proposition que cette limite est immédiate veut dire qu’elle enveloppe sans aucun intermédiaire le contenu. Il faut bien comprendre d’ailleurs que la limite, ainsi caractérisée, du contenant est contiguë (ἐχόμενον) et non pas continue (συνεχές) avec celle du contenu. Il ne peut y avoir ici continuité : il faut que le contenant et le contenu soient séparés l’un de l’autre, autrement il n’y aurait pas rapport de contenu à contenant mais de partie à tout. Mais, si la continuité est, comme nous le savons, une identité de limite, la contiguïté est simplement une coïncidence de limites[10], et la coïncidence n’empêche pas la dualité.

Cette définition de l’espace rend évidemment compte des propriétés et résout les difficultés signalées par Aristote. Parmi les difficultés qu’elle peut soulever à son tour, il y en a une qu’Aristote s’est efforcé de résoudre, mais dont, par malheur, il n’a donné qu’une solution assez obscure. Que l’univers ne soit pas dans l’espace parce qu’il n’y a rien au-delà du ciel (5 déb. et 212 b, 8-10), c’est là une doctrine qu’on peut contester, mais qui est du moins parfaitement nette. Ce qui interdit à Aristote de nous laisser sur cette impression de netteté, c’est que le ciel se meut ; or se mouvoir c’est se détacher d’une limite contiguë. Assurément le ciel est immobile en ce sens qu’il n’est animé d’aucun mouvement de transport. Mais il se meut circulairement. Si donc on considère une partie de la sphère du premier ciel, cette partie change de lieu et, à plus forte raison, a un lieu. Ce lieu, nous dit Aristote, c’est la limite immobile continue au premier mû. La difficulté est de comprendre à quoi appartient cette limite, puisqu’il n’y a rien en dehors du premier ciel. Sans doute la limite du premier ciel peut se dédoubler par la pensée et, sous un de ses aspects, toucher seulement le premier ciel. Seulement une limite idéale n’en est pas une pour Aristote, c’est un attribut sans sujet[11].

Le caractère de la doctrine d’Aristote sur l’espace, et ce qui en fait la force, est justement de ne pas se payer d’abstractions en guise de notions complètes. Assurément c’est un esprit réalistique qui anime sa théorie, et c’est à parler aux sens et à l’imagination qu’il s’est attaché, plutôt qu’à satisfaire la raison. Toutefois, sous quelque inspiration que ç’ait été, il y avait du mérite à ne pas faire de l’espace un être. Il ne serait pas juste de reprocher à Aristote de n’avoir pas assez dégagé et assez abstrait la notion d’espace, si l’on entend par là qu’il n’a pas considéré l’espace comme un pur intervalle sans limites, comme un vague milieu homogène. C’est justement là ce qu’il n’a pas voulu faire. L’espace, pour lui, est si peu l’intervalle qu’il n’est même pas l’intervalle limité ; c’est exclusivement la limite. Voilà pourquoi sa doctrine de l’espace est plutôt une doctrine du lieu, conception unilatérale sans doute, mais nette et forte. Comme plus tard Leibnitz, il a laissé dans l’ombre, autant qu’il l’a pu, le caractère quantitatif de l’espace, ce qui répond d’ailleurs chez lui à la répugnance que nous lui avons vu éprouver contre l’infini.

C’est le même esprit que nous allons retrouver dans ses théories du vide, puis du temps.

Anaxagore s’est inutilement attaché à démontrer que le vide ne consiste pas dans l’absence de tout corps autre que l’air et que l’air est lui-même un corps. Le vide vrai, celui que tout le monde entend par le mot vide, c’est le vide de Leucippe et de Démocrite, une étendue (διάστημα) autre que les corps (6, 213 a, 22-213 b, 2). Bref le vide c’est le lieu privé de contenu, le lieu privé de corps (6 déb. et 7 déb.). Les deux grandes raisons qu’on croit avoir d’admettre le vide sont que, sans le vide, le mouvement serait impossible (6, 213 b, 4-7) et que, sans le vide, seraient impossibles aussi les changements de densité dans les corps. Comment expliquer par exemple que, dans un vase rempli de cendre, on puisse faire tenir encore autant d’eau que s’il n’y avait pas de cendre et, par conséquent, doubler la quantité de matière contenue dans le vase (213 b, 14-22) ?

Mais ces raisons ne valent pas, et l’existence du vide est plus qu’inutile : elle est inadmissible. Le mouvement local n’exige pas le vide ; car ce mouvement peut s’expliquer par le fait que certains des corps se retirent à mesure que d’autres avancent, les uns prenant la place des autres, comme il arrive dans les tourbillons qu’on observe dans les liquides (7, 214 a, 28-32). Le mouvement local n’est pas d’ailleurs le seul mouvement : l’altération, qui est la transformation en masse d’un corps donné sans transport de cette masse, resterait possible dans le plein en tout état de cause (214 a, 26-28). Et ce n’est pas tout. Bien loin d’être requis par le mouvement, le vide rendrait le mouvement impossible, et cela établit que le vide n’existe pas. Si l’on suppose un corps placé dans le vide, le vide, en s’ouvrant à lui, au lieu de le mettre en mouvement, l’empêchera de se mouvoir ; car le corps n’aura pas de raison pour aller dans une direction plutôt que dans une autre (8, 214 b, 28-215 a, 1). Il ne pourrait pas y avoir de mouvement forcé (ἡ βίαιος κίνησις), c’est-à-dire contre nature (παρὰ φύσιν), s’il n’y avait auparavant des mouvements naturels ; or comment y aurait-il des mouvements naturels dans le vide infini où il n’existe ni haut ni bas (8, 215 a, 1-14) ? Viennent ensuite deux arguments, aussi erronés que célèbres, et qui reposent l’un et l’autre sur ce fait qu’Aristote ne soupçonnait pas la notion de masse. Le premier se ramène en somme à ceci : toutes choses égales d’ailleurs, un mobile parcourt un milieu avec d’autant plus de vitesse que ce milieu est moins résistant, c’est-à-dire, dans l’hypothèse du vide, moins plein. Si nous supposons que, dans les conditions indiquées, un mobile ait à traverser un espace absolument vide, la résistance de ce milieu étant comme zéro par rapport à un nombre, il faudra que le mobile le parcoure avec une vitesse infinie (215 a, 24-216 a, 11). Le second argument prend pour point de départ que les vitesses de chute d’un corps grave (ou d’ascension d’un corps léger) sont proportionnelles aux poids (ou à la légèreté) de ces corps, et que la raison de cette loi des vitesses serait qu’un corps pesant, par exemple, écarte d’autant mieux les obstacles qu’il pèse davantage. Comme il n’y a pas de résistance dans le vide absolu, deux corps de poids différent y tomberaient avec des vitesses égales (216 a, 11-21). Pour ce qui est des changements de densité, ils peuvent s’expliquer parce qu’un corps en chasse un autre, comme on expulse un noyau en pressant un fruit (ἐκπυρηνίζειν) : ainsi fait sans doute, par rapport à l’air, l’eau qu’on verse dans un vase rempli de cendre (7, 214 a,32-b, 1). Enfin les changements de grandeur ne s’expliquent pas par une introduction ou une élimination de vides dans un corps, mais par le moyen de l’altération qui entraîne par elle-même des changements de grandeur : la grandeur d’un corps est fonction de sa qualité, et, la qualité changeant, la grandeur change du même coup. En d’autres termes, il y a, au sens propre, des condensations et des raréfactions (9, 217 a, 21-b, 11, surtout les quatre dernières lignes). — Mais, quoi que vaillent les réponses et les objections d’Aristote que nous venons de résumer, sa vraie raison contre le vide est simplement que sa théorie de l’espace condamne le vide. Si en effet le lieu est un contenant et, par conséquent, ne va jamais sans un contenu, il est clair qu’il ne saurait y avoir d’espace qui ne soit rempli[12].

Après celle du vide, simple corollaire de l’espace, vient naturellement l’étude du temps, puisque, comme on va voir, le temps a d’étroits rapports avec l’espace dans la conception d’Aristote.

On pourrait penser que le temps n’existe pas ou existe à peine quand on réfléchit à son instabilité. Il n’est jamais, puisque l’avenir n’est pas encore, que le passé n’est plus et que le présent est insaisissable. L’instant lui-même, limite du temps, paraît incapable d’exister, parce qu’il doit être toujours autre. Cependant il est impossible de fixer le temps : ce serait le détruire que de mettre ensemble hier et aujourd’hui (10, 217 b, 32-218 a, 30). De fait, Aristote se gardera bien de faire du temps un être.

Qu’est-il ? L’opinion suivant laquelle il serait la sphère même de l’univers ne vaut pas d’être examinée. Mais est-il, comme on l’a dit aussi, le mouvement de l’univers ? C’est impossible ; car, s’il y avait plusieurs univers, il faudrait alors admettre plusieurs temps (10, 218 a, 30-218 b, 9). Cependant, qu’il ne soit pas le mouvement de l’univers, l’opinion générale l’admettrait encore : ce qu’elle veut surtout, c’est que le temps soit un mouvement. Par malheur, un mouvement est une propriété de son mobile, tandis que le temps est commun à tous les mouvements, indépendant des mouvements, pourrait dire Aristote, comme l’espace l’est des corps. De plus un mouvement est rapide ou lent : le temps au contraire a un cours uniforme (218 b, 9-20).

Tout en n’étant pas mouvement, le temps est inséparable du mouvement. La preuve en est facile à faire. Ceux qui s’endorment dans le temple de Sardes rattachent l’instant du réveil à l’instant où iis se sont endormis, et, n’ayant le sentiment d’aucun changement survenu entre les deux, ils se figurent qu’il ne s’est écoulé aucun temps pendant leur sommeil. Si donc, pour percevoir le temps, il faut percevoir du changement, il faut conclure de là que, dans la réalité, s’il n’y a pas de changement, il n’y a pas de temps (11 déb. à 219 a, 2).

La proposition qu’il faut prendre pour point de départ quand on cherche la nature du temps, est par conséquent que le temps est inséparable du mouvement. N’étant pas le mouvement lui-même, il faut qu’il soit quelque chose du mouvement (τί τῆς κινήσεώς) (219 a, 2-10). Reste à déterminer cette vue encore vague. Le temps suit le mouvement, le mouvement suit l’étendue. De là il résulte que l’étendue confère sa continuité au mouvement, celle-ci au temps, qui se trouve être ainsi un continu. D’autre part, la même liaison du temps avec l’étendue par l’intermédiaire du mouvement fait que le temps est caractérisé par l’antérieur et le postérieur. En effet il y a dans l’espace et, par suite, dans le mouvement, de l’arrière et de l’avant. Ce πρότερον et cet ὕστερον de l’étendue et du mouvement se retrouvent dans le temps et, matériellement, ils sont la même chose dans les trois choses. Seulement dans le temps leur quiddité est autre : ils ne sont plus l’avant et l’arrière ; ils deviennent, comme on peut le dire en français, l’antérieur et le postérieur. Or. quand nous distinguons ainsi de l’antérieur et du postérieur, que faisons nous ? Nous distinguons des phases dans le mouvement, nous le déterminons en enfermant entre des instants comme limites un intervalle différent d’eux (μεταξύ τι αὐτῶν ἕτερον). Le temps n’est donc pas autre chose que le mouvement, déterminé par des instants (219 a, 10-30). Cela pose, il n’y a plus qu’à dégager la définition abstraite du temps. « Le temps est le nombre du mouvement, suivant l’antérieur et le postérieur », c’est-à-dire que le temps consiste dans des phases, distinguées l’une de l’autre comme venant l’une après l’autre et, par conséquent, nombrées ; car distinguer dans la quantité, c’est immédiatement nombrer[13]. Le nombre dont il s’agit est d’ailleurs, bien entendu, non pas le nombre nombrant ou purement arithmétique, c’est un nombre nombré analogue à des objets comptés (219 b, 2-9). Mais cela n’empêche pas qu’il est différent du mouvement et que cela lui confère une suffisante indépendance.

Ayant ainsi défini le temps par le nombre, Aristote se pose une question restée célèbre. Il n’y a, dit-il, qu’une puissance capable de nombrer, et c’est l’âme. L’existence du temps dépendrait donc de celle de l’âme ? Aristote répond affirmativement (14, 223 a, 16-29). Sans doute il ne faut pas voir là déjà toute faite[14] une théorie idéaliste du temps. Toutefois il est incontestable qu’Aristote, inconsciemment et malgré lui, fait ici un pas vers l’idéalisme. Et cela s’explique très bien. D’une part, il ne veut pas voir dans le temps une entité séparée, et pour autant il s’éloigne d’un certain genre de réalisme, celui qui se plaît à réaliser des abstractions. D’autre part, s’il est vrai qu’il met le temps dans un sujet conçu par lui d’une manière réalistique, à savoir le mouvement, il n’en est pas moins vrai que le temps est, par rapport à ce sujet, quelque chose de plus formel et de plus actuel que la forme même du mouvement. De ce chef, le temps se rapproche forcément des choses de l’âme. Ce n’est d’ailleurs ici que l’aboutissement de la même tendance déjà observée par nous à propos de l’espace. Bien que, dans le temps, Aristote admette l’intervalle en même temps que la limite, il n’y a pas de doute que c’est la limite qui prédomine. Or, en définissant l’espace et le temps par les limites, on tend à en faire des relations et, qu’on le veuille ou non, cela conduit à en faire des choses de l’âme.


  1. Phys. III, 5, 204 a, 11 : τὸ γὰρ διαιρετὸν ἢ μέγεθος ἔσται ἢ πλῆθος.
  2. 8, 263 a, 9 : … ὥστε διελθόντος τὴν ὅλην ἄπειρον συμβαίνει ἠριθμηκέναι ἀριθμόν· τοῦτο δ’ ὁμολογουμένως ἐστὶν ἀδύνατον
  3. Métaph. Κ, 12, 1069 a, 7 : … δῆλον ὅτι τὸ συνεχὲς ἐν τούτοις ἐξ ὧν ἕν τι πέφυκε γίγνεσθαι κατὰ τὴν σύναψιν.
  4. Phys. V, 3, 227 a, 10 : τὸ δὲ συνεχὲς ἔστι μὲν ὅπερ ἐχόμενόν τι [contigu ; le texte correspondant de Méta, l. cit., a, 5 ajoute ἢ ἀπτόμενον], λέγω δ’ εἶναι συνεχὲς ὅταν ταὐτὸ γένηται καὶ ἓν τὸ ἑκατέρου πέρας οἷς ἅπτονται, καὶ ὥσπερ σημαίνει τοὔνομα, συνέχηται.
  5. Phys. III, 6, 206 a, 14-b, 3 ; citons seulement quelques lignes : ὥστε τὸ ἄπειρον οὐ δεῖ λαμβάνειν ὡς τόδε τι, οἷον ἄνθρωπον ἢ οἰκίαν, ἀλλ’ ὡς ἡ ἡμέρα λέγεται καὶ ὁ ἀγών, οἷς τὸ εἶναι οὐχ ὡς οὐσία τις γέγονεν, ἀλλ’ ἀεὶ ἐν γενέσει καὶ φθορᾷ… (a, 29-32).
  6. Ibid., 7, 207 b, 35 : … ὡς ὕλη τὸ ἄπειρόν ἐστιν αἴτιον, καὶ… τὸ μὲν εἶναι αὐτῷ στέρησις, τὸ δὲ καθ’ αὑτὸ ὑποκείμενον τὸ συνεχὲς καὶ αἰσθητόν.
  7. Ch. 3 et surtout 210 a, 23 : ἀπορήσειε δ’ ἄν τις, ἆρα καὶ αὐτό τι ἐν ἑαυτῷ ἐνδέχεται εἶναι… διχῶς δὲ τοῦτ’ ἔστιν, ἤτοι καθ’ αὑτὸ [syn. πρώτως] ἢ καθ’ ἕτερον. ὅταν μὲν γὰρ ᾖ μόρια τοῦ ὅλου τὸ ἐν ᾧ καὶ τὸ ἐν τούτῳ, λεχθήσεται τὸ ὅλον ἐν ἑαυτῷ… ; b, 8 et 21 : ὅτι μὲν οὖν ἀδύνατον ἐν αὑτῷ τι εἶναι πρώτως, δῆλον.
  8. 2, 209 b, 28 : δοκεῖ γὰρ τοιοῦτό τι εἶναι ὁ τόπος οἷον τὸ ἀγγεῖον ; 4, 212 a, 14 : ἔστι δ’ ὥσπερ τὸ ἀγγεῖον τόπος μεταφορητός, οὕτως καὶ ὁ τόπος ἀγγεῖον ἀμετακίνητον.
  9. 4, 212 a, 20 : … τὸ τοῦ περιέχοντος πέρας ἀκίνητον πρῶτον, τοῦτ’ ἔστιν ὁ τόπος.
  10. Ibid., 211 a, 33 : ἐν γὰρ τῷ αὐτῷ τὰ ἔσχατα τῶν ἁπτομένων. La contiguïté, c’est le contact joint à la consécution ; cf. Métaph. Κ, 12, 1069 a, 1 ou Phys. V, 3, 227 a, 6 : « ἐχόμενον » δὲ ὃ ἂν εξῆς ὂν ἅπτηται.
  11. Phys. IV, 5, 212 b, 10 : ἐφ’ ᾧ δὲ κινεῖται, ταύτῃ καὶ τόπος ἔστι τοῖς μορίοις· ἕτερον γὰρ ἑτέρου ἐχόμενον τῶν μορίων ἐστίν. 18 : ἔστι δ’ ὁ τόπος οὐχ ὁ οὐρανός, ἀλλὰ τοῦ οὐρανοῦ τι τὸ ἔσχατον καὶ ἁπτόμενον τοῦ κινητοῦ σώματος πέρας ἠρεμοῦν… — Le texte du De caelo (V, 5) auquel Zeller fait allusion (p. 398, 1) est indiqué d’une façon erronée et nous ne l’avons pas trouvé.
  12. Ibid., 7, 214 a, 10 : ἐπεὶ δὲ περὶ τόπου διώρισται, καὶ τὸ κενὸν ἀνάγκη τόπον εἶναι εἰ ἔστιν ἐστερημένον σώματος, τόπος δὲ καὶ πῶς ἔστι καὶ πῶς οὐκ ἔστιν εἴρηται, φανερὸν ὅτι οὕτω μὲν κενὸν οὐκ ἔστιν, οὔτε κεχωρισμένον οὔτε ἀχώριστον· τὸ γὰρ κενὸν οὐ σῶμα ἀλλὰ σώματος διάστημα βούλεται εἶναι. διὸ καὶ τὸ κενὸν δοκεῖ τι εἶναι, ὅτι καὶ ὁ τόπος καὶ διὰ ταὐτά.
  13. 11, 219 b, 1 : τοῦτο γάρ ἐστιν ὁ χρόνος, ἀριθμὸς κινήσεως κατὰ τὸ πρότερον καὶ ὕστερον.
  14. Ainsi que l’observe avec raison Zeller, p. 401 sq.