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Le Talon de fer/Le tourbillon

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Traduction par Louis Postif.
Edito-Service (p. 191-205).


10. Le tourbillon


À la suite du dîner des hommes d’affaires, des événements terriblement importants se succédèrent comme des coups de foudre ; et ma pauvre petite vie, passée toute entière dans le calme de notre ville universitaire, fut entraînée avec toutes mes aventures personnelles dans le vaste tourbillon des aventures mondiales. Est-ce mon amour pour Ernest qui fit de moi une révolutionnaire, ou le clair point de vue sous lequel il m’avait fait envisager la société dans laquelle je vivais, je ne le sais pas au juste : mais révolutionnaire je devins, et je me trouvai plongée dans un chaos d’incidents qui m’eût semblé inconcevable trois mois plus tôt. Les troubles de ma destinée coïncidèrent avec de grandes crises sociales.

Tout d’abord, mon père fut congédié de l’Université. Oh ! il n’en fut pas exclu au sens propre du mot : on lui demanda de donner sa démission, voilà tout. La chose, en soi, n’avait pas grande importance. À vrai dire, Père en fut enchanté. Son renvoi, accéléré par la publication de son livre « Économie et Éducation », ne faisait, disait-il, que river sa thèse. Pouvait-on fournir une meilleure preuve du fait que l’instruction publique était dominée par la classe capitaliste ?

Mais cette confirmation ne vit jamais le jour ; personne ne sut qu’il avait été obligé de se retirer de l’Université. C’était un savant si éminent qu’une pareille nouvelle, publiée avec le motif de sa démission forcée, eût fait sensation dans le monde entier. Les journaux déversèrent sur sa tête la louange et l’honneur, le félicitant d’avoir renoncé à la corvée des conférences pour consacrer tout son temps aux recherches scientifiques.

Père commença par rire ; puis il se fâcha, — à dose tonique. Alors il advint que son livre fut supprimé. Cette suppression s’opéra dans un tel secret que, tout d’abord, nous n’y comprîmes rien. La publication de l’ouvrage avait immédiatement causé quelque émotion dans le pays. Père avait été poliment malmené par la presse capitaliste : la note générale exprimait le regret qu’un si grand savant eût quitté son domaine pour s’aventurer dans celui de la sociologie, qui lui était parfaitement inconnu et où il n’avait pas tardé à s’égarer. Cela dura une semaine, pendant laquelle Père badinait en disant qu’il avait touché un point sensible du capitalisme. Puis, tout à coup, un silence complet se fit dans les journaux et revues critiques, et, d’une façon non moins soudaine, le livre disparut de la circulation. Impossible d’en trouver le moindre exemplaire chez aucun libraire. Père écrivit aux éditeurs, et il lui fut répondu que les planches avaient été abîmées par accident. Une correspondance embrouillée s’ensuivit. Mis au pied du mur, les éditeurs finirent par déclarer qu’ils ne voyaient pas la possibilité de réimprimer l’œuvre, mais qu’ils étaient tout disposés à abandonner leurs droits sur elle.

— Dans tout le pays vous ne trouverez pas une autre maison d’édition qui consente à y toucher, dit Ernest. — Et, à votre place, je me mettrais tout de suite à l’abri. Car ceci n’est qu’un avant-goût de ce que vous réserve le Talon de Fer.

Mais Père était avant tout un savant, et ne se croyait jamais autorisé à sauter tout de suite aux conclusions. Pour lui, une expérience de laboratoire ne méritait pas ce nom tant qu’elle n’avait pas été poursuivie jusque dans ses moindres détails. Aussi entreprit-il patiemment une tournée chez les éditeurs. Ils lui fournirent une multitude de prétextes, mais aucun ne voulut se charger du livre.

Lorsqu’il fut bien convaincu que son œuvre avait été abolie, Père essaya d’en informer le public, mais ses communiqués à la presse ne reçurent pas de réponse. À une réunion politique socialiste où assistaient de nombreux reporters, il crut avoir trouvé l’occasion de rompre le silence. Il se leva et raconta l’histoire de cet escamotage. En lisant les journaux du lendemain il se mit d’abord à rire, puis entra dans une colère d’où toute qualité tonique était éliminée. Les comptes rendus ne soufflaient pas mot de son livre, mais travestissaient sa conduite d’une façon délectable. On avait déformé ses mots et ses phrases, et transformé ses remarques sobres et mesurées en un discours d’anarchiste braillard. C’était fait très habilement. Je me souviens en particulier d’un exemple. Père avait employé le terme de « révolution sociale », et le reporter avait simplement omis le qualificatif. Cette charge fut transmise dans tout le pays comme information de la Presse Associée, et de toutes parts s’élevèrent des cris de réprobation. Père fut noté désormais comme anarchiste ou nihiliste, et une caricature largement répandue le représenta brandissant un drapeau rouge à la tête d’une bande hirsute et sauvage armée de torches, de couteaux et de bombes de dynamite.

Sa prétendue anarchie fut assaillie par une terrible campagne de presse, en longs articles de tête semés d’insultes et d’allusions à sa décadence mentale. Ernest nous apprit que cette tactique de la presse capitaliste n’était pas chose nouvelle : elle avait l’habitude d’envoyer des reporters à toutes les réunions socialistes avec la consigne d’altérer et de dénaturer ce qui y serait dit, afin d’effrayer la classe moyenne et de la détourner de toute affiliation possible au prolétariat. Ernest insista fortement pour que Père abandonnât la lutte et se mît à l’abri.

Cependant la presse socialiste releva le gant, et toute la partie de la classe ouvrière qui lit les journaux sut que le livre avait été supprimé ; mais cette information ne dépassa pas le monde du travail. Ensuite une grosse maison d’éditions socialistes, « L’Appel à la Raison », s’arrangea avec Père pour publier son œuvre. Il en fut enthousiasmé, mais Ernest s’en émut.

— Je vous dis que nous sommes au seuil de l’inconnu, répétait-il. Il se passe autour de nous des choses énormes et secrètes. Nous pouvons les sentir. Leur nature nous est inconnue, mais leur présence est certaine. Toute la texture de la société en frémit. Ne me demandez pas de quoi il s’agit au juste, je n’en sais rien moi-même. Mais dans cette liquéfaction, quelque chose va prendre forme, est en train de se cristalliser. La suppression de votre livre est un précipité. Combien d’autres ont été supprimés ? Nous l’ignorons et ne pouvons l’apprendre ! Nous sommes dans le noir. Vous pouvez maintenant vous attendre à la suppression de la presse et des maisons d’éditions socialistes. Je crains qu’elle ne soit imminente. Nous allons être étranglés.

Ernest sentait mieux que le reste des socialistes le pouls des événements, car, moins de deux jours après, le premier assaut fut déclenché. L’Appel à la Raison était un journal hebdomadaire répandu dans le prolétariat, et qui tirait ordinairement à sept cent cinquante mille. En outre, il publiait fréquemment des éditions spéciales de deux à cinq millions d’exemplaires ; payées et distribuées par la petite armée de travailleurs volontaires qui s’étaient groupés autour de l’Appel. Le premier coup fut dirigé contre ces éditions, et ce fut un coup de massue. L’administration des Postes décida, par un règlement arbitraire, qu’elles ne faisaient pas partie de la circulation ordinaire du journal, et, sous ce prétexte, refusa de les recevoir dans ses trains-postes.

Une semaine après, le ministère des Postes décréta que le journal lui-même était séditieux et le raya définitivement de ses transports. C’était une attaque terrible pour la propagande socialiste. L’Appel se trouvait dans une situation désespérée. Il imagina un plan pour atteindre ses abonnés par les Compagnies de trains express, mais celles-ci refusèrent d’y prêter la main. C’était le coup de grâce ; pas tout à fait pourtant : l’Appel comptait continuer son entreprise d’éditions. Vingt-mille exemplaires du livre de Père étaient à la reliure et d’autres sous presse. Un soir, sans que rien pût le faire prévoir, une bande de canailles surgit on ne sait d’où ; agitant un drapeau américain et chantant des airs patriotiques, ils mirent le feu aux vastes ateliers d’imprimerie de l’Appel, qui furent détruits de fond en comble.

Or, la petite ville de Girard, Kansas, était une localité absolument tranquille, où il ne s’était jamais produit de troubles ouvriers. L’Appel payait ses salariés aux tarifs de syndicats. En fait, il constituait l’ossature de la ville, car il employait des centaines d’hommes et de femmes. L’attroupement n’était pas composé de citoyens de Girard. Les émeutiers semblaient être sortis de terre et y être rentrés leur besogne accomplie. Ernest voyait toute l’affaire sous un jour des plus sinistres.

— Les Cent-Noirs[1] sont en voie d’organisation aux États-Unis, disait-il. Ceci n’est que le commencement. Nous en verrons bien d’autres. Le Talon de Fer s’enhardit.

Ainsi fut anéanti le livre de père. Nous devions entendre beaucoup parler des Cent-Noirs dans les jours à suivre. D’une semaine à l’autre, d’autres feuilles socialistes furent privées des moyens de transport, et, en plusieurs cas, les Cent-Noirs détruisirent leur outillage. Naturellement, les journaux du pays soutenaient la politique des classes dominantes, et la presse assassinée fut calomniée et vilipendée, tandis que les Cent-Noirs étaient représentés comme de vrais patriotes et les sauveurs de la société. Ces faux rapports étaient si convaincants que certains ministres du culte, même sincères, firent en chaire l’éloge des Cent-Noirs, tout en déplorant la nécessité de la violence.

L’Histoire s’écrivait rapidement. Les élections d’automne approchaient, et Ernest fut désigné par le parti socialiste comme candidat au Congrès. Ses chances étaient des plus favorables. La grève des tramways de San-Francisco avait été brisée, ainsi qu’une grève subséquente des conducteurs d’attelages. Ces deux défaites avaient été désastreuses pour le travail organisé. La Fédération du Front de Mer, avec ses alliés du Bâtiment, avaient soutenu les charretiers, et tout l’échafaudage ainsi étayé s’était écroulé sans profit ni gloire. La grève fut sanglante. La police assomma à coups de casse-têtes un grand nombre de travailleurs, et la liste des morts s’allongea par suite de l’emploi d’une mitrailleuse.

En conséquence, les hommes étaient sombres, altérés de sang et de revanche. Battus sur le terrain choisi par eux-mêmes, ils étaient prêts à chercher la riposte sur le terrain politique. Ils maintenaient leur organisation syndicale, ce qui leur donnait de la force pour la lutte ainsi engagée. Les chances d’Ernest devenaient de plus en plus sérieuses. De jour en jour, de nouvelles Unions décidaient de soutenir les socialistes, et lui-même ne put s’empêcher de rire lorsqu’il apprit l’entrée en ligne des Auxiliaires des Pompes Funèbres et des Plumeurs de Volaille. Les travailleurs devenaient rétifs. Tandis qu’ils se pressaient avec un fol enthousiasme aux réunions socialistes, ils restaient imperméables aux ruses des politiciens du vieux-parti. Les orateurs de celui-ci se démenaient habituellement devant des salles vides, mais de temps à autre ils devaient affronter des salles combles où ils étaient malmenés à tel point que plus d’une fois il fallut l’intervention des réserves de police.

L’Histoire s’écrivait de plus en plus vite. L’air était vibrant d’événements actuels ou imminents. Le pays entrait dans une période de crise[2], occasionnée par une série d’années prospères, au cours desquelles il était devenu de jour en jour plus difficile de disposer à l’étranger du surplus non consommé. Les industries travaillaient à heures réduites : beaucoup de grandes usines chômaient en attendant l’écoulement de leurs réserves : et de tous côtés s’opéraient des réductions de salaires.

Une autre grande grève venait d’être brisée. Deux cent mille mécaniciens, avec leurs cinq cent mille alliés de la métallurgie, avaient été vaincus dans le conflit le plus sanglant qui eût encore troublé les États-Unis. À la suite de batailles rangées contre les contingents de briseurs de grèves[3] armés par les associations de patrons, les Cent-Noirs, surgissant dans les localités les plus éloignées les unes des autres, s’étaient livrés à une intense destruction de propriétés ; en conséquence, cent mille hommes de l’armée régulière des États-Unis furent envoyés pour en finir à la manière forte. Un grand nombre de chefs travaillistes furent exécutés, beaucoup d’autres condamnés à l’emprisonnement, et des milliers de grévistes ordinaires enfermés dans des parcs à bétail[4] et abominablement traités par la soldatesque.

Les années de prospérité devaient maintenant se payer. Tous les marchés, encombrés, s’affaissaient, et dans l’effondrement général des prix, celui du travail tombait plus vite que tous les autres. Le pays était convulsé de discordes industrielles. De-ci, de-là, partout les travailleurs faisaient grève ; et quand ils ne se mettaient pas en grève, les patrons les jetaient dehors. Les journaux étaient remplis de récits de violence et de sang. Et dans tout cela, les Cent-Noirs jouaient leur rôle. L’émeute, l’incendie, la destruction à tort et à travers, telles étaient leurs fonctions, qu’ils accomplissaient de gaîté de cœur. Toute l’armée régulière était en campagne, appelée par les actes des Cent-Noirs[5].

Toutes les villes et cités ressemblaient à des camps militaires, et les travailleurs étaient fusillés comme des chiens. Les briseurs de grèves se recrutaient dans la multitude des gens sans emploi, et quand ils avaient le dessous dans leurs bagarres avec les syndiqués, les troupes régulières apparaissaient toujours à point pour écraser ces derniers. En outre, il y avait la milice. Jusqu’ici il n’était pas nécessaire de recourir à la loi secrète sur la milice : sa partie régulièrement organisée entrait seule en action, et elle opérait partout. Enfin, en cette période de terreur, l’armée régulière fut augmentée de cent mille hommes par le gouvernement.

Jamais le monde du travail n’avait subi une correction si sévère. Cette fois, les grands capitaines industriels, les oligarques, avaient jeté toutes leurs forces dans la brèche pratiquée par les associations de patrons batailleurs. Ceux-ci appartenaient en réalité à la classe moyenne. Stimulés par la dureté des temps et l’écroulement des marchés, et soutenus par les chefs de la Haute Finance, ils infligèrent à l’organisation du travail une terrible et décisive défaite. Cette ligue était toute puissante, mais c’était l’alliance du lion avec l’agneau, et la classe moyenne ne devait pas tarder à s’en apercevoir.

La classe laborieuse manifestait une humeur revêche et sanguinaire, mais elle était terrassée. Cependant sa débâcle ne mit pas terme à la crise. Les banques, qui constituaient par elles-mêmes une des forces importantes de l’oligarchie, continuaient à faire rentrer leurs avances. Le groupe de Wall-Street[6] transforma le marché des stocks en un tourbillon où toutes les valeurs du pays s’écoulèrent presque à zéro. Et sur les désastres et les ruines se dressa la forme de l’Oligarchie naissante, imperturbable, indifférente et sûre d’elle-même. Cette sérénité et cette assurance étaient quelque chose de terrifiant. Pour atteindre son but, elle employait non seulement sa propre et vaste puissance, mais encore toute celle du Trésor des États-Unis.

Les capitaines de l’industrie s’étaient retournés contre la classe intermédiaire. Les associations de patrons, qui les avaient aidés à lacérer l’organisation du travail, étaient déchirées à leur tour par leurs anciens alliés. Au milieu de cet écroulement des petits financiers et industriels, les trusts tenaient bon. Non seulement ils étaient solides, mais encore actifs. Ils semaient le vent sans crainte ni relâche, car eux seuls savaient comment récolter la tempête et en tirer profit. Et quel profit, quels bénéfices énormes ! Assez forts pour tenir tête à l’ouragan qu’ils avaient largement contribué à déchaîner, ils se déchaînaient eux-mêmes et pillaient les épaves qui flottaient autour d’eux. Les valeurs étaient pitoyablement et incroyablement ratatinées, les trusts élargissaient leurs possessions dans des proportions non moins invraisemblables ; leurs entreprises s’étendaient à de nombreux champs nouveaux, — et toujours aux dépens de la classe moyenne.

Ainsi l’été de 1912 vit l’assassinat virtuel de la classe intermédiaire. Ernest lui-même fut étonné de la rapidité avec laquelle le coup de grâce lui avait été porté. Il hocha la tête d’un air de mauvais augure et vit venir sans illusion les élections d’automne.

— C’est inutile, disait-il, nous sommes battus d’avance. Le Talon de Fer est là. J’avais mis mon espoir en une victoire paisible, remportée grâce aux urnes. J’avais tort, et c’est Wickson qui avait raison. Nous allons être dépouillés des quelques libertés qui nous restent ; le Talon de Fer nous marchera sur la face ; il n’y a plus rien à attendre qu’une révolution sanglante de la classe laborieuse. Naturellement, nous aurons la victoire, mais je frémis de penser à ce qu’elle nous coûtera.

Dès lors Ernest épingla sa foi au drapeau de la révolution. Sur ce point il se trouvait en avant de son parti. Ses camarades socialistes ne pouvaient le suivre. Ils persistaient à croire que la victoire pouvait être gagnée aux élections. Ce n’est pas qu’ils fussent étourdis par les coups déjà reçus. Ils ne manquaient ni de sang-froid ni de courage. Ils étaient incrédules, voilà tout. Ernest ne parvenait pas à leur inspirer une crainte sérieuse de l’avènement de l’Oligarchie. Il réussissait à les émouvoir, mais ils étaient trop sûrs de leur propre force. Il n’y avait pas de place pour l’oligarchie dans leur théorie de l’évolution sociale, par conséquent l’oligarchie ne pouvait pas exister.

— Nous vous enverrons au Congrès et tout ira bien, — lui dirent-ils à l’une de nos réunions secrètes.

— Et quand ils m’auront enlevé du Congrès, collé au mur et fait sauter la cervelle, — demanda froidement Ernest, — que ferez-vous ?

— Alors nous nous soulèverons dans notre puissance, — répondirent sur le champ une douzaine de voix.

— Alors vous pataugerez dans votre propre sang, — fut la réplique. — Je connais cette antienne : je l’ai entendue chanter par la classe moyenne ; et où est maintenant celle-ci avec sa puissance ?


  1. Les Cent-Noirs étaient des bandes réactionnaires organisées par l’autocratie décadente dans la Révolution Russe. Ces groupes réactionnaires attaquaient les groupes révolutionnaires ; en outre, au moment voulu, ils soulevaient l’émeute et détruisaient les propriétés pour fournir à l’autocratie un prétexte de faire appel aux Cosaques.
  2. Sous le régime capitaliste, ces périodes de crise étaient aussi inévitables qu’absurdes. La propriété engendrait toujours des calamités. Le fait était dû, naturellement, à l’excès des bénéfices non consommés.
  3. En dessein et en pratique, en tout, excepté le nom, les briseurs de grèves étaient les soldats privés des capitalistes. Parfaitement organisés et armés, ils étaient toujours prêts à être précipités par trains spéciaux sur toute partie du pays où les travailleurs se mettaient en grève ou étaient mis en chômage par leurs employeurs. Une époque si extraordinaire pouvait seule donner le spectacle étonnant d’un certain Farley, chef notoire de briseurs de grèves, qui, en 1906, traversa les États-Unis par trains spéciaux, de New York à San-Francisco, à la tête d’une armée de 2 500 hommes armés et équipés pour briser une grève des charretiers de cette dernière ville. Cet acte était une infraction pure et simple aux lois du pays. Le fait qu’il demeura impuni, comme des milliers d’actes du même genre, montre à quel point l’autorité judiciaire était sous la dépendance de la ploutocratie.
  4. Pendant une grève de mineurs de l’Idaho, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il arriva que beaucoup de grévistes furent enfermés par la troupe dans un parc à bestiaux. La chose et le nom se perpétuèrent au vingtième siècle.
  5. Le nom seul, et non l’idée, est d’importation russe. Les Cent-Noirs furent un développement des agents secrets du capitalisme, et leur usage débuta dans les luttes travaillistes du dix-neuvième siècle. Cela est hors de discussion, et a été avoué par une autorité non moindre que le Commissaire du Travail des États-Unis, à cette époque, M. Carroil D. Wright. Dans son livre intitulé Les Batailles du Travail, est citée cette déclaration que « dans quelques-unes des grandes grèves historiques, ce sont les employeurs eux-mêmes qui ont incité les actes de violence » ; que des industriels ont volontairement provoqué des grèves pour se débarrasser de leur surplus de marchandises ; et que des wagons ont été brûlés par les agents des patrons pendant les grèves des chemins de fer pour accroître le désordre. C’est d’agents secrets de ce genre que naquirent les Cent-Noirs ; et ceux-ci, à leur tour, devinrent plus tard l’arme terrible de l’oligarchie, les agents provocateurs.
  6. Nom d’une rue de l’ancien New York, où était située la Bourse, et où l’absurde organisation de la société permettait la manipulation en sous-main de toutes les industries du pays.