Le Talon de fer/Les terroristes

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Traduction par Louis Postif.
Edito-Service (p. 413-415).


25. Les terroristes


C’est seulement plusieurs semaines après notre retour à New York qu’Ernest et moi pûmes apprécier toute l’étendue du désastre qui venait de frapper la Cause. La situation était amère et sanglante. En divers endroits, dispersés dans tout le pays, il y avait eu des révoltés et des massacres d’esclaves. La liste des martyrs s’accroissait rapidement. D’innombrables exécutions avaient lieu un peu partout. Les montagnes et les contrées désertes regorgeaient de proscrits et de réfugiés traqués sans merci. Nos propres refuges étaient bondés de camarades dont la tête était mise à prix. Grâce aux renseignements fournis par les espions, plusieurs de nos asiles furent envahis par les soldats du Talon de Fer.

Un grand nombre de nos amis, découragés et désespérés par le recul de leurs espérances, ripostaient par une tactique terroriste. Il surgissait aussi des organisations de combat qui n’étaient pas affiliées aux nôtres et qui nous donnèrent beaucoup de mal[1]. Ces égarés, tout en prodiguant follement leurs propres vies, faisaient souvent avorter nos plans et retardaient notre reconstitution.

Et sur toute cette agitation piétinait le Talon de Fer, marchant impassible vers son but, secouant tout le tissu social, émondant les Mercenaires, les castes ouvrières et les services secrets pour en chasser les camarades, punissant, sans haine et sans pitié, acceptant toutes les représailles et remplissant les vides aussi vite qu’ils se produisaient dans sa ligne de combat. Parallèlement, Ernest et les autres chefs travaillaient ferme à réorganiser les forces de la Révolution. On comprendra l’ampleur de cette tâche en tenant compte de…[2]

  1. Les annales de cet intermède de désespoir sont écrites avec du sang. La vengeance était le motif dominant ; les membres des organisations terroristes ne se souciaient guère de leur vie et n’espéraient rien de l’avenir. Les Danites, dont le nom était emprunté aux anges vengeurs de la mythologie des Mormons, prirent naissance dans les montagnes du Great West et se répandirent sur toute la côte du Pacifique, du Panama à l’Alaska. Les Walkyries étaient une organisation de femmes, et la plus terrible de toutes. Nulle n’y était admise si elle n’avait pas eu de proches parents assassinés par l’Oligarchie. Elles avaient la cruauté de torturer leurs prisonniers jusqu’à la mort. Une autre fameuse organisation féminine était celle des Veuves de Guerre. Les Berserkers (guerriers invulnérables de la mythologie scandinave) formaient un groupe frère de celui des Walkyries. Il était composé d’hommes qui n’attachaient aucune valeur à leur vie. C’est eux qui détruisirent complètement la grande cité des Mercenaires appelée Bellona, avec sa population de plus de cent mille âmes. Les Bedlamites et les Helldamites étaient des associations jumelles d’esclaves. Une nouvelle secte religieuse, qui d’ailleurs ne prospéra pas longtemps, s’appelait le Courroux de Dieu. Ces groupes de gens terriblement sérieux prenaient les noms les plus fantaisistes, entre autres : Les Cœurs saignants, les Fils de l’Aube, les Étoiles matutinales, les Flamants, les Triples Triangles, les Trois Barres, les Ruboniques, les Vengeurs, les Apaches et les Érébusites.
  2. Ici finit le manuscrit Everhard. Il s’arrête brusquement au milieu d’une phrase. Avis dut être informée de l’arrivée des Mercenaires, puisqu’elle eut le temps de mettre le manuscrit en sûreté avant sa fuite ou sa capture. Il est regrettable qu’elle n’ait pas survécu pour l’achever, sans quoi elle aurait certainement éclairci le mystère qui, depuis sept cents ans, enveloppe l’exécution d’Ernest Everhard.