Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 16

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 101-112).
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XVI.

C’est ce que nos Christicoles eux-mêmes ne sauraient nier, puisque sans parler de plusieurs autres graves personnages qui ont reconnu les additions, les retranchemens et les falsifications qui ont été faites en différens tems à ce qu’ils apellent leur Écriture sainte. Leur S. Jerôme, fameux docteur parmi eux, dit formellement, en plusieurs endroits de ses Prologues sur les dites prétenduës Écritures saintes, qu’elles ont éte corrompuës et falsifiées, étant déja de son tems entre les mains de toutes sortes de personnes qui y ajoutoient, dit-il, et qui en retranchoient tout ce que bon leur sembloit, de sorte qu’il y avoit autant d’exemplaires différens qu’il y avoit de différentes copies de ces Ecritures.

Hanc, dit-il[1], parlant de sa prétendue Ecriture sainte, hanc garrula anus, hanc delirus senex, hanc Sophista verbosus, hanc universi praesumunt, lacerant, docent antequam discant… et ne parum hoc sit, qua dam facilitate verborum, imo audacia edisserunt quod ipsi non intelligunt. Taceo, dit-il, de meis similibus, qui si forte ad scripturas sanctas post saeculares literas venerint et sermone composito aures populi mulserint, quidquid dixerint, hoc legem Dei putant, nec scire dignantur quid Prophetae, quid Apostoli senserint, se ad suum sensum incongrua optant testimonia. Quasi grande sit et non viciosissimum docendi genus depravare sententias et ad voluntatem suam scripturam trahere repugnantem. — Puerilia sunt haec et circulatorum ludo similia docere quod ignores : imo ut cumstomacho loquor, ne hoc quidem scire quod nescias

Les artisans, dit le Docteur St. Jerôme dans son Epitre à Paulin, les Laboureurs, les Maçons, les Charpentiers, les Ouvriers en laine, les Foulons et tous gens de metiers ne se mêlent de leur art sans faire aprentissage de leur metier ; mais l’art de lire, d’expliquer et d’interpréter l’Ecriture sainte est le seul art dont chacun veut se mêler, les ignorans, dit-il, s’en mêlent comme les savans, de vieux radoteurs d’hommes, de vieilles insensées de femmes et de babillards sophistes la dechirent tous les jours et se mêlent de l’enseigner avant de l’aprendre et ce qui est encore plus honteux est que des femmes se mêlent d’enseigner les hommes, et ont les uns et les autres la présomption de vouloir aprendre aux autres ce qu’ils n’entendent point eux-mêmes ; et d’autres qui sous prétexte d’avoir étudié les sciences humaines et de savoir chatouiller les oreilles de leurs auditeurs de beaux discours, s’imaginent que tout ce qu’ils disent, est la loi de Dieu-même, quoi qu’ils ne daignent aprendre ce que les Prophetes et ce que les Apotres ont écrit, mais savent seulement apliquer à leur fantaisie des témoignages qui ne conviennent pas au sujet comme si c’étoit quelque grande merveille de cela et que ce ne fut pas au contraire un très-grand vice de corrompre ainsi les sentences de l’Ecriture et de vouloir les tourner à sa fantaisie en lui donnant un sens forcé… ce sont-là des puérilités vaines et des momeries semblables à celles des joueurs de farces et de comédies, enseigner ce que l’on ne sait pas et ne savoir pas même, que l’on ne le sait pas.

Et dans sa Préface sur Josue il dit : apud Latinos tot sunt exemplaria quot codices et unus quisque pro arbitrio suo vel addiderit vel subtraxerit quod ei visum est, et utique verum esse non posse quod dissonet… quae stultitia post quam vera dixerint proferre quae falsa sunt.

Et dans sa Préface sur Josué il dit que parmi les Latins il y a eu autant d’exemplaires que de volumes, chacun y ajoutant ou retranchant ce que bon lui semble, étant sûr que ce qui se contredit ne peut être vrai… Quelle folie, dit-il, d’ajouter ce qui est faux après avoir dit ce qui est vrai…

Et dans son Prologue Galeate voici ce qu’il dit : Si septuaginta interpretum pura, et ut ab eis in Graecum versa est, editio permanserit, superflue me Chromati Episcoporum sanctissime atque doctissime impelleres ut haebrea tibi volumina latino sermone transferrem et quod enim semel aures hominum occupaverat et nascentis ecclesiae roboraverat fidem justum erat etiam nostro silentio comprobari, nunc vero cum pro varietate Regionum diversa ferantur exemplaria et germana illa antiqua quae translatio corrupta sit atque violata, nostri arbitrii putes aut operibus judicare quid verum sit aut novum opus in veteri opere ludere, illudentibus que judaeis cornicum ut dicitur oculos figere… certe Apostoli et Evangelistae 70 interpretes noverant, et unde eis haec quae in 70 interpretibus non habentur.

Et dans sa Préface Galeate, il dit : que si la version des 70 étoit encore pure et entière comme les dits Septante interprêtes l’ont traduite de l’Hebreu en Grec, que ce seroit en vain que le St. Pere le Pape l’obligeroit de faire une nouvelle Traduction Latine du même livre sur ceux qui l’ont écrit en Hebreu, d’autant qu’il auroit été à propos et juste d’aprouver par son silence, ce qui auroit déja été autorisé par l’usage dans le commencement de l’Eglise naissante : mais que pour le présent y aïant autant de différens Exemplaires qu’il y a de différentes nations, et que cette première et ancienne version est corrompue et falsifiée, pensez-vous, dit-il qu’il ne tienne qu’à moi de choisir et de discerner comme je voudrois le vrai d’avec le faux et qu’il ne tienne qu’à moi de fabriquer un nouvel ouvrage dans un vieux pour n’en faire qu’un des deux et m’exposer par-là à la risée des juifs qui se moqueroient de moi en disant que ce seroit vouloir crever les yeux aux corneilles, comme on dit, certes, dit-il, les Apostres et les Evangelistes connoissent la version des 70 d’où vient donc qu’ils alleguent ce qui n’est pas dans les 70 d’où cela vient-il ?

Et dans sa Préface sur le même livre à Domnion et à Rogation : il dit que ce livre est tellement corrompu dans les versions grecques et latines que ce ne sont pas tant des noms en Hebreux que des noms barbares et inconnus que l’on y a mis ; ce qu’il ne faut pas, dit-il, attribuer aux 70 interprêtes qui étoient remplis du St. Esprit ; mais à la faute des Ecrivains et des Copistes qui n’écrivoient pas correctement, et qui souvent de 2 ou 3 mots n’en faisoient qu’un, en retranchant quelques sillabes du milieu et souvent au contraire faisoient 2 ou 3 mots d’un seul parce qu’ils étoient trop longs à prononcer. Libere cum vobis loquor, ita in Graecis et Latinis Codicibus hic nominum liber viciosus est ut non tam haebrea quam barbara quaedam et Sarmatica nomina conjecta arbitrandum sit. Nec hoc 70 interpretibus, qui spiritu sancto pleni, ea quae vera fuerunt transtulerant, sed scriptorum culpae adscribendum, dum de emendatis inemendata scriptitant : et saepe tria nomina subtractis e medio sillabio, in unum vocabulum cogunt, vel e regione unum nomen, propter latitudinem suam in duo vel tria vocabula dividunt. Sed et ipsae apellationes, non nomines ut plaerique existimant, sed urbes et regiones et saltas et Provincias sonent et oblique sub interpretatione et figura eorum quaedam narrantur historiae.

Et dans sa Preface sur Job voici ce qu’il dit en parlant de ses ennemis : que mes chiens sachent donc et aprennent que si j’ai travaillé à ce volume, ce n’a pas été pour blâmer l’ancienne version, mais bien pour éclaircir par notre interprétation ce qu’il y avoit d’obscur, et ce qui avoit été omis et même ce qui avoit été vicié et corrompu par la faute des Ecrivains. Audiant que propter canes mei idcirio in hoc volumine laborasse non ut interpretationem antiquam reprehenderem sed ut ea quae in illa aut obscura sunt aut omissa, aut certe scriptorum vitio depravata, manifestiora nostra interpretatione fierent… quod si apud Graecos post 70 Editionem tam Christi Evangelio coruscante Judaeus Aquila et Symmachus ac Theodotis, judaizantes haeretici sunt recepti qui multa misteria Salvatoris subdola interpretatione celarunt, et tamen habentur apud Ecclesias et explanantur Ecclesiasticis viris quanto magis ego Christianus etc.

Et dans sa Préface sur les Evangiles au Pape Damase, voici ce qu’il dit. Il s’est certainement glissé un très-grand abus dans nos volumes, en ce que là où sur un Manuscript un Evangeliste dit quelque chose de plus qu’un autre n’en dit, les Interprêtes ou Traducteurs ont cru devoir ajouter ce qui manquoit à tous les autres et ont cru devoir corriger tous les autres sur le modele de celui des Evangelistes, qu’ils avoient lû le premier, d’où il est arrivé, dit-il, que tout est melangé parmi nous et qu’il y a dans S. Marc plusieurs choses qui sont de S. Luc, et dans S. Mathieu plusieurs choses qui sont de S. Marc et de S. Jean et dans les autres plusieurs choses qui sont particuliéres aux autres. Magnus siquidem hic in nostris Codicibus error inotescit, dum quod in eâdem re alius Evangelista plus discit, in alio quia minus putaverint addiderunt, vel dum eundem sensum alius aliter expressit : ille qui unum e quatuor primum legeret ad ejus exemplum caeteros quoque et existimaverint emendandos ; unde accidit ut apud nos mixta sunt omnia et in Marco plura Lucae, atque Mathaei rursum in Mathaeo plura Joannis et Marci, et in caeteris reliquorum quae aliis propria sunt inveniantur.

Et enfin dans sa Preface sur les Pseaumes voici ce qu’il en dit à Paule et à Eustochium. Etant ci-devant à Rome je commençai à corriger ce livre sur la version des Septantes, et j’en avois déja corrigé une grande partie quoiqu’à la hâte, mais parceque vous voïez encore ô Paule et Eustochium que ce livre est encore corrompu par la faute des Ecrivains et que l’ancienne erreur a plus de vogue et de crédit que la nouvelle correction, vous m’obligez comme si je cultivois de nouveau une terre, qui auroit déjà été labourée, et comme si j’en arrachois de nouveau les épines renaissantes, étant necessaire, comme vous dites, de couper d’autant plus souvent les mauvaises herbes qu’elles croissent plus volontiers.

Psalterium Romae dudum positus emendaram : et juxta 70 interpretes licet cursim, magna tamen ex parte correxeram. Quod quia rursum videtis, ô Paula et Eustochium, Scriptorum vitio depravatum, plusque antiquum errorem, quam novam emendationem valere : me cogitis, ut veluti quodam novali, scissum jam arvum exerceam, et obliquis sulcis renascentes spinas eradicem : aequum esse dicentes, ut quod crebro male pullulat crebius succidatur.

Et touchant les livres de l’ancien Testament en particulier, Esdras[2] Prêtre de la loi, témoigne lui-même avoir corrigé et remis dans leur entier les prétendus livres sacrés de sa Loi, qui avoient été, dit-il, en partie perdus et en partie corrompus ; les distribua en 22 livres, selon le nombre des lettres hebraïques et composa plusieurs autres livres dont la doctrine ne devoit se communiquer qu’aux seuls sages. Si ces livres ont été en partie perdus et en partie corrompus, comme le témoigne le dit Esdras, et comme le témoigne en tant d’autres endroits le docteur S. Jerome, il n’y a donc certainement point de certitude sur ce qu’ils contiennent. Et quant à ce que le même Esdras[3] dit les avoir corrigés et remis en leur entier par l’inspiration de Dieu même, il n’y a aucune certitude de cela, et il n’y a point d’imposteur qui n’en pouroit dire autant. Tous les livres de la Loi de Moïse et des Prophètes qu’on put trouver, furent brulés du tems d’Antiochus. Le Talmud qui est regardé par les juifs comme un livre saint et sacré, et qui contient toutes les loix et ordonnances divines, ensemble les sentences et dits notables des Rabins avec leur exposition tant sur les loix divines qu’humaines et infinis autres secrets et mistères de la langue Hebraïque[4] est regardé par les chrétiens comme un livre farci de rêveries, de fables, d’impostures et d’impietés. En l’année 1559 ils firent brûler à Rome par le commandement des Inquisiteurs de la Foi 12 de ces Talmuds trouvés en une Bibliothéque de la ville de Cremone. Les Pharisiens qui faisoient parmi les juifs une fameuse secte ne recevoient que les cinq livres de Moïse et rejettoient tous les Prophètes. Parmi les Chrétiens Marcion et ses sectateurs rejettoient les livres de Moïse et les Prophètes et introduisoient d’autres Ecritures à leur mode. Carpocrates et ses Sectateurs en faisoient de même et rejettoient tout l’ancien Testament et maintenoient que Jesus Christ n’étoit qu’un homme comme les autres. Les Marcionites et les Severians réprouvoient aussi tout l’ancien Testament comme mauvais et rejettoient aussi la plus grande partie des 4 Evangiles et les Epitres de S. Paul. Les Ebionites n’admetoient que le seul Evangile de S. Mathieu, rejettant les trois autres et les Epitres de St. Paul. Les Marcionites publioient un Evangile sous le nom de S. Mathias pour confirmer leur Doctrine. Pareillement les Apostoliques introduisoient d’autres Ecritures pour maintenir leurs erreurs, et pour cet effet se servoient de certains Actes qu’ils attribuoient à S. André et à S. Thomas. Les Manichéens[5] écrivirent un Evangile à leur mode et rejettoient les Ecrits des Prophetes et des Apotres. Les Elcesaites avoient un certain livre qu’ils disoient être venu du ciel et rejettoient presque tous les livres de l’ancien et du nouveau Testament ou les trouvoient à leur fantaisie. Origenes[6] lui-même avec tout son grand esprit, ne laissoit pas de corrompre les Ecritures, et forgeoit, dit-on, à tous coups des allegories hors de propos et se détournoit par ce moïen à tous coups du vrai sens des Prophètes et des Apotres, et même avoit corrompu quelqu’un des principaux points de la Doctrine[7]. Ses livres sont maintenant mutilés et falsifiés ; ce ne sont plus que piéces cousues et ramassées par d’autres qui sont venus depuis, et aussi y rencontre-t-’on des erreurs et des fautes manifestes. Les Alogiens attribuoient à l’heretique Cerinthus l’Evangile et l’Apocalipse de S. Jean, c’est pourquoi ils les rejettoient. Les hérétiques de nos derniers Siècles rejettent comme apocrifes plusieurs livres que nos Catholiques regardent comme saints et sacrés, comme sont les livres de Tobie, de Judith, d’Esther, de Baruch, le cantique des trois Enfans dans la fournaise, l’histoire de Susanne et celle de l’idole de Bel, la sapience de Salomo, l’Ecclésias, le premier et le deuxiéme des Machabées, tous lesquels livres sont regardés comme sains et sacrés par les Catholiques Romains, à tous lesquels livres incertains et douteux ou pouroit encore ajouter plusieurs autres d’aussi peu de valeur que l’on attribuoit aux autres Apotres, comme ceux par exemple : les Actes de S. Thomas, ses circuites, son Evangile et son Apocalipse. Pareillement l’Evangile de S. Barthelemi, celui de S. Mathias, celui de S. Jacques, celui de S. Pierre et ceux des autres Apôtres, comme aussi les gestes de S. Pierre, son livre de la prédication, et celui de son Apocalipse et celui du jugement, celui de l’Enfance du Sauveur et plusieurs autres de semblable farine qui sont tous rejettés comme apocrifes par les Catholiques Romains, même par le pape Gelase et par les saints Pères de la communion Romaine.

Cela étant ainsi nos Christicoles eux-même ne sauroient le nier. Il est constant, clair et évident qu’il n’y a aucun fondement, ni aucune aparence de certitude, touchant l’autorité que l’on prétend donner à ces livres, ni touchant la vérité des faits qui y sont contenus, et s’il n’y a aucun fondement ni aucune aparence de certitude sur ce sujet, il est constant, clair et évident, que les prétendus miracles qui y sont raportés ne peuvent servir de preuves ni de témoignages sûrs et certains de la verité d’une Religion. Et ce qui confirme d’autant plus cette vérité, c’est que ceux-là-mêmes qui maintiennent le plus fortement l’autorité divine de ces prétendus saints et sacrés livres et qui soutiennent le plus fortement la vérité des prétendus miracles qui y sont raportés sont obligés de reconnoitre et d’avouer eux-mêmes qu’ils n’auroient aucune certitude de l’autorité divine et de leurs livres, ni de la vérité des faits qui y sont contenus, si leur foi, comme ils disent, ne les en assuroit, et ne les obligeoit absolument de le croire ainsi : or cette foi étant, comme j’ai dit, une croïance aveugle des choses que l’on ne voit point et que l’on ne connoit point, c’est, comme j’ai dit aussi un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures ; de sorte que les susdits prétendus miracles et les susdits prétendus sains et sacrés livres, n’aïant de l’aveu même de ceux qui les soutiennent, aucune autre certitude de vérité que celle que l’on croit qu’ils ont par une croïance aveugle, il est constant, clair et évident qu’ils ne peuvent servir de témoignages certains de la vérité d’une Religion.


  1. Dans son prologue à Paulin.
  2. Esdras Ch. 4 : 14.
  3. Chron. pag. 162.
  4. Dict. Hist.
  5. Chron. pag. 287.
  6. Niceph. L. 4, Ch. 24.
  7. Chr. pag. 355.