Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 23

La bibliothèque libre.
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 197-207).
◄  XXII.
XXIV.  ►

XXIII.

Secondement, à l’égard de l’institution des Sacrifices sanglans des bêtes innocentes, les prétendus Sts. et Sacrés Livres,[1] qui contiennent les susdites révélations, l’attribuent manifestement à Dieu, comme aussi l’institution des autels et la consécration des Prêtres pour lui offrir des sacrifices sur les susdits Autels. Ils marquent ces mêmes Livres et ces mêmes prétenduës Révélations divines, ils marquent que Dieu avoit ordonné que ces Prêtres répandroient autour de son autel le sang des Animaux, qu’ils lui offriroient en Sacrifice, qu’ils écorcheroient ces animaux, qu’ils les mettroient en pièces et qu’ils feraient brûler leur chair sur son autel. Dieu promettoit de son côté d’avoir pour très-agréable l’odeur de la fumée des victimes, qu’ils lui offriroient de la sorte, et, conformément à cela, nous voïons aussi dans ces mêmes livres, qu’après le Déluge, Noé étant sorti de l’Arche, où il s’étoit renfermé avec sa femme et ses enfans et avec des animaux de toutes sortes d’espèces, pour éviter les eaux du Déluge, aussitot qu’il fut sorti de cette Arche sain et sauf, il dressa un autel à Dieu, et pour action de grace lui offrit des animaux en sacrifice sur cet autel,[2] et Dieu, disent ces mêmes Livres, témoigna avoir pour très-agréable la fumée de ce sacrifice, en conséquence de quoi, il promit qu’il ne maudirait plus la terre à cause des hommes, parce qu’ils sont enclins, dit-il, au mal dès leur enfance. Voici, selon les mêmes Livres, ce que Dieu ordonnoit dans sa loi, touchant les sacrifices des animaux et touchant la consécration des Prêtres. Le Seigneur, disent ces prétendus Sts. Livres, parla à Moïse et lui dit : Ordonne aux Enfans d’Israël de me faire des offrandes ; vous recevrez mon offrande de toute personne qui l’offrira volontiers,…[3] ils me feront aussi un Sanctuaire ou Tabernacle pour demeurer au milieu d’eux.[4] Et en outre tu me feras un autel de bois de Setim aïant cinq coudées de long et cinq coudées de large, lequel sera quarré, et sa hauteur sera de trois coudées. Tu prendras Aäron ton frère et ses enfans, pour exercer la charge de sacrificateur. Tu leur feras des vêtemens saints pour gloire et honneur.[5] Et voici ce que tu feras, quand tu les consacreras et que tu les santifieras, pour exercer la sacrificature ; tu prendras un veau du troupeau et deux moutons sans tache et des pains sans levain,…[6] lors lu feras aprocher Aäron et ses fils à l’entrée du Tabernacle, puis tu prendras les vêtemens et feras vêtir Aäron la chemise et le roquet de l’Éphod et le pectoral et le ceindras par dessus, avec le ceinturon exquis de l’Ephod ; puis tu mettras sur sa tête la Thiare, et la couronne de Sainteté sur la thiare, et tu prendras l’huile de l’onction et la répandras sur sa tête ; puis tu feras aprocher ses fils et leur feras vêtir les habits sacerdotaux et les ceindras de baudriers, à savoir Aäron et ses fils, et leur attacheras des calottes et ainsi tu les consacreras, et la santification leur sera en ordonnance perpétuelle. Ce qui étant fait, tu feras aprocher le veau devant le Tabernacle ; alors Aäron et ses fils poseront leurs mains sur la tête du veau, et tu égorgeras le veau devant le Seigneur, à l’entrée du Tabernacle ; puis tu prendras du sang de ce veau et le mettras avec ton doigt sur les cornes de l’autel ; puis tu répandras tout le reste du sang au bas de l’autel ; puis tu prendras toute la graisse qui couvre les entrailles et la taïe qui est sur le foïe et les deux rognons et la graisse qui est sur iceux, et tu les feras fumer sur l’autel, mais tu brûleras au feu la chair du veau, sa peau et sa fiente hors du temple ; et ce sacrifice sera pour l’expiation des péchés ; puis tu prendras l’un des moutons, et Aäron et ses fils poseront les mains sur la tête de ce mouton ; puis tu l’égorgeras et prenant le sang d’icelui, tu le répandras sur l’autel tout à l’entour[7], après quoi tu dépiéceras ce mouton par quartier, tu laveras ses entrailles et ses jambes et les poseras sur les membres et sur la tête et feras fumer et brûler tout le mouton sur l’autel ; et c’est là le sacrifice d’holocauste que tu offriras au Seigneur, lequel sacrifice lui sera d’une odeur très-agréable ; puis tu prendras l’autre mouton, et Aäron et ses fils poseront les mains sur la tête de ce mouton, que tu égorgeras et prendras du sang d’icelui et le mettras sur le mol de l’oreille droite et sur le gros orteil du pié droit et répandras le reste du sang sur l’autel tout à l’entour, et prendras du sang qui est sur l’autel et de l’huile d’onction et feras aspersion sur Aäron et sur ses vêtemens, sur ses fils et les vêtemens de ses fils avec lui, et ainsi ils seront santifiés et consacrés… Et ceci sera en ordonnance perpétuelle pour Aäron et pour ces fils… tu sacrifieras pour l’expiation du péché tous les jours un veau… Voici encore, lui-dit-il, ce que tu feras sur l’autel, tu offriras par chacun jour continuellement deux agneaux, tu sacrifieras l’un des agneaux le matin et l’autre agneau vers le soir… et j’habiterai au milieu des Enfans d’Israël et je serai leur Dieu etc.[8]

Voici encore ce qui est écrit dans ces mêmes livres, touchant ces sortes de sacrifices. Le Seigneur parla à Moïse et lui dit : Parles aux Enfans d’Israël et leur dis ceci, quand quelqu’un d’entre vous offrira offrande en sacrifice au Seigneur, vous offrirez votre offrande ou votre sacrifice de vos troupaux, tant du gros que du menu bétail ; si son offrande est du gros bétail pour l’holocauste, il offrira un mâle sans tâche et l’offrira à l’entrée du Tabernacle, de son bon gré en la présence du Seigneur, et posera la main sur la tête de l’holocauste, et il sera acceptable pour lui et pour la propitiation de ses péchés, puis on égorgera le bon veau en la présence du Seigneur ; et les fils d’Aäron, sacrificateurs, en offriront le sang et le répandront sur l’autel et tout à l’entour, et puis on écorchera l’holocauste et on le coupera en piéces. Les fils d’Aäron, sacrificateurs, mettront le feu sur l’autel et arangeront le bois sur le feu. Pareillement ils rangeront sur le bois les quartiers, la tête et la fressure de l’animal, et le sacrificateur offrira toutes ces choses au Seigneur, sur l’autel, où il les fera fumer et brûler en holocauste ; et ce sacrifice étant fait ainsi, il sera d’une très-agréable odeur au Seigneur[9]. Que si son offrande est de menu bétail pour holocauste, savoir d’entre les agneaux ou d’entre les chèvres, il offrira un mâle sans tache, on l’égorgera à côté de l’autel vers le Septentrion en présence du Seigneur, et les fils d’Aäron sacrificateurs en répandront le sang sur l’autel et à l’entour, puis on le coupera en pièces, et sa tête, sa fressure et sa graisse, et le Sacrificateur les rangera sur le bois au dessous duquel il doit mettre le feu. Mais il lavera les entrailles et les jambes, puis le sacrificateur offrira toutes ces choses en sacrifice, les fera fumer et brûler sur l’autel en holocauste, et ce sacrifice étant fait ainsi, il sera d’une très-agréable odeur au Seigneur. Que si son offrande est de la volaille pour holocauste au Seigneur il offrira son offrande de tourterelles ou de pigeonneaux, et le sacrificateur l’offrira sur l’autel et lui entamera la tête avec l’ongle afin de le faire fumer sur l’autel et y fera couler son sang à côté de l’autel ; il ôtera son jabot avec ses plumes et les jettera à côté de l’autel, là où sont les cendres, il lui brisera les ailes sans les diviser et les fera fumer sur le bois qui sera au feu, et ce sacrifice étant fait ainsi, il sera d’une odeur très-agréable au Seigneur. Holocaustum est et oblatio suavissimi odoris etc.[10]

Une autre fois, comme il est marqué dans les susdits livre, Dieu parla à Moïse et lui dit ceci[11] : Quand quelque personne aura commis quelque faute ou quelque péché contre la loi, ou contre les céremonies de son Dieu, si c’est par erreur qu’il l’a commise, il aportera au Seigneur une offrande pour son péché, à savoir un mouton sans tache, que le Prêtre sacrifiera au Seigneur pour l’expiation de son péché : de même,[12], si quelqu’un péche par ignorance, faisant quelque chose qui seroit défendue par la Loi, il offrira un mouton sans tache, et le Sacrificateur, l’offrant à Dieu, priera pour lui, et son péché lui sera remis. Une autre fois, comme il est marqué dans les susdits Livres, Dieu parla à Moïse et lui dit ceci : Parle aux enfans d’Israël et leur dis ceci : Quand vous serez entré au païs où vous devez demeurer, et où je vous ferai entrer, et que vous voudrez faire sacrifice d’holocauste au Seigneur, vous ferez votre offrande d’un animal du gros ou du menu bétail, par chacun agneau vous offrirez au Seigneur en sacrifice un gâteau de fleur de farine, avec une certaine mesure de vin ; par chaque mouton vous offrirez aussi un gâteau de fleur de farine, avec une certaine mesure d’huile et de vin pour l’aspersion, et par chaque taureau vous offrirez avec le bon veau un gâteau de fleur de farine et certaine mesure d’huile et de vin, que vous offrirez au Seigneur en sacrifice, ainsi sera fait pour chaque bœuf, pour chaque mouton et pour chaque petit d’entre les brebis et les chèvres, et vos sacrifices seront d’une très-suave odeur au Seigneur : in oblationem suavissimi odoris[13].

Tous ces témoignages, qui sont tirés des prétendues Ecritures et même des susdites prétenduës révélations divines, marquent expressément et manifestement, que les cruels et sanglans sacrifices, que les hommes font des bêtes innocentes, étoient d’institution divine, au moins dans la loi des Juifs et qu’ils avoient été autrefois au moins très-agréable à Dieu.

Or comment s’imaginer et se persuader qu’un Dieu, qui seroit infiniment parfait, infiniment bon et infiniment sage, auroit voulu jamais établir de si cruels et de si barbares sacrifices ? Car c’est cruauté et barbarie de tuer, d’assommer et d’égorger, comme on fait, des animaux, qui ne font point de mal. Car ils sont sensibles au mal et à la douleur aussi bien que nous, malgré ce qu’en disent vainement, faussement et ridiculement nos nouveaux Cartesiens qui les regardent comme de pures machines sans ames, et qui pour cette raison et par un vain raisonnement, qu’ils font sur la nature de la pensée, dont ils prétendent que la matière n’est pas capable, les disent entiérement privés de tout sentiment de plaisir et de douleur. Ridicule opinion ! mauvaise maxime et détestable doctrine ! Puisqu’elle tend manifestement à étouffer dans le cœur des hommes tout sentiment de bonté, de douceur et d’humanité, qu’ils pouroient avoir pour ces pauvres animaux et qu’elle leur donne lieu et occasion de se faire un jeu et un plaisir de les tourmenter et de les tiranniser sans pitié, sous prétexte qu’ils n’auroient aucun sentiment du mal qu’ils leur feroient, non plus que des machines qu’ils jetteroient au feu et qu’ils briseroient en mille pièces, ce qui seroit manifestement une cruauté détestable envers ces pauvres animaux, lesquels étant vivans et mortels comme nous, et étant faits comme nous de chair, de sang et d’os, et aïant comme nous tous les organes de la vie et du sentiment, savoir : des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des narines pour flairer et discerner les odeurs, une langue et un palais pour discerner le goût des viandes et de la nourriture qui leur convient, et des piés pour marcher ; et voïant d’ailleurs comme nous voïons en eux toutes les marques et tous les effets des passions que nous sentons en nous mêmes, il faut indubitablement croire aussi qu’ils sont sensibles, aussi bien que nous, au bien et au mal, c’est à dire au plaisir et à la douleur ; ils sont nos domestiques et nos fidèles compagnons de vie et de travail, et par ainsi il faut les traiter avec douceur. Bénites soïent les Nations qui les traitent bénignement et favorablement et qui compatissent à leur misère et à leur douleur. Mais maudites soïent les nations qui les traitent cruellement, qui les tirannisent, qui aiment à repandre leur sang et qui sont ardens à manger leur chair. Il est dit en quelques endroits des Ecritures apocrifes[14] qu’un mauvais grain de méchanceté, ou qu’un grain de mauvaise semence a été semé, dès le commencement, dans le cœur d’Adam : Gramen seminis mali seminatum est in corde Adam ab initio. Il semble en effet que ce mauvais grain de méchanceté, ou que ce grain de mauvaise semence se trouve encore maintenant dans le cœur de tous les hommes, et que c’est ce grain de méchanceté qui leur fait encore tous les jours trouver du plaisir à mal faire et particuliérement à exercer, comme ils font, leur cruauté envers ces pauvres, douces et innocentes bêtes en les tirannisant, en les tuant, en les assommant et en les égorgeant impitoïablement, comme ils font tous les jours, pour avoir le plaisir de manger leur chair. Pour moi, quoique je ressente assez dans moi-même les mauvaises influences et les mauvais effets de ce maudit grain de mauvaise semence, je puis néanmoins dire que je n’ai jamais rien fait avec plus de répugnance, que lorsqu’il me fallait, dans certaines occasions, couper ou faire couper la gorge à quelques poulets ou pigeonnaux, ou qu’il me fallait faire tuer quelques porcs ; je proteste que je n’ai jamais fait cela qu’avec beaucoup de répugnance et avec une certaine aversion et si j’eusse été tant soit peu superstitieux et enclin à la bigoterie de Religion, je me serois infailliblement mis du parti de ceux qui font religion de ne jamais tuer des bêtes et de ne jamais manger de leur chair. Je haï de voir seulement les boucheries et je n’ai jamais su penser qu’avec horreur à cet abominable carnage et sacrifice des bêtes innocentes que le Roi Salomon fit faire pour la Dédidace de son Temple, où il fit égorger jusqu’à 22 mille bœufs et 120 mille moutons ou brébis, quel carnage ! que de sang répandu ! Comment s’imaginer et se persuader qu’un Dieu infiniment grand et infiniment sage n’auroit voulu prendre pour ses sacrificateurs que des Egorgeurs et des Ecorcheurs de bêtes, et qu’il n’auroit voulu faire qu’une vilaine boucherie de son Tabernacle et de son Temple ? Comment s’imaginer et se persuader qu’il auroit pris plaisir à voir et à faire cruellement égorger tant d’innocentes bêtes ? Comment s’imaginer et se persuader qu’il auroit plaisir à voir couler leur sang et à les voir si pitoïablement expirer ? Et enfin, comment s’imaginer et se persuader qu’il auroit pris plaisir à sentir l’odeur et la fumée de tant de chairs brûlées ? Si cela étoit comme les susdits prétendus livres et les prétenduës révélations divines le témoignent, il seroit vrai de dire qu’il n’y auroit jamais eu de tiran si sanguinaire, ni de bête sauvage si carnaciére, qu’auroit été un tel Dieu ; ce qui est indigne et tout à fait indigne de penser d’un Etre qui seroit infiniment parfait, infiniment bon et infiniment sage. D’où il s’ensuit évidemment, que l’institution de tels sacrifices est faussement attribuée à un Dieu, et que les prétenduës révélations qu’ils lui attribuent, ne sont que de fausses révélations, c’est à dire qu’elles ne sont que des erreurs et des illusions, ou des mensonges et des impostures : ce qui fait manifestement voir que ces sortes de sacrifices, non plus que tous les autres ne sont que de l’institution et de l’invention des hommes.


  1. Exod. 29. 9.
  2. Gen. 8. 21.
  3. Exod. 25. 1.
  4. ibid. 25. 8.
  5. ibid. 27. 1.
  6. ibid. 29. 1.
  7. Exod 29. 1 — 20.
  8. Exod. 29, 21, 29, 36, 38, 44, 45.
  9. Levit. 1, 1 — 10.
  10. Levit. 1. 11 — 16.
  11. Levit. 5. 15.
  12. Voyez encore sur ce sujet le IX ch. du Levit et le XVI ch. touchant le Bouc émissaire, et encore en plusieurs endroits.
  13. Num. 15. 1 — 11.
  14. Esdras, 4, 30.