Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 34

La bibliothèque libre.
Le Testament
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 2p. 48-67).
◄  XXXIII.
XXXV.  ►

XXXIV.


Venons à ses paroles et à ses discours ; ils nous montreront encore assez évidemment le caractère de son Esprit, qui étoit tel que je le viens de dire. On le voit déjà assez évidemment dans ce prémier discours, qu’il fit dans la Sinagogue de Nazareth. Car, quoiqu’il soit marqué dans un Évangile[1], que tout le monde lui donnoit d’abord des louanges et que chacun étoit surpris d’entendre les paroles pleines de grâce, qui sortaient de sa bouche, cela néanmoins ne dura guères, puisque leur admiration changea bientôt, et un moment après, en mépris et en indignation, jusqu’à le vouloir chasser, comme j’ai dit, de leur Sinagogue et à vouloir le jetter en bas d’un précipice. La folie qui paroit dans ce discours, (sans parler de quelques autres sotises, qui choquoient sans doute plus particulièrement les Juifs, car il semble qu’ils n’auroient pas dû se choquer si fort contre lui pour celle que je veux raporter ici), consistoit en ce qu’il vouloit s’attribuer la gloire, de faire voir en lui l’accomplissement de toutes ces grandes et magnifiques promesses, qui avoient été faites dans la Loi, et dont les Prophètes avoient tant de fois si bien parlé et notamment le Prophète Isaïe, le témoignage duquel il rencontra à l’ouverture du livre qui lui fut présenté : car, aïant pris son texte du témoignage de ce Prophète,[2] qu’il trouva, comme je viens de dire, à l’ouverture du livre, il voulut persuader au peuple, que c’étoit en lui que toutes ces grandes et magnifiques promesses, que Dieu avoit faites à leurs Pères, s’alloient accomplir. En quoi paroit manifestement le déréglement de son imagination, puisqu’il s’imaginoit si vainement de pouvoir faire tant de si belles choses, dont il étoit si peu capable de faire voir aucun effet, et cela prouve en même tems, qu’il doit avoir dit dans son discours quelque chose de plus choquant et de plus injurieux aux Juifs, puisqu’ils en étoientsi fort indignés contre lui : car s’il n’eut rien dit de plus choquant, un tel discours n’auroit dû, ce semble, exciter que leur risée et leur mépris, et non pas leur colère et leur indignation.

Que nos Christicoles ne prétendent pas dire ici, que leur Christ a suffisamment montré des effèts de l’accomplissement de la parole du Prophète, qu’il lisoit, par les miracles surprenans qu’il a faits, en guérissant miraculeusement toutes sortes de maladies et infirmités. Car, outre que j’ai ci-devant fait voir assez clairement la vanité et la fausseté de ces prétendus miracles, c’est que quand bien même ils seroient vrais, ce ne seroit rien en comparaison de ce qu’il auroit dû faire, ou de ce qui se seroit fait, pour montrer véritablement l’accomplissement de ce que disoit ce Prophète. Car ce prophète (en l’endroit que Jésus-Christ lisoit, dans l’occasion dont je viens de parler) ne prédisoit rien moins que la délivrance, le bonheur, la gloire et la félicité de tout un peuple entier, et non pas seulement de la délivrance de quelques Démoniaques ou la guérison de quelques maladies particulières et douteuses, laquelle délivrance de tout le peuple devoit, suivant ce que dit le même Prophète, se faire par un puissant Prince, qui prendroit le gouvernement de l’empire sur ses épaules, qui, pour ses belles et admirables qualités, seroit apellé[3] l’admirable, le conseiller, le Dieu fort, le Père du siècle avenir, le Prince de paix, qui seroit assis sur le Trône de David, qui régneroit à tout jamais dans son Roïaume, qui l’établiroit et l’affermiroit dans la justice et dans la vérité, pour durer à tout jamais, ne devant jamais y voir aucune fin à la paix, ce qui est certainement bien éloigné d’être arrivé dans le tems de Jésus-Christ, ni dans aucun autre tems. Dire que cette prophétie se seroit accomplie spirituellement en Jésus-Christ, comme nos Christicoles le prétendent, c’est une pure illusion, puisque ce prétendu accomplissement spirituel ne peut être qu’imaginaire, et qu’il seroit aussi facile de l’attribuer à un autre, qu’à Jésus-Christ même, et ainsi c’est vouloir s’aveugler et s’en imposer à soi-même, que de prétendre que Jésus-Christ ait, par ses prétendus miracles, suffisamment montré des effèts de l’accomplissement de la prophétie, qu’il lisoit dans cette prémière occasion, dont je viens de parler.

Passons à ses autres discours et à ses prédictions, qui sont certainement des plus singulières et des plus remarquables dans leurs espèces. Voici comme il commença à prêcher[4] : faites pénitence, disoit-il aux peuples, car le Roïaume du ciel est proche. Croïez cette bonne nouvelle-là, disoit-il[5], et il alloit par toute la Province de Galilée, prêchant ainsi dans les villes, bourgs et villages cette bonne nouvelle de la prétendue venue prochaine du Roïaume du ciel, et comme personne n’a encore vu et que l’on ne voit encore présentement aucune aparence de l’avenue de ce prétendu Roïaume, c’est une preuve évidente, que ce Roïaume n’étoit qu’imaginaire et qu’il falloit avoir l’esprit de travers, ou avoir l’esprit renversé pour aller et courir de côté et d’autre, comme il faisoit, prêcher ainsi la venue prochaine d’un tel Roïaume. Mais voïons comme il faisoit, dans ses autres prédications, l’éloge et la description de ce beau prétendu Roïaume, pour en faire connoitre la grandeur et l’excellence et pour en faire concevoir une haute idée et une haute estime. Voici comme il en parloit aux Peuples. Le Roïaume des cieux, leur disoit-il[6], est semblable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ, mais pendant que les hommes dormaient, son ennemi est venu, qui a semé la zizanie parmi le bon grain. Le Roïaume du ciel, leur disoit-il[7], est semblable à un trésor, caché dans un champ ; l’homme, aïant trouvé le trésor, l’a caché de nouveau, et il a tant de joie de l’avoir trouvé, qu’il a vendu tout son bien et a acheté ce champ. Le Roïaume du ciel, leur disoit-il[8], est semblable à un marchand, qui cherche de belles perles, et qui, en aïant trouvé une de grand prix, va vendre tout ce qu’il a et achette cette perle. Le Roïaume du ciel, leur disoit-il[9], est semblable à un filet, qui a été jetté dans la mer et qui renferme toutes sortes de poissons ; étant plein, les pêcheurs l’ont retiré et ont mis les bons poissons ensemble dans des vaisseaux et ont jetté dehors les mauvais. Le Roïaume du ciel, leur disoit-il[10], est semblable à un grain de senevé, qu’un homme a semé dans son champ, il n’y a point, disoit-il, de grain si petit que celui-là ; néanmoins, disoit-il, quand il est crû, il est plus grand que toutes les légumes, et il devient comme un arbre, où les oiseaux du ciel viennent se reposer sur les branches. Le Roïaume du ciel, leur disoit-il encore, est semblable à un levain, qu’une femme a pris et qu’elle a mis dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que tout ait été levé.[11] Enfin il prêchoit et enseignoit toujours les peuples sous des paraboles et il ne leur parloit point sans paraboles, comme il est expressément marqué dans les Evangiles[12].

Voilà certainement bien des belles et subtiles prédications, pour un homme, qui se disoit être le fils de Dieu, et que nos Christicoles prétendent avoir été la sagesse même et la sagesse éternelle. Voilà de bien belles et bien ingénieuses paraboles, ou comparaisons, et qui sont bien capables de donner une haute idée de la grandeur et de l’excellence de ce beau Roïaume du ciel, puisqu’il est semblable à tant de si belles et si admirables choses, qui sont : un grain de senevé semé dans un champ, ou un filet jetté dans la mer, ou un levain mêlé dans une quantité de pâte ou de farine, etc. Si quelques-uns de nos Docteurs et de nos Prédicateurs nous faisoient maintenant de semblables prédications, ne se moqueroit-on pas d’eux ? On n’en feroit certainement que rire et on n’en auroit que du mépris. Et nos Deichristicoles voudroient encore nous persuader, que ce sont-là des discours d’une sagesse infinie et d’une sagesse éternelle. Et ce qui est encore à remarquer en ceci, est, que cette prétendue admirable et divine sagesse[13] ne parloit ainsi aux peuples en telles paraboles, qu’afin, comme elle disoit elle-même[14], qu’en voïant, ils ne vissent point et qu’en écoutant, ils ne comprissent point ce qu’elle leur disoit, et qu’ainsi ils ne se convertissent point et que leurs péchés ne leur soient point pardonnés. Et dans une autre occasion elle disoit, cette prétendue divine sagesse[15], qu’elle étoit venue pour aveugler ceux qui voient clair. Ego veni, disoit Jésus-Christ, ego veni in hunc mundum ut qui vident coeci fiant. Cela étant, il y auroit donc non seulement de la folie, mais aussi de la malice et de la méchanceté dans ses discours et dans ses Prédications, puisqu’il auroit parlé exprès en termes ambigus et obscurs, afin que l’on ne comprit point ce qu’il disoit et que l’on ne comprit point ce qu’il disoit et que personne n’en fit son profit. Il est dans le sage Ecclésiastique, que celui qui parle sophistiquement, c’est-à-dire, que celui qui parle d’une manière ambiguë et trompeuse est odieux[16], qui sophistice loquitur odibilis est. À plus forte raison, celui qui parle exprès dans le dessein de tromper et d’aveugler et de perdre ceux à qui il parle, doit-il être odieux ; et ainsi le Christ des Chrétiens, aïant parlé exprès, comme il disoit lui-même, en paraboles aux peuples, afin qu’en voïant ils ne vissent point, et qu’en écoutant ils ne comprissent point ce qu’il leur disoit, et qu’ainsi ils ne se convertissent point, et que leurs péchés ne leur soient pas pardonnés, il s’en suit manifestement qu’il y avoit ou qu’il y auroit eu non seulement de la folie, mais aussi de la malice et de la méchanceté dans ses discours et dans ses prédications, en quoi il se rendoit non seulement méprisable, mais aussi digne de la haine des peuples. D’un côté il disoit qu’il était venu pour sauver les hommes, pour chercher et sauver tout ce qui étoit perdu ; qu’il étoit venu pour apeller et sauver les pécheurs ; qu’il ne demandoit point de sacrifices, mais qu’il vouloit seulement faire miséricorde ; qu’il étoit la lumière du monde ; qu’il étoit la voie et la vérité et la vie ; qu’il étoit un bon pasteur, et qu’il donnoit même sa vie pour le salut de ses brebis. Et d’un autre côté il disoit, qu’il étoit venu pour aveugler ceux qui voïoient clair ; qu’il ne falloit point penser[17], qu’il soit venu pour aporter la paix sur la terre, mais plutôt pour y allumer le feu de la guerre. Ne pensez pas, disoit-il lui-même, que je sois venu aporter la paix sur la terre, je n’y suis point venu pour aporter la paix, mais l’épée, car je suis venu, disoit-il, mettre la division entre le fils et le père, entre mère et la fille, entre la belle-mère et la belle-fille, et les domestiques d’un homme seront ses ennemis. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, disoit-il encore, n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi, et quiconque, ajoutoit-il, ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi[18]. Ne faut-il pas être fou et extravagant, pour faire de tels discours et de telles prédications, qui se contredisent et se détruisent entièrement les uns les autres. Car s’il étoit venu pour éclairer les hommes et les instruire de sa sagesse, comment disoit-il, qu’il étoit venu pour aveugler ceux qui voïent clair ? Et pourquoi parloit-il aux peuples en paraboles, afin qu’ils n’entendissent point et ne comprissent point ce qu’il leur disoit ? Ce n’étoit pas-là le moïen de les instruire, ni de les éclairer par sa sagesse. Et s’il étoit venu, comme il disoit, pour sauver les hommes, pour sauver les pécheurs et pour leur faire miséricorde, pourquoi avoit-il peur qu’ils ne se convertissent, et que leurs péchés ne leur soient pardonnés, s’ils venoient à se convertir et à faire pénitence ? Et enfin s’il étoit, comme il disoit, le bon pasteur, et s’il venoit pour donner sa vie pour le salut de ses brebis, c’est-à-dire pour le salut des hommes et pour les sauver tous, comment pouvoit-il dire qu’il étoit venu pour les perdre, pour allumer entr’eux le feu de la guerre et de la division, et mettre la discorde partout et même entre les plus proches parens et amis ? Tout cela se contredit et se détruit manifestement de soi-même, et il n’apartient qu’a un fou et à un fanatique de parler de la sorte.

Voici encore comment il prêchoit. Se voïant un jour suivi par des troupes de peuples,[19] il monta sur une montagne, et s’étant assis, il ouvrit sa bouche, et regardant ses disciples, il leur dit, comme en prononçant des oracles : Bienheureux sont les pauvres d’esprit, car le Roïaume du ciel est à eux ; bienheureux sont ceux qui ont l’esprit doux, car ils auront la terre pour héritage ; bienheureux sont ceux qui pleurent, car ils seront consolés ; bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ; bienheureux sont les miséricordieux, car ils recevront la miséricorde ; bienheureux sont ceux, qui ont le coeur pur, parce qu’ils verront Dieu ; bienheureux sont les pacifiques, car ils seront apellés les enfans de Dieu ; bienheureux sont ceux, qui souffrent persécution pour la justice, car le Roïaume du Ciel est à eux. Vous serez bienheureux, leur disoit-il, lorsqu’à mon sujèt on vous aura fait des affronts, qu’on vous aura persécuté et que l’on aura dit faussement toute sorte de mal contre vous ;[20] vous devez vous en réjouir et en être ravis de joie, leur dit-il, parce qu’une grande recompense vous attend dans le ciel. Gaudete et exultate quoniam merces vestra copiosa est in coelis. Il n’y a point d’imposteurs, ni de fanatiques, qui n’en pouroient dire et promettre autant à leurs disciples. Voici encore comme il prêchoit. En vérité, en vérité, disoit-il, aux troupes qui le suivoient, je vous dis que si un grain de froment, qui tombe en terre, ne meurt, il demeure tout seul et ne fait aucun fruit, mais étant mort il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime son âme[21], disoit-il, la perdra ; mais celui qui hait son âme en ce monde-ci la conservera pour la vie éternelle. Que celui qui me sert, me suive, disoit-il, car il faut que celui qui me sert, soit avec moi, et celui qui me sert, mon Père l’élevera en honneur. Mais voici, disoit-il en même tems, que j’ai l’ame troublée. Que dirai-je donc, mon Père délivrez-moi de cette heure et glorifiez votre nom. Que vos reins soient ceints, leur disoit-il[22], et que vos lampes soient toujours allumées entre vos mains, étant en cela semblables à des hommes, qui attendent que leur maître vienne des noces, afin de lui ouvrir promptement la porte, lorsqu’il arrivera et qu’il frapera à la porte. Si quelqu’un vient à moi,[23] disoit-il, aux troupes qui le suivoient, si quelqu’un vient à moi, et qu’il ne hait pas son père et sa mère, sa femme et ses enfans, ses frères et ses soeurs, et sa propre âme, il ne peut être mon disciple, quiconque ne porte pas sa croix (ou sa potence) et ne me suit pas, ne peut être mon disciple, C’est une bonne chose que le sel, leur disoit-il, mais si le sel devient insipide, avec quoi le salera-t’-on ?  [24] Que celui, qui a des oreilles pour entendre, m’entende, disoit-il, qui habet aures audiendi audiat etc. Ne voilà-t’il pas de belles prédications pour une sagessetoutedivine et éternelle. Voici encore comme il prêchoit. Un semeur, disoit-il, sortit un jour de sa maison, pour aller semer son grain ; lorsqu’il semoit, une partie du grain, dit-il, tomba sur le bord du chemin, et les oiseaux du ciel vinrent, qui le mangèrent aussitôt ; une autre partie, dit-il, tomba sur des pierres, où il y avoit peu de terre, où elle poussa, mais comme la terre n’étoit pas profonde, le soleil s’étant levé, elle fut brûlée et devint sèche, parce qu’elle n’avoit point de racine ; une autre partie, dit-il, tomba sur des épines, et les épines étant cruës, l’étoufèrent. Enfin l’autre partie tomba, dit-il, dans une bonne terre et raporta du fruit au centuple[25], un des grains, dit-il, en rendoit cent, l’autre 60[26]. Et en disant toutes ces belles choses, il crioit tout haut ces paroles : que celui qui a des oreilles entende bien ce que je dis : Haec dicens clamabat, qui habet aures audiendi audiat. Un jour, comme il prêchoit dans le temple de Jérusalem, les Juifs, par railleries, faisoient semblant d’admirer sa doctrine, et croyant qu’ils l’admiraient véritablement, il leur dit ces paroles : ma doctrine n’est pas ma doctrine, mais la doctrine de celui qui m’a envoïé. Moïse, leur disoit-il, vous a donné une loi et pas un de vous n’observe cette loi. Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir[27]. Les Juifs, étonnés de ces dernières paroles, lui dirent, tu es fol ou tu es possedé du Démon, qui est ce qui a cherché à te faire mourir ? Et comme il continuoit de les prêcher en sa manière, et voïant aparemment que les Juifs ne faisoient pas grand état de l’entendre, ni de l’écouter, il se mit à crier tout haut dans le temple ces paroles-ci : Eh vous me connoissez bien, et vous savez bien d’où je suis, et je ne suis pas venu de moi-même[28], mais celui qui m’a envoïé est véritable et vous ne le connoissez point, mais pour moi je le connois, parce que je viens de lui, et que c’est lui qui m’a envoïé. Une autre fois il leur disoit encore ceci : en vérité, en vérité, je vous dis, que si quelqu’un garde ma parole, il ne moura jamais[29]. Une autre fois il leur disoit : je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, si quelqu’un mange de ce pain, il ne moura jamais, et le pain que je donnerai c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde : car ma chair, leur disoit-il, est une véritable nourriture et mon sang un véritable breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui, et je lui donnerai la vie éternelle. En vérité, en vérité, leur disoit-il, je vous dis que si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’aurez point la vie en vous : car celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour[30]. Une autre fois, qui étoit le dernier jour d’une grande fête solemnelle, il se mit au milieu d’une place publique, dans la ville de Jerusalem, et commença tout d’un coup à crier tout haut et à dire ces paroles[31] : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Il sortira ; dit-il, des fleuves d’eau vive des entrailles de ceux qui croiront en moi, et plusieurs autres semblables discours, qu’il seroit trop long de raporter ici. En bonne foi ne sont-ce pas là des discours de fous et de fanatiques ? Il faut certainement avoir perdu l’esprit, pour faire de tels discours. Si quelques uns venoient maintenant nous en faire de pareils, nous les regarderions certainement tous, tant qu’ils seroient, pour des fous et pour des fanatiques.

Voici encore quelques autres discours plus particuliers, que le Christ faisoit un jour à un Pharisien, qui l’avoit invité à diner chez-lui avec quelques autres personnes. Y étant allé et s’étant mis à table sans laver ses mains, le Pharisien, qui l’avoit invité, ne trouva pas cela honnête, sans témoigner néanmoins qu’il ne trouvait pas cela bon ; voici comme Jésus-Christ le traita[32]. Vous autres Pharisiens, lui dit-il, vous nettoïez le dehors de la coupe et du plat et au dedans vous êtes pleins de rapines et d’injustices. Insensés que vous êtes, lui dit-il, celui qui a fait le dehors, n’a t’il pas aussi fait le dedans ? Malheur à vous, Pharisiens, continue-t-il, malheur à vous, qui païez la dixme de la menthe et de la rue et de toute autre légume et qui abandonnez le jugement et la charité de Dieu ; il falloit bien observer ces choses-là, mais il ne falloit pas omettre celui-ci. Malheur à vous, Pharisiens, poursuivit-il, qui aimez que l’on vous donne les……parceque vous êtes semblables à des sépulchres blanchis, dont le dehors paroit beau aux yeux des hommes, mais dont le dedans est plein d’ossemens de morts et de pourriture. Ainsi vous,[33] lui disoit-il, au dehors vous paroissez justes aux yeux des hommes, mais au dedans vous êtes remplis d’hypocrisie et d’injustices. Pharisiens aveugles, lui disoit-il, nettoyez prémiérement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors soit aussi rendu nèt ! Peut-on s’imaginer qu’un homme de bon-sens puisse jamais faire un tel discours à une personne, qui l’auroit invité honnêtement à venir manger chez-elle et qui seroit actuellement à sa table ? Cela ne se peut, il n’y a assurément qu’un fol, qu’un insensé et un imprudent fanatique, qui puisse venir à un tel excès d’impertinence et de folie.

Voici encore un raisonnement, qu’il faisoit et qui montre assez clairement le dérèglement de son esprit. Les juifs lui aïant dit un jour, que c’étoit lui-même qui rendoit témoignage de sa personne et que pour cette raison son témoignage n’étoit pas recevable : Quoique je me rende témoignage moi-même, leur dit-il, mon témoignage ne laisse pas que d’être véritable, parceque je sais, leur dit-il, d’où je suis venu et où je vais, mais vous autres vous ne savez pas d’où je viens, ni où je vais, et si je jugeois quelqu’un, mon jugement seroit juste, parce que je ne suis pas seul, mais que mon père, qui m’a envoïé est avec moi, et il est écrit dans votre loi, leur dit-il,[34] que le témoignage de deux personnes est reçu pour véritable, or, leur disoit-il, je rends témoignage de moi-même et mon père aussi, qui m’a envoïé, rend témoignage de moi…… etc. Donc, suivant son raisonnement, son témoignage, qu’il rendoit de lui-même, devoit être reçu pour véritable. Ne voilà-t-il pas une belle preuve ? qui ne riroit d’un tel raisonnement ? Il est facile de voir, par tous ces discours-là et par tout ce que je viens de raporter, qu’il n’étoit véritablement qu’un fol et un fanatique, et il est certain, que quand il reviendroit encore présentement parmi nous, si cela se pouvoit faire, et qu’il fit encore les mêmes choses, nous ne le regarderions certainement encore nous-mêmes, que comme un fol et un fanatique.

On fera encore facilement le même jugement de lui, si l’on examina de près ses actions et ses manières d’agir ; car 1o. courir par toute une Province dans les villes, bourgs et villages, comme il a fait, en prêchant, comme il faisoit, la venue prochaine d’un Roïaume imaginaire des cieux, cela n’apartient qu’à un fanatique, et on prendroit encore maintenant pour fanatique tout homme qui feroit la même chose. 2o. Avoir été, comme il est dit dans son Evangile, transporté par le Diable[35] sur une haute montagne, d’où il auroit cru voir tous les Roïaumes du monde, cela certainement ne peut convenir qu’à un visionnaire et à un fanatique ; car il est certain, qu’il n’y a point de montagne sur la terre, d’où on puisse seulement voir tout un Roïaume entier, si ce n’est peut-être le petit Roïaume d’Yvetot, qui est en notre France. Ce ne fut donc que par l’imagination, qu’il vit tous ces Roïaumes du monde, et ce ne fut aussi sans doute que par l’imagination, qu’il fut transporté sur cette montagne, aussi bien que sur le pinacle du temple, dont il est parlé dans les mêmes Evangiles. Or il n’apartient encore qu’à un fou, à un visionnaire et à un fanatique, d’avoir de telles visions et de tels transports d’imagination. 3o. Lorsqu’il guérit le sourd et muet, dont il est parlé dans S. Marc[36], il y est dit qu’il le tira en particulier, qu’il lui mit ses doigts dans les oreilles, et qu’aïant craché, il lui toucha la langue, puis, jettant les yeux au ciel, jetta un grand soupir et lui dit : Eppheta, qui signifie : ouvrez vous ! Toutes ces particularités-là et ces manières d’agir-là, ne conviennent certainement encore qu’à un fanatique. Un autre jour il se trouva tout d’un coup ému de joie dans son esprit et dit : je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudens et que vous les avez découvertes aux petits. Oui, mon père, disoit-il, en parlant tout seul c’est parce qu’il vous a plù ainsi ; puis, se tournant vers ses disciples, il leur dit :[37] bienheureux sont les yeux, qui voïent ce que vous voïez, car je vous déclare, leur disoit-il, que plusieurs Prophètes et plusieurs Rois ont desiré de voir ce que vous voïez et ne l’ont point vu, et d’entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. Voilà encore justement ce que diroient et ce que feroient des visionnaires et des fanatiques.

Lorsqu’il ressuscita le Lazare, ou qu’il fit semblant de le ressusciter, il fit le pleureur ; il frémit en son esprit et s’émeut, puis, s’étant aproché du sépulchre du prétendu mort, il frémit encore en lui-même, puis, levant les mains au ciel, il dit : mon Père je vous rends grâce de ceque vous m’avez écouté, alors il cria tout haut : Lazare, sortez dehors ! Toutes ces manières-là ne conviennent encore qu’à un fanatique.

Un jour, comme il alloit à Jerusalem, lorsqu’il aprocha de cette ville, et qu’il la vit, il se mit à pleurer sur elle, en disant : Ah ! si tu connoissais au moins en ce jour, qui seroit favorable pour toi, les choses qui se présentent pour te donner la paix ! mais non elles sont maintenant cachées à tes yeux : car il viendra un tems malheureux pour toi, auquel tes ennemis t’environneront[38] de tranchées, t’assiégeront et te serreront de toutes parts, razeront tes maisons, extermineront tes habitans et ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le tems de ta visite. Lorsqu’il fut entré dans le temple, il chassa avec un fouët ceux qui y vendoient et y achetoient, renversa leurs tables, et leurs siéges et leur dit[39] : il est écrit, ma maison est une maison de prières et vous en faites une caverne de larrons. Voilà encore de véritables actions et de véritables discours de fanatiques.

La veille de sa mort, comme il parloit à ses disciples, tout d’un coup il se troubla dans son esprit et leur dit, en protestant : en vérité, en vérité, quelqu’un d’entre vous me trahira[40]. Un moment après, celui qui devoit le trahir, étant sorti, Jésus dit : c’est maintenant que le Fils de l’homme est glorifié et que Dieu est glorifié en lui ; Dieu le glorifiera aussi en lui-même et il le glorifiera bientôt. Mes petits Enfans, dit-il, à ses disciples, je ne suis plus avec vous que pour peu de tems ; puis levant les yeux au ciel, il dit : Mon Père, l’heure est venue, glorifiez votre fils, afin que votre fils vous glorifie, comme vous avez établi sa puissance sur tous les hommes, afin qu’il fasse part de la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés ; la vie éternelle consiste à vous connoitre, vous qui le seul vrai Dieu et Jésus-Christ que vous avez envoïé[41]. Je vous ai glorifié sur la terre, j’ai accompli l’oeuvre que vous m’aviez donné à faire, vous aussi, mon Père ! glorifiez-moi maintenant en vous-même de la gloire que j’ai eu en vous avant que le monde fut fait… Mon Père, poursuivit-il, je désire que ceux que vous m’avez donné, soient où je suis, afin qu’ils voïent ma gloire, que vous m’avez donné. Je leur ai donné la gloire, que vous m’avez donné, afin qu’ils soïent un comme nous sommes un. Je suis en eux, et vous êtes en moi, afin qu’ils soïent consommés dans l’unité. Père juste[42], continuoit-il, le monde ne vous a pas connu, mais moi je vous ai connu et ceux-ci ont connu que vous m’avez envoïé etc, et plusieurs autres semblables exemples de pareils discours que je pourois raporter. Il est certain, encore un coup, que si on voïoit maintenant dans le monde de tels personnages, qui parloient ainsi, ils ne manqueroient jamais de passer tous, tant qu’ils seroient, pour des fois et pour des fanatiques.

Tous ces témoignages donc, que je viens de raporter ici de la personne de Jésus-Christ, de ses pensées, de ses imaginations, de ses paroles, de ses actions, de ses manières d’agir et des jugemens que l’on faisoit de lui dans le monde, montrent évidemment qu’il n’était qu’un homme du néant, un homme vil et méprisable, qui était sans esprit, sans talens, sans science, et enfin qu’il n’étoit qu’un fol, qu’un insensé, qu’un misérable fanatique et un malheureux pendart. Et cependant c’est à un tel personnage que celui-là, que nos Deichristicoles attribuent la Divinité, c’est un tel personnage, qu’ils adorent comme leur aimable et divin Sauveur et comme le Fils tout-puissant d’un Dieu tout-puissant ; c’est en quoi aussi ils se rendent évidemment plus ridicules et plus blâmables que les Païens, qui n’attribuoient ordinairement la Divinité qu’à de grands hommes et à des personnages qui avoient quelques rares et singulières perfections. Cela étant, il est évident que le Christianisme n’étoit dans son commencement qu’un véritable fanatisme, puisque ce n’étoit d’abord qu’une secte de gens vils et méprisables, qui faisoient profession de suivre aveuglement les fausses pensées, les fausses imaginations, les fausses maximes et les fausses opinions d’un vil et méprisable fanatique, sorti de la plus vile et de la plus misérable de toutes les nations, qui leur avoit déjà si bien persuadé, ce qu’il leur disoit touchant le prétendu rétablissement du Roïaume d’Israël et touchant toutes les autres belles promesses qu’il leur faisoit, qu’ils lui demandoient déjà si ce seroit bientôt qu’il rétabliroit le Roïaume d’Israël et qu’il accompliroit toutes les autres belles promesses qu’il leur avoit faites[43]. Domine, si in tempore hoc restitues regnum Israël. Et pour preuve que le Christianisme n’étoit véritablement qu’un vil et méprisable fanatisme, il ne faut que voir comme les Historiens de ce tems-là en parlent, et comme les premiers Christicoles en parlent eux-mêmes.



  1. Luc. 4. 22.
  2. Luc. 4. 17.
  3. Isaïe 9. 5.
  4. Matth. 4. 17.
  5. Marc. 1. 15.
  6. Matth. 18. 24.
  7. Ibid. 44.
  8. Ibid. 45.
  9. Ibid. 47.
  10. Ibid. 31.
  11. Ibid. 33.
  12. Matth. 13. 34.
  13. Matth. 13. 13.
  14. Marc. 4. 12.
  15. Jean. 9. 89.
  16. Eccles. 37. 23.
  17. Matth. 10. 34.
  18. Matth. 10. 38.
  19. Matth. 5, 1.
  20. Matth. 5. 12.
  21. Joan. 12. 24
  22. Luc. 12. 35.
  23. Luc. 14. 26.
  24. Ibid. v. 35.
  25. Matth. 13. 3.
  26. Luc. 8. 8.
  27. Joan. 7. 16. 20.
  28. Joan. 7. 28.
  29. Joan. 8. 51.
  30. Ibid. 6. 51.
  31. Ibid. 7. 37.
  32. Luc. 11 37.
  33. Math. 23. 26.
  34. Joan. 8. 13.
  35. Math. 4. 5, 8. Luc. 4. 5.
  36. Marc. 7. 32.
  37. Luc. 10. 21, 23
  38. Cela ne s’accorde guères avec ce qu’en ont prédit tous les anciens Prophètes. Voïez ci-devant toutes ces belles choses, qu’ils en ont prédites.
  39. Luc. 19. 41.
  40. Joan. 13. 21. 31.
  41. Joan.17. 1.
  42. Ibid. 21. 25.
  43. Act. 1. 6.