Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 35

La bibliothèque libre.
Le Testament
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 2p. 68-73).
◄  XXXIV.
XXXVI.  ►

XXXV.


Les Historiens de ce tems-là ne parlent du Christianisme que comme d’une secte pernicieuse, vile et méprisable et comme d’une détestable superstition. Voici comme Tacite, historien romain, en parle : » Néron, dit-il, voulant décharger le crime de l’embrasement de la ville de Rome sur quelques autres que lui, fit mourir cruellement les Chrétiens, comme incendiaires, et ils étoient, dit-il, des gens haïs pour leur infamie, que le peuple apelloit Chrétien à cause de Christ, leur auteur, qui fut puni du dernier supplice sous le règne de Tibère par Ponce-Pilate, Gouverneur de la Judée. Mais cette pernicieuse secte, dit-il, après avoir été réprimée pour quelque tems, pulluloit tout de nouveau, non seulement dans le lieu de sa naissance, mais dans Rome même, qui est, dit-il, le rendez-vous de toutes les ordures du monde. On insulta même, dit-il, à leurs morts,[1] en les couvrant de peaux de bêtes sauvages et les faisant dévorer par les chiens, où les attachant en croix et les brûlant pour servir la nuit de feu et de lumière… Encore que ces misérables, dit-il, ne fussent pas innocens et eussent mérités les derniers supplices, on ne laissoit pas néanmoins d’en avoir compassion, parce que le Prince ne les faisait pas tant mourir pour l’utilité publique, que pour satisfaire sa cruauté. » Voilà comme cet historien en parle.

Lucien[2] n’en parle pas plus honorablement, il les traite de misérables. « Ces misérables, dit-il, méprisent toutes choses et la mort même sur l’espérance de l’immortalité de l’âme, et s’offrent volontairement aux supplices, car leur prémier législateur, qui a été, dit-il, crucifié dans la Palestine, pour avoir introduit cette secte, leur a fait accroire qu’ils sont tous frères, depuis qu’ils ont renoncé à notre Religion, et qu’adorant le crucifié ils vivent selon ses loix et croïent que tout est commun, recevant ses dogmes avec une aveugle obéissance. »

La haine contre les Chrétiens,[3] dit l’histoire romaine, étoit si grande dans l’empire romain, qu’on les accusoit d’être la cause de tous les malheurs qui arrivoient dans l’empire, de sorte que si le Tibre s’enfloit, si le Nile ne montoit pas assez haut, si le ciel s’arrêtoit, si la terre trembloit, s’il venoit une famine ou une contagion, le peuple enragé contr’eux, crioit qu’il falloit les exposer aux lions et aux bêtes farouches.

Mais aprenons d’eux-mêmes l’estime que l’on faisoit d’eux et de leur doctrine et de leur manière de vivre, car leur témoignage ne doit pas être suspect en ce qu’ils disent à cet égard. Nous prêchons, disoit leur grand S. Paul[4], un Jésus-Christ crucifié, qui est un sujet de scandale aux Juifs et qui paroit une folie aux Gentils. Mais comme il s’imaginoit qu’il y avoit une grande sagesse cachée dans cette folie, il s’en glorifioit aussi, comme d’une véritable et toute extraordinaire et divine sagesse. À Dieu ne plaise[5] disoit-il, que je me glorifie en autre chose, qu’en la croix de Jésus-Christ. Je pense, disoit-il ailleurs, que Dieu nous a exposé comme des personnes condamnées à la mort, nous faisant servir de spectacle au monde ; nous sommes fous, disoit-il, pour l’amour de Jésus-Christ, nous sommes faibles, nous sommes dans le mépris jusqu’à présent, dit-il, nous souffrons la faim, la soif, la nudité, les mauvais traitemens, et nous n’avons point de demeure assurée, nous rendons des bénédictions pour les malédictions que l’on nous donne,[6] on nous persécute et nous le souffrons, on nous dit des injures et nous prions que l’on nous pardonne et on nous traite comme des victimes, que l’on immole pour les crimes publics, et comme les ordures, que toute la terre rejette. Nous sommes pressés de toutes parts, disoit-il encore, nous sommes persécutés[7], nous portons toujours dans notre corps la mortification de Jésus-Christ. Nous montrons en toutes choses, disoit-il encore, que nous sommes serviteurs de Dieu, par une grande patience dans l’affliction, dans les adversités, dans les oppressions, dans les plaïes, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles et dans les jeunes, nous passons par l’infamie et par les calomnies des séducteurs,[8] quoique nous soïons prédicateurs de la vérité, comme des inconnus, quoique nous soïons connus, comme des hommes que l’on châtie et qui sont toujours prêts de souffrir la mort. Souvenez-vous, disoit-il, en parlant à ses confrères Chrétiens, souvenez-vous de ce prémier tems, auquel, après avoir été baptisés, vous eûtes de grands et rudes combats à soutenir ; étant d’une part exposés aux oprobres et aux afflictions, et de l’autre sentant la douleur de ceux que l’on traitoit de la même sorte : car vous avez compati, leur disoit-il, à ceux qui étoient dans les chaines et vous avez souffert avec joie, que l’on vous ravit vos biens, sachant que vous aviez des biens incomparablement plus grands et qui ne périront jamais. Et le même Apôtre, parlant de ceux qui étoient morts dans les persécutions, il disoit : les uns ont été tourmentés sur des chevalèts, d’autres ont souffert les oprobres, les fouëts, les liens, la prison, d’autres ont été lapidés, sciés, tentés et passés par le fil de l’épée, d’autres ont été errans ça et là, vêtus de peaux de brébis et de chèvres, étant pauvres, affligés et maltraités. D’autres se sont retirés dans les déserts, sur les montagnes, dans des antres et dans les cavernes de la terre… etc. Voilà des témoignages, qui sont bien contraires à tout ce que les anciens prétendus prophètes avoient prédit de si glorieux et de si avantageux pour les peuples, lorsque leur prétendu Messie et libérateur viendroit les délivrer de leur captivité, mais ils montrent bien évidemment aussi, que le Christianisme n’étoit et ne passoit dans son commencement que pour une folie et pour un vil et méprisable fanatisme ; car pourquoi les prémiers Chrétiens étoientils ainsi traités, haïs, méprisés et persécutés partout, ce n’étoit certainement qu’à cause de la fausseté, de la folie et de l’absurdité de leur doctrine et à cause de leur folle et ridicule manière de vivre, c’étoit cela qui les rendoit si odieux et si méprisables partout : et ce qui est encore de plus remarquable est, que nonobstant cela ils ne laissoient pas que de se croire plus sages que tous les autres hommes : car ils s’imaginoient que leur folie étoit une sagesse toute surnaturelle et divine : c’est pourquoi ils disoient avec leur grand Mirmadolin S. Paul, que ce qui sembloit folie en Dieu, étoit plus sage que tous les hommes et que c’étoit par la folie de leurs prédications[9] et de leur doctrine, que Dieu vouloit sauver ceux qui embrasseroient leur foi, et qu’il avoit changé la sagesse du monde en folie : Stultitiam Deus fecit sapientiam hujus mundi. C’est pourquoi ils disoient encore, en parlant d’eux-mêmes, que Dieu avoit choisi dans le monde ceux qui sembloient être sans esprit, afin de confondre les sages ; qu’il avoit choisi les foibles pour confondre les puissans et qu’il s’étoit servi de ceux, qui étoient vils et méprisables dans le monde, et qui étoient comme rien, pour détruire ce qui étoit grand. Quae stulta sunt mundi elegit Deus, ut confundat sapientes, et infirma mundi elegit Deus ut confundat fortia et ignobilia mundi et contemptibilia mundi elegit Deus ut ea quae sunt destrueret. Et cela, suivant leur imagination, afin que personne ne puisse se glorifier devant Dieu ut non glorietur omnis caro in conspectu ejus. Tout cela fait évidemment voir, que le Christianisme n’étoit dans son commencement qu’un vil et ridicule fanatisme, et par conséquent il est évident, que nos Christicoles sont dans des erreurs grossières sur ce point, et qu’ils sont même dans des erreurs plus ridicules et plus absurdes, que n’étoient autrefois les Païens ; car les Païens n’ont jamais prétendu faire tourner la sagesse humaine en folie, ni la folie humaine en sagesse surnaturelle et divine, comme font les Chrétiens et ainsi il ne faut pas s’étonner, s’il y a en Italie un Proverbe qui dit : qu’il faut être fou pour être Chrétien.




  1. Tacite.
  2. Lucien.
  3. Hist. Rom.
  4. Cor. 1. 23.
  5. Gal. 6. 14.
  6. 1 Cor. 4. 9.
  7. 2 Cor. 4. 8.
  8. 2 Cor. 6. 4.
  9. Placuit Deo, disoit-il, per stultitiam praedicationis salvos facere credentes. 1. Cor. 1. 21.