Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 36

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Le Testament
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 2p. 73-77).
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XXXVI.


Nos Christicoles Romains, aussi bien que les autres qui ne sont pas Romains, blâment et condamnent les Païens de ce qu’ils adorent des idoles de bois, de pierre, de cuivre, de bronze, de plâtre, d’or ou d’argent, et ils trouvent que c’étoit et que c’est encore maintenant une grande folie et un grand aveuglement dans les hommes d’adorer ainsi des statues et des idoles immobiles, qui n’ont ni vie ni sentiment aucun, et qui ne sont nullement capables de faire aucun bien, ni aucun mal à personne, ils se moquent eux-mêmes, nos Christicoles Romains, de ces idoles et de ces prétenduës Divinités de bois ou de pierre, d’or ou d’argent, etc, qui ont, comme ils disent des yeux et qui ne voïent point, des oreilles et qui n’entendent point, qui ont des bouches et qui ne parlent point, qui ont des piés et qui ne marchent point, et qui ont des mains et qui ne peuvent rien faire, etc. Ils ont effectivement raison de se moquer de telles Divinités et de ceux qui les adorent. Mais pourquoi donc sont-ils si sots ou si fous eux-mêmes, que de faire la même chose et d’adorer eux-mêmes, comme ils font, de foibles petites idoles, ou images de pâte, qui sont en un sens moins que des idoles d’or ou d’argent : c’est pourquoi on pouroit fort bien à cette occasion apliquer à nos Christicoles Romains le reproche : que le chaudron noir faisoit à la marmite, lorsqu’ils se reprochoient leur noirceur et qu’ils se disoient l’un à l’autre : voe tibi, voe nigroe dicebat cacabus olloe ! Ils voïent, comme disoit Jésus-Christ, un fétu dans l’oeil de leur frère et de leurs compagnons, les Païens, et ils ne voïent pas une poutre qui leur crève l’oeil, c’est-à-dire, qu’ils voïent dans les Païens, leurs frères, la folie de leurs idolatries et ils ne voïent point dans eux-mêmes de plus grandes folies, de plus grandes idolatries et de plus grandes superstitions, que celles des Païens. Je ne dis pas ceci pour les idoles de bois et de pierre : ni pour les idoles de cuivre ou de plâtre, d’or ou d’argent auxquelles nos Christicoles Romains rendent extérieurement les mêmes honneurs, que les Païens rendoient à leurs fausses Divinités : car je sais bien, que ce n’est pas leur intention de les adorer comme des Divinités, ainsi que faisoient les Païens ; mais je parle principalement pour leurs petites idoles de pâte et de farine, qu’ils font cuire entre deux fers, qu’ils consacrent ensuite et qu’ils mangent tous les jours, quoiqu’ils les adorent véritablement comme leur Dieu et leur Sauveur.

Si la Divinité veut bien, comme nos Christicoles Romains le prétendent, se faire adorer dans le pain et dans le vin, ou comme ils disent, sous ces espèces ou aparences visibles du pain et du vin, pourquoi ne voudroit-elle pas bien aussi et pourquoi n’auroit-elle pas bien voulu aussi se mettre ou se faire adorer dans le bois et dans la pierre, dans le plâtre et dans le cuivre, dans l’or et dans l’argent, ou si on veut, sous les espèces ou aparences visibles de ces mêmes choses ou d’autres semblables ? Car il n’y a certainement pas plus d’impossibilité, ni plus d’indécence d’un côté que de l’autre. Nos Christicoles n’oseroient nier que leur Dieu Christ ne puisse aussi facilement changer le bois ou la pierre, ou l’or et l’argent en son corps et en son sang, comme ils prétendent qu’il y change le pain et le vin ; car s’ils nioient l’un, il y auroit autant de raison de nier l’autre, et ainsi, suivant leur principe, la possibilité de faire telle chose seroit égale dans l’un comme dans l’autre, c’est-à-dire, qu’elle seroit égale d’un côté comme de l’autre, et par conséquent la Divinité pouroit aussi véritablement se trouver dans les idoles de bois ou de pierre, d’or ou d’argent et de plâtre, si on veut, que dans les petites idoles ou images de pâte, que les Christicoles Romains adorent, et ainsi ils seront encore de ce côté-là à deux de jeu avec les Païens, et ils seront aussi bien fondés les uns que les autres dans leurs opinions, parcequ’il leur sera aussi facile aux uns qu’aux autres, de dire que la Divinité réside véritablement dans les idoles de bois ou de pierre, d’or ou d’argent, comme dans les idoles de pâte ou de farine.

Mais d’ailleurs, si on faisoit réflexion sur ce qui sembleroit à cet égard devoir être plus convenable à la majesté d’un Dieu, il semble certainement qu’il lui seroit plus convenable de se faire adorer dans quelque sujet ferme et solide, comme dans le bois et la pierre, ou dans quelqu’autre riche et précieuse matière, comme l’or et l’argent, plutôt que de vouloir se faire adorer dans de viles et foibles petites images de pâte et de farine, qui n’ont en elles-mêmes aucune solidité, qui fondroient à la pluïe et qui se laisseroient aller au vent, et qui se laisseroient manger par les rats et par les souris. Certainement si c’est un aveuglement et une folie dans les Païens, de croire que la Divinité réside véritablement dans leurs idoles de bois, de pierre, d’or ou d’argent, ou de plâtre, c’est bien un plus grand aveuglement et une bien plus grande folie dans nos Christicoles, de croire que leur Dieu réside véritablement en corps et en âme, en chair, en os et en sang dans de foibles petites images de pâte et de farine, que le moindre vent seroit capable d’emporter et que la moindre souris seroit capable de manger.

Si on vous disoit, mes chers amis, qu’il y a dans certains païs étrangers une nation et une religion, où les peuples et les prêtres mangent les Dieux, qu’ils adorent, et où les Dieux ne sont que de foibles et petites images de pâte, qu’ils font cuire entre deux fers, que les prêtres consacrent avec quatre paroles, qu’ils prononcent secrètement dessus, et qu’ils ont soin de conserver précieusement leurs Dieux dans des boëtes, de peur que les rats et les souris ne les mangent avant eux, ou de peur que le vent ne les emporte, ne ririez-vous pas de leur simplicité, ou plutôt de la bêtise de ces pauvres ignorans-là, d’adorer ainsi des Dieux que des rats et des souris mangeroient et que le moindre vent seroit capable d’emporter, s’ils n’avoient soin de les conserver, comme je viens de dire ? Vous ne manqueriez certainement pas de rire, si vous ne sentiez déjà bien que la risée retomberoit sur vous, puisque vous êtes vous-même ce peuple qui croit si sotement adorer et manger son Dieu, en adorant el en mangeant pieusement et dévotement, comme vous faites, vos petites images de pâte, que vos prêtres vous font accroire être votre Dieu et votre divin Rédempteur.