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Le Tour de la France par deux enfants/003

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III. — La dernière parole de Michel Volden. — L’amour fraternel et l’amour de la patrie.

Ô mon frère, marchons toujours la main dans la main, unis par un même amour pour nos parents, notre patrie et Dieu.

Pendant que Julien dormait, André s’était assis auprès du père Étienne. Il continuait le récit des événements qui les avaient obligés, lui et son frère, à quitter Phalsbourg où ils étaient nés. Revenons avec lui quelques mois en arrière.


On se trouvait alors en 1871, peu de temps après la dernière guerre avec la Prusse. À la suite de cette guerre l’Alsace et une partie de la Lorraine, y compris la ville de Phalsbourg, étaient devenues allemandes ; les habitants qui voulaient rester Français étaient obligés de quitter leurs villes natales pour aller s’établir dans la vieille France.

Le père d’André et de Julien, un brave charpentier veuf de bonne heure, qui avait élevé ses fils dans l’amour de la patrie, songea comme tant d’autres Alsaciens et Lorrains à émigrer en France. Il tâcha donc de réunir quelques économies pour les frais du voyage, et il se mit à travailler avec plus d’ardeur que jamais. André, de son côté, travaillait courageusement en apprentissage chez un serrurier.

Tout était prêt pour le voyage, l’époque même du départ était fixée, lorsqu’un jour le charpentier vint à tomber d’un échafaudage. On le rapporta mourant chez lui.

Pendant que les voisins couraient chercher du secours, les deux frères restèrent seuls auprès du lit où leur père demeurait immobile comme un cadavre.

Le petit Julien avait pris dans sa main la main du mourant, et il la baisait doucement en répétant à travers ses larmes, de sa voix la plus tendre : Père !… Père !…

Comme si cette voix si chère avait réveillé chez le blessé ce qui lui restait de vie, Michel Volden tressaillit, il essaya de parler, mais ce fut en vain ; ses lèvres remuèrent sans qu’un mot pût sortir de sa bouche. Alors une vive anxiété se peignit sur ses traits. Il sembla réfléchir, comme s’il cherchait avec angoisse le moyen de faire comprendre à ses deux enfants ses derniers désirs ; puis, après quelques instants, il fit un effort suprême et, soulevant la petite main caressante de Julien, il la posa dans celle de son frère aîné. Épuisé par cet effort, il regarda longuement ses deux fils d’une façon expressive, et son regard profond, et ses yeux tristes semblaient vouloir leur dire : — Aimez-vous l’un l’autre, pauvres enfants qui allez désormais rester seuls ! Vivez toujours unis, sous l’œil de Dieu, comme vous voilà à cette heure devant moi, la main dans la main.

André comprit le regard paternel, il se pencha vers le mourant :

— Père, répondit-il, j’élèverai Julien et je veillerai sur lui comme vous l’eussiez fait vous-même. Je lui enseignerai, comme vous le faisiez, l’amour de Dieu et l’amour du devoir : tous les deux nous tâcherons de devenir bons et vertueux.

Le père essaya un faible sourire, mais son œil, triste encore, semblait attendre d’André quelque autre chose.

André le voyait inquiet et il cherchait à deviner ; il se pencha jusqu’auprès des lèvres du moribond, l’interrogeant du regard. Un mot plus léger qu’un souffle arriva à l’oreille d’André : — France !

— Oh ! s’écria le fils aîné avec élan, soyez tranquille, cher père, je vous promets que nous demeurerons les enfants de la France ; nous quitterons Phalsbourg pour aller là-bas ; nous resterons Français, quelque peine qu’il faille souffrir pour cela.

Un soupir de soulagement s’échappa des lèvres paternelles. La main froide de l’agonisant serra d’une faible étreinte les mains des deux enfants réunies dans la sienne, puis ses yeux se tournèrent vers la fenêtre ouverte par où se montrait un coin du grand ciel bleu : ses regards mourants s’éclairèrent d’une flamme plus pure ; il semblait vouloir à présent ne plus songer qu’à Dieu. Son âme s’élevait vers lui dans une ardente et dernière prière, remettant à sa garde suprême les deux orphelins agenouillés auprès du lit.

Peu d’instants après, Michel Volden exhalait son dernier soupir.

Toute cette scène n’avait duré que quelques minutes ; mais elle s’était imprimée en traits ineffaçables dans le cœur d’André et dans celui du petit Julien.


Quelque temps après la mort de leur père, les deux enfants avaient songé à passer en France comme ils le lui avaient promis. Mais il ne leur restait plus d’autre parent qu’un oncle demeurant à Marseille, et celui-ci n’avait répondu à aucune de leurs lettres ; il n’y avait donc personne qui pût leur servir de tuteur. Dans ces circonstances, les Allemands refusaient aux jeunes gens orphelins la permission de partir, et les considéraient bon gré mal gré comme sujets de l’Allemagne. André et Julien n’avaient plus alors d’autre ressource, pour rester fidèles et à leur pays et au vœu de leur père, que de passer la frontière à l’insu des Allemands et de se diriger vers Marseille, où ils tâcheraient de retrouver leur oncle. Une fois qu’ils l’auraient retrouvé, ils le supplieraient de leur venir en aide et de régulariser leur situation en Alsace : car il restait encore une année entière accordée par la loi aux Alsaciens-Lorrains pour choisir leur patrie et déclarer s’ils voulaient demeurer Français ou devenir Allemands.

Tels étaient les motifs pour lesquels les deux enfants s’étaient mis en marche et étaient venus demander au père Étienne l’hospitalité.


Lorsque André eut achevé le récit des événements qu’on vient de lire, Étienne lui prit les deux mains avec émotion :

— Ton frère et toi, lui dit-il, vous êtes deux braves enfants, dignes de votre père, dignes de la vieille terre d’Alsace-Lorraine, dignes de la patrie française ! Il y a bien des cœurs français en Alsace-Lorraine ! on vous aidera ; et pour commencer, André, tu as un protecteur dans l’ancien camarade de ton père.