Le Tour de la France par deux enfants/032

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XXXII. — Une rencontre sur la route. — Les gendarmes. — Loi Grammont, protectrice des animaux.

Quand on n’a rien à se reprocher, on n’a point sujet d’avoir peur.

Les deux enfants hâtèrent le pas et rejoignirent le cheval ; ils marchèrent auprès de lui, le dirigeant et l’empêchant de heurter la voiture aux tas de pierres.

Ils allèrent ainsi longtemps, et l’ivrogne ne s’éveillait point. Julien était exténué de fatigue, car le pas du cheval était difficile à suivre pour ses petites jambes, mais il avait repris son courage habituel. — Ce que nous faisons est bien, pensait-il, il faut donc marcher bravement.

Enfin nos enfants aperçurent deux gendarmes qui arrivaient à cheval derrière eux. André, aussitôt, s’avança à leur rencontre, et simplement il leur raconta ce qui était arrivé, leur demandant conseil sur ce qu’il y avait de mieux à faire.

Les gendarmes, d’un ton sévère, commencèrent par dire à André de montrer ses papiers. Il les leur présenta aussitôt. Lorsqu’ils les eurent vérifiés, ils se radoucirent.

— Allons, dit l’un d’eux, qui avait un fort accent alsacien, vous êtes de braves enfants, et j’en suis bien aise, car je suis du pays moi aussi.

Les gendarmes descendirent de cheval et secouèrent l’ivrogne ; mais ils ne purent le réveiller. — Il est ivre-mort, dirent-ils.

— Enfants, reprit l’Alsacien, nous allons ramener l’homme, ne vous en inquiétez pas ; nous savons qui il est, nous lui avons déjà fait un procès pour la brutalité avec laquelle il traite son cheval, car la loi défend de maltraiter les animaux. Mais vous, où allez-vous coucher ?

— Je ne sais pas, monsieur, dit André ; nous nous arrêterons au premier village.

— Parbleu ! s’écria l’autre gendarme, puisque les enfants ont payé pour aller à Besançon et que nous ramenons la carriole jusque-là, qu’ils remontent ; nous ferons route ensemble, et si l’ivrogne s’éveillait, nous sommes là pour le surveiller : ils n’ont rien à craindre.

Les gendarmes poussèrent l’ivrogne tout au fond de la carriole. André et Julien s’assirent devant sur le banc du cocher.

— Prenez les guides, mon garçon, dit à André le gendarme alsacien, et conduisez ; nous remontons à cheval et nous vous suivrons.

VUE DE BESANÇON. — Besançon a 58.400 habitants. La principale industrie de cette ville très commerçante est l’horlogerie. Elle produit par an près de 100.000 montres, sans compter les grosses horloges. C’est Besançon et la Franche-Comté qui donnent l’heure à une bonne partie de la France.

André ne savait guère conduire ; mais le gendarme lui expliqua comment faire, et il s’appliqua si bien que tout alla à merveille. On arriva à Besançon le plus gaîment du monde. Julien remarqua que cette ville est une place forte et qu’elle est tout entourée par le Doubs, sauf d’un côté ; mais, de ce côté-là, la citadelle se dresse sur une grande masse de rochers pour défendre la ville. Julien, quoique bien jeune, avait déjà assisté au siège de Phalsbourg : aussi les places fortes l’intéressaient. Il admira beaucoup Besançon, et, en lui-même, il était content de voir que la France avait l’air bien protégée de ce côté.

Le gendarme alsacien recommanda ses jeunes compatriotes chez une brave femme qui leur donna un lit à bon marché.

— Oh ! André, s’écria alors naïvement le petit Julien, je ne me serais pas douté combien ces deux gendarmes devaient être bons pour nous ; j’aurais plutôt eu peur d’eux.

— Julien, répondit doucement André, quand on fait ce qu’on doit et qu’on n’a rien à se reprocher, on n’a jamais sujet d’avoir peur, et on peut être sûr d’avoir tout le monde pour soi.