Le Tour de la France par deux enfants/043

La bibliothèque libre.


XLIII. — Une ferme bien tenue (suite). — La porcherie et le poulailler.

Dans la culture, le travail n’est pas tout ; il faut l’intelligence.

Tandis que la fermière allait choisir les volailles au poulailler, M. Gertal continua de faire avec nos amis le tour de la ferme. On visita les étables spacieuses ; on admira l’écurie proprement tenue. En passant devant la porcherie, où dormaient de beaux porcs de Bresse, race perfectionnée, Julien fut bien surpris de voir l’habitation des porcs non moins soignée et propre que le reste de la ferme.

— Tout de même, dit-il, c’est se donner de la peine à plaisir que de tenir si proprement des bêtes que chacun sait aimer la saleté.

— Vraiment, Julien, tu crois cela ? dit M. Gertal.

— Dame, monsieur Gertal, on dit toujours : sale comme un porc. C’est bien sans doute parce que les porcs aiment le fumier.

UNE PORCHERIE DANS LA BRESSE. — Quand le porc est d’une belle race, il donne de grands profits à l’éleveur. Les plus belles races de France sont celles de Bresse, de Craon (Mayenne), la race augeronne (Normandie), la race périgourdine et la race pyrénéenne. La race commune, trop répandue, est tardive et d’un mauvais rapport.

— Eh bien, petit Julien, c’est une erreur. De tous les animaux, c’est le seul qui prenne le soin de ne pas salir sa litière quand on la lui tient propre. Il adopte alors un coin écarté où il va déposer ses ordures, tant il craint de gâter sa litière.

— Quoi, c’est vrai, cela, monsieur Gertal ? dit Julien avec surprise. Eh bien, je vous assure que je ne l’aurais jamais cru.

— Mais, dit André, il n’en est pas moins certain que les porcs se vautrent dans la boue tant qu’ils peuvent.

— Les porcs mal soignés, André, ceux qu’on ne mène pas se baigner chaque jour.

— Comment, dit Julien, on mène les porcs se baigner ?

— Oui, mon ami, ceux qui veulent tirer un bon revenu du porc ne manquent point de le conduire chaque jour à quelque ruisseau quand ils n’ont point chez eux d’eau suffisamment propre ; car le porc est sujet aux maladies de peau, et la propreté l’en exempte toujours.

— Est-ce que c’est un bon profit d’élever des porcs ?

— C’est un des meilleurs quand on s’y prend bien ; seulement, là comme partout, il faut du soin. Quand une fermière n’est pas propre, soigneuse, intelligente, elle ne gagne rien là où une autre s’enrichit. Si la valeur de l’homme fait celle du champ, rappelle-toi, Julien, que c’est celle de la femme qui fait la prospérité du logis.

De la porcherie, on alla rejoindre la fermière au poulailler ; les enfants s’étonnèrent de voir combien toutes les bestioles de la fermière étaient peu sauvages. Les petits poulets couraient au devant de la ménagère, le coq lui-même s’empressait autour d’elle, poussant un cocorico joyeux pour appeler toutes les poules : — Voyez-vous, dit la fermière, ce sont des gourmandes, et je les gâte un peu, car il est impossible de bien élever la volaille si elle est trop sauvage.

COQ ET POULES DE BRESSE. — Cette race est une des meilleures pour l’engraissement.

En même temps, elle leur jeta une poignée de graines et toute la troupe se précipita pour en faire son profit.

C’était plaisir de se promener dans la cour du poulailler, tant elle était bien tenue. — Mais aussi, dit la fermière, tous les jours, sans en excepter un seul, la cour est balayée avec soin ainsi que le poulailler. Les nids et les perchoirs sont nettoyés, l’eau est renouvelée dans l’abreuvoir : c’est pour cela que tout ce petit peuple se porte bien et prospère. Écoutez comme mes pondeuses chantent joliment.

On entendait en effet tout un gai ramage à côté des nids : le coq de loin faisait la basse, et la voix aiguë des jeunes poulettes lançait à plein gosier ce joyeux chant de triomphe qui fait que la venue d’un œuf est une fête pour tout le poulailler.

La fermière choisit vingt et une poulardes parmi les plus fines : elle était bien aise d’en vendre d’un seul coup une si belle quantité, et elle les laissa à un prix avantageux. Tout allait donc bien ; aussi notre ami Julien, en partant pour Mâcon, faisait des rêves d’or.