Le Tour de la France par deux enfants/047
Toutes les provinces de France ont fourni des hommes remarquables par leur talent ou par leur grande âme, qui ont rendu des services à leur patrie et à l’humanité ; mais peu de provinces ont produit autant d’hommes illustres que la Bourgogne, et ces grands hommes ont été pour la plupart de grands patriotes.
I. Parlons d’abord d’une des gloires de l’Église de France, saint BERNARD. Il naquit près de Dijon, d’une famille noble, au onzième siècle. Dès l’âge de vingt-deux ans, son ardente piété lui fit embrasser la vie monastique. Il fut l’homme le plus éloquent de son époque.
C’est lui qui prêcha la seconde croisade pour délivrer Jérusalem : lui-même raconte dans ses lettres qu’il entraînait tout le peuple derrière lui et changeait en déserts les villes et les châteaux. En Allemagne, où l’on n’entendait point sa langue et où l’on ne pouvait comprendre ce qu’il disait, les populations étaient cependant émues et persuadées par son accent et par ses gestes. Comme on voulait massacrer les juifs pour se préparer à l’expédition, saint Bernard empêcha cet odieux massacre. Il mourut en 1153.
II. Cinq siècles après, la Bourgogne devait encore produire un grand prélat, qu’on a comparé plus d’une fois à saint Bernard pour son éloquence et ses travaux. BOSSUET, né à Dijon, se fit d’abord remarquer de tous ses camarades de classe par son assiduité et son ardeur au travail. Les autres écoliers disaient en parlant de lui, qu’il travaillait avec le courage et le calme du bœuf à la charrue. Dès l’âge de seize ans, Bossuet est célèbre dans tout Paris par son éloquence. Il devint évêque de Condom, puis de Meaux, et précepteur du fils du roi. Sa vie fut remplie par des travaux de toute sorte.
III. Au même siècle que Bossuet, dans la Bourgogne, naquit le jeune VAUBAN. Dès l’âge de dix-sept ans il s’engagea comme soldat, et se fit tout de suite remarquer par son courage. Un jour, au siège d’une petite ville dont les murs étaient entourés par une rivière, il se jeta à la nage et, montant sur les remparts, entra le premier dans la place.
Cependant, si Vauban n’avait été que brave, son nom eût pu être oublié dans un pays où la bravoure est si peu rare ; mais Vauban était studieux, et tous les loisirs que lui laissait le métier de soldat, il les consacrait à l’étude. Il s’occupait des sciences ; il lisait au milieu des camps des livres de géométrie. Il obtint le grade d’ingénieur, et ce fut comme ingénieur qu’il montra son génie. Le roi Louis XIV le chargea de fortifier nos principales places de guerre. Toute la ceinture de places fortes qui défend la France est son œuvre : Dunkerque, Lille, Metz, Strasbourg, Phalsbourg, Besançon et plus de trois cents autres.
— Quoi ! s’écria le petit Julien, c’est Vauban qui a fortifié Phalsbourg, où je suis né, et Besançon, dont j’ai si bien regardé les murailles ! Voilà un grand homme dont je n’oublierai pas le nom à présent. Puis il reprit sa lecture.
Au milieu de tous ses travaux, Vauban était sans cesse préoccupé de la prospérité de son pays et des moyens de soulager la misère du peuple. Dans la guerre, il donnait toujours au roi les conseils les plus humains, et il s’efforçait d’épargner le sang des soldats. Pendant les nombreux sièges qu’il conduisit, on le voyait s’exposer lui-même au danger : il s’avançait jusque sous les murs ennemis pour bien connaître les abords de la place, et cherchait les endroits par où on pourrait l’attaquer sans sacrifier beaucoup d’hommes ; quand on s’efforçait de le retenir : « Ne vaut-il pas mieux, répondait-il, qu’un seul s’expose pour épargner le sang de tous les autres ? »
Dans la paix, il pensait encore au peuple de France, si malheureux alors au milieu des guerres et de la famine qui se succédaient ; il chercha un moyen de diminuer les impôts dont le peuple était accablé, et il écrivit à ce sujet un bel ouvrage qu’il adressa au roi. Mais le roi Louis XIV se crut à tort offensé par les justes plaintes de Vauban. Il fit condamner et détruire son livre. Vauban, frappé au cœur, en mourut de douleur peu de temps après.
Mais on devait lui rendre justice de nos jours et même de son temps : c’est pour lui qu’on a inventé et employé pour la première fois le beau mot de patriote, qui sert maintenant à désigner les hommes attachés à leur patrie et toujours prêts à se dévouer pour elle. Vauban fut surnommé « le patriote. »
— J’aime tout à fait ce grand homme-là ! dit Julien, et il fait bien honneur à la Bourgogne.
— Oui certes, dit André, car il a travaillé pour le bien de son pays.
— Mais tu n’as pas fini ta lecture, petit Julien, dit M. Gertal ; il y a eu aussi en Bourgogne d’autres grands hommes qui ont bien aimé leur patrie.
Julien reprit son livre avec une nouvelle curiosité.
IV. Quarante ans après la mort de Vauban, un rémouleur en plein vent de la petite ville de Beaune, dans la Côte-d’Or, eut un fils qu’il éleva à force de travail, et qu’il envoya, une fois grand, faire ses études au collège de sa ville natale. Le jeune Gaspard MONGE ne devait pas avoir moins de génie que Vauban, il ne devait pas être moins utile à sa patrie. C’est une des plus grandes gloires de la science dans notre pays. Il inventa presque une nouvelle branche de la géométrie.
En 1792, Monge avait quarante-six ans. À cette époque, la France était attaquée par tous les peuples de l’Europe à la fois ; Monge fut chargé d’organiser la défense de la patrie. Il se mit à cette œuvre avec toute l’ardeur de son génie. Il passait ses journées à visiter les fonderies de canons ; pendant les nuits, il écrivait des traités pour apprendre aux ouvriers à bien fabriquer l’acier et à fondre les armes. Il était aidé par un autre homme illustre, né aussi en Bourgogne, Carnot, qui travaillait avec Monge à défendre la France, et qui indiquait à nos armées les mouvements à faire pour s’assurer la victoire. Ces deux hommes réussirent dans leur œuvre. Quand la France eut en effet repoussé l’ennemi, Monge redevint professeur de géométrie : c’est lui qui organisa notre grande École polytechnique, où se forment nos ingénieurs pour l’armée et pour les travaux publics, ainsi que nos meilleurs officiers. On lui a élevé une statue à Beaune.
V. La Bourgogne a donné le jour à un autre grand savant que tous les enfants connaissent : c’est BUFFON.
Oh ! je le connais en effet, s’écria Julien ; c’est lui qui a si bien décrit tous les animaux.
— Oui, dit André, je sais que c’était un grand naturaliste, c’est-à-dire qu’il a étudié la nature et tous les animaux ou plantes qu’elle renferme.
BUFFON est né au château de Montbard, dans la Côte-d’Or. Malgré
sa fortune, il ne se crut pas dispensé du travail. Il conçut la
grande pensée d’écrire l’histoire et la description de la nature
entière : il médita et étudia pendant dix ans, puis commença à
publier une série de volumes qui illustrèrent son nom. Ses
ouvrages furent traduits dans toutes les langues. Avant de
mourir, il vit sa statue élevée à Paris, au Jardin des Plantes,
avec cette inscription : « Son génie a la majesté de la nature ! »
VI. A Châlon-sur-Saône naquit, en 1765, JOSEPH NIEPCE. Il fit d’abord comme lieutenant une partie de la campagne d’Italie. Plus tard, retiré dans sa ville natale, il s’occupa de sciences, d’arts et d’industrie.
Il y avait un problème qui le tourmentait et dont il cherchait sans cesse la solution. En étudiant la physique, il avait appris que si, dans une boîte obscure fermée de toutes parts, on pratique un petit trou par lequel passe un rayon de soleil, on voit se peindre renversés sur le fond de la boîte les objets qui sont en face. C’est ce qu’on appelle la chambre obscure.
— Si je pouvais, disait Niepce, fixer sur du métal, du verre ou du papier cette image qui vient se peindre dans le fond de la boîte, j’aurais un dessin fait par le soleil, et d’une merveilleuse fidélité. Mais comment faire ? Il faudrait, pour cela, frotter le métal ou le papier avec une chose qui aurait la propriété de noircir sous les rayons du soleil. Alors, quand les rayons entreraient dans la boîte, ils noirciraient le métal ou le papier, et reproduiraient les objets, les personnes, les paysages...
Mais Niepce cherchait sans pouvoir trouver rien qui le satisfît entièrement.
Or, il y avait à pareille époque un autre homme, Daguerre, qui cherchait le même problème. C’était un peintre fort habile, qui se disait, lui aussi : — Le soleil pourrait dessiner les objets en un clin d’œil si on réussissait à fixer l’image de la chambre obscure.
Il apprit qu’un inventeur habile, à Châlon, avait déjà trouvé quelque chose de ce genre. Il vint voir Niepce à Châlon et lui dit :
— Voulez-vous que nous partagions nos idées et que nous nous mettions à travailler tous les deux ?
Niepce accepta. Dix ans après, en 1830, on annonçait à l’Académie des sciences une découverte qui devait faire honneur à la France et se répandre dans le monde entier : les principes de la photographie étaient inventés par Niepce et Daguerre.
Ainsi, ce qu’un seul de ces deux hommes n’aurait sans doute pu découvrir, tous deux l’avaient trouvé en s’associant. C’est un exemple nouveau des bienfaits de l’association : pour l’intelligence comme pour tout le reste, l’union fait la force.
Niepce était mort en 1833. La Chambre des Députés accorda une pension de six mille francs, comme récompense nationale, à Daguerre et au fils de Niepce.