Le Tour de la France par deux enfants/051
On partit du Creusot le lendemain matin. Bientôt même, on quitta le département de Saône-et-Loire. On avait vendu au Creusot les marchandises qui étaient dans la voiture, et Pierrot, allégé de sa charge, trottait plus rapidement.
— Qu’est-ce donc que ces montagnes si boisées que nous voyons à présent ? demanda Julien ; est-ce encore la côte d’Or ?
— A quoi penses-tu donc, Julien ? répondit le patron. Tu sais bien que la côte d’Or est couverte de vignes. Nous avons quitté la Bourgogne : nous voici dans le Nivernais ; les monts boisés que tu vois sont les collines du Morvan.
— C’est un pays qui doit produire beaucoup de bois, à ce qu’il me semble, dit André.
— Oui, la richesse du département de la Nièvre, ce sont surtout ses forêts. Il y a beaucoup de cours d’eau, au moyen desquels on expédie les bois en les faisant flotter. N’as-tu pas déjà remarqué, Julien, le long de notre route, ces bois et ces grosses bûches qui descendent tout seuls les rivières ?
— Oui, oui : il y a sur le rivage des ouvriers armés de crocs qui empêchent les bûches de s’arrêter en chemin.
— Eh bien, c’est un homme de la Nièvre, Jean Rouvet, qui a eu le premier, il y a déjà quatre cents ans, la bonne idée de faire flotter les bois de cette manière en les abandonnant au cours de l’eau. Ainsi arrivent jusqu’à Paris et dans les autres villes les bois qui servent à chauffer les habitants ou à construire les maisons.
— Tiens, dit Julien, voilà justement des bûcherons qui abattent là-bas de grands chênes. Partout où on regarde, on ne voit rien que des chênes.
— C’est que le chêne est le principal de nos arbres ; il couvrait autrefois presque toute la France. Mais nous avons aussi le châtaignier, l’orme, le hêtre, les pins et les sapins.
— Oh ! pour les pins et les sapins, nous les connaissons bien, dit André : il y en a assez dans les Vosges.
— Ici, dans la Nièvre, c’est le chêne qui domine.
— Le chef-lieu de la Nièvre, c’est Nevers, se mit à dire le petit Julien tout fier, car il cherchait cela depuis deux minutes ; et Nevers est sur la Nièvre.
— Eh bien, savant petit Julien, dit le patron, tu te rappelleras qu’il y a à Nevers une importante fonderie de canons pour la marine, où l’on fond les canons en coulant le métal dans des moules, comme nous avons vu faire au Creusot. Un peu plus loin, à Bourges, se trouve aussi une fonderie d’armes.
— Bourges, c’est l’ancienne capitale du Berry et le chef-lieu du Cher, n’est-ce pas, monsieur ? dit André.
— Précisément. Et toi, Julien, n’as-tu jamais entendu parler du Berry ?
— Oh ! si, monsieur Gertal, car on parle toujours des moutons du Berry, ce qui me fait penser qu’il doit y avoir de beaux moutons dans ce pays-là.
— Tu ne te trompes pas, et les laines du Berry sont renommées.
— Est-ce que nous allons encore voir Bourges et le Berry, monsieur Gertal ?
— Comme tu y vas, Julien ! Nous ne voyageons pas pour notre plaisir, mais pour nos affaires, et nous ne pouvons visiter toutes les villes de France. Nous n’avons point d’affaires dans le Berry. C’est dans le Bourbonnais que nous allons bientôt entrer. Le Bourbonnais a formé le département de l’Allier.
— Julien, dit André, quel est le chef-lieu du département de l’Allier ? Le sais-tu aussi bien que celui de la Nièvre ?
— L’Allier, dit Julien en cherchant, l’Allier… chef-lieu… Eh bien, ne voilà-t-il pas que je ne me rappelle point du tout ! — Et le petit garçon baissa la tête tout honteux.
— Chef-lieu, Moulins, dit M. Gertal. Allons, Julien, nous passerons demain à Moulins ; cela fait que tu connaîtras cette ville, et tu ne l’oublieras plus.
— Mais dites-moi, monsieur Gertal, qu’y a-t-il donc à se rappeler dans le département de l’Allier ?
— C’est, je crois, dans l’Allier que se trouve Vichy, le grand établissement d’eaux minérales, dit André.
— Justement, dit le patron.
— Moi, je sais ce que c’est que les établissements d’eaux pour les malades, dit Julien. En Lorraine, il y a Plombières, et Mme Gertrude m’a raconté cela ; et puis j’ai vu Plombières dans des images.
— Eh bien, Vichy est le plus grand établissement d’eaux minérales du monde entier : il s’y est rendu, en certaines années, jusqu’à cent mille personnes. Tous ces gens venaient pour remettre leur santé, pour boire l’eau chargée de divers sels qui jaillit toute chaude de terre, ou pour prendre des bains dans cette eau. C’est que, vois-tu, petit Julien, les eaux minérales sont encore au nombre des principales richesses de la France : nul pays ne possède autant de sources célèbres pour la guérison des maladies.