Le Tour de la France par deux enfants/072
Heureusement les prévisions du médecin se réalisèrent. Quand Julien s’éveilla, il était beaucoup mieux : le délire avait disparu et la fièvre était presque tombée.
Deux jours de repos achevèrent de le remettre.
Le médecin permit alors aux deux jeunes Lorrains de partir pour Marseille, mais il prit André à part et lui recommanda de ne pas laisser le petit garçon se fatiguer.
— L’entorse du pied, dit-il, ne permettra pas à votre frère de marcher facilement avant un mois. D’ici là, il faut distraire cet enfant et ne pas le laisser s’attrister tout seul, de crainte que la fièvre nerveuse dont il vient d’avoir un accès ne reparaisse.
André remercia le médecin de ses bons avis ; il ne savait comment lui montrer sa reconnaissance, car le docteur, loin de vouloir être payé, avait fait cadeau à son petit malade d’une pantoufle de voyage pour le pied blessé.
La gaîté de Julien revenait peu à peu : il voulut aider lui-même, de son lit, à faire le paquet de voyage, et il n’oublia pas de mettre dans sa poche son livre sur les grands hommes, afin, disait-il, de bien s’amuser à lire dans le chemin de fer.
Lorsque les préparatifs furent achevés, André régla partout les dépenses qu’il avait faites ; puis il prit le petit Julien dans ses bras. Julien portait de sa main valide le paquet de voyage attaché au fameux parapluie. Quoique bien embarrassés ainsi, les deux enfants se rendirent néanmoins à la gare, qui n’était éloignée que d’un quart d’heure.
Une demi-heure après, les deux enfants étaient assis l’un près de l’autre dans un wagon de 3e classe. Au bout d’un instant la locomotive siffla et le train partit à toute vitesse.
Julien n’avait encore jamais voyagé en chemin de fer : il s’amusa beaucoup la première heure, il regardait sans cesse par la portière, émerveillé d’aller si rapidement et de voir les arbres de la route qui semblaient courir comme le vent.
Derrière eux, les belles cimes des Alpes du Dauphiné montraient leurs têtes blanches de neige que le soleil faisait reluire. — Vois-tu, Julien, cette chaîne de montagnes que nous laissons derrière nous ? C’est par là qu’est Grenoble, la capitale du Dauphiné.
— Oh ! que ce doit être beau, Grenoble, si c’est au milieu des monts !
— J’ai lu en effet dans ma géographie que c’est une des villes de France qui ont les plus belles vues sur les montagnes. Elle est dans la vallée du Graisivaudan, dominée par des forts qui la rendent presque imprenable.
Julien, malgré son pied malade, ne pouvait s’empêcher de se traîner sans cesse du banc à la portière. Enfin, pour se reposer, il ouvrit son livre d’histoires.
— André, dit-il, voilà longtemps que je n’ai lu la vie des grands hommes de la France ; puisque nous passons en ce moment dans le Dauphiné, je veux connaître les grands hommes de cette province.
André s’approcha de Julien, et tous les deux tenant le livre d’une main lurent tout bas la même histoire, celle de Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche.