Le Tour de la France par deux enfants/090

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XC. — Nantes. — Conversation avec le pilote Guillaume : les différentes mers, leurs couleurs ; les plantes et les fleurs de la mer. — Récolte faite par Julien dans les rochers de Brest.

La science découvre des merveilles partout, jusqu’au fond de la mer.

Un jour que le petit Julien s’était attardé tout un après-midi dans la cabine à faire ses devoirs, il fut bien étonné en revenant sur le pont de ne plus apercevoir la mer, mais un beau fleuve bordé de verdoyantes prairies et semé d’îles nombreuses. Le navire remontait le fleuve, d’autres navires le descendaient, allaient et venaient en tous sens.

— Oh ! André, dit Julien, on croirait revenir à Bordeaux.

— Nous approchons de Nantes, dit André ; tu sais bien que Nantes est comme Bordeaux un port construit sur un fleuve, sur la Loire.

Le navire en effet, après plusieurs heures et plusieurs étapes, arriva devant les beaux quais de Nantes. Julien fut enchanté de se dégourdir les jambes en marchant sur la terre ferme. Il alla avec André faire des commissions dans cette grande ville, qui est la plus considérable de la Bretagne et une de nos principales places de commerce.

Mais le séjour fut de courte durée. On chargea rapidement sur le navire des pains de sucre venant des importantes raffineries de la ville, des boîtes de sardines et de légumes fabriquées aussi à Nantes, et des vins blancs d’Angers et de Saumur. Puis on redescendit le fleuve. On repassa devant l’île d’Indret, où fument sans cesse les cheminées d’une grande usine analogue à celle du Creusot. On revit à l’embouchure de la Loire les ports commerçants de Saint-Nazaire et de Paimbœuf, où s’arrêtent les plus gros navires de l’Amérique et de l’Inde. Enfin on se retrouva en pleine mer.

UNE RAFFINERIE DE SUCRE A NANTES. — Le sucre se fait, comme on sait, avec le jus de la canne à sucre ou celui de la betterave, qu’on fait bouillir dans une chaudière. Le sucre, clarifié et raffiné dans le grand appareil représenté à gauche, tombe bouillant dans des réservoirs. On le verse ensuite dans des moules et on l’y laisse refroidir. Ainsi se forment ces pains de sucre que l’ouvrier de droite tire des moules.

Le Poitou était pour Julien un petit monde, qu’il aimait à parcourir depuis le pont jusqu’à la cale. Chemin faisant il observait les moindres objets et se faisait dire d’où ils venaient, où ils allaient.

Il y avait surtout à bord quelqu’un que Julien interrogeait volontiers : c’était Guillaume le pilote, qui était presque toute la journée à son gouvernail, dirigeant avec habileté le navire le long de cette côte de France bien connue de lui.

Le père Guillaume était un vieil ami de Frantz, car ils avaient navigué ensemble bien des fois ; le père Guillaume aimait les enfants, et Julien fut tout de suite de ses amis. Chaque jour ils faisaient ensemble un bout de conversation. Guillaume avait beaucoup voyagé, il racontait volontiers ce qu’il avait vu dans les pays lointains, et Julien l’aurait écouté les journées au long sans s’ennuyer. Parfois aussi c’était Julien qui faisait la lecture à haute voix et Guillaume qui l’écoutait.

— Père Guillaume, lui dit-il un jour, je n’ai vu que deux mers, la Méditerranée et l’Océan, et elles ne se ressemblent pas ; vous qui avez vu bien d’autres mers, dites-moi donc si elles se ressemblent entre elles.

PLANTES DE LA MER. — Sous la mer, il existe des montagnes et des vallées, des vallées impénétrables, de vastes prairies où viennent brouter les animaux marins. Les principales plantes de la mer sont les algues et les varechs. On y trouve aussi un grand nombre d’animaux-plantes, comme le corail et la méduse représentés dans la gravure.


— Petit Julien, vois-tu, les différentes mers sont comme les différents pays : chacune a son aspect. Ainsi la Méditerranée est bleue, l’Océan où nous voici est verdâtre, la mer de Chine et la mer du Japon ont une teinte jaune, la mer de Californie est rosée, ce qui fait qu’on l’appelle mer Vermeille.

— Père Guillaume, qu’est-ce qui fait ces couleurs-là ?

— Tantôt ce sont les rayons lumineux d’un beau ciel, comme pour la Méditerranée que tu as vue, tantôt le sable ou les rochers du fond de la mer, tantôt les algues ou plantes marines qu’elle renferme.

— Comment ! est-ce qu’il y a des plantes dans la mer ?

— Je crois bien ! et de quoi vivraient donc tous les poissons et les animaux que la mer renferme ? La mer a ses prairies, petit Julien, et ses fleurs aux couleurs les plus vives, et ses forêts de lianes, si serrées et si touffues à certaines places que la navigation est difficile dans ces parages. Quand Christophe Colomb partit pour découvrir l’Amérique et que son vaisseau traversa cette partie de l’Océan couverte de lianes, les matelots, qui n’en avaient jamais vu une si grande quantité, furent effrayés et ne voulaient plus avancer, craignant que le navire ne restât pris au piège dans ces plantes marines. Il y en a, vois-tu, qui ont plus de cinq cents mètres de longueur.

— Est-ce qu’elles sont belles, les fleurs de la mer ?

— Il y en a de très belles, qui reflètent les couleurs de l’arc-en-ciel comme la queue du paon. D’autres sont roses, d’autres d’un beau rouge ou d’un vert tendre.

— Oh ! que j’aimerais à les voir !

L’ÉCOLE NAVALE DE BREST est destinée à former des officiers pour la marine de l’État. Elle est établie dans la rade de Brest. Là, on enseigne aux élèves toutes les sciences qui sont nécessaires à la navigation : ils étudient les cartes terrestres et marines ; ils apprennent à relever à l’aide d’instruments la longitude et la latitude des lieux où ils se trouvent, et par conséquent leur position exacte sur le globe. On leur enseigne enfin l’art de manœuvrer et de diriger les vaisseaux.


— Au port de Brest, où nous arriverons bientôt, nous monterons en barque, petit Julien, et je te mènerai en chercher, si j’ai une heure de libre.

— Est-ce possible, père Guillaume ?

— Eh oui, Julien ; nous en trouverons à marée basse dans les rochers de la côte.

Julien ne songea plus qu’au moment où le navire s’arrêterait au port afin d’aller voir les plantes de la mer.

Bientôt le Poitou arriva devant la vaste rade de Brest, dont la difficile entrée est bordée de rochers et protégée par des forts. Une fois ce passage franchi, c’est la rade la plus sûre du monde. Brest, où se trouve notre école navale, est avec Toulon notre plus grand port militaire, et Julien put voir de près les vaisseaux de guerre immobiles dans le port, les marins de l’État avec leurs costumes bleus, leur figure bronzée, leur démarche décidée.

UN DES COQUILLAGES DE LA MER. — Les coquillages de la mer font partie des animaux appelés mollusques, dont les plus connus sont l’huître et l’escargot.


Le père Guillaume n’oublia pas la promesse qu’il avait faite à Julien. Une après-midi où le capitaine n’avait plus besoin de lui, il sauta avec l’enfant dans une petite barque. Tous deux allèrent visiter la côte. Ils descendirent à marée basse sur les rochers que la mer recouvre quand elle est haute. Le père Guillaume tenait Julien par la main, de peur qu’il ne fît un faux pas sur les rochers glissants et encore humides. Julien ne cessait de pousser des exclamations devant tout ce qu’il voyait. — Oh ! les jolies plantes vertes ! on dirait de longs rubans ! Et celles-ci, elles sont découpées comme de la dentelle ! Et ces coquillages, comme ils sont luisants ! Je ferai sécher ces plantes, et j’en emporterai dans mon carton d’écolier, avec toute sorte de coquillages. Quand j’irai en classe, je les ferai voir à mes camarades, et je leur dirai que j’ai rapporté cela de Brest.