Le Tremblement de terre de la Saint-Pierre/02

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LE TREMBLEMENT DE TERRE
DE LA SAINT-PIERRE.

(Suite et fin. — Voy. premier article.)

Des secousses assez vives pour jeter l’alarme parmi les populations du Val Mareno ont continué à se faire sentir pendant les premiers jours du mois de juillet. Elles ont ébranlé la ville de Bellune, dont la cathédrale, qui n’avait été que lézardée, a fini par s’ébouler tout à fait.

La sacristie, qui contenait des archives et les reliquaires de plusieurs saints, a été ensevelie sous les décombres.

À la suite de cet événement, les autorités locales ont pris la résolution d’interdire la messe dans les églises, qui toutes ont été plus ou moins compromises.

Les cérémonies religieuses ont lieu sous des tentes, où du reste les habitants se sont réfugiés en nombre considérable.

Les dommages occasionnés par cette grande crise sont évalués à plusieurs millions ; ils frappent une des populations les plus pauvres de toute l’Italie.

On évalue, en effet au quart, le nombre des habitants qui émigrent chaque année de ces régions pour chercher du travail dans les parties plus riches de leur pays. Bellune fournit un contingent assez important au recrutement du clergé. Le fameux Grégoire XVI, prédécesseur immédiat de Pie IX était né dans cette ville.

Les ruines sont éparpillées dans un grand nombre de villages, de sorte que nous avons dû indiquer par des signes conventionnels, sur la carte ci-contre, les lieux qui ont été le plus directement frappés. Mais tous les noms que nous désignons figuraient indistinctement pour une somme plus ou moins grande sur l’état de répartition des secours qui ne tarderont point à arriver, car le syndic de Bellune a fait un chaleureux appel à la charité, publique et privée.

La population de la haute Italie est si ignorante et si superstitieuse, que les autorités publiques ont dû se préoccuper surtout du soin de la rassurer ; c’est à peine si l’on peut recueillir quelques-uns des faits instructifs qui se sont produits pendant la catastrophe.

Lorsque les géologues, fort nombreux et fort instruits en Italie, auront parcouru le district atteint, on pourra dresser un tableau définitif de l’ensemble du tremblement de terre.

Nous apprenons par la Riforma que la Société Vénitienne et Trentienne d’histoire naturelle vient de nommer une commission chargée de parcourir toutes les communes de l’Alpago où les secousses ont été les plus violentes et les plus répétées.

On peut remarquer toutefois dès aujourd’hui qu’un grand nombre d’accidents sont groupés autour du lac Santa-Croce, dont le niveau s’est élevé de 30 centimètres environ. Comme ce lac, de forme à peu près triangulaire est long d’environ 3 kilomètres et large presque d’autant à la base, on peut lui attribuer une surface d’environ 4 kilomètres carrés, c’est-à-dire 4 millions de mètres carrés. Le poids de l’eau dont le volume du lac s’est augmenté est donc de 120 000 quintaux.

Quel puissant effort mécanique exercé par les gaz intérieurs pour refouler une telle masse !

Centre du tremblement de terre du 29 juin (dressé d’après la carte d’état-major autrichien).

Il ne paraît pas douteux que les Alpes ne soient le résultat d’une série innombrable de tremblements de terre se succédant les uns aux autres à intervalles plus ou moins rapprochés, et dont le résultat final a été de donner au terrain son relief actuel.

Les derniers de ces tremblements de terre ont été évidemment liés avec l’apparition des rochers volcaniques faisant partie du système des monts Baldo.

Ces monts de formation récente, et d’un volume insignifiant par rapport à celui des Alpes, surgissent au milieu des terrains jurassiques et des terres d’alluvion qui constituent la Lombardie et la Vénétie. Si l’on prolonge l’axe du val Mareno, on voit qu’il correspond nettement à ce massif si important. Il en est donc ainsi de la direction des secousses qui, comme notre carte l’indique, semble également avoir coïncidé avec le Thalweg de la vallée.

Quoi qu’il en soit, il y a déjà bien des siècles que Bellune n’a été ravagé par des tremblements de terre. Il faut remonter jusqu’aux premières années du douzième siècle, pour trouver la trace d’un événement analogue, qui, à cette époque, termina la période de quatre ou cinq siècles pendant lesquels les tremblements de terre ont été très-fréquents dans tout le district alpestre. Au douzième siècle, comme de nos jours, Trévise et Feltre paraissent avoir été épargnés, car les habitants de ces villes sont venus au secours de leurs compatriotes, victimes du fléau, avec une générosité que probablement leurs successeurs de 1873 ne parviendront point à dépasser.

On a découvert, depuis quelques années, dans le val Mareno, des gisements, actuellement exploités, de lignites. Ces lignites servent de combustible pour alimenter plusieurs industries locales. La couleur rouge subitement prise par les eaux de la Vena d’Oro indique qu’il y a quelque part, dans les profondeurs de la terre et dans le voisinage de la Vena, des gisements de fer oxydé, peut-être exploitables.

Il n’y a pas de catastrophes dont la science ne puisse tirer un parti véritablement avantageux. Mais dans des siècles d’ignorance et de superstition, la vue d’une rivière couleur de sang aurait été probablement exploitée par des charlatans éhontés !

Les observations du tremblement de terre ont été faites à Venise, avec beaucoup de précision, par un correspondant du Times. D’après ce savant, les secousses semblaient se suivre avec une sorte de régularité.

C’est une remarque qui a été faite bien des fois, et que l’on rencontrerait presque toujours dans les récits des observateurs, s’ils n’étaient trop souvent troublés par la crainte qu’ils éprouvent, pour profiter de ce qu’ils entendent, de ce qu’ils touchent et de ce qu’ils voient. Avec quel enthousiasme n’étudieraient-ils pas ces grandes et belles crises s’ils étaient certains d’y échapper !

Ne peut-on, en effet, appliquer à la nature ce que le roi de Danemark disait avec tant d’à-propos, d’Hamlet : « Il est fou, je le veux bien, mais il y a une méthode dans sa folie. »