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Le Triomphe du Sexe/Chapitre V

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CHAPITRE V.

On explique quelques paſſages des Épitres de S. Paul, & on réfute les preuves des Théologiens qui en abusent, pour prouver la supériorité de l’homme.



Je Épit. aux Cor. 11. 3desire que vous sçachiez que J. C. est le chef de tout homme, que l’homme est le chef de la femme, & que Dieu est le chef de J. C. On fonde sur ce texte la supériorité des hommes : Examinons la solidité de la preuve. Quel but se propose ici S. Paul ? Il doit confirmer les Corinthiens dans les réglemens qu’il a preſcrit ſur les bienſéances & la modeſtie que les femmes doivent obſerver dans l’Égliſe. Je deſire, leur dit-il, que vous ſçachiez que l’homme eſt le chef de la femme, & que tout homme qui prie ou qui prophêtiſe ayant la tête couverte, deshonore ſa tête. Quelques femmes dans ces premiers temps, s’imaginoient avoir le droit de prophêtiſer comme les hommes, & elles ſe ſervoient de ce prétexte pour paroître ſans voile. L’Apôtre leur fait voir que l’homme eſt le chef, c’eſt-à-dire le maître, que la femme doit écouter quand il s’agit de parler des myſteres de la Religion, & d’en inſtruire les autres dans l’Égliſe, qu’à lui ſeul appartient ce droit par l’inſtitution de Dieu ; ce n’eſt donc pas la ſupériorité de l’homme en ce qui concerne le mariage, qu’il veut établir ici ; mais le miniſtere divin communiqué à l’homme ſeul. Ce n’eſt pas que Dieu n’ait donné quelquefois le don de prophêtie à des femmes, Exod. 15. 20. judic. 5. Iſay. 83 1. Reg. 2. 2. Reg. 22 14. Luc. 2 36. act. 21 g.il l’a accordé à Marie sœur de Moïſe, à Debora, à la femme d’Iſaye, à Anne mere de Samuel, à Holda. Nous voyons dans la loi nouvelle Anne la Prophêteſſe, les filles de Philippe Diacre. Faveurs remarquables que Dieu leur a accordé dans certain temps, pour faire connoître que cette créature lui eſt auſſi chère que l’homme, auſſi capable de traiter les choſes Divines. Si l’Apôtre défend aux femmes de s’ingérer dans le miniſtere, ce n’eſt qu’à l’égard de celles qui n’ayant pas reçu l’inſpiration Divine, s’approprioient ce droit ; il ne leur défend de parler dans l’Égliſe que pour empêcher le trouble & la confuſion.

Vous vous trompez, ſi vous croyez que S. Paul ordonne aux femmes de porter un voile & une longue chevelure en marque de leur ſoumiſſion. 3. Cor. 11. 7.Si l’homme eſt la gloire de Dieu, la femme eſt la gloire de l’homme, ce n’eſt pas parce qu’elle lui eſt ſoumiſe, mais parce qu’elle eſt produite de la chair de l’homme, à qui il eſt glorieux d’avoir fourni la matiere pour produire une créature auſſi noble. Homme, vous êtes la gloire de Dieu, il vous a créé par lui-même, mais il s’eſt ſervi de vous pour créer la femme, & c’eſt en cela qu’elle fait votre gloire. VousIbid. n’avez pas été créé pour la femme, mais la femme a été créée pour vous, pour être votre compagne, pour concourir avec vous à la propagation du genre humain. C’est dans ce sens, continue l’Apôtre, que l’homme n’est pas sans la femme, & la femme sans l’homme, c’est-à-dire, que quoiqu’il paroisse à l’extérieur & dans le civil une inégalité entre l’un & l’autre, il n’en est pas de même à l’égard de Dieu, qui vous ayant créé égaux, vous a également rachetés. Ibid. 12.Comme la femme au commencement a été tirée de l’homme, außi l’homme maintenant vient de la femme. Raison admirable qui vous apprend à ne pas vous élever au-dessus d’elle : Si la femme a été produite une ſeule fois de votre chair, la femme a ſur vous cet avantage beaucoup plus précieux, qu’elle concoure d’une maniere plus parfaite à la propagation, parce qu’elle vous donne d’une maniere plus particuliere, l’origine & la naiſſance.

Le voile que S. Paul éxige des femmes, marque ſi peu leur dépendance, que ce n’eſt que par reſpect pour les Anges, qu’il leur ordonne de le porter dans le Temple. Il demande qu’elles paroiſſent le viſage caché dans l’Égliſe, pour ne pas être l’objet involontaire de la diſtraction que les charmes de leur innocente beauté pourroient cauſer aux Miniſtres & aux hommes. C’eſt donc par reſpect pour le Dieu qu’on adore dans les Temples, & par égard à la foibleſſe des hommes, qui pourroient s’occuper des attraits de la créature dans le temps qu’ils ne doivent ſonger qu’au Créateur, que S. Paul leur impoſe cette obligation. Ce voile eſt une marque de modeſtie & de vertu qu’il éxige d’elles. C’eſt dans cet eſprit qu’il leur dit ; qu’il eſt honorable aux femmes de laiſſer croître leurs cheveux, parce qu’ils peuvent leur ſervir comme d’un voile, pour adoucir l’éclat de leur beauté, par un air de modeſtie qu’ils leur donnent. Il parle ſelon l’uſage de ſon ſiecle, ou conſéquemment à ce qu’il veut perſuader aux femmes, quand il ajoûte, qu’il eſt honteux à l’homme de laiſſer croître ſes cheveux ! La nature ne fait rien d’inutile. Dieu n’a pas donné aux hommes & aux femmes, cette multitude de cheveux qui couvrent leurs têtes, pour que les uns les coupent ou les entretiennent plutôt que les autres. La Religion n’a jamais rien décidé ſur ce ſujet ; elle défend ſeulement le luxe & la vanité. Nous ne faiſons pas un ſujet de confeſſion aux femmes, de ne pas porter de chevelure pendante, comme S. Paul le preſcrit ; mais de les entretenir avec trop de ſoin, & d’en faire le ſujet de leur vanité. Les uſages particuliers ont varié chez les Nations. La longue chevelure chez nos Gaulois, étoit une marque de ſupériorité, le peuple & les ſerfs avoient les cheveux courts, ou la tête raſée. S. Paul avoit raiſon de parler ainſi dans un temps où les femmes ſeules portoient de longs cheveux. Il devoit alors paroître honteux à des hommes de vouloir affecter un ornement extérieur, qui n’étoit en uſage que chez les femmes.

Quel eſt l’homme raiſonnable qui puiſſe ſe contenir quand il entend le commun de nos Théologiens, établir la ſoumiſſion des femmes ? Sur quoi la fonde-t-il ? Pitoyables preuves que celles qu’ils apportent. Ils l’établiſſent, 1. ſur la loi naturelle, qui veut que celui qui a le plus de jugement & de conduite, gouverne celui qui en a moins. 2. Sur la loi poſitive, qui ſoumet la femme à l’homme, à cauſe de ſon péché. 3. Sur la loi de l’Évangile, qui renouvelle cette obligation. 4. Sur l’ordre de la création, parce que la femme n’a pas été créée la premiere, & que l’homme n’a pas été formé de la femme ; mais celle-ci de l’homme. 5. Sur le droit des gens. De ces cinq raiſons la 2e établie ſur le texte de la Géneſe, texte ſuſceptible de différens ſens, ne prouve rien. La 3e eſt vraie en regardant cette dépendance, comme purement légale & civile. La 1e, 4e & 5e, ſont futiles & ridicules. La 1e eſt fauſſe & démentie par la ſeconde ; car ſi c’eſt préciſément en punition du péché, que la femme eſt ſoumiſe, cette ſoumiſſion n’eſt donc pas une ſuite de ſa nature & de ſa création. D. Aug. de Geneſ. ad Litter. Lib. 11. 6. 37.Maritum habere Dominum, meruit mulieris non natura sed culpa. Quand S. Augustin dit que l’ordre naturel demande, que les femmes soient soumises, parce qu’il est nécessaire que la raison du plus foible, céde à celle de celui qui est le plus fort, on nous permettra de ne pas penser comme lui en ce point, ni dans ce qu’il avance ensuite ; que dans la loi de Moïse, il a été permis à un homme d’avoir plusieurs femmes, & non pas à une femme d’avoir plusieurs maris ; ce qui vient De bono conjug. c. 17.selon lui, de ce que ceux qui sont nés pour commander, aiment naturellement la singularité : Quast. in Genes. c. 153.Un Maître, dit-il, peut bien avoir plusieurs serviteurs, mais un serviteur ne peut servir plusieurs maîtres. Cette raison nullement recevable, pourroit-elle prouver la soumission des femmes ? S’il a été défendu à une femme d’avoir plusieurs maris, n’est-ce pas parce que le commerce d’une seule femme avec plusieurs, est contraire à la fin de la génération ; mais un homme peut avoir plusieurs femmes, parce que le commerce d’un seul, multiplié & partagé entre plusieurs femmes, contribue à la propagation en exerçant leur fécondité. Chez les peuples où la Polygamie étoit en uſage, l’époux ſe partageoit également entre ſes épouſes, il les voyoit tour à tour. Les Rois de Perſe ne ſe diſpenſoient pas même de cette régle. Dom. Calm. & commentaire ſur l’Ex.xxi. 10. & de la Genes. xxx. 16.Pour avancer que la loi naturelle qui veut, que celui qui a plus de jugement & de raiſon, ſoit ſupérieur à celui qui en a le moins, ait lieu dans ce point, il faudroit être en état de prouver, que les femmes en ont moins que les hommes ; ce qui eſt abſolument faux. Une pareille théſe feroit peu d’honneur à celui qui la ſoutiendroit ; elle ſeroit la meilleure preuve du peu de bon ſens des hommes qui en deviendroient partisans. Dieu a donné à l’ame de la femme, les mêmes qualités qu’à celle de l’homme ; il lui a par conséquent accordé autant de jugement & de raison. Nulle loi divine ne les a jamais positivement exclu du ministere, ou du gouvernement civil, pour un semblable défaut. Si le Seigneur les a éloignées du Sacerdoce, ce n’est ni par défaut de jugement, ni de vertu ; mais par une espèce de bienséance, qu’il attribue ce droit à l’homme. Les exemples de tous les siécles, qui ont produit tant de femmes sçavantes & vertueuſes dans le gouvernement, ſont des argumens auſquels on ne répondra jamais, à moins qu’on ne diſe qu’en cela, Dieu a fait une exception dans l’uſage ordinaire ; alors ce ſeroit avouer ce que je ſoutiens, parce que toute exception confirme la régle.