Le Trombinoscope/Bismark

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Le Trombinoscope1 (p. 27-30).

BISMARK SCHŒNHAUSEN, othon — (baron, puis comte de — puis prince de — puis… ah ! par exemple, cela dépendra). Homme d’État prussien, né le ler avril 1814 à Schœnhausen. — Il est issu — (d’abord d’astuce et de fourberie) — ensuite d’une antique famille slave qui remonte au onzième siècle selon les uns, les pendules suivant les autres. — Il étudia le droit à Berlin, à Gœttingue et à Greifswald. — Quand il eut appris le droit, il s’écria « Dieu !… que je suis bête d’avoir perdu trois ans pour acquérir une science aussi inutile !… Tout le droit tient dans ce vers de La Fontaine : La raison du plus fort est toujours la meilleure… J’aurais su ça par cœur en trois minutes, c’était « tout ce qu’il me fallait !… » Il se fit soldat, devint lieutenant de la landwehr et en 1847 membre de la Diète générale (ainsi nommée parce qu’elle a pour but d’affamer les populations). — Là, il se fit remarquer par la violence de ses théories ; il prétendait que toutes les grandes villes devaient être passées au pétrole, parce que les agglomérations sont toujours le rendez-vous des républicains. À peine âgé de trente-trois ans, cet homme de génie avait compris toute l’importance de cette vérité, qui semble de prime abord un paradoxe : Dans un royaume, plus les sujets sont serrés, moins le roi est à son aise. — Avec de tels principes, M. de Bismark ne pouvait manquer d’être distingué par le roi de Prusse ; en effet, il fut successivement chargé de plusieurs missions diplomatiques à Francfort, à Vienne, à Saint-Pétershourg et même à Paris, où il séjourna peu d’ailleurs ; le temps de prendre l’adresse des meilleures maisons d’horlogerie. — Le 22 septembre 1862, le roi lui confia la présidence du conseil des ministres avec le portefeuille des aff…, pardon ! des pendules étrangères.

Arrivé au pouvoir, M. de Bismark manœuvre immédiatement en vue de la réalisation du rêve de toute sa vie : l’unité allemande. — Il n’est peut-être pas inutile de dire ici en deux mots ce que c’est au juste que l’unité allemande comme la comprend M. de Bismark : Vous prenez trois gros chiens que vous affamez assez pour les rendre furieux ; vous les attachez ensuite avec trois cordes et vous les sortez en laisse autour de votre habitation. Vous avisez un beau Terre-Neuve, qui ne vous appartient pas, vous le faites à moitié étrangler par vos trois dogues et, quand il est terrassé, vous l’attachez à ses vainqueurs avec une quatrième corde. Le lendemain vous rencontrez un riche épagneul qui vous convient, vos quatre chiens sautent dessus ; même jeu que la veille, cinquième corde… le vaincu vient grossir la meute pour la prochaine occasion, et ainsi de suite jusqu’à douze, vingt, trente… il n’y a pas de limites ; plus il y a d’étrangleurs, plus l’opération se fait facilement. Si l’un d’eux regimbe, vous fouaillez fermé dans le tas et vous le faites mordre par les autres. Chaque chien a son collier, chaque chien a sa corde, ce qui fait croire à chacun d’eux qu’il jouit d’une certaine autonomie ; mais tous les colliers sont marqués à votre chiffre ; toutes les cordes sont réunies dans votre main et la même lanière sert à les schlaguer tous : c’est ça qui constitue l’unité allemande.

À son début au pouvoir, M. de Bismark rencontra une vive opposition de la part des députés libéraux ; il s’en préoccupa comme une locomotive d’un lapin qui traverse la voie. — Marchant droit au but, quand la chambre n’était pas de son avis, il priait le roi d’envoyer les députés planter leurs choux, le roi signait sans dire : Ouf !… et le ministre taillait, rognait à sa guise. — M. de Bismark commença son travail d’unité par les duchés voisins. La Saxe, le Wurtemberg, le Hanovre, la Hesse, le Schleswig, la Bavière, Bade, etc., etc., furent annexés à la Prusse par le procédé du nœud coulant. — Nous ne ferons pas une à une l’histoire de ces attaques de grand chemin qui se ressemblent toutes ; nous nous contenterons simplement d’indiquer le procédé employé par M. de Bismark pour faire la province. — C’était toujours de la plus grande simplicité : étant donné un petit État quelconque qu’il convoitait : Tarteifle !… lui disait-il un matin, vous faites cuire des harengs saurs chez vous et le vent nous en apporte toute l’odeur ; c’est intolérable !… si vous continuez, je vous envoie dix-huit cent mille soldats. Naturellement le petit État se levait comme un seul homme pour défendre le principe de la liberté du hareng saur ; alors, M. de Bismark se tournait vers l’Europe et lui disait : Voyez ces préparatifs menaçants, je suis bien obligé de me défendre !… Comme une vieille avachie, l’Europe opinait du silence et, trois semaines après, le petit État était uni à la Prusse dans un de ces doux embrassements qui rappellent, à peu de chose près, celui de Jonas et de sa baleine.

Depuis 1866, époque à laquelle eut lieu la guerre contre l’Autriche, et qui fut si favorable à la Prusse, M. de Bismark prit un peu de repos pour digérer ; mais cette tranquillité ne devait pas durer longtemps. Deux des provinces de la France lui manquaient pour son unité allemande. « D’ailleurs, disait-il, la meilleure preuve que ces provinces sont à nous, c’est que les habitants ne disent pas : une choppe de bière, mais bien : Un joppe te pierre !… » — Restait à trouver un prétexte pour faire la guerre à la France ; certainement M. de Bismark était de force à le trouver tout seul ; mais le ciel, doux à ses caprices, devait lui éviter cette peine. Vélocipède père, de Grammont le matamore, Ollivier au cœur léger, et Lebœuf, l’homme cinq fois prêt, épargnèrent tout ennui à M. de Bismark, en allant au devant du monstre, qui n’eut qu’à ouvrir la gueule — On ne sait que trop le reste. — M. de Bismark avait déclaré, par l’organe de son mannequin Guillaume, qu’il ne faisait la guerre qu’à Napoléon iii et, une fois Napoléon vaincu et détrôné, il pilla la France jusqu’à la dernière pendule ; on devait s’attendre à ce procédé de la part d’un homme qui, de sa vie, n’avait jamais eu un bon mouvement. — Un détail : M. de Bismark a été fait grand’croix de la légion d’honneur par Vélocipède père. Nous n’avons jamais revu et nous ne reverrons probablement jamais une scène d’une aussi haute fantaisie : Bismark décoré par Badinguet !… Robert-Macaire armant Bertrand chevalier, De Villemessant demandant la croix pour Albert Volff !… — À la suite de la dernière attaque de diligence, que cette vieille catin d’histoire aura le toupet d’enregistrer sous le nom de guerre de France et de Prusse, le roi Guillaume fit M. de Bismark prince, en récompense des nombreux services… d’argenterie que ce dernier avait réquisitionné sur son chemin.

Au physique, M. de Bismark est un homme de moyenne taille ; la première fois qu’on le voit, son air vous rappelle… que vous avez laissé vos clefs sur votre secrétaire. — On ne peut refuser à M. de Bismark un esprit très développé ; il a de l’activité, du flair, et possède une de ces intelligences spéciales avec lesquelles on doit à cinquante ans, — selon la chance — ou être devenu grand chancelier ou avoir déjà fait trente-cinq ans de bagne.

Août 1871

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. de Bismark, ayant enfin fait revenir de France ses nombreux bagages, ouvre le.......... 18.. deux cent onze boutiques d’horlogerie dans plusieurs ville de l’Allemagne. — Il est fait duc de Cadranzollern le.......... — Travaille avec ardeur à la pacification de l’Alsace et de la Lorraine en interdisant l’usage de la langue française aux femmes enceintes. — Fait paraître le.......... 18.. une brochure dans laquelle il pose les jalons de l’unité allemande appliquée au Maroc, — et meurt d’apoplexie à Berlin, le.......... 18.., réveillé en sursaut par douze clairons français qui passent sous ses fenêtres sur l’air de : As-tu vu la casquette, la casquette.