Le Trombinoscope/Trochu

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Le Trombinoscope1 (p. 23-26).

TROCHU, louis-jules, général français, né dans le Morb-hi-han !… — ironie du sort, le 12 mars 1815. — Le destin fut cruel envers lui ; ce n’était pas assez de s’appeler Trochu, il fallait encore qu’il portât le prénom de Jules, comme Favre, Ferry et Simon. — La carrière militaire de M. Jules Trochu fut très brillante ; lieutenant à vingt-cinq ans, capitaine à vingt-huit, chef d’escadron à trente-et-un, lieutenant-colonel à trente-huit, général de brigade à trente-neuf, général de division à quarante-quatre, il fit avec succès la campagne d’Italie, et eut pour mission en 1866, de préparer un plan de réorganisation de l’armée. — Il publia en 1867 une brochure ayant pour titre : L’armée française en 1867 ; cet ouvrage fut très remarqué, et ce qui tendrait à prouver qu’il était remarquable, c’est qu’il lui valut, dit-on, une espèce de disgrâce auprès de la clique auguste qui dirigeait alors la France, et ne voyait dans l’armée de la nation, qu’un moyen de se faire cinq cent millions de rentes en inscrivant au budget des factures chimériques de boutons de guêtres et de bretelles de fusils. — Cette espèce de dégringolade dans l’estime du « cher seigneur » à Marguerite Bellanger, fut le point de départ de la fortune politique du général Trochu. Quand vinrent nos premiers désastres de 1870, Vélocipède père, moins soucieux des revers qu’il venait d’essuyer en Alsace que des pommes cuites qui l’attendaient à Paris, nomma le général Trochu gouverneur de la capitale, comme concession à l’opinion publique ; quelques-dissentiments entre le général d’une part, la régente et le Palikao de l’autre, achevèrent la popularité de M. Trochu ; et le peuple parisien, heureux d’avoir enfin à sa tête un homme qui refusait de se vautrer aux pieds d’une nonne douteuse et d’un maraudeur de chinoiseries, salua avec confiance — presque avec plaisir — l’avènement du nouveau gouverneur de Paris.

Les illusions des Parisiens ne furent pas de longue durée ; ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que la prétendue indépendance du général était beaucoup plus de l’habileté que de l’honnêteté ; et lorsqu’éclata le 4 septembre, ils purent acquérir la preuve que si M. Trochu n’avait pas recommencé sur leur dos les mitraillades du 2 décembre, c’était moins par antipathie pour le régime pourri qui tombait, que par prudence envers celui qui allait le remplacer.

Le gouvernement de la défense nationale s’y laissa prendre à son tour, et conféra à M. Trochu la présidence du conseil et la direction des opérations militaires. — Il n’appartenait, du reste, qu’à ces républicains en doublé, qui avaient laissé partir librement de France, la régente et tous les souteneurs gavés de l’Empire, de choisir, par dessus le marché, pour chef de la République un général désigné par l’Empereur — sans nerf, sans initiative, sans convictions ; les trois Jules et leurs collègues ne pouvaient enfanter que de ces compromis ridicules et funestes qui ne tuent qu’aux trois quarts ce qu’il faudrait tuer en étouffant à moitié ce qu’ils voudraient faire vivre.

C’est à partir de ce moment que le général Trochu se révéla dans toute la splendeur de son entêtement et de sa nullité. — C’est aussi à cette époque que les Parisiens acquirent la preuve que l’homme, chez lequel ils espéraient trouver l’impétuosité de Danton et la pâle colère de Cambronne, allait régulièrement invoquer sainte Geneviève et ne sortait jamais sans parapluie. — Monsieur Trochu laissa prendre aux Prussiens toutes les positions qui étaient à leur convenance auteur de Paris. Il fit fondre des canons ; on ne dit pas s’il les fit bénir, mais c’est probable. — Il soigna tout particulièrement les mobiles bretons, ses compatriotes, qu’il avait fait venir à Paris. Il les logea chez l’habitant. Un peu gênés d’abord en voyant que les Parisiens ne disaient jamais leur Benedicite, ces intéressants jeunes gens ne tardèrent pas à se familiariser avec la vie de Paris ; on prétend même qu’ils se familiarisèrent si bien, qu’un assez grand nombre d’entre eux furent blessés avant de combattre. Le général Trochu ayant appris la chose, se signa et lança un ordre du jour pour enjoindre à ses mobiles de ne plus sortir sans leur scapulaire et d’aller immédiatement se confesser ; il était trop tard !…

Cependant la confiance dont la population parisienne avait honoré le général Trochu ne tarda pas à s’ébranler ; on commençait à murmurer de son inaction. Les canons étaient fondus, les mobiles instruits, les gardes nationaux armés, et les préparatifs du fameux plan Trochu menaçaient de durer aussi longtemps que ceux de Robert-le-Diable à l’Opéra, qui avaient traîné pendant dix-sept ans. — Quelques esprits chagrins trouvaient que c’était peut-être un peu long pour des gens qui n’avaient que deux mois de vivres devant eux. — Le général dut alors se décider à risquer la première de ces trois célèbres sorties qui devaient le couvrir de gloire. — Nous épargnerons à nos lecteurs les détails, de ces trois faits d’armes taillés sur le même patron et qui devaient naturellement aboutir au même résultat : faire prendre le matin des positions au prix des plus grands sacrifices, ne pas envoyer de renforts pour les défendre et les évacuer le soir ; tel était le programme invariable auquel le général resta toujours fidèle. — Il serait impardonnable de passer sous silence les proclamations avec lesquelles le général Trochu enlevait ses soldats la veille d’un combat ; c’étaient de vrais chefs-d’œuvre de désolation et de tristesse ; mises en plein-chant, elles eussent obtenu le plus grand succès pour les services funèbres ; les soldats en les lisant, se trouvaient comme transportés et volaient au combat en s’écriant avec enthousiasme : Il n’est pas douteux qu’avant midi, nous serons battus à plate couture. — « Soldats !… disait-il ou à peu près, — nous allons nous précipiter sur les lignes ennemies pour les percer ; mon avis est que c’est inutile, nous ne les percerons jamais ; je compte sur vous, persuadé que vous n’êtes bons à rien. En avant !… et n’oubliez pas qu’à moins d’un miracle, nous sommes battus !… Dieu et sainte Geneviève nous protégent !… »

Quand tout fut perdu, le général Trochu annonça dans une proclamation que le gouverneur de Paris ne capitulerait pas. On lui fit l’honneur de croire qu’il était dans l’intention de se brûler la cervelle avant. Il tourna la difficulté en donnant sa démission le lendemain. À la manière des oracles de l’antiquité, M. Trochu s’en était tiré par un calembour. — Nommé à l’Assemblée nationale en février par un département de la Bretagne, il prononça deux grands discours pour essayer de prouver à ses collègues que les gelées de janvier l’avaient empêché d’inquiéter les Prussiens en octobre. Il y parvint sans peine. — Nous ne disons pas cela pour flatter ses collègues.

Au physique, le général Trochu est un homme plutôt bien que mal ; sa physionomie indique l’entêtement, — son menton très-proéminent avance de trois quarts de lieue sur le faciès ; M. Trochu passe pour la mâchoire inférieure la plus développée de l’armée française. — Le général est très-poli ; son crâne a celui de l’ivoire. — Il ne va jamais au théâtre parce que, après la représentation, il serait forcé de sortir. — M. Trochu est l’homme froid par excellence, réfléchi et plein de précautions ; si, lorsqu’il vient de déjeuner, un des êtres qui lui sont chers tombait à l’eau, il attendrait pour s’y précipiter que sa digestion fût faite et parfaite. C’est ce système de sauvetage qu’il a appliqué à Paris. Dieu le bénisse !…

Août 1871

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Trochu, renommé député à la Constituante, le.........., dépose le.......... un projet de loi pour la création d’un ordre de Saint-Choufleuri, destiné à récompenser la prudence militaire. — À la fin de la session, le.........., il rentre dans l’obscurité et n’en sort plus jamais (naturellement !…) — Il est fait, le.........., duc de Sainte-Geneviève, et le.......... (chose invraisemblable) SORT enfin… de la vie, muni des sacrements de l’église.