Le Vieillard des tombeaux/28

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Le Vieillard des tombeaux ou Les Presbytériens d’Écosse
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 10p. 265-273).




CHAPITRE XXVIII.

la capitulation.


Rendez votre château, madame, dit-il, rendez-moi votre château.
Édom de Gordon.


Morton venait de relire et de mettre au net l’écrit dans lequel Poundtext et lui étaient convenus d’exposer les vœux de leur parti et les conditions auxquelles la plupart des insurgés consentiraient à déposer les armes ; il allait se livrer au repos quand il entendit frapper à la porte de son appartement. « Entrez, » dit Morton ; et Cuddie Headrigg avança sa grosse tête en entr’ouvrant la porte.

« Entrez, répéta Morton, et dites-moi ce que vous voulez. Qu’y a-t-il à craindre ? — Rien, monsieur ; mais j’amène quelqu’un qui désire vous parler. — Qui est-ce, Cuddie ? — Une de vos anciennes connaissances, » répondit-il ; et, ouvrant tout à fait la porte, il conduisit, ou plutôt poussa dans la chambre une femme dont le visage était enveloppé de son plaid. « Allons, ne soyez pas si honteuse devant une vieille connaissance, Jenny, » s’écria Cuddie, et en même temps, lui enlevant son plaid, il laissa voir à Henri Morton les traits bien connus de Jenny Dennison. « Parlez maintenant à Son Honneur ; contez-lui, comme une brave fille, ce que vous vouliez dire à lord Evandale. — Qu’est-ce que je voulais dire à son Honneur même l’autre matin, quand j’allais le visiter dans sa prison ? répondit Jenny. Pensez-vous qu’on ne puisse désirer de voir ses amis dans l’affliction sans avoir rien de particulier à leur dire, gros mangeur de soupe ? »

Jenny fit cette réponse avec sa volubilité ordinaire ; mais sa voix et sa main tremblaient, ses joues étaient pâles et décolorées, ses yeux pleins de larmes, et toute sa personne portait les traces de souffrances et de privations récentes ainsi que d’une agitation extraordinaire.

« Qu’y a-t-il, Jenny ? » dit Morton affectueusement. « Vous savez que je vous ai de grandes obligations, et vous ne pouvez rien me demander que je ne vous l’accorde si cela dépend de moi. — Grand merci, Milnwood, » dit la jeune fille en pleurant. « Vous avez toujours été un bon jeune homme, quoiqu’on dise que vous êtes bien changé maintenant. — Que dit-on de moi, Jenny ? — On dit, répliqua Jenny, que vous et les whigs avez fait vœu de jeter le roi Charles à bas de son trône, et que ni lui ni ses descendants, de génération en génération, n’y remonteront jamais ; de plus, John Gudyill affirme que vous donnerez les orgues des églises aux joueurs de flûtes, et que vous ferez brûler le livre des prières par la main du bourreau, en représailles de ce que le Covenant a été brûlé quand le roi est revenu. — Mes amis de Tillietudlem me jugent trop sévèrement, répondit Morton. Je désire le libre exercice de ma religion sans entraver celle des autres ; et quant à la famille Bellenden, je souhaite seulement une occasion de lui montrer que j’ai conservé pour elle la même amitié et le même dévouement. — Le ciel vous récompense de parler ainsi ! » dit Jenny en versant un torrent de larmes : « jamais ils n’ont eu plus grand besoin d’amitié et de dévouement, car, dépourvus de tout, ils périssent de faim. — Bon Dieu ! s’écria Morton. J’avais entendu dire que les provisions étaient rares au château, mais non pas qu’elles y manquaient entièrement. Est-il possible !… Les dames et le major ont-ils ?… — Ils ont souffert comme nous autres, car ils partageaient chaque morceau avec les habitants du château. Mes pauvres yeux voient cinquante couleurs confuses, et ma tête est si troublée par les vertiges que je ne puis me soutenir. »

La pâleur de la pauvre fille et la maigreur de ses joues attestaient la vérité de ce qu’elle disait. Morton fut profondément ému.

« Asseyez-vous ! lui dit-il, pour l’amour de Dieu ! » Et il la força de prendre la seule chaise qu’il y eût dans l’appartement, pendant qu’il se promenait de long en large, livré à l’horreur et à l’impatience. Je ne savais rien de cela… je ne pouvais le savoir… Cœur froid ! fanatique au cœur de fer !… lâche menteur !… Cuddie, va chercher des rafraîchissements, du pain, du vin, s’il est possible… tout ce que tu trouveras. — Du whisky est assez bon pour elle, murmura Cuddie. On n’aurait pas cru que les bons mets fussent si rares parmi eux, à voir cette princesse me jeter sur le corps une marmite de bonne soupe bouillante. »

Jenny, toute faible et affligée qu’elle paraissait être, ne put entendre cette allusion à son exploit pendant l’assaut du château, sans laisser échapper un éclat de rire que son extrême faiblesse fit bientôt dégénérer en un ricanement convulsif. Effrayé de son état, et pensant avec horreur à la détresse des habitants du château, Morton réitéra ses ordres à Cuddie d’un ton plus impératif. Quand il fut parti, il s’efforça de ranimer le courage de la jeune fille.

« Vous venez, je suppose, par les ordres de votre maîtresse, lui dit-il, pour tâcher de voir lord Evandale… Dites-moi ce qu’elle souhaite… Ses désirs seront des ordres pour moi. »

Jenny parut réfléchir un instant.

« Votre Honneur, répondit-elle enfin, est un si ancien ami, que je puis me confier à vous et vous avouer la vérité. — Soyez assurée, Jenny, » dit Morton voyant qu’elle hésitait encore, « que vous ne pouvez mieux servir votre maîtresse qu’en me parlant avec sincérité. — Eh bien ! vous saurez donc que nous mourons de faim, comme je vous l’ai déjà dit, et il y a déjà plusieurs jours. Le major jure qu’il attend du secours d’un instant à l’autre, et qu’il ne rendra pas la place avant d’avoir mangé ses vieilles bottes, et vous devez vous souvenir que les semelles en sont épaisses. Les dragons voient qu’il faudra bientôt capituler, et ils ne peuvent se résigner à souffrir la faim, après avoir vécu à discrétion dans ces derniers temps. Depuis que lord Evandale a été pris, ils n’écoulent plus personne ; Inglis dit qu’il livrera la garnison aux whigs, avec le major et ces dames par-dessus le marché, s’ils veulent le laisser sortir librement lui et ses compagnons, — Les scélérats ! dit Morton ; pourquoi ne comprennent-ils pas dans la capitulation tous les habitants du château ? — Ils craignent qu’on ne leur refuse quartier à eux-mêmes, à cause de tout le mal qu’ils ont fait au pays. Burley a déjà pendu un ou deux de leurs compagnons : ils songent donc à échapper au supplice, aux dépens de la vie des honnêtes gens. — Et vous venez, dit Morton, apporter à lord Evandale cette affligeante nouvelle ? — Justement, répliqua Jenny. Tom Holliday m’a tout conté ; c’est lui qui m’a fait sortir du château pour que je vinsse parler à lord Evandale si je pouvais arriver jusqu’à lui. — Mais en quoi peut-il vous secourir ? demanda Morton ; il est prisonnier. — C’est vrai, répondit Jenny ; mais il peut obtenir une capitulation avantageuse pour nous… il peut nous donner quelques bons avis ; il peut envoyer à ses dragons l’ordre d’être plus dociles… ou… — Ou peut-être, dit Morton, que vous essaierez de le mettre en liberté, s’il est possible. — Si cela était, » répondit résolument Jenny, « ce ne serait pas la première fois que j’aurais cherché à tirer un ami de prison. — En vérité, répliqua Morton, j’étais bien ingrat de l’oublier. Mais voici Cuddie avec des rafraîchissements. Pendant que vous prendrez quelque nourriture, je m’acquitterai de votre message auprès de lord Evandale. — Il faut que vous sachiez, » dit Cuddie à son maître, « que madame Jenny, que voici, tâchait de gagner Tom Rand, le garçon meunier, pour qu’il la laissât entrer dans la chambre de lord Evandale sans que personne le sût. Elle ne savait pas, la petite bohémienne ! que j’étais sur ses talons. — Et vous m’avez fait une terrible peur quand vous êtes venu sur moi et que vous m’avez saisie, » dit Jenny en le pinçant légèrement avec l’index et le pouce. « Si vous n’aviez pas été une ancienne connaissance, mauvais sujet… »

Cuddie, un peu apaisé, regarda en ricanant sa rusée maîtresse, pendant que Morton, s’enveloppant de son manteau et mettant son épée sous son bras, se dirigea vers la chaumière où était enfermé lord Evandale. Il demanda aux sentinelles s’il n’était rien arrivé d’extraordinaire.

« Rien de remarquable, dirent-ils, si ce n’est la jeune fille que Cuddie a arrêtée, et deux courriers que Burley a dépêchés, l’un au révérend Éphraïm Macbriar, l’autre à Kettledrummle, qui, dit-on, battent le tambour ecclésiastique depuis le camp jusqu’à Hamilton. — C’était, je suppose, pour les mander ici ? » dit Morton avec une indifférence affectée. — C’est ce que j’ai compris, » répondit la sentinelle, qui avait causé avec les messagers. — « Burley, » se dit en lui-même Morton, « veut s’assurer une majorité toute puissante dans le conseil, afin de faire sanctionner par elle tous les actes de cruauté qu’il lui plaira de commettre, et étouffer toute opposition par l’autorité du nombre. Il n’y a donc pas de temps à perdre, ou je ne retrouverai plus l’occasion. »

En entrant dans le misérable réduit, Morton trouva lord Evandale chargé de fers, couché sur un lit de bourre : il était endormi, ou plutôt plongé dans de profondes méditations. Evandale, entendant le bruit de ses pas, se leva et se tourna vers lui ; son visage était tellement abattu par la perte de son sang, le défaut de sommeil, le manque de nourriture, que personne n’aurait reconnu en lui le brillant militaire qui s’était si vaillamment conduit à l’affaire de Loudon-Hill. Il parut surpris de cette visite inattendue.

« Je suis désolé de vous voir ainsi, milord, lui dit Henri. — J’ai entendu dire, monsieur Morton, répliqua le prisonnier, que vous êtes un admirateur de la poésie ; en ce cas, vous vous rappelez peut-être ces vers :


Des murs sont-ils une prison ;
De pesants barreaux une cage ?
Aux yeux d’une mâle raison
Ce n’est souvent qu’un ermitage.


Mais quand ma captivité serait moins supportable, je dois m’attendre à en être pour toujours délivré demain. — Par la mort ! demanda Morton. — Sans doute, répliqua lord Evandale ; je n’ai pas d’autre perspective. Votre camarade Burley a déjà trempé ses mains dans le sang d’hommes que la bassesse de leur rang et l’obscurité de leur extraction auraient pu sauver. Moi qui n’ai pas la même protection contre sa vengeance, j’en dois attendre les plus terribles effets. — Mais, dit Morton, le major Bellenden peut rendre le château pour vous sauver la vie. — Jamais, tant qu’il aura un homme pour défendre les murs, et que cet homme aura un morceau de pain à manger. Je connais sa généreuse résolution, et je serais fâché qu’il en changeât à cause de moi. »

Morton se hâta de l’informer de l’insubordination des dragons, de leur projet de livrer le château, les dames et le major. Lord Evandale parut d’abord pouvoir à peine croire cette nouvelle ; revenu de sa surprise, il témoigna une vive affliction.

« Que faire ? dit-il, comment prévenir ce malheur ? — Écoutez-moi, milord, répondit Morton : je crois que vous ne refuseriez pas de porter le rameau d’olivier entre le roi votre maître et cette partie de ses sujets qui est maintenant sous les armes, non par sa propre volonté, mais parce qu’on l’y a contrainte ? — Vous jugez bien de mes sentiments, répondit lord Evandale ; mais où voulez-vous en venir ? — Permettez-moi de continuer, milord… Je vais vous mettre en liberté ; vous retournerez au château, avec un sauf-conduit pour le major, pour les dames, et pour tous ceux qu’il renferme, à condition qu’il sera immédiatement livré. Vous ne ferez en cela qu’obéir à la force des circonstances : car, avec une garnison prête à se révolter, et nulles provisions, il serait impossible de défendre le château vingt-quatre heures de plus. Ceux donc qui refuseront d’accompagner Votre Seigneurie n’auront à accuser qu’eux-mêmes de ce qui pourra leur arriver. Avec le sauf-conduit que je vous offre, vous vous rendrez tous à Édimbourg, ou en tout autre lieu où sera le duc de Montmouth. Nous espérons qu’en reconnaissance vous voudrez bien recommander à l’attention de Sa Grâce, en sa qualité de lieutenant-général d’Écosse, cette humble pétition qui expose nos griefs. Si l’on y fait droit, je réponds sur ma tête que la presque totalité des insurgés déposera les armes. »

Lord Evandale lut attentivement ce papier.

« Monsieur Morton, lui dit-il ensuite, je vois fort peu d’objections à faire à vos demandes ; bien plus, je ne doute pas que sur bien des points elles ne soient conformes aux sentiments personnels du duc de Montmouth ; et cependant, à vous parler avec franchise, je n’espère pas qu’elles vous soient accordées, à moins que, préalablement, vous ne déposiez les armes. — Les déposer, répondit Morton, ce serait reconnaître virtuellement que nous n’avons pas le droit de les prendre, et c’est ce que, pour ma part, je ne reconnaîtrai jamais. — Peut-être, reprit lord Evandale, ne peut-on pas espérer que vous consentiez à cette condition ; cependant je suis sûr que son refus fera manquer la négociation. Je n’en suis pas moins disposé à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour ménager une réconciliation. — C’est tout ce que nous pouvons désirer. Le succès est dans les mains de Dieu, qui dispose du cœur des princes… Vous acceptez donc le sauf-conduit ? — Certainement, répondit lord Evandale ; et si je n’insiste pas sur l’obligation que je contracte envers vous, en recevant une seconde fois la vie de votre générosité, croyez que je n’en suis pas moins pénétré de gratitude. — Et la garnison de Tillietudlem ? dit Morton. — Elle abandonnera le château. Je suis convaincu que le major ne pourra ramener les mutins à la raison, et je tremble en pensant au sort de ces dames et de ce brave vieillard s’ils étaient livrés entre les mains de Burley, de cet homme sanguinaire. — Vous êtes donc libre, dit Morton : préparez-vous à monter à cheval. Quelques hommes dont je suis sûr vous accompagneront jusqu’à une distance telle que vous n’ayez plus rien à craindre des gens de notre parti. »

Lord Evandale, si inopinément délivré, ne pouvait revenir de son étonnement et de sa joie. Morton le quitta pour ordonner à quelques hommes de s’armer et de monter à cheval. Chacun d’eux devait tenir en laisse un cheval de réserve. Jenny qui, tout en prenant quelque nourriture, avait trouvé moyen de faire la paix avec Cuddie, se plaça en croupe derrière ce vaillant cavalier. Les pas de leurs chevaux retentirent bientôt sous les fenêtres de lord Evandale. Deux hommes qu’il ne connaissait pas entrèrent dans sa chambre, le débarrassèrent de ses fers, l’aidèrent à descendre les escaliers, le firent monter à cheval, et le placèrent au centre de la petite troupe, qui prit au grand trot le chemin de Tillietudlem.

La clarté de la lune pâlissante faisait place à celle de l’aurore quand ils arrivèrent devant cette ancienne forteresse, dont la tour noire et massive était déjà colorée par les premiers rayons du jour. La troupe s’arrêta à la première barrière, afin de ne pas s’exposer au feu de la place, et lord Evandale s’avança seul, suivi d’un peu loin par Jenny. En approchant de la porte, ils entendirent dans la cour un tumulte qui s’accordait mal avec la paisible sérénité d’une matinée de printemps. On criait, on jurait ; un ou deux coups de pistolet partirent, et tout annonçait que les soldats étaient en pleine révolte. Dans ce moment critique, lord Evandale arriva au guichet où Tom Holliday montait la garde.

Tom conservait le souvenir des soins qu’il avait reçus dans ce château à l’époque où il y fut retenu pendant un mois par une blessure, et nous avons vu tout à l’heure que ses conseils avaient déterminé Jenny à aller trouver lord Evandale, et qu’il avait favorisé sa sortie du château. Reconnaissant la voix de son capitaine, il lui ouvrit avec autant de joie que d’empressement ; et le jeune lord parut au milieu des soldats mutinés comme un homme qui tombe des nues. Ils exécutaient en ce moment leur dessein de se saisir de la place, et s’efforçaient de désarmer le major Bellenden, Harrison et les autres défenseurs du château, qui se préparaient à faire la meilleure résistance possible.

La présence inattendue de lord Evandale changea la scène. Il saisit Inglis par le collet, lui reprocha durement son indigne conduite, ordonna à deux de ses camarades de l’arrêter, assurant à ces derniers qu’ils n’avaient d’autre espérance de pardon que dans une prompte soumission. Il leur ordonna ensuite de prendre leurs rangs, ils obéirent ; puis de déposer les armes, ils hésitèrent : mais l’habitude de la discipline, et la persuasion que leur capitaine, pour leur parler avec tant d’assurance, devait avoir laissé à la porte un détachement prêt à le soutenir, les décidèrent à se soumettre.

« Emportez ces armes, » dit lord Evandale aux gens du château ; « on ne les leur rendra pas qu’ils ne connaissent mieux pour quel usage elles leur ont été confiées. Et maintenant, » continua-t-il en s’adressant aux mutins, « partez ; ne perdez pas de temps, profitez d’une trêve de trois heures que l’ennemi vous accorde ; prenez le chemin d’Édimbourg, et attendez-moi à House-of-Muir. Je n’ai pas besoin de vous recommander de ne commettre en route aucune violence : vous êtes sans armes, et vous devez craindre de provoquer le ressentiment des habitants du pays. Allez, et que votre bonne conduite expie votre faute. »

Les soldats désarmés se retirèrent en silence et, quittant le château, se dirigèrent vers le lieu que le capitaine venait de leur assigner pour rendez-vous. Ils pressèrent la marche, car ils craignaient de rencontrer quelques détachements des insurgés qui, les voyant sans nul moyen de résistance, et se souvenant de leurs anciennes violences, auraient pu aisément se venger. Inglis, que lord Evandale réservait à un châtiment exemplaire, resta en prison. Holliday reçut des éloges pour sa conduite, et on lui donna l’assurance qu’il remplacerait son caporal. Ces mesures prises, lord Evandale aborda le major auquel cette scène semblait un rêve.

« Eh bien, mon cher major, il faut rendre la place. — Est-il vrai, milord ? j’avais conçu l’espoir que vous nous ameniez des renforts et des provisions. — Pas un homme, pas une bouchée de pain. — Je n’en suis pas moins charmé de vous voir. Instruit hier que ces enragés chanteurs de psaumes avaient le projet d’attenter à votre vie, j’ai harangué vos coquins pendant dix minutes pour les décider à faire une sortie, afin de vous délivrer ; mais ce chien d’Inglis, au lieu de m’obéir, s’est ouvertement révolté contre moi. Mais que faire maintenant ? — Je n’ai pas la liberté du choix, major ; j’ai été remis en liberté sur parole, et j’ai promis de me rendre à Édimbourg. Vous et ces dames, vous prendrez la même route. J’ai, par la protection d’un ami, obtenu un sauf-conduit et des chevaux pour vous et vos gens. Pour l’amour de Dieu, hâtons-nous. Vous ne pouvez vouloir défendre ce château avec huit ou dix hommes et sans provisions. Vous avez satisfait à l’honneur et servi les intérêts du gouvernement, par la défense prolongée de cette place. Le reste serait inutile et insensé. Les troupes anglaises sont arrivées à Édimbourg, et vont se diriger sur Hamilton ; abandonnons pour quelques jours aux rebelles la possession de Tillietudlem. — Je sais, » dit le vieux militaire avec un soupir de regret, « je sais que vous ne conseillerez jamais rien qui soit contre l’honneur ; si donc vous jugez notre position absolument désespérée, je rendrai cette place, que d’ailleurs la mutinerie de vos dragons ne nous permet plus de défendre… Gudyill, dites à nos dames d’appeler leurs servantes, et de faire tout préparer pour le départ. Mais si je pouvais croire qu’en restant dans ces vieux murs, dussé-je être réduit par la faim à l’état d’un squelette, je rendrais le moindre service au roi, le vieux Miles Bellenden n’en sortirait que lorsqu’il n’aurait plus une goutte de sang dans les veines. »

Les dames, qui avaient été épouvantées par la révolte des dragons, s’empressèrent d’acquiescer à la détermination du major. Lady Marguerite Bellenden ne put cependant retenir des soupirs et des gémissements en pensant au déjeuner que Sa très-sacrée Majesté avait fait dans un château qu’elle allait abandonner aux rebelles. On fit à la hâte les préparatifs du départ ; et long-temps avant que le jour permît de distinguer nettement les objets, les dames, avec le major Bellenden, Harrison, Gudyill et les autres domestiques, montèrent sur les chevaux qu’avaient amenés les soldats de Morton, ainsi que sur plusieurs autres qu’on se procura dans le voisinage, et se dirigèrent vers le nord, sous l’escorte de quatre cavaliers whigs. Le reste de la troupe qui avait accompagné lord Evandale prit possession du château sans y commettre aucun acte de violence et de pillage ; et le soleil levant vit flotter sur la tour de Tillietudlem le drapeau rouge et bleu des covenantaires écossais.