Le Vieillard des tombeaux/7

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Le Vieillard des tombeaux ou Les Presbytériens d’Écosse
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 10p. 73-80).



CHAPITRE VII.

le dépit.


Depuis l’âge de dix-sept ans jusqu’à ce jour, où je touche à mes quatre-vingts, j’ai vécu dans ce lieu, et bientôt je n’y vivrai plus ! À dix-sept ans les hommes peuvent travailler à leur fortune, mais à quatre-vingts il est trop tard d’une semaine.
Shakspeare, Comme il vous plaira


Nous devons conduire nos lecteurs à la tour de Tillietudlem, où lady Marguerite Bellenden était revenue, comme on dit en style romantique, courbée sous le poids d’une amère tristesse causée par l’affront inattendu, et comme elle le pensait, irréparable, que le mauvais succès de Goose Gibbie avait publiquement fait à sa dignité. Le malheureux homme d’armes avait immédiatement reçu l’ordre de porter son troupeau emplumé dans la partie la plus reculée des landes ou terres vagues, et de ne pas réveiller le chagrin ou le ressentiment de sa maîtresse, en paraissant devant elle tandis que son affront était encore si récent.

Le premier soin de lady Marguerite fut de tenir une cour solennelle de justice à laquelle furent admis Harrison et le sommelier, et comme témoins et comme assesseurs, pour s’informer de la conduite de Cuddie Headrigg le laboureur, et de l’appui que lui avait donné sa mère, ces deux individus étant regardés comme la première cause du malheur qu’avait éprouvé la chevalerie de Tillietudlem. L’instruction étant établie et achevée, lady Marguerite résolut de réprimander les coupables en personne, et, si elle ne les voyait pas repentants, d’étendre la punition jusqu’à les expulser de la baronnie. Miss Bellenden fut la seule qui osa dire quelques mots en faveur des accusés, mais son appui ne leur fut pas aussi propice qu’il aurait pu l’être dans une autre occasion ; car aussitôt qu’Édith eut entendu affirmer que la personne de l’infortuné cavalier n’avait pas souffert, son malheur lui donna une envie irrésistible de rire, qui, en dépit de l’indignation de lady Marguerite, fut augmentée par la contrainte et éclata à plusieurs reprises, lors de son retour au logis, jusqu’à ce que sa grand’mère, ne pouvant être trompée par des causes nombreuses et feintes que la jeune demoiselle alléguait pour excuser son intempestive hilarité, lui reprocha en termes amers de n’être point sensible à l’honneur de sa famille. C’est pourquoi, dans cette occasion, l’intercession de miss Bellenden n’avait été que peu ou plutôt nullement écoutée.

Pour montrer la rigueur de ses dispositions, lady Marguerite, dans cette occasion solennelle, changea sa canne à tête d’ivoire, qui lui servait ordinairement, pour un long bâton à pomme d’or, qui avait appartenu à son père, feu le comte de Torwood, et qui, tel qu’une masse de justice, ne lui servait que dans les occasions de la plus haute importance. Appuyée sur ce terrible bâton de commandement, lady Marguerite Bellenden entra dans la chaumière des accusés.

Il y avait dans la vieille Mause, lorsqu’elle se leva de sa chaise d’osier placée au coin de la cheminée, un certain air d’embarras qui ne ressemblait pas à cette gaieté franche dont brillait ordinairement son visage pour exprimer le plaisir qu’elle ressentait d’être honorée d’une visite de sa châtelaine. Elle avait cette physionomie préoccupée et soucieuse dont les traits d’un accusé sont empreints lorsqu’il paraît pour la première fois en présence d’un juge devant lequel il est déterminé à soutenir son innocence. Ses bras étaient croisés ; sa bouche fermée avait une expression de respect mêlé d’obstination, et tout son esprit semblait dirigé vers l’entrevue solennelle. Avec une profonde révérence, et un mouvement silencieux de respect, Mause indiqua la chaise sur laquelle lady Marguerite (car la bonne dame était un tant soit peu commère) daignait s’asseoir quelquefois pendant une demi-heure pour écouter les histoires du pays et des voisins ; mais en cet instant elle était trop indignée pour condescendre à une telle familiarité : elle rejeta la muette invitation, d’un signe dédaigneux de la main, et se redressant en parlant, elle commença l’interrogatoire suivant, d’un ton calculé pour intimider la coupable :

« Est-il vrai, Mause, ainsi que me l’ont dit Harrison, Gudyill, et plusieurs autres de mes gens, que vous ayez pris sur vous, contre la foi due à Dieu, au roi et à ma personne, à moi qui suis votre légitime dame et maîtresse, d’empêcher votre fils de se rendre au Wapen-Schaw tenu par l’ordre du Shériff, et rapporté son armure à l’instant où il était impossible de trouver, pour le remplacer, un suppléant convenable, ce qui fut cause que la baronnie de Tillietudlem a été exposée, en la personne de sa maîtresse et de ses habitants, à recevoir un affront et un déshonneur qui n’étaient jamais arrivés à la famille depuis le temps de Malcolm Canmore ! »

Le respect que Mause portait à sa maîtresse était extrême ; elle hésita, et prouva la difficulté qu’elle avait à se détendre, en toussant une ou deux fois.

À coup sûr, milady… hem, hem !… À coup sûr, je suis fâchée… très-fâchée que quelque déplaisir soit arrivé,… mais l’indisposition de mon fils… — Ne me parlez pas de l’indisposition de votre fils, Mause ! s’il eût été vraiment malade, vous seriez venue à la tour à la pointe du jour chercher quelque chose pour le soulager ; j’ai guéri plusieurs maladies avec mes recettes, vous le savez parfaitement. — Oh ! oui, milady ! je sais très-bien que vous avez fait des cures merveilleuses ; la dernière chose que vous avez envoyée à Cuddie lorsqu’il avait la colique, fit sur lui l’effet d’un charme. — Pourquoi donc, femme, si vous aviez réellement besoin de quelque chose, ne vous êtes-vous pas adressée à moi ? Mais vous n’aviez besoin de rien, indigne et ingrate vassale que vous êtes ! — Votre Seigneurie ne m’a jamais appelée ainsi. Hélas ! pourquoi ai-je vécu assez long-temps pour être nommée de la sorte, » continua-t elle en fondant en larmes, « moi née servante de la maison de Tillietudlem ! Il est certain qu’ils mentent, ceux qui osent avancer que Cuddie et moi nous ne sommes pas prêts à combattre, à répandre tout notre sang pour vous, madame, pour miss Édith et la vieille tour. J’aimerais mieux voir mon fils enterré sur l’heure, que de savoir qu’il n’ait pas satisfait aux devoirs et aux égards qui vous sont dus. Mais pour tout ce qui est de ces cavalcades et de ces revues, milady, il ne m’est pas possible de croire qu’il y ait quelque chose au monde qui les autorise. — Qui les autorise ! se récria la haute dame : avez-vous oublié, femme, qu’une humble vassale comme vous est liée à mes ordres ; que vous êtes tenue de m’obéir dans la maison, à la chasse, partout ; que vous êtes forcée de veiller pour moi, de me garder nuit et jour ? Vos services ne sont pas gratuits : n’avez-vous pas des terres ? n’êtes-vous pas des tenanciers doucement traités ? n’avez-vous pas une chaumière, un petit jardin potager, et la faculté de laisser paître une vache sur les landes ? Combien peuvent se flatter d’une telle faveur ? Et vous m’enviez votre fils ! Pour un seul jour qu’il pourrait m’être utile sous les armes, vous me le refusez ! — Non, milady ! non, milady ! ce n’est pas cela, » s’écria Mause fort embarrassée ; « mais on ne peut servir deux maîtres ; et, s’il faut dire la vérité, il en est un aux commandements duquel il faut que j’obéisse avant de me conformer à ceux de Votre Seigneurie. Ce maître est au-dessus des rois, des paysans et de toutes les créatures humaines.

— Que voulez-vous dire, vieille folle ? Pensez-vous que j’ordonne quelque chose qui puisse blesser la conscience ? — Je ne prétends pas dire cela au sujet de la conscience de Votre Seigneurie, qui a été imbue des principes épiscopaux ; mais chacun doit marcher d’après ses propres lumières ; et les miennes, » dit Mause, devenant plus hardie à mesure que la conférence s’animait, « les miennes m’ordonnent de quitter ma chaumière, mon jardin potager, mon petit pâturage, et de souffrir tout plutôt que de consentir, moi ou les miens, à soutenir une cause déloyale. — Déloyale !… s’écria la maîtresse : la cause à laquelle vous êtes appelée par votre noble dame et maîtresse, par la volonté du roi, par l’arrêt du conseil, par l’ordre du seigneur lieutenant, par l’ordonnance du shériff !

— Oui, milady, sans doute ; mais qu’il plaise à Votre Seigneurie de se rappeler qu’il y avait jadis un roi dans l’Écriture, que l’on nommait Nabuchodonosor, qui éleva une statue d’or dans la plaine de Dura, comme qui dirait sur le bord de l’eau, dans l’endroit même où la revue a eu lieu hier : et les princes, les gouverneurs, les capitaines et les juges eux-mêmes, les trésoriers, les conseillers et les shériffs, furent mandés pour assister à cette inauguration, et reçurent l’ordre de se prosterner devant la statue, pour l’adorer, au son des trompettes, des flûtes, des harpes, des psaltérions, et de toutes sortes d’instruments de musique. — Que signifie cela, insensée ? et qu’a donc affaire Nabuchodonosor avec le Wappen-Schaw du canton de Clydesdale ? — Sans aller plus loin, milady, » continua Mause avec fermeté, « l’épiscopat est semblable à la grande statue d’or de la plaine de Dura ; et de même que Sidrach, Meschach et Abednego furent emmenés pour n’avoir pas voulu se prosterner et adorer, de même Cuddie Headrigg, pauvre laboureur de Votre Seigneurie, du consentement de sa vieille mère, ne fera de génuflexions et d’adorations, ainsi qu’on les nomme dans les maisons des prélats et des curés, ni ne se couvrira de son armure pour la défense de leur cause, au son des tambours, des gogues, des cornemuses, ou de toute autre espèce d’instrument que ce puisse être. »

Lady Marguerite Bellenden, stupéfaite, écouta ce commentaire de l’écriture avec la plus grande indignation.

« Je vois de quel côté souffle le vent ! » s’écria-t-elle après un moment de silence occasionné par son étonnement ; « le mauvais esprit de 1642 agit de nouveau avec autant de force que jamais, et chaque vieille folle, au coin de sa cheminée, discutera des matières de religion avec les docteurs en théologie et les saints Pères de l’Église ! — Si Votre Seigneurie veut parler ici des évêques et des curés, je vous assure que ce ne sont pas les Pères de l’Église écossaise ; et, puisqu’il plaît à Votre Seigneurie de nous menacer de nous renvoyer, il m’est permis de m’expliquer franchement sur un autre article. Votre Seigneurie et l’intendant ont désiré que mon fils Cuddie s’occupât dans la grange d’une nouvelle machine pour vanner le grain ; cette machine[1] semble s’opposer à la volonté de la divine Providence, en procurant, par un art humain, du vent pour l’usage particulier de Votre Seigneurie, au lieu de l’obtenir par des prières, ou d’attendre patiemment que la bonté de la Providence veuille l’envoyer sur l’aire de la montagne. Maintenant, milady… — Cette femme me ferait perdre la tête ! » s’écria lady Marguerite ; puis, reprenant son ton d’autorité et d’indifférence, elle dit : « Eh bien ! Mause, je finirai par où j’aurais dû commencer : vous en savez trop pour que nous disputions ensemble. Je n’ai qu’un mot à vous dire : ou Cuddie se rendra aux revues quand l’officier lui en donnera l’ordre, ou vous et lui quitterez mon service le plus tôt possible. Il n’est pas difficile de trouver de vieilles femmes et des laboureurs ; mais, si je n’en pouvais trouver, je préférerais que les terres de Tillietudlem ne fussent couvertes que de joncs, de bruyères et d’alouettes, plutôt que de les voir labourer par des rebelles au roi. — Hé bien, milady, dit Mause, je naquis dans ce lieu, et j’espérais mourir où mourut mon père. Votre Seigneurie a toujours été bonne, je ne puis le nier ; je ne cesserai jamais de prier pour vous et pour miss Édith. Dieu veuille que vous vous aperceviez que vous vous êtes égarée, que vous êtes dans la mauvaise voie ! mais encore… — La mauvaise voie ! » interrompit lady Marguerite avec colère, « la mauvaise voie, insolente ! — Oui, milady, nous sommes aveugles, nous qui vivons dans cette vallée de ténèbres, et les gens puissants tombent dans l’erreur aussi bien que nous ; mais, comme je dis, ma pauvre bénédiction restera avec vous et avec tous les vôtres. Je m’affligerai quand vous serez affligée, et me réjouirai lorsqu’on m’apprendra votre prospérité temporelle et spirituelle. Mais il m’est impossible de préférer les ordres d’une maîtresse terrestre à ceux d’un maître céleste, et je suis prête à tout souffrir pour l’amour du bon droit. — C’est très-bien ! » dit lady Marguerite lui tournant le dos de mauvaise humeur ; « vous êtes instruite de mes volontés à ce sujet, Mause. Je n’aurai jamais de whigs dans la baronnie de Tillietudlem ; je les verrais bientôt tenir un conventicule jusque dans mon anti-chambre. »

À ces mots elle sortit avec un air de dignité, et Mause s’abandonna aux diverses sensations qu’elle avait été forcée de réprimer pendant cette entrevue ; car elle, ainsi que sa maîtresse, avait ses propres sentiments d’orgueil ; et alors, élevant la voix, elle se mit à pleurer.

Cuddie, qui était retenu au lit par une maladie feinte où réelle, pendant toute cette conversation s’était enfoncé le plus avant qu’il avait pu dans ses couvertures, tremblant au dernier point que lady Marguerite, à laquelle il portait un respect héréditaire, ne le découvrît et ne le chargeât personnellement de quelques-uns des reproches amers qu’elle avait prodigués à sa mère. Mais, aussitôt qu’il pensa que Sa Seigneurie ne pouvait plus l’entendre, il s’élança hors de sa couche.

« Maudite soit votre langue ! pour m’exprimer ainsi, » cria-t-il à sa mère, « car la langue d’une femme tourne toujours mal, comme le disait mon père. Ne pouviez-vous pas laisser tranquille milady sans lui conter toutes vos folies de whigs ? et j’ai été bien sot de me laisser persuader de me coucher ici au milieu des couvertures, comme un hérisson, au lieu d’aller au Wappen-Schaw, ainsi que les autres. Mais je vous ai joué un tour, car je suis sorti par la fenêtre quand vous aviez votre vieux dos tourné, je suis allé voir la revue, j’ai tiré au Perroquet, et j’ai touché deux fois le but. J’ai trompé milady, mais je ne voulais pas tromper ma Jenny. Elle pourra maintenant se marier à qui bon lui semblera, car je suis perdu. C’est une chose bien pire que celle que nous avons eue avec M. Gudyill lorsque vous m’avez empêché d’accepter du plumpudding la veille de Noël, comme si cela faisait quelque chose à Dieu et aux hommes qu’un laboureur mangeât à son souper un pâté au hachis ou des légumes. — Oh ! silence, mon enfant, silence ! reprit Mause, tu ne connais rien à cela : c’était un mets défendu, des choses consacrées à des jours de fête et dont l’usage est interdit à un protestant chrétien. — Et maintenant, continua son fils, vous avez irrité milady contre nous ! Si j’avais pu seulement mettre la main sur quelque habit décent, je me serais élancé hors du lit, et lui aurais dit que je monterais à cheval pour aller où bon lui semblerait, et la nuit et le jour, pourvu qu’elle nous laissât la maison et la cour, et le verger où croissent les meilleurs choux de toute la contrée, et la meilleure herbe pour les vaches. — Oh ! quel malheur ! Mon cher fils Cuddie, » continua la vieille dame, « ne murmurez pas de ce qui vous arrive, et ne vous plaignez pas de souffrir pour la bonne cause. — Mais que sais-je si la cause est bonne ou mauvaise, ma mère ? répondit Cuddie. Malgré toute la belle doctrine que vous avez étalée à ce propos, elle est au-dessus de mon entendement. Je ne vois pas grande différence entre les deux chemins, ainsi que le monde le prétend. Il est très-vrai que les curés lisent deux fois les mêmes choses ; mais je crois qu’une bonne histoire n’est pas plus mauvaise pour être dite deux fois, et on a plus de chance pour l’apprendre. Tout le monde n’est pas aussi prompt que vous à concevoir de pareilles choses, ma mère. — Oh ! mon cher Cuddie, ceci est le plus grand malheur, » dit la mère inquiète. « Oh ! que de fois ne vous ai-je pas montré la différence qui existe entre la pure doctrine évangélique et celle qui est corrompue par les inventions des hommes ! Oh ! mon enfant, si ce n’est pas pour le salut de votre âme, au moins pour mes cheveux gris… — Hé bien, ma mère, » reprit Cuddie en l’interrompant, qu’avez-vous besoin de dire tout cela ? N’ai-je pas fait ce que vous m’avez ordonné, et n’ai-je pas été à l’église, comme vous le vouliez, les dimanches, et travaillé en outre chaque jour pour nous nourrir ? Et c’est précisément ce qui me fâche le plus, quand je pense comment je pourrai trouver de l’ouvrage dans ces temps malheureux. Je ne sais pas s’il sera possible de labourer d’autres champs que ceux de Mains et de Mucklewhame[2]. Je n’ai jamais essayé d’en cultiver d’autres, et je m’en acquitterais difficilement, et puis les propriétaires voisins n’oseront pas nous prendre, voyant que nous avons été renvoyés de Tillietudlem comme non cornistes. — Non-conformistes, mon cher enfant, » dit Mause en soupirant ; « c’est le nom que les hommes mondains nous donnent. — Alors nous serons obligés de nous rendre en des pays éloignés, peut-être à douze ou quinze milles d’ici. Je pourrais me faire dragon sans doute, car je sais monter un cheval et me servir passablement du sabre ; mais vous m’étourdiriez de vos bénédictions et de vos cheveux gris… (Là les exclamations de Mause devinrent extrêmes.) Allons, allons, c’était pour parler seulement ; d’abord vous êtes trop vieille pour vous pavaner sur le haut d’un chariot avec Eppie Dumblane, la femme du caporal. Qu’allons nous devenir ? je ne le sais en vérité. Je vois que nous serons peut-être obligés de nous rendre dans les montagnes avec ces farouches whigs, comme on les appelle, et alors je finirai par être fusillé comme un lièvre sur le bord d’un fossé, ou envoyé au ciel la corde au cou avec saint Johnstone. — mon bon Cuddie ! » dit la zélée Mause, « quitte ce langage charnel et égoïste ; parler ainsi, c’est faire injure à la Providence. Je n’ai pas vu le fils du juste demandant son pain, dit l’Écriture ; et votre père était un homme doux et honnête, quoiqu’un peu mondain dans ses actions et trop occupé des choses terrestres, précisément comme vous, mon enfant. — Eh bien, » dit Guddie après un moment de réflexion, « nous n’avons plus qu’une seule ressource, ma mère ; c’est un charbon froid sur lequel il faut souffler. Vous vous êtes toujours doutée qu’il existait quelque amour entre miss Édith et le jeune M. Henri Morton, qu’on devrait appeler le jeune Milnwood ; vous vous rappelez que j’ai quelquefois porté de l’un à l’autre un petit bout de billet ou une lettre ; je feignais d’ignorer alors tout ce que cela signifiait, quoique je susse à quoi m’en tenir. Il y a quelquefois de l’avantage à paraître un peu bête. Je les ai souvent vus se promener le soir dans le petit sentier sur le bord du ruisseau de Dinglewood mais Cuddie n’en a jamais parlé à qui que ce fût. Je sais bien que ma tête est épaisse ; mais je suis aussi bon que notre vieux bœuf : la pauvre bête ! je ne la ferai plus jamais travailler. J’espère que ceux qui me remplaceront la traiteront aussi bien que je l’ai fait moi-même. Mais, enfin, nous irons à Milnwood, et nous ferons part de notre détresse à M. Henri. Ils ont besoin d’un homme pour la charrue, et leur terre ressemble beaucoup à la nôtre. J’espère que M. Henri s’intéressera à notre sort, parce qu’il a un excellent cœur. Nous aurons fort peu de gages, parce que son oncle, le vieux Nippie Milnwood, tient aussi fermement son argent que s’il était le diable lui-même. Mais nous y gagnerons toujours du pain, de la soupe et un logement ; et c’est tout ce dont nous avons besoin pour le moment. En conséquence, levez-vous, ma mère, et préparez vos hardes pour partir ; car, puisque nous y sommes obligés, je ne serais pas flatté d’attendre que M. Harrison et le vieux Gudyill vinssent nous mettre à la porte. »



  1. Il est probablement ici question, dit l’auteur anglais, des machines employées par les femmes pour vanner le grain, qui cependant ne reçurent la forme qu’elles ont aujourd’hui que vers l’année 1730. L’usage en fut d’abord rejeté par les plus rigides sectaires écossais, d’après le motif que l’honnête Mause développe dans le texte.
  2. Nom des deux fermes dépendantes de Tillietudlem. a. m.