Le Voyage dans la Lune/3
ACTE TROISIÈME
Scène PREMIÈRE
puis FLAMMA et Les Dames du Palais.
LE GARDE.
Je suis le garde LES DEUX GARDES, entrant.
Nous sommes les deux gardes QUATRE AUTRES GARDES.
Nous sommes les quatre gardes HUIT AUTRES GARDES.
Nous sommes les huit gardes LES DAMES, paraissant après eux.
Oui, voici les huit gardes |
Allons, mesdemoiselles, entrons chez la princesse.
On ne passe pas.
On ne passe pas !
On ne passe pas.
Mais nous sommes les demoiselles d’honneur de la princesse.
On ne passe pas !
Mais la princesse a peut-être besoin de nos soins.
Possible.
On dit qu’elle est malade.
Très malade… fectivement.
En bien, laissez-nous entrer… mon petit garde.
Mon petit garde.
Vous serez si gentil.
Si aimable !
Si charmant !
Si mignon !
Mon petit garde !…
Voyons ! laissez nous passer !…
Oui, oui, laissez-nous passer !
On ne passe pas !
Quel dommage ! j’aurais tant désiré voir la princesse !
Et moi donc !
Et nous donc !
Il parait qu’elle est tout à fait amoureuse… Il n’y a plus d’espoir.
Et c’est pour cela que le roi l’a fait enfermer ici ?
Dame ! il y a de quoi…
Est-ce qu’elle souffre beaucoup ?
Oh ! beaucoup… Figurez-vous un mal qui la rend à la fois gaie, triste, bavarde, silencieuse, douce et violente ; qui ne lui laisse pas un moment de repos, qui la fait rire, pleurer, crier, s’agiter…
Cela doit être affreux !
Mais tu l’as donc vue ?
Certainement, cette nuit, à travers la porte, pendant que les gardes dormaient.
Et que disait-elle ?
Ce qu’elle disait…
Elle disait : viens je t’implore TOUTES.
Viens près de moi !… FLAMMA.
Prince Caprice, je t’adore TOUTES.
Jamais que toi ! FLAMMA.
Et j’entendis jusqu’à l’aurore TOUTES.
Elle entendit jusqu’à l’aurore II
FLAMMA.
Nous serons bien heureux ensemble, TOUTES.
Son cher amant ! FLAMMA.
Mon cœur palpite, ma main tremble TOUTES.
Même en dormant ! FLAMMA.
Ah ! viens, cher Caprice, et m’emporte TOUTES.
Ah ! viens, cher Caprice, et m’emporte FLAMMA.
C’est tout ce qu’à travers la porte TOUTES.
C’est tout ce qu’à travers la porte |
Ah ! que c’est gentil !
Ah ! que c’est gentil !
Allons regarder !
Oui ! oui !…
On ne passe pas !
On ne passe pas…
Scène II
Eh bien ! qu’y a-t-il ?…
Ce sont ces demoiselles qui veulent forcer la consigne.
Oh ! les curieuses… cette pauvre Fantasia a pourtant bien besoin de repos… Enfin ça la distraira peut-être… (Aux dames.) Allez !… (Elles entrent chez Fantasia. Les gardes se retirent à l’exception d’un seul.) Au moins, a-t-on rattrapé ce petit gueux de prince Caprice ?
Non !… impossible de mettre le grappin sur lui…
Eh bien ! Cosmos doit être d’une jolie humeur. Ah ! le voici…
Scène III
Je suis furieux !
Moi aussi !
Pas tant que moi !
Plus que vous !
Je vous le défends !
C’est différent !
Votre fils est un drôle !…
Je ne dis pas le contraire.
Un polisson !
C’est mon avis.
Se permettre de rendre ma fille amoureuse !…
Ça n’a pas de nom !
Si je le tenais je lui ferais passer un mauvais quart d’heure.
Et que vous auriez raison ! (Très gaiement.) Seulement, vous ne le tenez pas.
C’est vrai… mes imbéciles de gardes n’ont pas pu le prendre… Ils ne m’ont ramené que ma fille.
Et lui, il a filé, c’est un malin ! (Lui tapant sur l’épaule.) Elle est bonne… Riez donc !
Heureusement que vous êtes là vous…
Hein ?
Si on ne le retrouve pas, vous paierez pour lui.
Moi !
Dame ! elle est bonne… Riez donc…
Ah ! non ! permettez…
Il faut que je fasse un exemple… Depuis hier ma fille est méconnaissable… Voulez-vous que je vous dise ce qu’il m’a forcé de faire votre fils, le voulez-vous ?…
Oui.
Il m’a forcé… (Voyant le garde, il l’entraîne au milieu.) il m’a forcé… vous allez frémir… il m’a forcé de convoquer les médecins… (Montrant la chambre de Fantasia.) Ils sont là en ce moment.
Ciel !
Ah ! nom de nom !
Les médecins ! les médecins, ici !…
Eh bien ! est-ce que ça n’arrive pas tous les jours ?
Tous les jours !…
Ah ça ! est-ce que vous croyez qu’on les laisse se promener dans les rues ?
Pour qu’ils répandent partout une foule de maladies !
Ah ! ben ! ah ! ben !
Pourtant, permettez… Puisque vous me dites qu’ils sont là…
Oui, parce que j’ai pris sur moi de les faire sortir et avec des précautions énormes.
Ils sont donc enfermés ?
Je vous prie de le croire !… dans un bâtiment cellulaire.
Où on ne va les visiter qu’avec une autorisation spéciale.
Eh bien ! vous avez une singulière façon de les traiter. Ce n’est pas comme chez nous. Ainsi, moi, j’ai une gastrite, eh bien ! dès que je sens un tiraillement, j’envoie chercher mon médecin, il déjeune avec moi et, au bout d’un quart d’heure, ça va mieux.
Il déjeune avec vous ?
Oui, et même il mange ce gaillard-là, il n’y a pas trois mois il s’est flanqué une indigestion ! J’ai été obligé de le soigner. Je lui ai fait du thé…
Ah ! vraiment vous recevez les médecins chez vous ?… Et vous leur serrez la main ?
Certainement.
Mais alors, ils doivent vous donner toutes les maladies qu’ils viennent de soigner ?
Non… ils nous en donnent d’autres, voilà tout. (Bruit de vaisselle cassée.) Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ça, c’est Fantasia qui casse mes porcelaines… Encore une crise de nerfs.
Scène IV
Je suis nerveuse, |
Voyez ! la malheureuse !… dans quel état !…
Scène V
Seigneur ! seigneur ! si vous saviez !…
Quoi donc ?
La princesse…
Eh bien ?
Elle vient de gifler la faculté !
Tu as fait ça… toi ?
Oui… oui… j’ai fait ça, moi…
Et tous les médecins se sont sauvés !…
Les médecins en liberté ! Nous voilà bien !… mais ils vont se répandre dans la ville !…
Quelle catastrophe !
Il faut les rattraper ! Allons, courons.
Scène VI
Ah ! ah ! ah ! m’envoyer des médecins pour me soigner, me guérir… comme s’il pouvait y avoir pour moi un autre médecin que…
Fantasia !
Caprice ! vous ici !
Silence !… Oui, Microscope et moi, nous sommes parvenus à nous cacher.
Chez qui ?
Chez les gendarmes.
Hein ?
Oui, naturellement ils nous cherchent partout excepté chez eux. Pendant ce temps, moi, j’ai trouvé un moyen infaillible de désarmer votre père.
Est-il possible !
Quel est le crime qu’il nous reproche ? — c’est d’être amoureuse… par conséquent, s’il devenait amoureux à son tour, il n’aurait plus rien à dire.
C’est vrai.
Eh bien ! cette pomme qui a éveillé votre cœur, je suis parvenu à en extraire un élixir d’un certain effet. (Il lui montre une fiole.) Le voici… il faut que le roi en boive, et nous serons sauvés !
Oui, mais comment ?
Je ne sais pas… mais soyez tranquille, je trouverai bien un moyen, et avant qu’il soit longtemps…
Ah ! le voici ! cachons-nous.
Scène VII
Enfin ! On a pu les rattraper tous.
Oui, excepté un petit… mais il n’est pas bien dangereux.
Et vous pouvez bien dire que c’est à moi que vous le devez… si je n’avais pas été là… Je vous ai donné un fier coup de main… Ah ! C’est qu’un médecin ne me fait pas peur !…
Oui, mais avec tout ça, voilà une consultation qui n’aura servi à rien.
Comme toutes les consultations, du reste…
Cette pauvre Fantasia est bien décidément incurable… Et le pis, c’est que j’ai peur que son contact ne gâte toutes mes autres femmes.
C’est si susceptible, les femmes !
Aussi mon parti est pris… je vais m’en défaire…
Comment ! vous en défaire ? vous allez la…
Non… je vais la vendre.
Comment, la vendre ?
Au marché… c’est l’habitude… Quand une femme a cessé de plaire, on la vend.
Me vendre !
Eh bien ! vous avez de drôles de mœurs, vous.
Personne ne sait ce qui lui est arrivé ; en me dépêchant j’en trouverai encore un bon prix.
On ne perdra pas trop dessus.
Allons ! il s’agit de la préparer à cette séparation douloureuse. Viens avec moi, Cactus.
Scène VIII
Me vendre, c’est une indignité ! oh ! je m’y opposerai…
Au contraire, ma chère Fantasia, il faut laisser faire…
Caprice ! la princesse !
Oh ! ne t’étonne pas, nous n’avons pas le temps… (À Fantasia.) Quant à vous, ma chère Fantasia, ne vous inquiétez pas, et laissez-moi agir.
Comment ?
On va vous vendre, mais c’est quelqu’un à moi qui vous achètera… De mon côté, je serai au marché, et grâce à mon élixir je vous réponds de Cosmos… Rentrez vite, tout va bien !… (À Vlan.) Et toi, viens avec moi…
Où m’emmènes-tu ?
Au marché !…
Comment, au marché !… mais explique-moi…
Nous n’avons pas le temps ! viens… (Il l’entraîne.) À nous deux, mon bon Cosmos !
Scène PREMIÈRE
CHŒUR.
C’est le marché, |
Place ! place ! TOUS.
Regardons, REPRISE DU CHŒUR
C’est le marché |
J’achète !
Je vends !
Quel vacarme, mon Dieu !… c’est à devenir fou !… oh ! la spéculation ! la spéculation !… La plaie de notre époque…
Circulez, messieurs, circulez !
Cent quinze femmes fin courant, avec prime, j’offre !…
Je prends !
Cinquante ! avec report !
Cent ! je liquide !
Circulez ! que diable ! vous avez bien le temps de vous ruiner !
Les cent quinze femmes, fin courant !…
Je les reprends ! je les reprends.
C’est la hausse… c’est la baisse… vingt pour cent !… Impossible !… ah !… oh !… liquidons, vendons,… etc.
Circulez ! circulez !…
Scène II
Faites donc attention !…
Pardon… (À part.) Ouf ! j’ai couru… C’est qu’il s’agit de reconnaître les lieux… Mon jeune maître m’a chargé de venir acheter la princesse Fantasia… C’est une mission délicate et qui demande à être conduite avec précaution… Voyons… (Allant au bourgeois.) Un mot, s’il vous plait ?…
Je vous écoute, monsieur.
Il a une bonne tête, ce bourgeois… (Haut.) Où suis-je ici ?
Où vous êtes ? (Cris.) Malheureux, vous ne le voyez donc pas ? Mais vous êtes dans l’antre de la spéculation ! vous êtes à la Bourse.
À la Bourse ?
Et voici la corbeille ! Ah ! la spéculation ! la spéculation ! La plaie de notre époque. (Les cris recommencent.) Là ! les entendez-vous ?
Comment, c’est la Bourse, où l’on se dispute comme ça !… ah ! sapristi ! je me suis trompé alors… Moi qui cherchais le marché aux femmes…
Eh bien, vous y êtes…
Mais vous venez de me dire…
La Bourse ou le marché aux femmes, c’est tout un…
Monsieur, bien obligé ! (À part.) Comment c’est sur les femmes qu’on spécule… Drôle de valeur… Enfin, j’en connais de plus mauvaises…
Voilà encore un pauvre niais qui va se faire plumer… oh la spé…
Ô mon Dieu, monsieur, qui est-ce qui arrive donc là-bas ?
Qui ? parbleu ! c’est le fameux Quipasseparla, le roi de la Bourse !
Scène III
Le prince Quipasseparla ! Accourez, je n’vous dis que ça ! |
(Parlé.) Oh ! les femmes !…
J’en vends, j’en achète, |
Bravo ! bravo !…
Ah ! mes amis ! quelle journée ! quelles émotions !… Je viens de boire un de ces bouillons !… Ce matin, je me dis : il y a quelque chose à faire avec les femmes bleues… j’achète, j’achète, et puis, patatras ! Une baisse formidable… Elles sont à rien, les femmes bleues ! On les donne !… c’est à mourir de rire ! ah ! ah ! ah !
Ô cynisme !…
Heureusement, j’ai de quoi me refaire… je viens d’apprendre que dans quelques instants on va mettre en vente la charmante princesse Fantasia.
Comment !
Un objet unique, une occasion hors ligne, c’est tout à fait mon affaire. Ah ça ! j’espère que personne ne s’avisera de me la disputer ?
Parbleu !…
Un concurrent ! Fichtre… comment faire pour… (Allant à Quipasseparla.) Pardon, monsieur, vous dites que vous venez pour acheter la princesse Fantasia…
Oui…
Et vous y tenez beaucoup à la princesse ?
Sans doute… Pourquoi ?
C’est que si vous n’y aviez pas tenu spécialement, je vous aurais prié…
De quoi ?
De me la laisser… j’ai ordre de l’acheter à tout prix… Alors, vous comprenez, nous allons nous contrecarrer l’un l’autre bien inutilement… Il vaudrait peut-être mieux s’entendre.
Ah ! bah !… Voilà un individu dont il faut que je me débarrasse ! (Haut.) Mais comment donc, cher monsieur, du moment que cela peut vous obliger…
Alors vous consentez ?
À m’entendre avec vous, mais pourquoi pas ?… Du moment que cela peut vous être agréable… Venez donc, prendre quelque chose… nous causerons de cette affaire-là…
Volontiers.
Toi, si tu es ici pour la vente, tu auras de la chance !
C’est un bon enfant, ce Quipasseparla.
Oh ! des charlatans !…
Des charlatans, à la Bourse !… c’est impossible !
Scène IV
Ah ! quelle musique
Magnifique !
Quel bataclan
Retentissant !
Ohé ! ohé ! les badauds !… Tous écoutez I
Ce n’est pas pour l’appât vulgaire II
À peine au sortir du collège, |
Bravo ! bravo !
Caprice, tu n’es pas raisonnable… moi, ton père, me forcer à jouer le rôle d’un simple Vert de Gris ! Si l’on me voyait de là-bas.
Tais-toi donc, papa, il le faut. En avant la musique. (À part.) Je ne vois pas encore Cosmos… il ne tardera pas. (Bas à Vlan.) Comment les occuper ?
Laisse-moi faire. (Haut.) Maintenant, mesdames et messieurs, permettez-moi d’appeler votre attention sur une découverte aussi précieuse qu’utile… Depuis que je suis sur le trô… (Se reprenant.) depuis que j’exerce sur les places publiques, (À part.) un peu plus j’allais me couper ! (Haut.) depuis dis-je, que j’exerce sur les places publiques, je n’ai encore rien vu de semblable… Avez-vous un vieux chapeau ? oui, n’est-ce pas ? (Désignant le bourgeois qui est au milieu de la foule.) J’aperçois justement monsieur qui en a un d’une malpropreté repoussante… Passez-moi le chapeau de monsieur !…
Mais…
Horrible, votre chapeau, monsieur… je ne comprends pas que vous osiez sortir avec un chapeau pareil.
Monsieur !…
Enfin, n’importe… pour quatre francs, je vous en rendrai un neuf. Passez-moi les quatre francs de monsieur…
Mais…
Passez moi les quatre francs de monsieur !… (On fouille le bourgeois et on lui prend de l’argent qu’on fait passer à Vlan.) Merci… À présent regardez bien ce que je fais du chapeau… (Il l’aplatit, le déchire et le foule aux pieds, après quoi il le rend gracieusement au bourgeois.) Monsieur…
Mais ce n’est plus un chapeau !… vous m’en aviez promis un neuf.
Un neuf… c’est juste… (Tirant un œuf de sa poche.) Un œuf à monsieur, voilà.
Ah ! le charlatanisme !…
Ah ! j’aperçois, Cosmos… à mon tour ! (Haut.) Allez la musique !
Scène V
Tiens ! des charlatans !…
Avant de prendre congé de vous, mesdames et messieurs, il nous reste à vous présenter une eau magique, incomparable, inestimable, inappréciable et complètement inconnue jusqu’à ce jour… (Vlan accompagne tous ces adjectifs d’un roulement de tambour. — Caprice continue.) Cette eau, mesdames et messieurs, possède toutes les propriétés, toutes les vertus, toutes les qualités. Elle guérit les rhumes de cerveau, les rages de dents et les cors aux pieds. Elle ôte les taches, remplace le cirage, et fait couper les rasoirs… elle fait pousser les cheveux et tomber la barbe ou pousser la barbe et tomber les cheveux, à volonté. Elle fait engraisser les gens maigres et maigrir les gens gras.
Maigrir…
Maigrir !
Enfin, elle fait tout, elle sert à tout, elle est bonne à tout…
À tout !…
Malheureusement, il ne m’en reste qu’une bouteille… cette bouteille, vous comprenez bien que je ne veux pas la vendre, je la donne… mais à qui la donner ?
À moi ! à moi !
Un instant ! ne parlez pas tous à la fois !… À qui la donner cette bouteille ? Un roi seul est digne de posséder un pareil trésor…
Oui, un roi seul !… y a-t-il un roi dans la société ?
Un roi… présent !…
Si j’avais eu trente-cinq grammes de plus !
Très bien, passons la bouteille à monsieur.
Tiens ! c’est gentil… ça a une couleur. (À Caprice.) Est-ce que ça se boit ?…
Goûtez-en ! Goûtez-y ! et vous m’en direz des nouvelles…
Voyons…
Allez la musique !…
Eh bien ?
Eh bien ! oui, c’est assez… c’est même très…
Encore ?… Allez la musique !…
Donnez-m’en un peu.
Non, c’est trop bon ! (Changeant de ton.) Ah !
Quoi ?
C’est étrange, on dirait que… (Avec un grand cri.) Ah ! ah ! (Portant la main à son ventre.) Je suis empoisonné !…
C’est bien fait.
Ah mais !… ce n’est pas l’effet que j’ai voulu produire !…
Je crois bien !… c’est tout simplement le cidre que tu as inventé là !…
Du cidre ? c’est vrai !… Nous voilà bien…
Veux-tu que je te dise ? Nous n’avons plus qu’à déguerpir. (Haut.) Mesdames et messieurs, c’est pour avoir l’honneur de vous remercier. Si vous avez été contents, envoyez-nous vos familles.
Scène VI
Adieu notre compagne, FANTASIA
Ô doux espoir ! REPRISE
Adieu notre compagne, CACTUS.
Qu’on fasse silence, TOUS.
La vente commence ! POPOTTE, montrant Cactus.
En l’absence du roi, de Cosmos empêché, CACTUS.
En l’absence du roi, de Cosmos empêché, LE BOURGEOIS.
En l’absence du roi, de Cosmos empêché, Désignant un autre. C’est lui qui va présider le marché. |
C’est lui !
C’est lui !
Mais où est donc le commissaire ? TOUS.
Le voici, le commissaire ! POPOTTE.
Venez, monsieur le commissaire : TOUS.
D’être commissaire priseur ! |
La princesse que voilà, CACTUS.
Messieurs, faites votre prix ! UN ACHETEUR.
Trois pièces d’or ! LE COMMISSAIRE.
Monsieur veut rire. UN AUTRE.
J’en donne quatre ! UN AUTRE.
Cinq ! LE COMMISSAIRE.
|
C’est vraiment beau ! très beau ! PREMIER ACHETEUR.
Dix. DEUXIÈME ACHETEUR.
Vingt. TROISIÈME ACHETEUR.
Trente. QUATRIÈME ACHETEUR.
Quarante. PREMIER ACHETEUR.
Quarante-cinq. TROISIÈME ACHETEUR.
Cinquante. CACTUS.
Nous avons marchand à cinquante ! LE COMMISSAIRE.
À cinquante. QUATRIÈME ACHETEUR.
Cent. TROISIÈME ACHETEUR.
Deux cents. DEUXIÈME ACHETEUR.
Trois cents. PREMIER ACHETEUR.
Quatre cents. DEUXIÈME ACHETEUR.
Cinq cents. TROISIÈME ACHETEUR.
Six cents. DEUXIÈME ACHETEUR.
Sept cents. PREMIER ACHETEUR.
J’en donne mille. |
Ah ! l’imbécile CACTUS.
Nous avons acheteur à mille ! QUIPASSEPARLA, au dehors.
Qu’on arrête la vente ! CACTUS.
Eh bien ! voyez la dame… QUIPASSEPARLA.
Elle est charmante ! FANTASIA, à Quipasseparla. — Bas.
Vous êtes envoyé par lui ? QUIPASSEPARLA.
Qui lui ? FANTASIA.
Vous savez bien. QUIPASSEPARLA.
Oui, oui ! FANTASIA.
Vous allez me conduire à lui ? QUIPASSEPARLA.
Qui lui ? FANTASIA.
Toujours le même ! QUIPASSEPARLA.
TOUS.
Dix mille pièces d’or ! QUIPASSEPARLA.
Dix mille pièces d’or : |
Personne ne dit mot ?
Personne ne dit mot ?
Adjugé ! QUIPASSEPARLA, allant à Fantasia.
FANTASIA.
Partons promptement. QUIPASSEPARLA.
Pardonnez-moi car le temps presse, TOUS.
Il a raison il a dit vrai, QUIPASSEPARLA.
Je cours, je me dépêche, TOUS.
Il a raison, il a dit vrai : |
Quipasseparla sort vivement, emmenant Fantasia. Tout le monde les suit.
Scène PREMIÈRE
Par ici ! par ici… Nous allons nous arrêter quelques instants dans cette auberge. (Aux dames.) Dépêchez-vous d’aller vous reposer, car nous n’avons pas beaucoup de temps. C’est aujourd’hui même que l’hiver doit succéder à l’été, tout à coup et sans crier gare… et, si les almanachs disent vrai, comme c’est leur habitude, le froid sera terrible cette année… Il se peut que d’un instant à l’autre il fasse cinquante degrés au-dessous de zéro. Il s’agit donc de ne pas se laisser surprendre. Entrez là et attendez-moi ; je vais prendre les précautions nécessaires pour continuer notre route.
Comment, nous allons nous arrêter ici ? mais je m’y oppose !… Je ne m’arrêterai que lorsque nous aurons rejoint Caprice.
Écoutez, ma belle enfant, je me reprocherais de vous laisser plus longtemps dans l’illusion. C’est pour moi que je vous ai achetée.
Pour vous !
Oui, pour moi, pour ma collection, dont vous allez faire le plus bel ornement, adorable princesse !
Ah ! c’est indigne ! Mais je vous échapperai, je saurai bien trouver le moyen de fuir, de le rejoindre… Oh ! mon Dieu ! oh ! mon Dieu !…
Bah ! bah ! cela se passera. Entrez toujours là… Et maintenant je vais m’occuper des préparatifs.
Scène II
Que d’aventures, mon Dieu ! que d’aventures ! Ce gueux de Quipasseparla !… Ah ! si je le rattrape !… Il m’avait endormi… J’arrive au marché… Crac ! tout est fini ! La princesse vendue, enlevée !… Je veux rattraper mon voleur… Patatras ! qu’est-ce que je rencontre ? la reine Popotte. Dans quel état ! Cosmos avait bu le fameux élixir. D’abord, il parait que ça lui a fait un effet… Enfin un drôle d’effet !… Mais la pomme ne perd jamais ses droits… Le malheureux est devenu amoureux de sa femme… et pour se faire comprendre d’elle il l’a fait boire aussi… Ça a été un coup de foudre… Seulement à ce moment-là, j’arrivais et c’est à mon cou qu’elle s’est jetée… Quelle situation ! moi qui cours après mon filou, la reine qui court après moi et le roi qui court après la reine !… Ah ! la voici… quel ennui !… Car c’est curieux ; je l’aimais cette femme, elle ne m’aimait pas. Elle m’aime, je ne peux plus la souffrir… Ô cœur humain !…
Scène III
Enfin, vous voici, mon ami… (Se pendant à son bras.) Nous ne nous quitterons plus !
Hein ?… (Haut.) Permettez, madame… Je comprends la passion que je vous inspire… Elle me flatte, mais elle me gêne. Raisonnons… Vous avez un mari.
Je ne l’aime pas !
Je le comprends, mais votre devoir est de l’aimer.
Il est laid !
Je le sais, mais votre devoir est de le trouver beau.
Eh ! le devoir ! Que m’importe le devoir ! c’est vous que j’aime, c’est vous que je trouve beau et je ne vous quitterai plus !…
Oui, j’aime, enfant, ton doux sourire, II
Quand tu me touches, je frissonne, |
Oh ! les chaînes ! les chaînes !…
Scène IV
Voyons !… Grosbedon, aubergiste… Nous sommes dans une auberge.
Le prince ! sapristi !…
Microscope ! ah ! te voilà, toi !… Eh bien ! tu as joliment travaillé ! tu as laissé acheter Fantasia par un autre !
Mais, prince, ce n’est pas ma faute ; on m’avait endormi.
Oh ! ne l’accusez pas !
Heureusement que j’ai pu retrouver ses traces… Elle est dans ce pays, j’en suis sûr. Allons, papa…
Un instant ; j’ai faim, je suis éreinté. Voilà une auberge, je m’installe.
Tu n’y penses pas ! quand Cosmos est à nos trousses !…
Ah ! mais, dis donc, je ne suis pas de fer ! Ohé ! l’aubergiste !
Scène V
Que désirent ces messieurs ?
Oh ! ces ventres, Croscope…
Oh !
Que nous sommes bêtes !… On nous a prévenus… c’est ici dans le pays des ventrus…
Mais oui !… le pays où on choisit les rois de la lune !… Tout s’explique alors… cette végétation truculente…
Cette architecture ventripotente…
Le pays des ventrus !
Regarde donc celui-là ; ce doit être Grosbedon.
En personne.
Dites-moi, mon brave homme, vous n’auriez pas vu un homme qui voyage avec une troupe de femmes ?
Quipasseparla, le fameux collectionneur ? justement !
Mon filou ! il est ici !
Oh ! papa ! oh ! Microscope !… elle est ici…
Qui ça ?
Fantasia.
Ça m’est égal… allons à la cuisine d’abord… Allons l’aubergiste.
Scène VI
Elle est ici !… Pourvu qu’elle entende ma voix. Fantasia ! Fantasia !
Cette voix ! c’est lui !…
Fantasia !
Caprice !
Ils s’embrassent, Microscope !
Non ! madame ! non ! ils ne s’embrassent pas…
Ah ! Microscope ! vous ne m’aimerez donc jamais ?
Si ! peut-être !… quand vous ne m’aimerez plus !…
Allons, allons, ne nous arrêtons pas. Cosmos doit être sur nos traces, il faut fuir.
Fuyons !…
Fuyons !… (Caprice et Fantasia sortent gaiement, voyant que Microscope ne bouge pas.) Eh bien ! Microscope !
Oui, madame. J’attends le roi et je vous suis.
À bientôt, alors ?
À bientôt !… (Elle sort. — Resté seul.) Oui… compte là-dessus !
Scène VII
Merci ! merci ! je porterai bien ça tout seul (En scène.) Ils ont une drôle de façon de nourrir ici… Je n’ai trouvé que des hannetons à la broche… enfin pourvu que j’aie de quoi me soutenir… Eh bien ! où sont les autres ?…
Ils ont filé, nous ferons peut-être bien d’en faire autant…
Avant d’avoir dîné ! jamais !
Qu’est-ce que c’est que ça ? (Il regarde au fond.) Ah ! grand Dieu ! Cosmos…
Oui, le roi qui cherche des fugitifs et qui passe tous les habitants en revue, maison par maison…
Ah ! sapristi.
Filons !…
Ah ! par ici des gardes ! Par là, des gardes ! encore des gardes, partout des gardes !
Nous sommes cernés.
Mais dans ce pays de ventrus on va nous reconnaître tout de suite.
Viens ! j’ai une idée… (À Grosbedon.) Suivez-nous, l’aubergiste…
Ils rentrent dans l’auberge. — Arrivent Cosmos et Cactus avec des gardes.
Cactus !
Grand prince !
Combien de pulsations ?
Quatre cent quinze, grand prince !
Horrible !… oh ! les gueux ! dans quel état ils m’ont mis avec leur élixir !… Mon sang bouillonne, ma tête éclate… j’aime ma femme à présent… Et elle m’a quitté pour ce Microscope… Ô Popotte ! il faut que je te retrouve et que je me venge !…
Grand prince !
Eh bien, malheureux ! que fais-tu ? Cette bouteille…
Oh ! moi, ça ne me fera rien… c’est pour maigrir !…
Nature calme !… enfin… on a exécuté mes ordres ? le pays est cerné ?
Oui, grand prince !
Très bien… il ne nous reste plus que cette auberge à visiter… S’ils y sont, ils ne m’échapperont pas… seulement nous n’avons pas de temps à perdre, car nous approchons de l’hiver et il s’agit de les rattraper le plus vite possible… Dans ce pays de ventres ils ne seront pas difficiles à pincer… Holà, les gens de l’auberge !…
Nous voici, grand roi !
Commençons l’inspection. (À Cactus.) Je t’autorise à m’aider dans mes recherches !
Que de remerciements !
Tous les ventrus se sont rangés sur une ligne pour l’inspection.
Allons (À Grosbedon.) allons, approchez-vous…
Avec plaisir. (Cosmos lui donne un vigoureux coup dans le ventre, celui-ci raisonne comme un tonneau vide.) Oh ! le son est bon… à un autre !
À mon tour. (Un ventru s’approche de lui, frappant de toutes ses forces) Oh !
Tu t’es fait mal ?… À un autre !…
La revue continue.
Scène IX
Vlan et Microscope se sont travestis d’une façon burlesque… Ils ont de fausses barbes et des ventres monstrueux.
Glissons-nous dans la foule, je te dis qu’ils ne nous reconnaîtront jamais.
C’est égal, je ne suis pas rassuré, mon ventre me gêne.
Tu t’y feras… surtout du sang-froid et de l’aplomb !
Oh ! oh ! voilà deux solides gaillards !
N’est-ce pas ?
Il tousse.
Quel creux ! (À Vlan.) Vous n’avez rien à déclarer ?
Quelques cigares, voilà tout…
Approchez-vous.
Voilà le moment. (Cosmos frappe.) Oh !
Quoi ?
Rien…
Au petit… ah ! il est moins solide.
Oh ! oh ! c’est à moi…
À ton tour… frappe !…
Tiens ferme.
Mon Dieu ! mon ventre !
Eh bien ?
Il glisse !
Rattache-le.
Attendez.
Oh ! pas de ça !
Pas de ça !
Microscope se débat, sa ceinture se déroule, un oreiller s’en échappe.
Qu’est-ce que c’est que ça ? un oreiller !…
Du faux !
Imbécile !
Et celui-là ! (Il lui arrache sa barbe.) Vlan !! c’est Vlan ! Enfin ! nous les tenons !
Ô rage !
Ô désespoir !
Et votre fils ? et ma femme et ma fille, qu’en avez-vous fait ?
Ah ! eux ! Ils sont loin, par exemple !
Comment loin ?
Qu’y a-t-il ?
Grand prince !… il est temps de défiler… le vent s’élève, et dans un instant, nous allons être surpris par la neige.
La neige !
Comment, la neige ?
Oui, l’hiver qui succède à l’été…
Si vite que ça !
Mais certainement !
N’importe ! Nous ne rentrerons pas avant d’avoir repris le prince et la princesse.
Oh ! vous ne les rejoindrez pas !
C’est ce que nous verrons ! (À ses gardes.) En avant !
En avant.
Courons à leur poursuite,
Il faut les rattraper,
Courons, oui, courons vite
Ou bien ils vont nous échapper !
Scène X
QUIPASSEPARLA.
Les voici. (Bis.) COSMOS.
Ah ! que viens-je d’entendre ? QUIPASSEPARLA.
Et quant à la princesse, POPOTTE, FANTASIA et CAPRICE, entrant.
Ah ! nous sommes transis, CAPRICE.
Pauvre Fantasia ! COSMOS.
Chère Popotte, te voilà ! La neige commence à tomber.
CAPRICE, frissonnant.
Il neige ! il neige ! FANTASIA.
Bon ! la neige, à présent ! CHŒUR.
Il neige ! il neige ! VLAN.
La neige à présent ! CHŒUR.
Il neige ! il neige ! CAPRICE.
COUPLETS
Il neige ! I
La fâcheuse aventure ! FANTASIA.
Brrr ! brrr ! brrr !… TOUS.
Il neige ! La neige, CAPRICE.
II
Doucement je veux prendre TOUS.
Il neige ! COSMOS.
Allons, partons, sans plus attendre CHŒUR.
Il s’agit de nous en aller. COSMOS.
Vite au palais, il faut nous rendre CHŒUR.
Si nous voulons ne pas geler. TOUS, grelottant.
Brrr ! brrr ! brrr ! brrr ! |