Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Avis

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AVIS AVX BEAVX


ESPRITS,


Touchant le voyage des Princes Fortunez, qui est vn œuure Steganografiqve, contenant ſous le plaisant voile des diſcours d'Amour, tout ce qu'il y a de plus exquis és ſecrets recherchez par les curieux des bonnes ſciences.


ESTANT delecté aux ouurages de plaisir, suyuant auidement les delices d'eſprit où ma curioſité me portois, i'ay eu enuie de faire part de mon contentement à ceux qui ſeront eſmeus de semblable fantaſie, & qui incitez par beaux deſirs, ont volōté de ſe recreer aux objets de perfectiō, leſquels on peut remuer en toute seurté pour ſ'en resiouir Et par les richesses des secrets que l'on y descouvre tous les iours, recognoistre ce grād DIEV, qui en quelque petit ſuiet que ce ſoit, enuelope une infinité de choſes dignes d'eſtre cognues. Or pource que ſi ie traictois ces magnificences apertement, il

n’y auroit pas tant de grace, ie me ſuis mis à retracer mes gentillesses ſelon l’art Steganografique, afin que cecy qui eſt ſi digne, fut plus orné & dauantage deſiré & cheri, & qu’ainſi cet œuure peuſt eſtre agreable à tous : A ceux qui ne pretendent qu’à l’apparēce par la nuë apparēce qui les ſatisfera, & aux rechercheurs plus ſubtils par les énygmes que l’inuention nous fournit, leſquelles ils eſplucheront & se contenteront. Et à ce que ceux qui ne ſauent encor que c’est que de cet artifice, par lequel nous uoilons, ce qu’il nous uient à gré d’offrir aux yeux ; ie dis que la Steganografie eſt l’art de representer naïuement ce qui est d’aiſée conception, & qui toutefois ſous les traits eſpoißis de ſon apparence cache des ſuiets tout autres, que ce qui ſemble eſtre proposé : Ce qui est practiqué en peinture quand on met en ueuë quelque païsage, ou port, ou autre pourtrait qui cependant muse ſous ſoy quelque autre figure que l’on diſcerne quand on regarde par un certain endroit que le maiſtre a designé. Et außi s’exerce par escrit, quand on discours amplement de suiets plausibles, lesquels enuelopent quelques autres excellences qui ne sont cognues que lors qu’on lit par le ſecret endroit qui deſcouure les magnificences occultes à l’apparence cōmune ; mais claires & manifeſtes à l’œil & à l’entendement qui a receu la lumiere qui fait penetrer dans ces diſcours proprement impenetrables & non autrement intelligibles. Et cependant voyant ces diſcours figurez, ces diuerses tapiſſeries, ne penſez point y trouuer un Amour uicieux : Et uous, belles Dames, n’eſtimez pas y rencontrer les inuentions des appas qui enlacent les ames en des concupiſcences iniques. Il n’y a rien icy que chaſte, le contraire eſt reiecté ou puni, Et vous Orateurs qui couuez la uolupté en voſtre ſein, qui la degoiſez sur vos theatres, pour ce qu’elle uous maſtine le cœur, ne uenez pas icy apprendre à diſcourir, car cecy ne ſent rien moins que ce que voſtre entendement cuide, & voſtre outrecuidance preſume, oſtez uous d’icy infames, & n’infectez point ces traits delicatement formez aux douces eſtincelles de uertu. Mais uous, chaſtes cœurs, eſprits debonnaires, courages pudiques plein de charité, uenez uers ces obiets d’amour licite, uenez y trouuer des abiſmes de contentemens, & en deueloppant ces precieuſes raretez, deſcouurez pour voſtre bien les precieuſes rencontres que couurent ces delicieuſes apparences. En fin ie uous auiſe, que ſi uous obtenez quelque fin de ſouhait par ces inuentions, que uous en ſachiez gré à Mōsieur M. Pierre Brochard, ſieur de Marigny, Conſeiller du Roy, Maiſtre de Requeſtes ordinaire, lequel unique & parfait amy, & Mœcenas m’a dōné les beaux loiſirs qui font eſclore ces beautez. C’eſt luy qui eſt l’Aſtre de mon bonheur, & ie luy en donne la gloire, cōme eſtant l’organe dont Dieu s’est ſervi pour m’animer entre les mortels. Outre plus, i’ay eu pour ſtimulation non seulement, ains außi pour fourniture d’esſtofes Monsieur le Digne, ſieur de Condes, qui me connoiſſant preſque dès la ſortie de l’enfance, & ſachant l’inclination de mon eſprit, & les practiques qui m’occupent, m’a dōné des memoires qu’il auoit recueillis de pluſieurs œuures eſtrangeres, doctes & antiques, tendant à meſmes fins : & de son beau labeur i’ay pris ce qui m’a ſemblé se rapporter à mes intētions, & pour n’eſtre point ingrat, ie ueux dire que ce qu’il m’a donné m’a fait inuenter le reſte, & l’adapter ſelon l’analogie de l’ouurage. Or, Belles ames, ſauourez voſtre propre contentemēt, & cognoiſſez que ce que nous faiſons n’eſt que pour uous : Car ie ne fais eſtat que des eſprits de merite, & qui ſe plaiſent à la uertu.


Plus auant vous le lirez,
Et plus au cœur vous l’aurez.

Vir inſipiens non agnoſcet & ſtultus non intelliget hæc. Pſalm. 92

Quelqu’vn me lira enuieux
de la gloirc qu’on me doit rendre,
Lequel taſchant à faire mieux,
Me feuillettera pour apprendre.


BEROALDE.
.
Ni pour ſalaire,
Ni pour complaire.