Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise IIII/Dessein III

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DESSEIN TROISIESME.


Apres ſouper ſur la brune il vint vn bal de bergers & bergeres. L’Empereur les conſidera fort, & penſe y auoir veu Etherine.



TOut plaiſir eſt agreable en ſon temps, & tous ſuiets ont leur rencontre, parquoy cecy eſtant paſſé, il fallut venir à ce qui eſt ordinaire : Car faites ce qu’il vous plaira, ayez tels deſſeins que vous imaginerez, ſi faut-il qu’aux temps limitez vous ſuyuiez les ordonnances mondaines qui ſont de ſe retirer à l’heure du repos, de ſe leuer pour vacquer aux affaires, & de ſe trouuer aux temps de la refection. Encor faut-il s’occuper à ce qui eſt du conſentement vniuerſel : les heures de ceſte expedition ſont notables, elles ſont neceſſaires & vtiles. Par ceſte Ordonnance les Princes vindrent pour ſouper, & furent ſeruis en la ſale haute, où rien ne manqua. La muſique & les ieux furent prolongez, de ſorte que le ſeruice ne fut pas haſté, ce qui fut fait à deſſein, tellement que le iour eſtoit preſques terny & deſia vn petit filon de tenebres ſe meſtoit dans le reſte de la lumiere, qui en bruniſſoit l’eſclat, faiſant que les obiets qui requierēt plenitude de moyēs pour leur apparence exacte, n’eſtoient plus en exiſtence bien perceptible, que voicy vne entree de bergers accouſtrez en diſpots qui parurēt en la court auec Le ’Voya7,e des Princes

i11ll :r111nens ca11fo1ï11cs à le11r eG :re : après ceuxcy e11trere11t au bal plufie11rs bergercs me11ees par leurs bergers : Ils auoici1t v11 a :r 11ouueau, v11 berger cha11toit v11e ll :a11cc & la bergere apres, V_N BERGJ ;,R. l’ayl’ttme totttefaifie ’IJe la c,lefte furie . . ~vientefmouuoirlecœ11r, QJ±,and nom reffentons"noftre ami Pour l’œil d’ vne belle D.11rne S’alt, :rer de belle h111ner11·. LA BERGERE, 1e reffens dedans mon arne Vne crlcftè vig1teur, QJ !i he11re1e(ement l’ enftame Po11r q1-t~fque fi•iet d•honne11r, Lli BERG ER. Tout vale1i1·e1ex au,courage , · en ceft amoureux feruage i Jctne po1effe à mes deffeins, Et d’vne belle a/lcgreffe Je 1ne voüc à la Dcejfe ~ eftablit 1nes drftins • . LA BERG ERE, ’R. !faluë c11 mon :courage . Po,er vn hra~e ferûiteur, , Suy11srnt de [ !honneur l’vfagt · 1eLuy f,1i1 part de mon cœt’r. LE BERG ER. Je’n'ay point l’arne tenrec . . . Pour, la trornper, ar,·eftee . fi quelque in nt ile obier, La beauté de/a lumicro 1·sJ

R !!,i la retient prifonniere . .

Eft l’ idee duparfaill. LA BER GERE. 1’ay recogneu la penfee Du mii :n pArfidelité, ’D'vn rneftne.amour ejl11ncte ; 1eluy iure IDJauté. ·· LE. BERGER, V’fle m1tiffrefse ,•honore, .... , : · V~ Dufle •’adore ·· .Auffi he/le que le iour, T 01,te la vert11 ;m•arreflë ; · Je fers la helleparfaite> R !!_i feule eft t11ute l’Amour, LA BERGERE. Vn cœurparfait me dejire~ .,·.. Jedefireleparfaiéf ; . _ :· ., .’ .. • P 011r mon faiet il fou.fPir’e ;; Vers ltfJ eft to,it mon fo11hait ~ . . ,. LE·. ·.B ERG ER. •• ,.’ !f,,fa helle eft fe1elc11ecomplie~ ~eritttnt d’eftte fèr,eie~ • Et triompher. en grandê11r. Elle 6ft /,e fleur eternel/e, , . ’JJelilbeauté- laplmbe/le, · Et des bel/et tout l’honneur• . L·A. B E R G E RE.ll n’y arien de femblablè · . · .A ,non parfaiét Cheua !ier ; · Car il eft l’. vnique aymablé, . R !:j merite le prier. · · .·· . · LE ·BERG ER. · ~fQit 111ne tre es hei,re1ifè~ ’

, Leruoyagedes Princei

0 uand toute deuotieufe Tiivoù [on œilfanspareil, . Et que d’vne douce amorce, Par les attr11,iéis de fa force~ 1e m•allume à ce Soleil. LA BERGERE. Toute en mo ;•ie me contente, · De m’allumer és beaux fèux · Rf !,emonfùietmeprefante, ... Pour rendre mon cœ11r he1ireU."(. LE BERGER.· Rgandto11trAuidejà grace ,· levoy quema be/tee/face ; Tout ce quieftgracieux : Je fens tant âheur en moy-mefme, QJJ’ en mon bon·hettr tant extref me· • 1e m’e[g11,le au.,c demy-’Dienx ; LA BERGER :.E. · R !!_,A1td ievoy q,ie l’on 11dmire., . · tYl-1 on 11ccornpry en toui lieux, Mon Amed’aifefoufPire, · · Mon cœur eft·iout glorie1,.-,. :~ LE BERGER ; je [uiJ [urpru demërueill,, · _ . R !!_,and ·,non ·œil comme l’ ilheiUe EfPluche t 11nt de heaute’{. : _ Je voy tant de graces belles, Tant de douceurs eterne/les, T 11nt de fainGlès M aieftez :.. LA .·B.E R GERE. ’V11_11ccompf :y m’afarprife, Sèsgr aces parle11rpo1tuoir M~ ont defon arno{,r ef}ri[e,. . . fortune’{, Entr~prife. ~V-. ’Pour luy donner mon voutdir. · LE BER GER ; ~ipeuteftretant Tartare ; V oy11nt ci : q1tî eft fi rare ; Et n’en_feroit point tenté, Et qui feroit ft farouché,

!l. !!, ;.’fuand cet 11ttraiéé l•attOJtcht J

,N’enferait point arrefté ! .

7 5~ ·

L A B E R G E RE-.·,, Toute belle a~e quitlyme, .

M erite vit p1r,reilJoncy ; . On /11, doit cherir de mef,nt’ ; J’11yme mon parfait du/fi. LE BERGER.· Ceux dont /11, viemefchante Ne fent /11 doucéur q11i11nte, Ler tendres 11-Jfeéfions ; Indignes du nom qu’ilspor-tent Ne cognoijfent ce qu•apportent Nos belles imprejfions. · LA BERG ERE. f.,4 beauté de cefte vie La grace de noffre h0nne11r Eft deJe ttouùer ra1eie · · D’rne cl,aritable arde1tr. LE BERGER. Tous ceux q11i ont/’ame do11c1 fit dont le po1,lmon rcpouffe V n ,be11u fouJPir rado11,y ; Dont le cœ11r n’eft po11r Jôy-mifmd Dignes que le Ciel les ay1ne, Sont dign,s de çefo11cy. B Bb ij

,

LA BERGERE ; Les courages di ;rnerites , Sont capables d’eflre aymez., C’ eft le ciel qui les excite Pour d’ A1no1er effre anime :<. • . LE BERG ER. Ma -vie eft11tnt 9rdonnee Pour fi douce deftinee, J’en fuis to1tt trt,nfporté d’heur :.Aujfi re{oltt[an.s ceffe Je tafche que ’llta M aiftreffi Me tienne pour fèruiteur. LA B.ERG ERE. C’eftmon he1ir qui me difpo[e · .Arece1Joir1nonfùiet, .. Etp1Jurt~ntiemepropofe · N’a11oir iamais 411tre obiet, LE .BERGER. Il n’ eff riev.ft beau,ft braur, Tant honnefte ,fainéi & g1·aue.

!J.ge d’1iuriir l’a1r.011r a11 c(1J11r,

Le Ciel aujfi mefit n11iftre P 011r ,n1i bell.e qui doit eftre Ma D11rne & m~ (er1eite1tr. LA BERGERE.’ C’eft Je bon-heur de n()ftre11mf D’eftrefaruie & d’ayn1er, 1 eveux d’vne egi11le .fla,ne A11ecl11ymeconfommer•. , L.E BERGER. ,11,fa Belle ie vom dedie ~Jon cœur, rna force & ma vit ) Pour t,ujioarsvous ho1Jorer : 757

Et vous i1trc ma M aiftrcffe,

Q. !! :, ! l’on me vet·ra fans cefse T 01tt httmble vou, admirer.

LA BERGERE.

Mon fer1tite11r ic vom prie

’1Jeconfer11er nos amo11t·s,

C at· autant co1nme rna vie

levoll6 a_y1nera_y101tjio11rs.

I

Ce ioyet1x bal efl :a11t acl1etré totts fe retircre11t qt1e defia les’obiets efl :oie11t prelqt1es lè111blal1Ies à des on1bres gliifa11tes de delfot1s la lt1miere : & 011 auoit allumé les fl.a1n beaux e11 la Salle, où les Mo11arques rctot1r11ere11t : l’E111pereur efplt1cl1oit fort aue~ l~s }·ct1x pour ~e111arquer 1es l1eautez , n1a1s 11 11e petit faire ce qt1’il pe11foit , car chact1ne fçat1oit tant bie11 fa ,011te11 ;:1.11ce à propos , qt1’il 11e pot111oit bie11 difcer11er, .& mefi11es il Ile s’apperçet1t pas qt1’il y euCl : v11 couple qt1i 11e cl1 :1n• ta rie11 : Or co1nbie11 gt1’il rcg-ardaO : fort e11"’ aiJ~ de rc111arte11tit1en1e11t, fi 11e lu}· fut-il pas quer : car les pas dt1 bal eG :oient pro111pts, & tout difparttt fot1dai11e111c11t. Si eft-cc qt1’il ltty fut aduis qt1’il a11oit pet1 voir c11tre les bergeres ie 11e fça}’ quel elèlat qt1i rapportait fort àl’~r d’Etl1eri11e. Sa penfee 11’eO :oit poi11t efloig11ee de raifon, car ces l1ergeres et1oie11t dei J)_ri11cellès de la Cot1rc, lèfqnclles at1oient pris des vefl :e1ncns de bergeres, & :1infi dcfguifees ·auec les Princes & Seig11et1rs vcfl :us de n1efi11es e11 bergers, :tt1oie11t fait ceO :e ge11tillclfc : e11 celle trot1pe cG :oit Epy11oife vcG :ue e11 berger qt1i : . B B b iiJ menoit Etherine, ces deux cy ne reciterent rien, car tout euſt trop paru, là voix eſt vn ſigne notable. L’Empereur auoit la fantaiſie touchee, toutesfois il ne ſe peut tant fortifier en ſa perſuaſion, qu’il eſtimaſt que ce fuſt la verité qu’il euſt veuë, & qui luy auoit ietté quelques viues pointes, il ne ſe peut faire autremēt que ce qui ayme ne ſe face ſentir : il eſt vray que ce Monarque dominé par l’Amour ne veut rien penſer qu’à ce qui luy aduiendra, ſans qu’il y ayt à douter : Cependant auec ceſte douce penſee accompagnee d’opinion de bien futur, il ſe retira aſſez ioyeux, eſperant que bientoſt il aura le bien que les Princes Fortunez luy ont promis : Et dés l’heure faiſant le magnanime ietta au loingt toute penſee trauerſante qui peut le faire pencher vers les triſtes imaginations, & en ceſte bonne humeur ſe diſpoſa à la reſiouyſſance pour paroiſtre vaillant & vertueux.