Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume III/Chapitre I/V

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Traduction de James Darmesteter

Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1893.
Annales du Musée Guimet, Tome 24.


INTRODUCTION
CHAPITRE I
L’Avesta moderne et l’Avesta sassanide
V.
Concordance générale de l’Avesta sassanide et de l’Avesta moderne. — Nous possédons ce que l’on considérait sous les Sassanides comme la partie la plus importante de l’Avesta. — Une partie de l’Avesta sassanide, perdue en apparence, se retrouve quant au fond dans la littérature pehlvie.


V

Les résultats de l’analyse précédente se résumeront dans le tableau suivant qui donnera la concordance de l’Avesta sassanide avec l’Avesla moderne, déduction faite des fragments non encore identifiés.


Stôt Yasht : Gâthas (Yasna XXVIII-LIV), plus Yasna XIV-XVII, XXII-XXVII, LVI.
Sùtkar : Yd. pehlvi II, 6. Fragments Tahmuras, 64-68 (?).
Varshtmânsar : Fragm. Westergaard 4 ( Fargard XXIII du Nask).
Bak : Yasna XIX, XX, XXI ( Farg. I, 11, III du Nask).

Vashtag : Rien.
Hàdhôkht : Yashts XI, XXI, XXII ; Afringân Gâhânbâr ; Yasna LVIII ; fragment (dans les Fragments divers).
Spand : : Vd. pehlvi VII, 52.
Nikâtûm : Farhang 1, 15, 16, 47, 70 ; Vd. pehlvi XVIII, 71 ; Vaêtha (?).
Ganbâ-sar-nijat : Farhang, 6 (Fargard Arjistàn).
Hûspâram : Nirangistân zend (Fargards I, II, III).
Sakâtûm : Farhang, 61.
Vendidad : Vendidad complet.
Citradât.
Bakân Yasht : Yt. I, V-XIX ; et peut-être Yt. XX, Yasna IX-X1 (?) ; Yasna LVII (?) ; Fragm. Weslergaard 2.
Damdât : Vd. pehlvi II, 20 c.
Nâtar : Rien.
Pâjag : Gàhs, Sirôzas (?).
Rat-dât-itag : Fragment Tahmuras, 58 ; Vd. pehlvi VII, 43.
Barish.
Kashkisrav : Nirangistân pehlvi (?).
Vishtâsp-sàst : Yt. XXIII-XXIV.


Cette table ne donne pas toute la concordance des deux Avestas, car il reste toute une partie de notre Avesta dont l’origine ne se laisse pas encore déterminer avec une sûreté suffisante. Telles sont celles des litanies du Yasna qui ne rentrent pas dans le Stôt Yasht ou les Yashts de Hôm et de Srôsh ; telles sont les formules du Vispéred ; tels sont enfin le plus grand nombre des Fragments Tahmuras et des fragments du Farhang. Je ne doute pas qu’une étude plus approfondie de l’analyse du Dînkart permettra de préciser de plus près l’origine de ces éléments. Mais ce premier essai de concordance nous livre déjà plusieurs conclusions importantes :

1o  Le Vendidad n’est point, comme le veut la tradition moderne, le seul Nask qui nous soit parvenu dans son intégrité. Il y faut joindre le Stôt Yasht, dont elle n’a point reconnu le caractère, parce qu’il lui est arrivé fondu dans une matière étrangère. On y peut joindre aussi, dans une grande mesure, le Bakân Yasht qui nous est arrivé, sinon tout entier, au moins dans ses parties les plus importantes. Il y a donc deux Nasks sur vingt et un que nous possédons tout entiers, et un troisième dont nous possédons une très grande partie et certainement la plus considérable par l’étendue et par l’intérêt.

2o  Nous possédons des fragments considérables du Hadhôkht Nask, du Vishtâsp sâst et du Hùspâram ; et de la plupart des autres Nasks des fragments assez nombreux pour faire sortir ces Nasks des limbes où ils étaient relégués et leur donner un caractère de réalité qui leur faisait défaut.

3o  Nous possédons indirectement, par l’intermédiaire de compilations pehlvies, une grande partie des Nasks dont nous n’avons point de spécimens directs dans l’Avesta. Une grande partie du Dàmdât, du Vishtâsp sâst, du Citradât, du Spand se retrouve dans le Bundahish, dans le septième livre du Dînkart, dans l’Ardâ Virâf. Il est impossible d’évaluer exactement la proportion de ce qu’était l’ensemble sassanide à ce qui nous en reste, soit en original zend, soit en traduction pehlvie. Nous devons nous borner au débris zend, le seul que l’on puisse apprécier directement, car la transcription pehlvie peut paraître sous des formes très variées et difficilement évaluables, depuis la traduction directe jusqu’à l’abrégé, la paraphrase et le développement. Nous pouvons dire que nous possédons en zend des spécimens plus ou moins considérables de quinze Nasks sur vingt et un et que nous possédons dans leur intégrité les deux Nasks que l’on considérait comme les plus importants religieusement.

Le Vendidad, en effet, étant le livre de la purification, était le plus important, pour le prêtre, des livres légaux et c’est là sans doute la raison même qui l’a préservé. D’autre part, les Gàthas, qui, on le voit par le témoignage du Dînkart, forment le centre même des Nasks gathiques, étaient déjà dans l’Avesta sassanide, comme elles le sont aujourd’hui, le cœur de la littérature zoroastrienne. Nous savons de plus que ce monument, considéré comme si précieux, était déjà ce qu’il est aujourd’hui : on n’a perdu aucune Gàtha, elles étaient déjà au nombre de 22 : car les vingt-deux Fargards dont se composent les trois Nasks gathiques qui se sont formés autour des Gathas ou qui leur ont été rattachés artificiellement, répondent exactement un à un à chacune de nos Gàthas. D’autre part, les Gàthas étaient, de la littérature dite gathique, le seul texte écrit dans un dialecte spécial et archaïque ; car les Nasks qui les commentent, à en juger par le témoignage concordant de tous les fragments qui nous en restent, étaient rédigés dans le dialecte vulgaire. Nous possédons donc dans les Gàthas un monument qui était déjà, pour les Sassanides comme pour nous, le noyau de l’Avesta et, dans le fond comme dans la forme, son élément le plus archaïque.

Nous avons déjà vu comment le vaste ensemble de l’Avesta sassanide s’est réduit au cours des douze derniers siècles aux modestes proportions qu’il a à présent 1[1]. Tout ce qui n’était point préservé par l’action directe et constante de la liturgie était exposé à périr, à mesure que s’éclaircissaient les rangs des fidèles, décimés par la persécution arabe, par l’exil, par la conversion. Les livres non liturgiques, moins souvent copiés, avaient moins de chance d’échapper aux causes de destruction qui les menaçaient, et dont la plus efficace était l’indifférence naturelle des fidèles pour des textes qu’ils ne pouvaient plus lire dans la langue originale et qu’ils retrouvaient sous une forme plus accessible dans les traductions, les commentaires, les abrégés, les analyses en langue pehlvie. Aussi, loin de faire un crime aux Parsis d’avoir perdu une partie si considérable de leur littérature ancienne, faut-il plutôt les féliciter d’avoir conservé tant de textes qui n’étaient point exclusivement liturgiques. La perte de l’Avesta sassanide a été progressive et les trouvailles faites dans les dernières années nous prouvent qu’elle est moins complète et moins irréparable que l’on n’imaginait. Au ixe siècle de notre ère, on le possédait encore tout entier, sauf un Nask : le dépouillement de la littérature pehlvie de ce siècle, qui vit une brillante renaissance de la littérature zoroastrienne, sous la domination plus sympathique des premiers Abbassides, nous a déjà rendu de précieux fragments des Nasks perdus : ce dépouillement commence à peine et nous pouvons légitimement attendre de l’avenir de nouvelles et plus larges surprises.

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  1. 1. Vol. I, xxxvi-xxxix.