Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume III/Chapitre III/I

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Traduction de James Darmesteter

Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1893.
Annales du Musée Guimet, Tome 24.


INTRODUCTION
CHAPITRE III
L’Avesta et les Arsacides
I.
L’Avesta contient des textes écrits après la chute de la domination grecque. — Le Hôm Yasht. — Alexandre cité sous l’épithète de Keresâni.


I


Nous avons déjà signalé’ dans un des morceaux les plus célèbres et les plus brillants de l’Avcsta, le Hôm Yasht, une allusion qui nous a paru prouver que cette partie de l’Avesta a été rédigée après la chute d’Alexandre et de la domination grecque. C’est le passage où il est dit que Haoma, le dieu-plante dont le culte forme le centre de la liturgie zoroastrienne, « a renversé le Keresâni usurpateur qui s’était levé dans l’ambition de l’empire, et qui disait : » Désormais le prêtre n’ira plus à son gré dans le pays «enseigner la loi ». Nous avons remarqué que dans l’histoire traditionnelle du Zoroastrisme, le seul persécuteur du Zoroastrisme que la tradition connaisse avant les Arabes, est .lexandre^ Alexandre est le troisième membre de cette trinilé de tyrans exécrés qu’Ahriman aurait voulu rendre immortels, pour la ruine plus complète du monde : Zohâk, Afrâsyàb, Alexandre. iMais dans la chronologie avestéenne, qui est établie avec une rigueur absolue, Zohâk et Afrâsyàb sont antérieurs à l’apparition de Zoroastre et à la fondation de sa religion, et n’ont pu la persécuter et la proscrire, de sorte qu’Alexandre reste seul pour assumer ce rôle d’Antéchrist du Zoroastrisme, ce qui crée une forte présomption que le Keresâni, cet usurpateur anti-zoroastrien, pourrait bien être Alexandre. Or, d’autre part, ce 1. Volume I, pp. 79-83.

2. r.f. La //(jrnde d’Alexandre c/iez 1rs Pnr !!ps((]a.n ?, nos ^Mr/ ;.< ! oi-ienlanx, 1881). lenuc (Je Keresâni qui nesl point un nom propre, mais une épitlièli ;, un dérivé do keresa << handil »’, est Iraduil en pehlvi pur son dérivé k’iUstjàk-, el ce terme de k’disyùk est employé dans toute la littérature posl-avestéonne pour désigner les inlidèles du pays de Roum, c’est-à-dire les chrétiens byzantins. Si le mol làlisyàh désigne les Houmis à l’époque de l’empire grec chrétien, l’original zond qu’il représente a dû désigner les Grecs anciens à l’époque antérieure. L’interprétation traditionnelle de Keresâni nous ramène donc par une voie indirecte à la conclusion oîi l’induction historique nous avait conduit : pour elle le Keresâni est un Grec. Si le Keresâni est un Grec, ce ne peut être qu’.Vlexandre. Le Bnhman Yashl, apocalypse pehlvie du temps des croisades, endosse en toutes lettres cette conclusion. l’assani en revue les princes restaurateurs de la religion, il met en tête « les princes arsacides qui chassent du monde l’hérésie qui y dominait et détruisent l’impie Alexandre, le kilisydk ». La tradition a donc conservé un souvenir net et distinct qu’Alexandre était un Keresâni. Si le Kerêsani de notre texte est Alexandre, ce texte — et l’on peut dire tout le Hùm Yasht, qui forme un tout d’une unité parfaite, — sera postérieur à la mort d’.Moxandre et plus exactement à la chute de la domination grecque : car la domination grecque a survécu dans l’Iran près de deux siècles à son fondateur, et ce n’est que vers l’an loO avant notre ère que les victoires de Mithridate le Grand (I 71-137 ?), le véritable fondateur de l’empire arsacido, ont porté le dernier coupa l’usurpateur du pa.s kilisi/dk’. Nous concluerons donc que notre texte nu pu èlrc écrit avant la moitié du ir siècle avant notre ère.

1. or Nîrangistdn, §26. Dans la traduction du Yasiil j’ai laissé la possibilité d’un ancien rapport mythologique entre keresâni el le védique kriçànu : après nouvel examen, je crois que le rapport n"esl que philologique. Il n’y a pas de raison décisive pour faire de kriçànu même un nom propre. En tout cas keresâni est un nom commun, siguiliaiit haudit ; l’emploi de tem avec keresânim indique déjà que l’on n’a pas afTaire à un nom propre, et l’on n’aurait jamais songé à y chercher un nom propre sans l’archer kriçànu des Védas. Buruouf, qui ignorait kriçAnu, avec son ordinaire bon sens lit tout naturetlemeut de keresâni un adjectif. 2. ki/isi/âk est formé de keresa-keresâni sur le type de .frisy ;k-Franhrasyan. 3. C’est vers 147 que les l^arthes eulreul à Seleucie, la capitale de l’empire grec.