Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1893.
Annales du Musée Guimet, Tome 24.
INTRODUCTION CHAPITRE V L’élément ancien dans l’Avesta |
I Il y a dans l’Avesta un fond d’idées original et ancien. - Eléments anciens :1° dans la doctrine : dualisme, durée limitée du monde, défaite finale d’Ahriman, résurrection. — Ahura, Mithra, Anâhita. Divinités élémentaires ; — 2° dans la morale : principes utilitaires ; — 3° dans le culte : sacrifice sanglant, sacrifice non sanglant : Haoma. |
I
Les rapprochements qui précèdent ii’épuisenl point la matière. Noire objet n’était point de relever tous les emprunts faits par le Zoroastrisme aux systèmes qui l’entouraient à l’époque arsacide, mais seulement d’établir la réalité d’emprunts de ce genre. Ils suffisent pour élaiilir doux choses :
rLa matière avosléeiuu- n’est pas une matière une et homogène : elle contient des éléments empruntés à des systèmes différents, à l’Inde, à la Grèce, à la Judée. L’Avestadoit à l’Inde quelques-uns de ses personnages, à la Grèce quelques-unes de ses doctrines, à la Judée des vues historiques et un cadre.
2° Ces emprunts se sont faits surtout au cours de la période arsacide. 11 importe de prendre ces conclusions dans les termes où elles sont posées, sans les étendre au delà. Rien ne serait plus contraire à ma pensée que de prétendre que rien n’est original dans l’Avesta, que rien n’est ancien dans l’Avesta. Le fond de l’Avesta est original, le fond de l’Avesta est ancien : et c’est à ce fond original et ancien que sont venus se souder et s’assimiler des éléments étrangers et récents, très considérables, mais néanmoins subordonnés aux éléments anciens. Nous essayerons de déterminer ces éléments et par là se fera tout naturellement le départ entre ce qui est ancien, c’est-à-dire pré-alexandrin, et ce qui est récent, c’est-à-dire post-alexandrin, et dans ce qui est récent, entre ce qui est développement intérieur et ce qui est emprunt extérieur. Doctrine. — Ladoctrine zoroaslrienne a pour premier principe l’existence d’un dieu suprême, Ahura Mazda, « le Souverain omniscient » , créateur du monde et de toutes les choses bonnes de ce monde. 11 est assisté de six Amshaspands, personnification de six Vertus suprêmes, qui sont Bonne Pensée, Sainteté Parfaite, Bon Gouvernement, Piété Soumise, Santé et Immortalité. Ces six Génies abstraits l’ont aidé dans l’œuvre de la création et sont en même temps chargés de veiller sur les divers règnes de la nature. Ahura a encore créé un grand nombre d’autres Génies, qui sont les uns des personnifications de forces naturelles, les autres de pures abstractions, morales, spirituelles, liturgiques. Comme créateur du Bien, Ahura Mazda s’appelle Spenta Mainyu, l’Esprit Bienfaisant, et a pour antagoniste Angra Mainyu, l’Esprit du Mal, auteur de la perversion matérielle et morale du monde. Les deux Esprits se disputent l’empire du monde : un jour l’Esprit du Mal sera vaincu, les morts se relèveront et le monde sera immortel et bienheureux à jamais.
La base du Mazdéisme, à savoir l’existence du dieu suprême, Ahura Mazda, est aussi ancienne que tout ce que nous savons de la Perse, car Auramazda paraît comme le dieu suprême dans les inscriptions de Da- l’ius. « Auraiiiiizda est un <liru piiissanl ; c’est lui (|ui a créé celle lei re ; lui ([ui a créé le ciel ; lui qui a née riinniuic ; lui «[ui a fait Darius roi ». Aurama/.da n’esl pas le dieu unique, car il rsl » le pliisgrand desdieux » (mathistu bagânâiii. H. 1’. Darius invoque Aurama/.da « avec lous les dieux ».
Quels sout ces dieux ? Pour un lecteur de IWvesta, ces mots « avec lous les dieux » évoqueraient les six Amshaspands el lous ces Yazatas matériels el spirituels enrégimentés dans le Sirù/.a. Pour les Achéménides, ces mots n’avaient point le même sens, .^ous avons vu, en effet, dans le chapitre précédent que les .mshaspandssonl une création néo-platonicienne. Aussi les dieux auxquels sacrifient les Perses d’Hérodote sont des divinités naturalistes, le Soleil, la Lune, la Terre, le Vent, les Eaux. Arlaxerxès Mnémon invoque nommément avec Aurama/.da deux autres dieux : ce sonl Mithra et Anahata (AnAhita), c’est-à-dire deux divinités naturalistes : le dieu de la lumière et la déesse des eaux.
L’examen du calendrier de Darius semble confirmer cette conclusion. On sallque dansle Zoroaslrisme avestéen, trente divinités, rangées dans un ordre syslémalique, président aux trente jours du mois ; douze président aux douze mois de l’année, de sorte que le calendrier est un résumé du panthéon ’. Or les noms des mois achéménides, bien que quelques-uns d’entre eux aient rapport à des cérémonies religieuses- el que par suite le calendrier ne fût pas exclusivement civil el laïque, sont absolument diEFérents des noms Ihéophores du système avestéen. On peut conclure de là que les préoccupations de culte el de religion de Darius n’étaient point celle de l’époque qui suivit, que son horizon religieux était autre el que l’ordre divin du Sîrùza lui était inconnu.
Bref, Ahura Mazda est pré-alexandrin, mais les Amshaspands et l’armée organisée des Izeds sont post-alexandrins
1. Vul. 1, J :i-30 ; vol. Il, Slroza.
2. Atriyàdiya, culte du feu. — BàgayAdi, culte du jardiu ( ? fêle du printemps). i. On suppose généralemenl ijue Tliéopompe est la source géiiéralo du lalileau du Zoroaslrisme douué tlaus le traité il’his et Osiris, de sorte que la tliéorie des Amshaspands serait pré-alexandrinc. Si on se reporte au texte, on voit que rien absoluincul n’autorise celte prosoniplion. I,’auteui’ décrit le Zoroastrisme de sou temps et cite Thoopompe pour une doctrine spéciale, celle des périodes du monde. T. III. ’ Ahura Mazda était le dieu du bien puisqu’il est dit que « c’est lui qui a créé le Bonheur , pour l’homme » : ce mot qui, à lui seul et dans nos idées du jour, ne suffirait pas à prouver l’existence du dualisme, prend une signilicatiou particulière par le fait que plus tard Ahura est, hors de doute, le dieu du dualisme, le Spenta Mainyu. Elle donne en même temps toute sa valeur à la déclaration de principes du second Isaïe acclamant Cyrus au nom de Jéhovah : « afin que l’on sache du lever du soleil à son couchant que je suis l’Éternel et que nul autre ne l’est ; que je suis celui qui forme la lumière et qui crée les ténèbres, celui qui fait le bien-être et qui crée le mal ; que c’est moi l’Éternel qui fais toutes choses ))2. A la fin de la période achéménide, Aristote connaît Ormazd et Ahriman^. Déjà au temps d’Hérodote la guerre acharnée que les Mages se font un devoir de faire aux fourmis, aux serpents et aux animaux malfaisants prouve la distinction des êtres en êtres ormazdéens et êtres ahrimaniens ’. La guerre contre Ahriman est commencée.
Le Mazdéisme achéménide croyait déjà à la défaite d’Ahriman et connaissait le dogme de la résurrection et la durée limitée du monde tixée à douze mille ans. Nous avons déjà vu dans Théopompe, c’est-à-dire dans un contemporain de Philippe et d’Alexandre, que le Dieu et le Démon ont régné alternativement pendant trois mille ans, qu’ils sont on lutte durant trois mille et qu’enfin, c’est-à-dire dans une quatrième et dernière période ^, le Démon succombera et les hommes reviendront à la vie" et vivront heureux, n’ayant plus besoin de nourriture et ne faisant pas d’ombre. Déjà un siècle avant ïhéoporape, un passage célèbre d’Hérodote fait peut-être allusion au dogme de la résurrection : Prexaspe, accusé par Cam- 1. shiy."uim, traduit dunuju dans la version babylonienne : c’est l’origine de shdd-i, « joie ».
2. haïe, xlv, 1 sq.
3. DiOGÈNE DE Laerte, l’voœm., 8 : ojs xa-ï’ ajTCjç sivai àp-/i ;, àyaOîv oy.’.i.O’ix ■/.% : ■/■ay.cv SaiV-ova • /.al tw i.^ cvo|j.9 ! elvat Zsiiç y.w. ’Qpo( ;.â(73-^^, tw Sa "At3ï ;i ; ’/.a’i Ap£iiJ.âvioç. 4. llKnoDOiK, I, 140. Cf. Vd. XIV. 5-(), texte et noies. 5. Voir [)lus haut, p. 41.
6. ^io~o>.~oi... c’ç y.al iva6i(iŒï70x’. y.x-.’x ts’jç [j.iysy ; s’O "-’Jî àvOpwxsuç (ap. Dio-GÈ. NE, l. /.). liyso d’avoir épargné Smerdis, s’écrie : « Si les morts .*e rcR-voul dléjà ?) iniiirilonaDl, allends-loi donc à voir aussi se relever Asiyage le .Mède » ’. [.a cioyaiii-e à la résurrection impliiiiio aussi le dogme des récomfienses el des cliàliinenls d’outre-tonil>e. 11 est donc [irobable (jue ce dogme qui joue un grand rôle dans la morale avestéenne appartient au Ma/dri«me pré-alexandrin.
La morale pratique et utilitaire de l’Avesla a sa racine dans le passé de l’Iran. Les encouragements à la l’amille el à l’agriculture, prodigués par le Vcndidad (Vd. III), ont déjà leur commentaire dans Hérodote et dans les lettres de Darius. Après les vertus guerrières, dit Hérodote, les Perses regardent comme un grand mérite d’avoir un grand nombre d’enfants : le roi donne des prix chaque année à ceux qui en ont le plus -. Darius félicite le satrape d’.sie Mineure, Gadatès, d’avoir bien travaillé la terre du roi et acclimaté dans la basse Asie les fruits d’au delà l’Euphrate^ Les Achéménides accordaient l’usufruit du sol pendant cinq générations au laboureur qui amenait de l’eau dans un terrain sec. Aujourd’hui encore la Perse ne subsiste que par les Aanals, creusés, il y a plus de deux mille ans, par les sujets du Grand Roi.
La vérité était alors comme à présent vantée comme la grande vertu ’ ; elle principe de la balance des actes, qui domine la destinée dos Ames après la morl% réglait déjà la justice terrestre Ce respect, on pourrait presque dire ce culte des éléments qui caraclé- 1. cï J.VI VJV si TiOvEtÛTEÇ X-IZSzIm’., -pZzH/.ii "l -/.ai ’<r ;jT ;îX TJV MiJîîV iT.TIXZTf,- (jïîOa ; (llKRon.. III. C)2).
2. Hkhodote, 1. 136. Cf. xupva vol. 1. 388, note 19 ; vol. Il, Gi. noie 32. 3. Inlroduction au Fargard Ht du Vd. el p. 34. note 10 (vol. Il . 4. IlKiionoTK, I. 136.
5. Vol. II, lutrod.. p. xvn, note 1 el x. ; cf. infia. Fragments &ud. Vil, 52, p. 47. 6. HÉRODOTE, 1, 137. 11 n’est point permis, même au roi, de faire périr un homme pour un seul crime, ni à un particulier de punir rigoureusement un esclave pour une seule faute. Il faut que le compte des méfaits lait emporté sur celui des services. Darius fait détaclier de croix le juge inique Sandocès, considérant que la somme des services qu’il avait rendus à la famille royale dépassait celle de ses fautes Cil>id., VII, 194). rise la religion avesléenne, était déjà en vigueur au temps d’Hérodote : « Les Perses n’urinent ni ne crachent dans les rivières, ils ne s’y lavent pas même les mains et ne permettent pas que personne y fasse rien de semblable » *. Même culte pour le feu, et défense de brûleries corps. Cambyse révolta les Perses autant que les Égyptiens en faisant brûler le cadavre d’Amasis : « en effet, les Perses croient que le feu est un dieu, et il n’est point permis parleurs lois de brûleries morts, parce qu’un dieu ne doit pas, selon eux, se nourrir du cadavre d’un homme » -. La terre, pas plus que le feu, ne doit recevoir le corps privé de vie : « on n’enterre point le corps d’un Perse qu’il n’ait été auparavant déchiré par les oiseaux ou les chiens » : la chose du moins est certaine pour les Mages ^ Le sacrifice décrit par Hérodote est le sacrifice sanglant. Le fidèle conduit la victime dans un lieu pur, invoque le dieu et coupe la victime en morceaux ; le Mage qui assiste entonne une théogonie : cela fait, celui qui offre le sacrifice emporte la chair de la victime et en dispose comme il lui plaît*. Tel est le sacrifice offert par les héros des Yashts, par opposition au sacrifice sacerdotal, au sacrifice offert par Ahura et Zarathushtra et dont l’offrande consiste essentiellement en Haoma et en libations^. Mais les deux sacrifices, le sacrifice sanglant et le sacrifice non sanglant, peuvent très bien avoir coexisté déjà sous les Acbéménides, comme ils coexistent en Grèce et en Italie, comme ils coexistent d’ailleurs dans i. Hkrod., I, 138. Cf. plus liant p. xxiti, texte et notes. 2. Hkrod., 111, 10. Cf. vol. 11, xiii.
3. Hérod., 1, 140. — Peut-être seulement le principe de la pureté des éléments n’a-l-il pas encore pris cette rigueur extrême qu’il a dans l’Avesta. Les bas-reliefs de Naqshi-Rustam nous montrent Darius en adoration devant le feu : il ne semble pas avoir sur les lèvres le Padâm destiné à protéger l’élément divin de la souillure humaine. Le Padàra parait pour la première fois dans Strabon décrivant le culte du feu chez les Mages de Cappadoce (i" siècle de l’ère chrétienne) : -riapaç Tepiy.sîjjLEvo’. T.ÙM-xç, y.aBïiy.u’iaç èy.aTÉpuÔEV, <J.éy^’. toû ■/mjt.-zvi xi yî !"/,-^ ■/.%•. -ri ; TrapaYvatîSaç (Stra-B 0, XV). Le Padàm est l’indice d’un état plus avancé du scrupule religieux, qui peut-être n’existait pas encore dans la période ancienne. 4. HÉRon., L 132.
5. Yt. V, 7 et 104 ; 21, 25, 29, 33 sq. ; cf. notes 21 et 28. On pourrait se demander si cette opposition ne serait pas celle du sacrifice ancien au sacrifice nouveau, du sacrifice zoroastrien au sacrifice néo-zoroaslrien, du sacrifice pré-alexandrin, au sacrifice post-alexandrin. Mais on voit les guerriers convertis, comme VishlAspa l’Avesla même ol jusque dans lo Parsisme, où le sacrifire sanf,’lanl s’est conlinui ; jusque dans les derniers temps, dans VAtas/i zo/ir’. I.a question estdoncdesavoiisi les Achéniénides connaissaient déjàleculledu llaoïna. Ce culte n’est mentionn( expressément que dans des textes postérieurs h Alexandre, spécialement dans le traité d’Isi.s et Osiris. Mais deux choses rendent très vraisemblable son existence ancienne : i" L’usage du Baresman, qui est inséparable du sacrifice de ilaomadans le culte moderne et auquel fait allusion Dinon ’, contemporain de Philippe. 2" L’ensemble des mythes de Haoma, qui sont parallèles à des mythes védiques de Soma et se présentent sous des formes trop différentes des formes indiennes et trop spéciales pour qu’il soit possible de les considérer comme empruntées.
Ainsi la Perse achéménide possédait une religion dont les traits principaux étaient :
Dans l’ordre dogmatique : le dualisme ’ ; la lutte d’Ormazd et d’Ahriman durant douze mille ans. la défaite finale d’Ahriman, la résurrection. Le culte d’un certain nombre do divinités naturalistes, et entre autres de Mithra et d’Anàhita.
Dans l’ordre moral : le culte de la vérité, de la famille, du travail, de l’agriculture.
Dans l’ordre liturgique et légal : le sacrifice sanglant, le sacrifice non sanglant de Haoma ; certaines lois de pureté protégeant les eaux, le feu, la terre. La défense de briller ou d’enterrer les morts. Ce ! ensemble de doctrines était mis sous le nom d’un sage nommé Zo. roaslre (Zarathushtra’l. Celait l’œuvre des Mages, prêtres de la Médie. et Zairivairi, continuer à offrir le sacrifice sanglant (Yl. V, 108, 112). D’autre part le sacrifice sanglant a subsisté dans VAtnxh zo/ir. Enlin il est difficile d’admettre que lo culte de Haoma soit une innovation récente. 1. Vol. II, 154, note 39 ; 254, note 09.
•2. Tîj ; ;xavTî’. ; sr.îl Mr,5 :j ; piôh :; ).xi-.ijiz(ix : (Windischmann. Zoroas(rtsc/ie Studien, 276, note 1). — 11 s’agit ici du Barsom non comme instrument du sacrifice, mais comme instrument de divination : il était, en eflel, employé dans les épreuves judiciaires {Artr.sHi-iA- varih Dinknrt, VllI, 19. 38 ; 20, 12). 3. D’après Damascius. s’il faut prendre ; la lettre ses expressions, la réduction