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Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle/Chapitre 11

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CHAPITRE XI

HISTOIRE DE LA FINANCE AU XVIIe ET AU XVIIIe SIÈCLE


  1. La formation des États modernes et la naissance de la Finance.
  2. La Bourse et la spéculation en Hollande.
  3. Les débuts du régime financier moderne en Angleterre.
  4. Le crédit public au temps de Richelieu et de Louis XIV : Traitants et Partisans.
  5. La Bourse à Paris à la fin du règne de Louis XIV.
  6. Le système de Law.
  7. Le marché universel de l’argent tend à se constituer.
  8. La baisse du taux de l’intérêt.
  9. La Bourse de Londres pendant la seconde moitié du xviiie siècle.
  10. Les financiers et les fermiers généraux en France
  11. Le mouvement économique sous le règne de Louis XVI.
  12. La Bourse de Paris en 1789.

I. — Des phénomènes financiers analogues à ceux de nos jours se sont produits au moyen âge ; car les lois économiques, ayant leur racine dans la nature morale de l’homme et dans ses rapports avec la nature extérieure, sont toujours les mêmes. Un érudit pénétrant a levé le voile qui couvre les grandes opérations financières des Templiers. Le système des compensations en banque a été poussé fort loin dans les villes commerçantes de l’Italie et à Barcelone ; les banquiers Vénitiens, Florentins et Lombards ont pratiqué les combinaisons les plus perfectionnées du crédit[1] ; à Florence, les spéculations et les jeux de bourse se développèrent en raison de l’importance de la dette publique (chap. ix, §1). Mais tous ces faits-là restent isolés ou localisés. L’économie en nature, les relations féodales et seigneuriales, la communauté communale, la libre circulation des hommes et des choses dans la République chrétienne formaient encore la trame de la vie des peuples. Les États féodaux subissaient l’exploitation commerciale des marchands et des changeurs Lombards, Juifs, Florentins, Hanséates, Génois, comme un mal extérieur dont leur constitution intime n’était pas affectée.

Avec le commencement du xviie siècle, le changement est considérable. Il n’y a plus de République chrétienne. Les États modernes se sont constitués à l’état de rivalité ou d’équilibre les uns vis-à-vis des autres : non seulement chacun d’eux veut maintenir son indépendance nationale ; mais il aspire encore à ne dépendre que de soi-même au point de vue commercial. Partout les marchands et les banquiers étrangers sont éliminés. En Angleterre, l’expulsion définitive des Hanséates fut une des grandes causes de la popularité de là reine Elisabeth. En France, sous Henri IV, Zamet et Sardini furent les derniers de ces banquiers Florentins, qui avaient été si influents au xvie siècle[2]. Les rapports féodaux et communaux sont désormais subordonnés au pouvoir central, qui est l’organe de cette vie nationale nouvelle. Dans chaque pays, des classes moyennes se sont formées et vont prêter à l’État le concours de leurs épargnes.

De nouvelles formes industrielles s’élèvent en dehors des anciens cadres de l’organisation du travail. Grâce à la production des mines américaines, la circulation des métaux précieux s’est considérablement accrue et le rôle du capital sous sa forme monétaire s’est beaucoup plus accentué. En même temps que pratiquement la perception d’un intérêt a été admise, le taux de cet intérêt s’est abaissé. Dans l’intérieur de chaque pays se développèrent dès lors des systèmes financiers nationaux, qui, pour devenir le système financier international et le marché universel de l’argent que nous connaissons, n’ont eu pour ainsi dire qu’à grandir et qu’à se rejoindre. Quelques dates fixeront cette évolution : dans le dernier tiers du xvie siècle la Casa San Giorgio, de Gênes, se transforme en banque de dépôt et d’escompte. En 1598, la Compagnie des Indes est créée en Angleterre et la Hollande, la France créent des compagnies semblables à quelques années d’intervalle. En 1609, 1619, 1633, des banques de dépôt et de compensation (Giro-banks)[3] sont instituées à Amsterdam, à Nuremberg, à Hambourg, à Rotterdam. En 1668 la première banque d’émission est créée à Stockholm et elle est suivie en 1694 par la Banque d’Angleterre, en 1695 par la Banque d’Ecosse, à Edimbourg, et en 1719 par la Banque de Law en France.

II. — Les Provinces-Unies ont eu dans la première moitié du xviie siècle une puissance militaire si considérable, parce que, seules de tous les États européens, elles étaient en état d’armer des flottes et de soudoyer des armées avec leurs propres ressources et que dès lors elles avaient constitué de toutes pièces pour ainsi dire un système financier.

Le marché des capitaux y était aussi important que celui des marchandises. La Compagnie des Indes Orientales, fondée en 1602, et celle des Indes Occidentales, fondée en 1621, avaient des actions transmissibles par voie de transfert. Elles faisaient ainsi que les rentes émises par les États généraux et par les diverses provinces, dont les titres étaient au porteur ou au nominatif, l’objet de transactions animées.

La Bourse d’Amsterdam, écrivait en 1700 Samuel Ricard, est un lieu où les marchands, les banquiers, les négociants et les courtiers de change et de marchandise s’assemblent journellement, excepté les dimanches et jours de fêtes solennelles, à l’heure de midi, pour y traiter les affaires du commerce. On estime que son enclos contient cinq à six mille personnes presque de toutes les nations du monde qui font quelque commerce, d’où l’on se retire à une heure et demie ou à deux heures. Ainsi, depuis l’heure de midi jusqu’aux susdites heures, il s’y fait plus d’affaires qu’en aucune autre place ou Bourse qui soit en Europe[4].

Amsterdam, depuis l’insurrection des Provinces-Unies, avait détrôné Anvers[5]. Elle était devenue la première place commerciale de l’Europe, et les grands profits réalisés par la Compagnie des Indes y laissaient toujours disponible une quantité de capitaux. Un certain nombre d’hommes entreprenants allaient en France comme ingénieurs ou banquiers et s’intéressaient à des affaires où ils faisaient fructifier les capitaux de leur patrie[6].

Les capitaux disponibles qui pouvaient exister dans les autres parties de l’Europe, notamment ceux des Juifs, chassés alors de presque tous les pays, étaient attirés à Amsterdam par l’excellente organisation de la Banque de dépôt et de payement de cette ville[7]. La commodité de faire en banque les paiements pour l’achat ou la vente d’actions de la Compagnie des Indes et des obligations sur la Généralité avait rendu beaucoup plus facile la spéculation sur ces valeurs en des quantités dépassant ce que chaque acheteur ou vendeur possédait, c’est-à-dire les opérations sur les différences[8].

Toutes les opérations de Bourse proprement dites, comme toutes les formes de la spéculation sur les marchandises (chap. vii, §§ 7 et 16), étaient dès lors pratiquées. L’abus se mêlait à l’usage et nous avons vu comment, dès le 27 février 1610, les États généraux cherchent à empêcher les marchés à terme à découvert. En 1621, en 1677, les mêmes prescriptions sont renouvelées avec le même insuccès. Les États généraux défendent particulièrement les marchés à prime, qui sont, on le sait, le principal instrument de la spéculation[9].

Toutes les manœuvres immorales usitées de nos jours se produisaient à la Bourse d’Amsterdam. L’édit de 1677 portait des peines contre ceux qui répandaient de fausses nouvelles pour influencer les cours. En 1698, un agent français résidant à Amsterdam, dans un mémoire adressé à son gouvernement, a tracé un tableau pittoresque des manœuvres de la Bourse et des variations continuelles des cours qui s’y produisaient[10].

C’est sur les pronostics de ces prétendus spéculateurs publics que les prix de ces actions sont dans des variations si continuelles qu’elles donnent lieu plusieurs fois le jour à des négociations, qui mériteraient mieux le nom de jeu ou de pari et d’autant mieux que les Juifs, qui en sont les ressorts, y joignent des artifices qui leur font toujours de nouvelles dupes, même de gens de premier ordre…

Ces systèmes, qui sont le plus subtil de tout ce qu’ils ont reçu de nouvelles de la semaine, alambiquées par leurs rabis et chefs de congregues, sont dès l’après-midi du dimanche délivrées à leurs courtiers et agents juifs, les hommes les plus adroits en ce genre qu’il y ait au monde, qui ayant aussi concerté entre eux vont séparément dès le même jour répandre les nouvelles accommodées à leurs fins qu’ils vont commencer à suivre dès le lendemain lundi matin, selon qu’ils voient la disposition des esprits, à tous les égards particuliers : vente, achat, change, actions, dans tous lesquels genres de choses, ayant toujours entre eux de grosses masses et provisions, ils sont éclairés à faire le coup dans l’actif, dans le passif et souvent dans tous les deux en même temps[11].

On reconnaît facilement dans cette dernière phrase les opérations à la baisse opposées aux opérations à la hausse et leur combinaison par les opérations à doubles primes (chap. vii, §10).

L’auteur de ce mémoire décrit, à cette occasion, l’organisation intérieure des communautés Israélites. Celle d’Amsterdam servait de communication entre celles de l’Orient par Venise et par Salonique, et celles de l’Occident, notamment celle de Londres, qui était tolérée ostensiblement, et celles de France, qui étaient alors extrêmement secrètes. C’est dans leurs réunions du sabbat qu’ils combinaient entre eux, ajoute-t-il, toutes leurs manœuvres de bourse de la semaine.

Un groupe de Maranes Portugais chassés par la persécution était en effet venu s’établir en 1593 à Amsterdam.

La petite communauté s’accrut rapidement, dit M. Théodore Reinach, et en quelques années elle comptait déjà quatre cents familles possédant trois cents maisons. Les magistrats voyaient d’un bon œil l’arrivée des fugitifs, qui apportaient au commerce naissant d’Amsterdam le précieux concours de leurs capitaux, de leur expérience et de leurs accointances secrètes avec beaucoup de faux chrétiens établis dans les deux Indes… En 1619, on décida d’autoriser leur séjour et l’exercice public de leur culte ; on ne leur imposa ni marque extérieure ni impôt extraordinaire d’aucune sorte. Les seules restrictions auxquelles ils furent soumis, et qui n’en étaient pas à leur point de vue, furent la défense d’épouser des femmes du pays et celle d’aspirer aux emplois publics[12].

La colonie juive d’Amsterdam acquit, dans le courant du siècle, une grande importance[13]. C’est là que les Juifs du midi de l’Europe : Portugais, Espagnols, Italiens se sont reformés, peut-on dire, et ont développé les traits propres au Judaïsme occidental[14]. Pendant ce temps, les Juifs d’Allemagne étaient refoulés en Pologne et en Moscovie, à l’exception d’un petit nombre de familles, qui gagnèrent la protection des princes ou des autorités des villes libres.

Au commencement du siècle suivant, les transactions de la Bourse d’Amsterdam portaient non seulement sur les valeurs nationales, mais aussi sur les valeurs des autres pays, notamment sur les actions des Compagnies des Indes et d’Afrique anglaises et aussi sur les valeurs chimériques, qui, aux environs de 1720, se multiplièrent en France et en Angleterre.

La folie de l’agiotage s’était étendue aux Pays-Bas. Des capitalistes hollandais allèrent prendre part aux spéculations sur les actions du Mississipi à Paris et de la Compagnie de la mer du Sud à Londres. A Amsterdam même, les actions de la Compagnie des Indes furent l’objet de spéculations ardentes : elles montèrent à des cours d’où elles furent précipitées, quand le Système s’effondra en France. Comme toujours en pareil cas, des compagnies nouvelles pour exploiter des entreprises plus ou moins chimériques, notamment pour l’exécution de grands travaux publics, surgirent de toutes parts. Les Pays-Bas subirent ainsi le contre-coup des aberrations de leurs voisins et les ruines furent très nombreuses à Amsterdam, quoique heureusement le gouvernement eût préservé les finances publiques de toute compromission avec les faiseurs de projets[15].

III. — Une colonie juive détachée de la synagogue d’Amsterdam s’implanta en Angleterre sous Cromwell, et grâce à sa faveur elle y fut tolérée et ses membres devinrent rapidement riches[16]. Nous allons les voir jouer un certain rôle dans les débuts de la Bourse de Londres.

Les Hanséates avaient été expulsés définitivement et à partir du règne d’Élisabeth le commerce maritime de l’Angleterre avait pris un grand essor. Cependant le crédit public n’était pas né, et, quand Charles II eut besoin d’argent, en 1672, il ne trouva rien de mieux que de s’emparer des dépôts de monnaie faits par les bourgeois et les orfèvres de Londres à la Tour. Le mécontentement causé par ce procédé ne fut pas pour peu dans le succès de la Révolution de 1688.

Déjà pendant la Restauration, des plans plus ou moins chimériques de banques d’émission, voire de monétisation de la propriété foncière[17], avaient été mis en avant. Lord Montague, le ministre de Guillaume III, eut le mérite de distinguer entre tous ces plans et de se fixer en faveur d’un projet présenté par un financier écossais, William Patterson, et qui allait lier les emprunts nécessités par la guerre avec la France à la fondation d’un puissant établissement de crédit.

En juillet 1694, le Roi empruntait 1.200.000 liv. st. en rente perpétuelle au taux de 8 p. 100 à un groupe de bourgeois de Londres, auxquels, entre autres avantages, il accordait le privilège de former une corporation sous le titre le Gouverneur et la Compagnie de la Banque d’Angleterre, avec le droit d’émettre des billets au porteur. Ce privilège n’était concédé d’abord que pour neuf ans ; mais il fut continué indéfiniment par des prorogations à l’occasion desquelles la Banque fit de nouvelles avances au Trésor. La plupart furent gratuites, en sorte qu’au milieu du xviiie siècle le taux d’intérêt sur l’ensemble de ses avances était réduit à 4 p. 100. Son privilège, quant à l’émission des billets, fut mieux défini ; aucune autre compagnie composée de plus de sept personnes ne put en émettre dans Londres et un rayon de 60 milles autour.

Des emprunts successifs en rente perpétuelle portèrent à un chiffre fort élevé la dette publique sous Guillaume III et ses successeurs. Mais, grâce à la fidélité avec laquelle les intérêts en furent payés, le crédit de l’État se raffermit et le taux de l’intérêt alla toujours en baissant. La Banque était devenue une institution solide. Elle provoqua la refonte générale de la monnaie en 1710, opération qui ne coûta pas moins de 2.700.000 liv., mais qui rendit à la monnaie nationale sa véritable valeur et mit fin à des pertes sur le change désastreuses jusque-là. Quelques années après, en 1717, elle fut chargée du service de la Trésorerie. Elle prêta son appui aux premières opérations de conversion de la dette publique qui eurent lieu dans le cours du xviiie siècle (§ 8), et c’est à elle qu’on dut leur succès[18].

La création du National debt office et de la Banque d’Angleterre marque une date dans l’histoire économique. Les emprunts publics en rentes perpétuelles avaient été pratiqués bien avant Guillaume III par la seigneurie de Florence et par les rois de France. Mais tandis que tous les autres gouvernements payaient très irrégulièrement leurs dettes ou faisaient banqueroute de temps à autre, ce prince fonda, peut-on dire, son système de gouvernement à la fois sur la fidélité à payer les intérêts de la dette et sur l’emprunt à jet continu au fur à mesure de ses besoins. Pendant un siècle et demi, c’est-à-dire jusqu’en 1815, l’Angleterre a emprunté à outrance et elle a pu le faire précisément parce qu’elle inspirait confiance aux capitaux du monde entier, alors que, sauf la Hollande, aucun autre gouvernement ne leur offrait de sécurité[19]. Le résultat fut que pendant tout ce temps le peuple fut extraordinairement chargé. D’autre part le régime protecteur et les lois sur les céréales favorisaient abusivement les capitalistes et les propriétaires. C’est seulement depuis cinquante ans que ces abus ont disparu et qu’en même temps l’Angleterre, ayant à peu près cessé d’emprunter, le poids de sa dette est devenu bien plus léger comparativement à la richesse générale (chap. x, § 2). Quant à la Banque d’Angleterre, dont le capital successivement porté à la fin du XVIIIe siècle à 11.642.000 liv. st. avait été employé en rentes perpétuelles sur l’Échiquier, elle avait bien eu des modèles dans les monti di pietà et banques Napolitaines ; mais, par la sûreté avec laquelle elle fonctionna et l’ampleur de ses opérations, c’est elle qui est devenue pour longtemps le type des institutions d’émission. A la même époque, la pratique des sociétés par actions, soit sous la forme de compagnie incorporée, soit sous celle de Joint Stock, entra dans les habitudes anglaises, et, quels que soient les abus qui ne tardèrent pas à en être faits, il en résulta un puissant essor dans l’esprit d’entreprise. En ce sens, il y a du vrai dans l’assertion de Karl Marx que la révolution de 1688 est la date de l’avènement du régime capitaliste dans le monde.

En 1690, la bourse des valeurs mobilières, rentes sur l’Échiquier, actions des compagnies privilégiées, particulièrement de la Compagnie des Indes, émigrait du Royal Exchange, désormais exclusivement affecté aux marchands proprement dits, pour s’établir dans l’Allée du change, qui est restée célèbre dans la littérature du temps de la reine Anne. Mais les abus naissaient en même temps. En 1688, on entendit pour la première fois à Londres le mot d’agioteur. Il y eut alors une de ces périodes d’éclosion de projets et d’excitation financière qu’on a appelés plus tard d’un mot expressif Bubbles.

En quatre ans, dit Macaulay, on fonda une foule de compagnies qui toutes promettaient imperturbablement des bénéfices à leurs actionnaires : compagnie d’assurances, compagnie pour la fabrication du papier, compagnie pour la fabrication des rubans de taffetas, compagnie pour la pêche des perles, compagnie pour la fabrication de l’alun, compagnie pour les houillères de Blythe, compagnie pour la fabrication des lames de sabre….

Il faut lire dans le grand historien la longue liste de ces conceptions dont les noms seuls nous font sourire, mais qui n’étaient pas plus insensées que les entreprises contemporaines où tant d’épargnes se sont englouties.

Un coup de vent emporta ce château de cartes ; mais trente ans après, quand la génération qui avait fait cette dure expérience eut disparu, en 1719, au bruit des merveilles que le système de Law opérait en France éclata un nouvel accès de folie qui est resté connu sous le nom de South Sea Company Bubble, parce que le branle avait été donné par une hausse insensée sur les actions de cette compagnie. Elle avait été fondée en 1717 avec le monopole du commerce dans les mers du Sud ; mais elle faisait aussi de la banque. Elle courut à peu près la même carrière que la compagnie du Mississipi. Seulement la Banque d’Angleterre, qu’elle avait la prétention de remplacer, resta ferme et sauva le pays des désastres que le Système produisit en France par suite du cours forcé donné aux billets de la Banque de Law. Newton résista seul à l’engouement général en disant qu’il pouvait bien calculer les aberrations des corps célestes, mais non celles des folies humaines. Pendant trois ans les actions firent des primes énormes ; des fortunes rapides s’élevèrent et quoiqu’il n’y eût pas eu d’émission de papier-monnaie, le prix de toutes choses s’éleva.

Les fondations de compagnies fantastiques recommencèrent comme en 1688 : compagnie pour repêcher les navires perdus sur la côte irlandaise, compagnie d’assurances pour les chevaux et les bestiaux, compagnie pour fabriquer de l’eau douce avec de l’eau de mer, compagnie pour fabriquer le fer au moyen de la houille, compagnie pour l’engraissage des cochons, compagnie pour exploiter le mouvement perpétuel. La plus étrange de toutes fut une compagnie créée dans un but qui sera indiqué quand le temps sera venu. Chaque souscripteur devait déposer deux guinées pour s’assurer la possession d’une action de cent guinées qu’on lui remettrait en lui révélant la nature des opérations de la compagnie. Mille actions furent souscrites dans la matinée et le promoteur put s’enfuir dans l’après-midi avec les 2.000 guinées qu’il avait encaissées. [fin page438-439]

En 1720, toute cette fantasmagorie s’écroula, ne laissant que des ruines et montrant à quel entraînement pouvaient se laisser gagner les hautes classes, les gens de lettres, la bourgeoisie elle-même. Le Parlement, dont presque tous les membres individuellement avaient pris part à cette débauche d’agiotage, la flétrit comme corps et ordonna des poursuites contre ses promoteurs pour avoir corrompu des personnages publics.

La spéculation dans Exchange Alley portait à la fois sur les primes faites par les actions à leur émission et sur les variations des cours de la rente et des valeurs avec toutes les manœuvres qui se pratiquaient couramment à Amsterdam. De nombreux Juifs hollandais avaient suivi Guillaume III et étaient devenus les principaux habitués de l’Allée. Au temps de la reine Anne, un jour un homme bien vêtu parut sur la route royale galopant à toute bride : il annonçait la mort de la reine et la nouvelle se répandit rapidement dans Londres. Les fonds tombèrent rapidement ; mais, tandis que les agioteurs chrétiens se tenaient à l’écart, frappés de stupeur, Manasseh Lopez et le parti juif achetaient avec empressement à la baisse, ce qui les fît soupçonner d’avoir été les auteurs de cette manœuvre. Un autre riche Israélite, Médina, accompagnait Marlborough dans ses campagnes et lui payait une redevance annuelle de 6.000 liv. st. pour être informé le premier par des exprès du gain de ses batailles[20].

Nous en resterons sur ce dernier trait ; ce qui caractérise cette époque, c’est la corruption financière de la haute classe anglaise. Le Parlement était vénal et naturellement les hommes de cour et les ministres trafiquaient avec les agioteurs de leur influence et des secrets de l’État.

IV. — La France était demeurée fort arriérée sous le rapport financier, relativement à la Hollande et à l’Angleterre.

Il faut lire dans les histoires de Richelieu quel était le désordre des finances et à quelle impuissance le Trésor royal se trouvait réduit pour avoir de l’argent. En vain émettait-il des rentes, ou créait-il de nouveaux offices et des augmentations de gages en blanc, ce qui était une sorte de rentes, le public ne se décidait pas à les prendre. Il fallait les adjuger en bloc à des individus, qui en faisaient l’avance moyennant des rabais considérables, et qu’on appelait les Traitants. Dans les dernières années de Louis XIII, les fonds d’État se négociaient sur le pied du denier 2, c’est-à-dire qu’ils étaient capitalisés à 50p. 100. Voyant cela, le ministère imagina d’amortir la dette en faisant racheter sous main par ses banquiers et pour son compte une certaine quantité de rentes. Mais ces agents infidèles profitèrent de l’occasion pour voler encore plus le Trésor en lui passant au cours nominal des titres rachetés par eux au quart de leur valeur primitive[21]. A la mort de Richelieu, le Trésor devait 21 millions de livres en rentes annuelles. Pendant la régence et le ministère de Fouquet, la dette avait monté à 52 millions de rente. Colbert remit de l’ordre dans les finances, et réduisit la dette à 8 millions de rente. Son successeur, Pontchartrain, put encore, en 1698, faire une conversion de rentes au denier 20 sur un capital de 320 millions. Mais, avec la guerre de la succession d’Espagne, on retomba dans les désordres du temps de Richelieu et de Mazarin. Les rentes furent réduites arbitrairement à plusieurs reprises par des banqueroutes partielles, notamment en 1710 et en 1713. En 1715, quelques jours avant la mort du roi, le contrôleur général Desmarets s’empara de la Caisse des emprunts sorte de banque que les fermiers généraux avaient instituée en 1674, puis renouvelée en 1680, pour faire face aux avances que leur demandait le Trésor royal. Elle recevait les dépôts du public à vue et leur allouait un taux d’intérêt qui alla par moments jusqu’à 10p. 100[22]. Desmarets, en s’emparant de la Caisse, amortit les 250 à 300 millions de livres qu’elle devait en donnant aux créanciers des rentes 4p. 100 émises pour un capital de 125 millions : c’était une perte de moitié pour les déposants. Les altérations de valeur des monnaies et leur refonte complétaient ces procédés. De 1689 à 1715, le cours légal des espèces d’or et d’argent ne changea pas moins de quarante-trois fois, tantôt abaissé, tantôt relevé, de manière à ce que le Trésor gagnât à chacune de ces alternatives. Les créations d’office adjugées en bloc à des soumissionnaires suivant le système d’Henri III et de Richelieu furent multipliées au delà de toute mesure. C’est ce qu’on appelait dans le langage du temps des affaires extraordinaires. Malgré cela, il aurait fallu à la mort de Louis XIV, d’après les comptes de Desmarets, 889 millions de livres pour payer les dettes exigibles et les arriérés de toute nature. D’après d’autres calculs faits par M. Vuitry, la dette montait à 2 milliards 382 millions, dont 1.200 millions immédiatement exigibles. La valeur intrinsèque de la livre étant, le 1er septembre 1715, de l fr. 78, ces 1.200 millions représentaient 2 milliards 136 millions de francs en monnaie actuelle. Le premier acte du Régent fut d’ordonner de nouvelles réductions sur les rentes et une révision de tous les engagements du Trésor. Tous les billets émis par lui furent échangés, suivant les catégories dans lesquelles ils avaient été classés, contre de nouveaux billets d’État productifs d’intérêt à 4 p. 100 dans la proportion de un, deux, trois, quatre cinquièmes, parce que, suivant un procédé usité encore aujourd’hui pour les émissions de rentes (chap. x, § 3), le Trésor avait reconnu aux porteurs de ces billets des sommes supérieures au capital réellement versé. 600 millions de billets furent ainsi échangés contre 250 millions de nouveaux billets ; mais ces titres perdirent immédiatement 70 p. 100 de leur valeur nominale[23].

Ce coup d’œil sur le système financier du xviie siècle était nécessaire pour faire comprendre ce qu’étaient les Partisans ou Traitants. On appelait ainsi tous ceux qui, moyennant une somme fixe payée à l’avance au Trésor, se chargeaient à forfait d’une émission de rentes ou d’une création d’offices[24], prenaient un parti, selon le langage du temps. Voici comment en parle Forbonnais dans ses Recherches et considérations sur les finances :

Il avait été fait diverses créations de rentes pour en appliquer le capital à des remboursements d’offices de gages et d’aliénations supprimées, dans le dessein d’en réunir le produit aux fermes. Mais les liquidations nécessaires en cette circonstance fournirent le prétexte de plusieurs vexations. Les effets publics se trouvèrent tellement multipliés qu’ils s’avilirent, parce que l’État n’y pouvait faire honneur. Par divers traités avec les gens d’affaires, on entreprit soit de rembourser des charges et des rentes, soit de retirer des aliénations au profit du roi ; ces traités n’ont servi qu’à leur faciliter de nouvelles rapines. Le besoin continuel où l’on était d’eux, leurs alliances avec les premières familles de l’État avaient engagé le ministre à dissimuler. Les Partisans, au lieu de procurer au roi au moins une partie du bénéfice qu’offrait l’achat des effets décriés, les achetèrent eux-mêmes à vil prix et les passèrent en compte à peu près sur le pied de la constitution originaire. Pour couvrir ce manège, ils se procuraient des ordonnances du comptant sur le trésor royal et en y remettant les contrats quittancés ils paraissaient avoir rempli leurs engagements.

D’autres plus adroits passaient les remboursements au roi sur le pied effectif où ils les avaient faits, mais se faisaient donner des remises si considérables sur d’autres traités que de toutes les manières l’État s’obérait sous leurs usures ; car on leur accorda jusqu’au tiers de remise avec quinze pour cent d’intérêt. Pour les rembourser eux-mêmes, il fallait de nouveau créer d’autres rentes et d’autres charges, qui se mettaient encore en parti à une remise considérable et qui se négociaient dans le public sur le pied du denier quatre ou cinq.

Colbert quelque temps après la dissolution de la Chambre de justice qu’il avait fait établir contre eux, fit rendre un arrêt du Conseil contre ceux qui avanceraient de l’argent sur de nouveaux impôts. Il voulait par cet arrêt comminatoire, qui ne fut jamais imprimé, effrayer la cupidité des gens d’affaires ; mais, bientôt après, il fut obligé de se servir d’eux sans même révoquer cet arrêt[25].

Ce dernier trait indique les mesures auxquelles le gouvernement recourait pour leur faire rendre gorge. Après les réductions des billets du Trésor et les diminutions des rentes, la plus en faveur était l’institution d’une chambre de justice composée de commissaires et investie du pouvoir de taxer arbitrairement à des restitutions les personnes qui avaient fait des contrats avec le Roi ou qui avaient eu, en raison de leur charge, des maniements de deniers. En 1624 et 1625 une commission de ce genre avait fonctionné avec plus ou moins de succès[26]. Par un édit d’avril 1635, on se borna à taxer les officiers de Finance au Conseil à proportion du temps de leur maniement, supposant que plus ils avaient exercé leur charge, plus ils avaient dû voler ! En 1661, une nouvelle Chambre de justice fit rentrer dans les caisses de l’État 61 millions[27]. Dans les dernières années de Louis XIV, les Traitants durent restituer d’abord 24 millions, puis 15.

La Chambre de justice constituée en 1716 rendit le 10 novembre un arrêt portant que tous les gens ayant eu part aux affaires du roi seraient obligés de payer les quatre cinquièmes de leurs biens nouvellement acquis et devraient justifier de leur état de fortune antérieur. 4.410 personnes furent traduites devant elle et condamnées à des restitutions. Un manuscrit des Archives signalé par M. E. Levasseur sous le titre de Journal de la Régence donne la liste des taxes ainsi levées. Elles s’élevèrent à 219 millions sur lesquels 9.000.000 que Samuel Bernard rapporta spontanément. Antoine Crozat fut taxé à 6.600.000 livres, du Rey de Vieuçant à 5.200.000, Romanet à 4.453.000, Pierre Marengue à 1.500.000, Hurault à 1.125.000, Ferlet à 900.000, Darally à 887.000, Ambert à 710.125, La Vieuville à 600.000, Duhamel, Desages et Desmarets à des sommes aussi considérables.

En réalité, une centaine de millions seulement furent versés au Trésor. La plupart des riches financiers obtinrent des remises, tandis que les petits et les moyens étaient réduits au désespoir par des condamnations, dont quelques-unes furent sans doute injustes[28]. Ainsi se vérifiait la sagesse de Sully qui, en 1607, avait repoussé la proposition d’une chambre de justice comme « étant l’occasion d’un trafic honteux entre ceux qui ont besoin de protection et ceux qui en ont à vendre ».

Les chiffres de ces taxes indiquent que les profits des Traitants étaient énormes et comment ils avaient pu amasser des fortunes au milieu des ruines des dernières années de Louis XIV. Vauban estimait que le corps des Traitants avait en six ans gagné cent millions de livres dans les fermes des impôts et les fournitures militaires[29]. Mais ces profits excessifs étaient la conséquence même de la ruine du crédit public, de l’appréhension que contracter avec le Trésor causait à l’épargne, enfin des risques auxquels les Traitants étaient exposés. Richelieu, dans son Testament politique, parle des restitutions que chaque Chambre de justice faisait opérer au profit du Trésor comme d’une ressource normale et régulière. Il en connaît cependant les abus et dit qu’il vaudrait mieux n’avoir pas besoin de recourir aux Traitants[30]. Dans l’ensemble, ces mesures exceptionnelles coûtaient fort cher aux contribuables ; l’exemple de ce qui se passa sous Colbert et après lui le prouve. C’est seulement depuis que les gouvernements ont renoncé à des procédés essentiellement injustes, à cause de leur arbitraire et du mépris de la foi promise, que le mal des Traitants a presque disparu.

Affaires extraordinaires, c’est-à-dire emprunts et créations d’offices, — prise en ferme de certains impôts, — approvisionnements des armées depuis qu’elles ne vivaient plus à discrétion sur le pays : voilà le triple service que l’État demandait aux Traitants.

Parmi eux, plusieurs paraissent avoir eu des qualités remarquables et même du patriotisme. Les frères Crozat, Samuel Bernard et surtout les quatre frères Paris sont des figures intéressantes. Les frères Crozat, nés à Toulouse, l’un en 1655, l’autre en 1665, viennent à Paris sous Louis XIV, font la banque, prêtent aux Vendôme et au Régent. En 1712, ils obtiennent le privilège du commerce du Mississipi qu’ils cèdent ensuite à Law. L’aîné des Crozat marie sa fille au comte d’Évreux, fils du duc de Bouillon. Ses trois fils furent le marquis de Châtel, le président de Fugny, le baron de Thiers. Le marquis de Châtel devint lieutenant général et avait épousé Mlle de Gouffier : ses filles furent la duchesse de Choiseul et la comtesse de Stainville. Le baron de Thiers avait épousé une Montmorency-Laval et eut trois filles qu’il maria au comte de Béthune, au duc de Broglie, au marquis de Béthune.

Samuel Bernard, banquier de la cour sous Louis XIV, était d’origine protestante ; mais s’était converti. De grandes spéculations et des partis dans les finances publiques lui firent gagner une fortune, qui à son apogée pouvait être de 60 millions. Saint-Simon a raconté comment, en 1708, Louis XIV lui demanda en personne de venir au secours de l’État, et sa générosité, en cette circonstance. Malgré les pertes et les taxes qu’il encourut et les fluctuations de valeurs qui le mirent en banqueroute partielle et ruinèrent les banques qu’il avait à Lyon et à Genève, il avait encore à sa mort une fortune de 35 millions. Le président Hénault en parle comme d’un homme glorieux, mais très généreux et vraiment patriote. Il avait épousé MIle de Saint-Chamans et il maria sa fille à M. Molé : ses petites-filles épousèrent le duc d’Uzès, le duc de Roquelaure, le marquis de Clermont-Tonnerre, le marquis de Faublas, le marquis de Mirepoix. Son fils aîné, le comte de Coubert, surintendant de la maison de la Reine, finit par faire banqueroute en 1753.

Les quatre frères Paris, fils d’un aubergiste dauphinois, avaient été banquiers de la Cour sous Louis XIV. Le plus capable de tous, Paris-Duvernay, fut chargé, en 1716, de la révision des effets royaux. Adversaire clairvoyant de Law, sa position grandit encore après la chute du Système et il fit prévaloir la règle que l’État ne peut obtenir de crédit que par une exacte fidélité à tenir les engagements du Trésor. Le fils de son frère, Paris-Montmartel, connu sous le nom de marquis de Brunoy, épousa une fille du duc des Cars et se ruina.

Richelieu notait les alliances des Traitants avec les grandes familles. La Bruyère, dans le chapitre sur les Biens de fortune, met en scène ces anciens partisans chez qui le ridicule survivait à l’enrichissement et il ajoute ce trait pris sur le vif des mœurs contemporaines : « Si le financier manque son coup, les courtisans disent de lui : c’est un bourgeois, un homme de rien, un malotru ; s’il réussit, ils lui demandent sa fille. » M. Ernest Bertin a recueilli une foule de traits relatifs à la Finance de cette époque et à ses alliances avec la noblesse, dans son livre les Mariages dans l’ancienne société française. En réalité il n’est guère de grande famille qui n’ait dans ses aïeux quelque financier de l’ancien régime. Leurs filles étaient recherchées avec empressement par la plus haute noblesse. Quant à leurs fils, ils se gardaient, pour la plupart, de continuer leurs affaires. Ils prenaient le titre d’une seigneurie quelconque, vivaient noblement et généralement mangeaient rapidement la fortune paternelle. Grâce à leur prompte résorption dans le corps social, ces premières fortunes financières étaient loin d’avoir les conséquences économiques des accumulations de capitaux des banquiers israélites contemporains, qui font la boule de neige à chaque génération.

V. — Ces grands Traitants, qui paraissent sur la scène des affaires publiques, ne pouvaient faire des opérations si importantes que parce qu’ils avaient derrière eux de nombreux bailleurs de fonds intéressés au profit et à la perte, qu’ils recevaient des dépôts comme des banquiers et enfin qu’ils trouvaient à négocier les effets royaux que le Trésor leur remettait pour leurs avances.

Dans le cours du siècle, des capitaux s’étaient constitués dans le pays, et un certain nombre de riches banquiers étrangers étaient venus s’y établir. Tel avait été ce Jean Houft, originaire de Liège et mort à Paris en 1651, qui sous Richelieu avait fourni des subsides au duc de Saxe-Weimar et acheté pour le compte du roi des munitions d’artillerie. D’après Grotius, il faisait le commerce du change, non seulement avec la Hollande, mais encore avec la Suède et Francfort. Les frères Herwarth, nés à Lyon d’une famille de banquiers d’Augsbourg, avaient été aussi employés par Richelieu et par Mazarin comme munitionnaires. L’un d’eux, Barthélémy, eut un rôle politique et pendant la Fronde ramena l’armée de Turenne au devoir en lui payant l’arriéré de sa solde. Il fit, de 1649 à 1657, des avances très considérables au roi et fut nommé contrôleur général des finances. Le 5 septembre 1661, après l’arrestation de Fouquet, Louis XIV lui écrivait pour lui demander de nouvelles avances jusqu’à concurrence de deux à trois millions de livres, comme il avait fait précédemment[31].

Une véritable bourse s’était constituée à Paris pour la négociation des effets publics et des effets des Traitants. Les arrêts du Conseil de décembre 1638 et du 2 avril 1639 nous montrent déjà bien transformés les courtiers de change, banque et marchandises qu’avait érigés en titre d’offices un édit de Charles IX en 1572. A la différence des courtiers en marchandises, une de leurs règles essentielles était dès lors de garder le secret aux parties pour les transactions qu’ils faisaient. Ils avaient des syndics et avaient même créé une bourse commune que le second de ces édits supprima, sans en indiquer les motifs. Dans le Parfait négociant de Savary (édition de 1675), il est question longuement des agents de change et de banque comme négociant les effets de commerce et aussi les effets royaux remis aux Traitants. Ils recevaient également les fonds disponibles des particuliers qui les leur confiaient pour en faire des emplois temporaires. Un édit de Louis XIV, de décembre 1705, qui supprime tous les anciens offices de ce genre et les remplace par de plus nombreux, outre son but fiscal, indique que les agents de change se sont, en réalité, séparés des courtiers ordinaires en marchandises. Ils seront désormais conseillers du Roi, agents de banque, change, commerce et finance. Bientôt on les appellera tout simplement agents de change, en indiquant par là le changement qui s’est opéré dans leurs fonctions. Les considérants de l’édit font ressortir leur importance.

Les secours que les agents de change, de banque et de marchandises ont procurés pendant le cours des dernières guerres et de la présente aux Trésoriers, aux entrepreneurs des vivres, des étapes et autres, et aux particuliers chargés du recouvrement de nos deniers et intéressés dans nos affaires, en leur faisant prêter les sommes dont ils ont eu besoin pour satisfaire leurs engagements envers nous et le public…[32].

Leur concours avait sans doute facilité le succès des remarquables conversions de la dette en 6 p. 100 et en 5 p. 100 opérées par Pontchartrain en 1698 et en 1699[33].[fin page448-449]

L’édit de 1705 mentionne spécialement parmi les valeurs que négociaient les agents de change les billets des sommes que les compagnies délibèrent d’emprunter. Les Compagnies privilégiées pour le commerce avaient déjà eu recours au mode d’emprunt sous forme d’obligations (actions rentières, disait-on alors), qui était très usité en Hollande[34].

Les discussions que la constitution de la Banque d’Angleterre et de la Banque d’Écosse avait soulevées, avaient eu du retentissement jusqu’en France, et Law faillit être supplanté par un faiseur de projets aussi chimériques que les siens et reposant sur les mêmes données. Un ancien trésorier des guerres, originaire d’Auvergne, de la Jonchère, soumit au Régent un projet consistant à charger de toute l’administration financière du Royaume une compagnie au capital de six milliards de livres et qui eût été ultérieurement porté à douze. La compagnie devait payer les dettes de l’État, rembourser toutes les charges, percevoir tous les impôts qu’elle s’engageait à réformer à fond, et solder les dépenses publiques moyennant la concession du monopole de tout le commerce extérieur, et du commerce du blé, du vin, du bois, du foin à l’intérieur. Les actions devaient être de 5.000 livres. La compagnie aurait avancé à bureau ouvert 1.000 livres sur chaque action à raison de 1 p. 100 d’intérêt par mois[35].

On voit combien les idées de crédit appliqué aux affaires des particuliers et aux affaires publiques étaient dans l’air. Seulement, avant d’en acquérir la pratique, il fallait, semble-t-il, que la France passât par une dure expérience.

VI. — C’est après la banqueroute qui suivit la mort de Louis XIV que l’Écossais Law, fils d’un orfèvre banquier d’Édimbourg[36], vint fonder à Paris une banque d’escompte et d’émission. La nouvelle institution avait été autorisée par lettres patentes du 2 mai 1716, comme institution libre, avec des statuts, qu’en 1800 la Banque de France a adoptés à peu près ; mais bientôt, en vertu de lettres d’octobre 1716, les agents financiers de l’État durent recevoir ses billets dans leurs caisses. Un édit du 10 avril 1716 les obligea à les payer à vue. Poursuivant son plan, Law, le 28 août 1717, fondait la Compagnie d’Occident, qui absorbait successivement toutes les grandes compagnies de commerce privilégiées. Le capital de 100 millions de livres, divisé en 200.000 actions au porteur de 500 livres, était payable en ces billets d’État, dont le Trésor devait faire la rente au 4p. 100, et qui circulaient avec une dépréciation énorme (§ 4). La Compagnie du Mississipi, comme on l’appela plutôt, se chargea en 1718 des fermes générales et de la ferme du tabac à des prix fort supérieurs à ceux des précédentes adjudications ainsi que de la fabrication des monnaies. Pour faire face à ces entreprises, elle augmenta son capital-actions jusque par trois fois avec des primes croissantes.

Pour fournir la matière de ces souscriptions, la Banque, transformée, en décembre 1718, en Banque royale, émettait des billets de 100, 50 et 10 livres, en quantité de plus en plus grande. En août 1719, leur total ne montait encore qu’à 110 millions ; il atteignit 3.070.750.000 livres, sans compter les billets faux ! Les facilités d’escompte données par la Banque, le cours au pair rendu aux billets d’État, des réformes libérales accomplies dans la perception des impôts, l’allégement de la dette publique, enfin la confiance que Law avait inspirée au commerce et à l’industrie témoignent hautement des avantages du crédit et de la valeur intellectuelle de l’auteur du Système. Mais il précipita le pays dans un abîme de maux, par l’extension déraisonnable qu’il donna aux entreprises de la Compagnie du Mississipi, par l’impulsion qu’il imprima de parti pris à l’agiotage sur ses actions, enfin par la liaison des finances publiques aux affaires de la Compagnie.

La conversion de rentes accomplie par Pontchartrain en 1698 prouve qu’il y avait en France, dès cette époque, grâce aux habitudes nationales d’épargne, une certaine quantité de capitaux disponibles. Les étrangers en apportèrent aussi au début ; mais surtout la masse de billets du Trésor et de titres de rente, qui étaient en circulation, ayant repris tout à coup sa valeur au pair et étant admis comme monnaie dans les paiements, le public, auquel on offrait des perspectives de gains fantastiques se lança dans le jeu avec une folie, semblable à celle qui sévissait à ce moment-là en Angleterre, mais dont jamais on avait vu d’exemple en France. Les contemporains, depuis le grave Daguesseau jusqu’à Barbier, en ont retracé le tableau en traits qui sont connus de tous. Nous en détacherons seulement quelques indications économiques.

A la fin du règne de Louis XIV une bourse pour les négociations des effets royaux s’était établie dans la rue Quinquempoix où les banquiers avaient leurs boutiques (§ 5), et à certains moments les transactions y avaient été très actives. En 1719, elles atteignirent leur paroxysme. Six cent vingt-quatre mille actions de la Compagnie du Mississipi avaient été créées. 200.000 étaient en circulation : les autres étaient dans les caisses de la Banque, qui les vendait à prime à six mois. Des désordres matériels firent interdire les réunions de la rue Quinquempoix. Les spéculateurs se réunirent successivement, poursuivis toujours par la police qui n’en venait pas à bout, place des Victoires, place Vendôme, dans les jardins de l’hôtel de Soissons, dans des cafés et des auberges.

La fièvre de spéculation, qui s’était répandue dans tous les ordres de l’État, avait fait monter jusqu’à 18.000 livres les actions de la Compagnie de 500 liv. Law avait poussé à cette hausse insensée en émettant, dès sa seconde augmentation de capital, les actions à une forte prime, en échelonnant les paiements par dixièmes et par vingtièmes, en faisant des avances sur dépôt d’actions à 2 p. 100 d’intérêt, enfin en faisant racheter des actions pour soutenir les cours par la caisse de la Compagnie. Entraînés par l’exemple des fortunes rapides réalisées pendant les deux années ou les actions avaient constamment monté, les acheteurs ne cherchaient qu’à revendre ; aucun n’entendait faire un placement. C’étaient uniquement des jeux sur la différence. Law leur avait donné l’exemple en introduisant à la rue Quinquempoix les marchés à prime, qui étaient depuis longtemps usités en Hollande. En mai 1719, quand les actions ne valaient que 300 livres, il en acheta publiquement 200 livrables dans six mois à 500 livres, dont 200 de prime payées comptant. Il renouvela plusieurs fois cette opération qui se généralisa. En 1720, quand les actions étaient déjà en baisse, on faisait des primes à un louis d’or pour le lendemain. Barrême, le célèbre comptable, nourrissait cent actions tous les jours à ce taux.

Cet excès de la spéculation, qui aurait suffi par lui-même pour amener une crise comme celle de l’Union générale de nos jours, eut des conséquences bien plus graves à cause de la solidarité imprudemment créée entre la Compagnie du Mississipi et les finances publiques. La Compagnie, en effet, outre les principales fermes et le service de Trésorerie, s’était chargée de rembourser toute la dette de l’État et le prix de tous les offices ; elle avait monopolisé presque tout le commerce de la France avec les pays lointains et entrepris la colonisation de la Louisiane. Le grand adversaire de Law, Paris-Duverney, le disait judicieusement : « elle embrassait trop de soins à la fois pour s’en acquitter avec succès et elle devait y succomber. Le Commerce et la Finance doivent se tendre la main réciproquement pour se donner du secours ; mais leurs opérations sont trop différentes pour s’allier ». Les bénéfices réalisés par la Compagnie, même pendant ses deux années de prospérité, ne pouvaient donner des revenus suffisants à un capital aussi fortement majoré.

Un premier symptôme d’ébranlement fut la prime que les espèces monnayées firent sur les billets[37]. [fin page452-453]

Les spéculateurs les plus avisés réalisaient au fur et à mesure que les billets se multipliaient, et ils faisaient passer des espèces monétaires à l’étranger. Un caissier de la Banque envoya, en Hollande, pour vingt millions de florins de monnaie. Dès le commencement du Système, les édits s’étaient succédé pour remanier successivement, en sens divers, la valeur des monnaies existantes, de manière à donner intérêt à se servir des billets de la Banque ; puis on avait commencé la refonte des monnaies. Non seulement le cours forcé avait été donné aux billets ; mais même un édit du 11 mars 1720 supprima, à partir du 1er mai, le cours légal des espèces d’or ou d’argent. Défense fut faite de conserver chez soi des monnaies ou même des lingots et des pièces d’orfèvrerie, sauf quelques exceptions, à peine de confiscation. Dès lors le Système était condamné. Le 21 mai, un arrêt du Conseil inaugura la liquidation en essayant de fixer la valeur des actions et des billets et en échelonnant leur dépréciation ; la Bourse fut fermée, les opérations à prime défendues. Enfin, après une série de mesures incohérentes, le 24 octobre, les hôtels de monnaie ne reçurent plus les billets et la Compagnie entra définitivement en liquidation. Law partit pour l’exil, où il mourut en 1723, poursuivi des malédictions du pays, mais ayant gardé jusqu’au bout la confiance de ses actionnaires. L’excuse de ses imprudences était sa pauvreté ; aussi sa descendance a-t-elle pu, elle aussi, suivant les usages du temps, entrer dans la noblesse française sous le titre de marquis de Lauriston.

Daguesseau a laissé un tableau inoubliable de la perturbation économique et des désordres sociaux causés par le Système. L’observation y est aussi juste que le sentiment moral y est élevé.

Ce nouveau genre de fortune allume une cupidité infinie… qui éteint tout principe d’honneur, qui avilit la noblesse… Ceux qui se croiraient déshonorés, s’ils avaient acheté du drap pour le revendre, ne rougissent point de faire un trafic de papier encore plus méprisable. Ce nouveau genre d’industrie, sans peine, sans travail, donne plus de richesse en un moment que les voies naturelles n’en donneraient en une année et souvent même en un siècle. Quel dégoût un tel spectacle n’est-il pas capable d’inspirer à presque tous les hommes pour les travaux pénibles soit du service domestique, soit de l’agriculture, soit des arts et manufactures, soit même du véritable commerce et des autres professions où l’on achète une fortune souvent médiocre par l’occupation et les fatigues de toute sa vie… Il y a une proportion naturelle entre le nombre des citoyens, qui doivent travailler pour eux-mêmes ou pour les autres et le nombre de ceux qui vivent par le travail d’autrui… Si le nombre des travailleurs devient trop grand, celui des oisifs n’est plus en état de payer le travail des premiers et c’est le mal qu’un prince fait à son royaume, quand il y diminue trop le nombre des riches et qu’il y augmente trop le nombre des pauvres. Si, au contraire, le nombre des travailleurs diminue au delà de la juste proportion et que le nombre des oisifs augmente de la même manière, il n’y a plus assez d’hommes pour fournir aux besoins de tout un royaume, et les travailleurs sentant leur force, c’est-à-dire l’extrême besoin que l’on a d’eux, mettent un prix si haut à leur travail, qu’il y a un grand nombre des oisifs, et de ceux mêmes qu’on regardait auparavant comme fort aisés, qui ne peuvent plus suffire à leur dépense ordinaire ; en sorte qu’il ne reste plus qu’une petite partie des oisifs, qui, ayant augmenté leurs richesses par des voies extraordinaires, puissent aussi soutenir cette augmentation de dépense. Il se forme donc comme trois classes de citoyens dans un État. Les deux extrémités font fortune ; les travailleurs gagnent plus, soit parce qu’ils sont réduits à un moindre nombre, soit parce qu’ils font acheter plus cher leur travail. Les riches du premier ordre, qui ont trouvé des sources nouvelles et inconnues d’une richesse purement artificielle, sont dans l’opulence ; mais ils ne forment que le plus petit nombre sans aucune comparaison. Entre ces deux extrémités, le milieu, moins nombreux à la vérité que la première classe, mais beaucoup plus nombreux que la dernière, est composé des plus sages et des plus vertueuses familles, à qui leur première fortune avait procuré une éducation libérale et que leur vertu a éloignées de la route nouvelle des richesses, est dans la souffrance, parce que le bien qu’il avait ne lui suffit plus pour vivre et qu’il ne lui est pas possible de commencer à travailler pour en gagner…

Éblouis d’un changement si soudain et comme enivrés d’une fortune inespérée, dont ils croiront ne voir jamais la fin, ils la trouveront par cette raison même beaucoup plutôt qu’ils ne pensent. Ce grand butin qu’ils ont fait sur les meilleurs citoyens sera dispersé entre tant de mains différentes que l’effet en deviendra presque insensible pour chacun. Les marchands, les artisans, les objets ou les compagnons de leurs débauches, voudront jouir à leur tour d’une abondance qui se répandra sur eux, et peut-être l’événement fera voir dans quelques années que des fortunes si monstrueuses auront fait beaucoup de pauvres et n’auront pas fait beaucoup de riches. Il y aura un petit nombre de têtes sensées, qui emploieront ou au paiement de leurs dettes ou en fonds de terre des richesses si fragiles ; le reste les consumera en plaisirs, en luxe et en d’autres dépenses également frivoles, à peu près comme ceux qui ont fait des gains immenses au jeu et à qui, pour l’ordinaire, après un certain temps, il n’en reste que le souvenir.

Une des maximes du nouveau système est que le transport de l’or et de l’argent hors du Royaume est une chose indifférente et plutôt utile que nuisible à l’État… Il est certain que le transport des espèces ne peut être utile à l’État que lorsqu’il sert à en acquitter la dette à l’égard de l’Étranger, parce qu’alors le change nous devenant favorable peut faire rentrer avec usure les fonds qui ont été transportés hors du royaume. Mais ici tout l’or et tout l’argent que les étrangers ont emporté avec eux a une cause nouvelle, une cause qui n’a rien de commun avec la dette de l’État, qui ne s’impute point sur cette dette et qui ne la diminue en aucune manière. Nous demeurons toujours également débiteurs de l’Étranger et nous perdons une partie des moyens de nous acquitter par l’or et l’argent que nous laissons échapper. D’un côté nous ne nous acquittons pas et de l’autre nous nous appauvrissons. C’est ainsi que les hommes ont accoutumé de se ruiner…

Les remboursements que le Roi fait et l’impression que ce premier mouvement ou le produit des actions fait sur le reste de l’argent et sur les remboursements des particuliers fait perdre un revenu non seulement utile, mais nécessaire à plusieurs familles ; et en même temps qu’elles souffrent cette perte, il ne leur reste aucune ressource pour la réparer en se procurant un autre revenu.

Sur les terres ou sur les maisons, on perd, par le prix excessif que les nouveaux favoris de la fortune y mettent, les quatre cinquièmes ou du moins les trois quarts du revenu dont on jouissait auparavant. Sur les emplois ou contrats de constitution, qui deviennent plus rares que jamais, il faut perdre à peu près la moitié de l’ancien revenu. Le fonds est encore plus en danger que le revenu même. Le conservera-t-on en argent ? Mais est-il permis, est-il sûr de le faire et s’exposera-t-on au hasard des recherches rigoureuses dont on est menacé et au risque d’être trahi par un ennemi, un domestique, par ses proches mêmes. Gardera-t-on son fonds en billets de banque ? Mais ils ont déjà commencé à perdre en certaines provinces et le nombre en croît dans un si grand excès, que chacun croit y lire le présage d’une révolution fatale.

Quand les richesses réelles croissent dans un royaume, quand l’or et l’argent s’y multiplient considérablement, le prix des denrées croît à la vérité et la dépense augmente nécessairement ; mais les moyens de payer ce prix croissent en même temps et la recette s’augmente autant que la dépense, en sorte que la fortune des hommes se trouve toujours à peu près dans la même proportion. Mais ici la dépense monte à l’excès et les revenus ou les moyens de la soutenir diminuent aussi à l’excès. Celui qui n’avait que 6.000 livres de rente et qui était obligé de les dépenser, est forcé d’en dépenser 12.000, et, s’il est assez heureux pour ne voir diminuer son revenu que de la moitié, il n’a que 3.000 livres pour en dépenser 12.000 et par conséquent il s’en faut des trois quarts qu’il n’ait le nécessaire pour vivre

Une troisième circonstance est que, dans chaque mutation, le premier vendeur veut gagner sur le premier acheteur ; le premier acheteur devenant vendeur veut gagner à son tour sur le second acheteur et ainsi successivement dans tous les degrés de mutation à l’infini. Or, comme le risque devient plus grand à mesure que le prix augmente, il est visible que l’effet de cette opération successive tend à faire augmenter la cherté de ce bien à mesure que sa valeur véritable diminue ; car il n’est pas douteux que plus on achète chèrement une action, moins on peut espérer d’en retirer du profit, et, sa valeur devant être relative ou proportionnée au profit, il ne peut pas être douteux non plus que sa valeur réelle ne diminue à mesure que son estimation arbitraire augmente, de même qu’on ôte autant de valeur réelle à la monnaie qu’on y ajoute de fausse valeur.

La liquidation du système entraîna des conséquences presque aussi désastreuses que la crise où il avait sombré. Pendant l’apogée de la spéculation et de l’inflation monétaire due aux émissions de billets, le prix de toutes choses avait triplé ; l’intérêt de l’argent était tombé à 2 p. 100 ; les immeubles s’étaient vendus à des taux en rapport avec cette hausse de la monnaie de compte ; les débiteurs s’étaient libérés avec une monnaie qui coûtait si peu ; la dette de l’État avait été remboursée intégralement. C’était une perturbation formidable dans laquelle, au milieu de la ruine générale, certains individus se trouvaient enrichis. Le 26 janvier 1721, parut l’édit qui ordonnait la fameuse mesure connue sous le nom de visa. Elle consistait à inventorier les propriétés de toute nature de tous ceux qui avaient touché aux valeurs du Système, à remonter à la source de cette possession et à classer les propriétés d’après les résultats de cette enquête. Elle fut confiée à une commission présidée par Paris-Duverney[38]. Non content d’obliger les détenteurs d’actions de la Compagnie, de rentes et de billets, à comparaître devant la commission, un nouvel édit du 14 septembre 1721 obligea les notaires à produire tous les contrats d’acquisition d’immeubles, de constitution de créances, de décharge ou de quittance passés en leurs études depuis le 1er juillet 1720. Les détenteurs d’actions de la Compagnie, d’obligations (actions rentières) rentes et billets de banque, qui obéirent au premier édit, furent au nombre de 511.009. Leurs titres se montaient en capital à 3 milliards 70 millions de livres, d’après Paris-Duverney, à 2.222.597.491 livres d’après Forbonnais, dont l’évaluation est sans doute plus exacte. Ils furent réduits à 1 milliard 700 millions.

Les personnes soumises au visa furent, suivant la quantité de leurs titres, leur nature et la date de leur acquisition, réparties en cinq classes et quarante catégories, auxquelles on appliqua quinze taux de réduction. Les possesseurs d’une action furent admis pour l’intégralité ; ceux qui ne pouvaient indiquer d’autre origine à leur portefeuille que des profits sur le papier furent admis seulement pour un vingtième. Entre ces deux taux de réduction, treize autres proportions étaient appliquées suivant les cas. La Compagnie des Indes reprit son existence commerciale sur les errements antérieurs avec un capital réduit à 55.316 actions et son passif fut éteint moyennant 583 millions d’ordonnances sur le Trésor qui lui furent accordées. Quant à tous les autres titres, ils furent déclarés dettes de l’État et convertis en rentes au denier 25 (4 pour 100), prises au pair pour la valeur à laquelle ils avaient été réduits. Le résultat fut que le Trésor sortit de cette aventure avec une dette seulement de 48 millions en arrérages, tandis qu’elle était de 80 millions en 1718 avant les tentatives d’extinction faites par Law. Mais tous les offices vénaux étaient rétablis.

Quant aux acquisitions immobilières, contrats et quittances privés dont les notaires avaient du représenter les titres, un édit du 15 septembre 1722 imposa une taxe extraordinaire de 187.693.661 livres à 255 personnes réparties entre quatre classes :la première, qui comprenait 46 noms de personnes supposées posséder de 15 à 80 millions de fortune, fut taxée à 117.650.211 livres ; la seconde comprenant 91 noms le fut à 58.642.576 livres ; la troisième, avec 39 noms, à 7.109.336 livres ; enfin les 79 noms de la quatrième classe à 4.491.538 livres.

Ces chiffres indiquent à peu près quel avait été en France le nombre des spéculateurs perspicaces, qui avaient réalisé leur bénéfice. Beaucoup de spéculateurs étrangers les avaient mis en sûreté à temps en Angleterre et en Hollande.

L’opération du visa fut conduite avec promptitude et régularité ; mais elle était entachée d’un arbitraire dangereux. Nombre de personnes chargées de ces taxes s’en firent exempter par des faveurs de la Cour ; des détournements considérables de fonds firent condamner deux membres de la commission à avoir la tête tranchée et leurs commis à être pendus, peines qui furent à leur tour commuées en celle du bannissement, tant, au milieu de ces procédés révolutionnaires, la justice était forcément incertaine !

VII. — Le souvenir des catastrophes causées par Law fit que le gouvernement renonça, à partir de 1722 au moins, à remanier les monnaies et que de cinquante ans, c’est-à-dire jusqu’à Terray, en 1772, le Trésor ne manqua plus à ses engagements. [fin page458-459]

Le crédit public se releva de cette terrible secousse ; mais une grave atteinte fut portée à la probité nationale et aux mœurs privées. Pendant tout le règne de Louis XIV, les ministres et les classes dirigeantes avaient été irréprochables sous le rapport de l’intégrité. Après le Régent, il n’en fut plus de même et le trafic des influences, le goût des tripotages financiers furent aussi répandus à la cour de France que dans le Parlement d’Angleterre. D’autres historiens ont assez mis en relief l’influence sur les mœurs de cette orgie de spéculation ; nous signalerons plutôt à cette occasion la formation graduelle d’un marché international des capitaux.

Au xvie siècle, on en trouve bien quelques traces et le savant Kervyn de Lettenhove a montré comment les foires de Francfort étaient, à cette époque, le rendez-vous des capitalistes, des politiques, des chefs de bande, de toute l’Europe[39]. Un édit de juillet 1559, qui créait des rentes sur l’hôtel de Ville, les avait formellement exemptées du droit d’aubaine et cette clause, nécessaire pour attirer les capitaux étrangers, était depuis lors reproduite dans tous les édits de création de rentes[40]. Il en était de même pour les actions des compagnies privilégiées. Au xvie siècle et au commencement du xviie un certain nombre d’emprunts étrangers se plaçaient à Gênes[41] ; mais la décadence où l’industrie et le commerce de l’Italie étaient tombés ne permettait plus aux capitaux de s’y former assez rapidement et à la fin du xviie siècle Gênes n’avait plus d’importance comme marché financier.

En 1708, quand la Compagnie écossaise des Indes se forma, la souscription à ses actions fut ouverte à la fois à Édimbourg, à Amsterdam et à Hambourg[42].

Au bruit des miracles de la rue Quinquempoix, dit d’Aguesseau, on a vu accourir de toutes parts tous les banquiers, tous les agioteurs nobles et ignobles, tous les Juifs de l’Europe, plus habiles communément dans ce genre de commerce que ceux de notre nation. Ils y ont fait des gains prodigieux et s’en retournent dans leurs pays chargés de nos dépouilles, nous laissant des billets de banque pour notre argent[43].

Les Hollandais, nous l’avons vu (§ 2), firent à cette époque de grandes pertes, soit en France, soit en Angleterre ; mais elles furent peu de choses en comparaison de celles qu’aurait éprouvé le pays si le magistrat d’Amsterdam n’avait pas eu la sagesse de repousser les offres de Law, qui voulait d’abord établir son système dans cette ville[44].

Pendant tout le xviie siècle et même encore au commencement du xviiie, beaucoup de personnes dans les Pays-Bas estimaient que l’émigration des capitaux était fâcheuse pour la République, parce qu’elle l’empêchait de placer ses rentes au taux le plus bas. En conséquence, des édits avaient défendu les placements en fonds étrangers ; mais ils n’avaient pas été exécutés[45]. Pendant tout le xviiie siècle, la Hollande pourvut par ses capitaux à tous les emprunts et à toutes les émissions d’actions de l’Europe. En 1747, sur 2 milliards ou 1.500 millions francs de montant en capital de la dette de l’Angleterre, le tiers était dû à l’étranger, c’est-à-dire presque exclusivement aux Hollandais[46].

Cette émigration des capitaux hollandais était forcée, étant donnée la différence du taux de l’intérêt, qui depuis le xviie siècle exista entre ce pays et les autres contrées de l’Europe. Maurice de Nassau pouvait réduire à 5 p. 100 et Jehan de Witt à 4 p. 100, en 1655, le taux des rentes constituées sur la Généralité, tandis qu’en France et en Angleterre le gouvernement ne trouvait à emprunter qu’aux environs de 8 p. 100[47]. En 1700 c’était encore le taux usuel de l’argent prêté aux commerçants et aux industriels. En Hollande, ils trouvaient de l’argent au 3 p. 100, Les publicistes anglais se préoccupaient vivement de l’infériorité qui en résultait pour leur pays[48]. Cependant tout n’était pas avantage pour la Hollande à cette baisse extrême de l’intérêt. Les entreprises commerciales et manufacturières du pays, n’offrant plus que des profits minimes, étaient délaissées. Parmi les capitalistes, les uns vivaient d’économie, les autres cherchaient des revenus plus élevés dans les placements faits au dehors et dans le jeu à la Bourse qu’alimentaient les nombreux titres de toute origine qui s’y négociaient. Jusqu’à la chute de la République, tous les auteurs parlent des jeux de bourse d’Amsterdam. Ils s’y faisaient surtout sur les valeurs anglaises dans les dernières années du xviiie siècle, sous la forme de marchés à prime ou de marchés à terme se réglant par de simples différences[49].

C’était à Amsterdam que la plupart des gouvernements de l’Europe continentale plaçaient leurs emprunts[50]. Un écrit du temps indique comment étaient faites ces opérations.

La maison de commerce chargée d’une pareille négociation dépose d’abord entre les mains d’un notaire la procuration dont elle est munie de la part de l’État pour le compte duquel elle fait un emprunt, de 4 millions de florins par exemple. Elle publie ensuite un prospectus, où est exposé le plan qu’on se propose de suivre dans cette opération. Pour rendre celle-ci plus facile, on fait 4.000 billets de 1.000 florins courant payables au porteur. Dans ces billets, l’État qui emprunte déclare le temps auquel il remboursera le capital, comme 5, 10, 15 ou 20 ans, ajoutant que les intérêts courront à raison de 4 p. 100 par an (plus ou moins) jusqu’à l’entier remboursement du capital et seront exactement payés chaque six mois par la maison chargée de l’opération. On joint en conséquence à chaque billet de 1.000 florins le nombre de coupons nécessaire de vingt florins pour chaque terme… La négociation ouverte, la maison qui opère fait négocier les 4.000 billets par son courtier. Celui-ci trouve sur-le-champ des entrepreneurs, qui avancent la somme de quatre millions pour une commission qu’ils se font payer de 1 à 2p. 100 plus ou moins. Ces entrepreneurs placent ensuite pour leur propre compte ces 4.000 billets chez les capitalistes qui ne demandent pas mieux que de placer leur argent sur de pareils effets, lors surtout qu’ils ont de la confiance dans l’opération.

Les frais qu’une pareille opération coûte à l’État qui fait l’emprunt ne sont point considérables eu égard à la nature de la négociation ; car, si elle se fait pour 20 ans, ils ne s’élèvent guère qu’à 14 ou tout au plus à 12 p. 100 par an. Ordinairement ces frais sont de 2 à 2½ p. 100 de commission pour la maison qui opère, 1 à 2 p. 100 pour les entrepreneurs qui se chargent de tous les billets pour les placer ensuite pour leur compte chez les capitalistes et 1 p. 100 pour les autres frais dans lesquels le courtage se trouve compris. Outre cela, la maison chargée de la négociation, devant en payer les intérêts aux échéances respectives, prend sur la somme à laquelle s’élèvent ces intérêts une commission de 1 à 2 p.100 suivant le plus ou moins de peine qu’exige ce paiement. Au surplus, ces frais peuvent être susceptibles de plusieurs modifications selon que l’opération est plus ou moins difficile et compliquée[51].

Accarias de Sérionne, dans son ouvrage Du commerce de la Hollande, publié en 1768, a un chapitre sur la négociation des fonds publics de France, d’Angleterre, de Vienne, de Danemarck et de Saxe. Elle portait, selon lui, sur un capital de plus de l.500 millions de livres. A cette époque, tout le monde comprenait que le pays ne pouvait faire fructifier lui-même un pareil capital et combien il était avantageux de pouvoir le placer à l’étranger. C’est grâce à ces placements qu’il y avait à Amsterdam une prodigieuse quantité de riches capitalistes. [fin page462-463]

Les fonds des capitalistes n’ont passé chez les nations emprunteuses que pour procurer à la Hollande tous les ans une balance avantageuse pour la solde des intérêts qui font, surtout de la part de la France, rentrer les capitaux en douze ou quinze années pendant que les créances de la République existent toujours en entier et produisent toujours les mêmes intérêts[52].

Engagée comme elle était avec toutes les places étrangères, Amsterdam ressentait le contre-coup des crises qui s’y produisaient. Deux crises commerciales, qui éclatèrent à Hambourg en 1763 et en 1772-1773, amenèrent à Amsterdam des paniques semblables à celles que nous connaissons trop bien. Détail caractéristique : elles éclataient en même temps à Londres pour des causes différentes en apparence, mais qui devaient être, en réalité, la conséquence d’une exagération générale du crédit[53].

VIII. — Malgré les grandes guerres de l’époque, une baisse considérable du taux de l’intérêt, plus ou moins forte selon les pays, se produisit, dans le cours du xviiie siècle, dans toute l’Europe.

En Angleterre, en 1715 Robert Walpole fit réduire la dette 6p. 100 en 5p. 100. En 1731 un emprunt put être émis en 3p. 100 et il fut bientôt coté 107. Il baissa par suite de la guerre avec la France ; mais en 1749 les fonds 4 p. 100 purent être convertis en 3 p. 100 et ce fonds revit en 1752 le cours de 107.

Dans les Pays-Bas, en mars 1773, les obligations 3 p. 100 de la Généralité se cotaient 107 ; celles 2 3/4 p. 100 de la province d’Utrecht 102 ; les obligations 2 1/2 p. 100 d’une société pour la construction et l’entretien d’une digue cotaient 95 1/4 en juillet 1767. Plusieurs emprunts hollandais furent émis en 2 p. 100 et arriveront au pair. En Allemagne aussi, les fonds de premier ordre étaient au xviiie siècle capitalisés au 3 pour 100 et l’on en profita pour créer les premières institutions de crédit foncier[54]. En France, d’après Forbonnais, au milieu du siècle, les capitaux employés en immeubles rapportaient de 3 à 4 p. 100[55] ; l’escompte ne dépassait pas 6 p. 100 et en 1776 la Caisse d’escompte escompta régulièrement à 4 p. 100. Le même taux fut adopté parla Banque Saint-Charles en Espagne en 1782[56]. Le Clergé de France empruntait à 4 p. 100. Mais le crédit de l’État était bien inférieur et les emprunts royaux ne s’émettaient guère qu’au 5 et au 6 p. 100. C’est ce qui fit que lorsqu’un édit de 1766 prétendit abaisser le taux légal de 8 à 4 pour 100, il ne fut pas observé.

Ces taux, très bas comparativement à ceux du siècle précédent, et que les destructions de capitaux par la Révolution devaient faire remonter, contribuèrent beaucoup à la fondation des sociétés par actions, au développement des emprunts d’État et aussi à la reprise des spéculations de Bourse. On ne saurait toutefois trop remarquer qu’il s’agit là des placements de toute sûreté et des cours pratiqués dans les grandes places commerciales. Si le taux de l’intérêt perçu dans ces conditions était plus bas au xviiie siècle qu’il ne l’a été au xixe, l’usure avait bien plus d’extension dans les campagnes et les couches inférieures de la population qu’elle n’en a actuellement dans tous les pays de l’Europe occidentale où l’état économique est normal (chap. xiii, § 4).

IX. — Sous l’influence de ces deux causes, la Bourse prit à Londres un essor considérable et tint dans la vie économique du pays une place qu’elle devait à peine prendre en France après 1815. Les écrivains du xviiie siècle abondent en renseignements et en anecdotes sur ce sujet : elles ont été recueillies par John Francis dans l’Histoire de la Bourse de Londres et c’est là qu’il faut les lire. Nous en dégagerons seulement quelques traits.

La Bourse se développa en toute liberté : depuis 1709 il n’y avait plus d’intermédiaires officiels pour les transactions. Ce fut seulement en 1801 qu’une association de brokers et de banquiers fit édifier le Stock Exchange où ne purent pénétrer que les membres de la Société (chap. ix, § 7).

L’Exchange Alley, comme on l’appelait alors, se fit sa loi à elle-même. En vain un acte de 1734, rendu sur la proposition d’un des plus grands financiers de l’époque, sir John Barnard, défendit sous des peines sévères : 1° les marchés à prime ; 2° les règlements par différences des transactions sur valeurs mobilières ; 3° la vente de fonds publics anglais que le vendeur ne possédait pas au moment de la vente. Il ne fut pas observé. En 1773, après une crise de spéculation (§7), il fut renouvelé, mais sans plus de succès. La jurisprudence en limita le plus possible l’application, et, en 1787, l’Exchange Alley inaugura la grande peine disciplinaire du monde de la Bourse, l’inscription au tableau noir des noms de ceux qui ne tenaient pas leurs engagements en se prévalant de la loi.

Malgré les pratiques de l’agiotage, qui s’y donnaient carrière sous leurs formes les plus grossières : fausses nouvelles, paris sur la vie des grands personnages et sur les événements politiques, loteries publiques et privées, malgré les crises de crédit, qui se produisirent à plusieurs reprises dans le cours du siècle et qui eurent comme toujours pour premier symptôme la multiplication abusive des sociétés par actions, le développement de la Bourse permit au gouvernement de procéder dans le milieu du siècle à d’importantes conversions et de recourir au crédit pendant les guerres d’Amérique et de la Révolution dans des proportions qui contrastent avec l’insignifiant déficit contre lequel la monarchie française échoua en 1789. Ce qui y contribua plus encore fut la fidélité avec laquelle le gouvernement anglais depuis Guillaume III fit honneur à ses engagements, même dans les circonstances les plus critiques.

Malheureusement, pendant toute cette période, l’histoire de l’Angleterre est déshonorée par la corruption des hommes publics. Non seulement la majorité dans les deux chambres était régulièrement achetée par le ministère ; mais un grand nombre d’hommes d’État et de membres du Parlement abusaient de leur position pour spéculer à coup sûr sur les fonds publics. L’émission des emprunts, qui avait lieu par adjudication aux banquiers, donnait lieu au favoritisme et aux manœuvres les plus éhontées de la part des amis du ministère. Il y fut coupé court par le recours à une souscription publique que le second Pitt tenta pour la première fois en 1796. Ce fut un grand succès, et, après quelques retours partiels aux anciennes pratiques, c’est la méthode qui a prévalu depuis en Angleterre. Avec la constitution du Stock Exchange en corporation, elle a marqué une amélioration sensible dans les mœurs financières. La moralité publique, même sous ce rapport, est devenue en Angleterre très supérieure dans notre siècle à ce qu’elle était au xviiie.

La fondation du Bankers clearing house de Londres, en 1775, est aussi la preuve de l’importance qu’avaient prise les maisons de banque et des bonnes méthodes suivies dans les affaires.

X. — A partir du ministère du cardinal Fleury, beaucoup plus d’ordre régna dans le régime financier de la France. Le temps des Crozat et des Samuel Bernard est passé, ou plutôt les financiers se présentent sous une forme plus correcte. Il est cependant un genre d’affaires qui donnent lieu à des spéculations aventurées et partant à de gros profits. L’approvisionnement des armées, qui était déjà l’objet de grandes préoccupations dans les dernières années de Louis XIV, devient une affaire de plus en plus importante. Paris-Duverney avait rendu en Italie sous ce rapport des services qui devinrent le titre de sa fortune. Les grands munitionnaires furent dans tout le cours du xviiie siècle des financiers considérables. Le dernier d’entre eux est Ouvrard, qui approvisionna les armées de la République, de l’Empire et de la Restauration. On les a beaucoup incriminés, oubliant peut-être trop le caractère essentiellement aléatoire de leurs entreprises.

Pendant la guerre de Sept ans, la dette flottante sous les formes les plus diverses s’accrut de nouveau gravement et ce fut l’occasion pour des financiers, comme la Popelinière, Grimod de la Reynière, Beaujon, d’élever de grandes fortunes. Quelques-uns, tels que Bourret et Augeard, et, en sous-ordre, Beaumarchais, deviennent des hommes politiques. Ils se posent en Mécènes et recherchent l’appui des gens de lettres. Les philosophes sont particulièrement accessibles aux participations qu’ils leur donnent dans certaines affaires. Voltaire avait ainsi gagné par la faveur de Paris-Duverney, dans une affaire de fournitures, 500.000 écus, dont un nouveau visa, institué par Terray en 1772, lui fit perdre la moitié.

Plus encore que les traitants du siècle précédent, les financiers de celui-ci s’allient avec la haute noblesse. Helvétius, Hollandais implanté en France, on ne sait trop comment, avait épousé Mlle de Ligniville, des grands chevaux de Lorraine. Les de Mun et les d’Andlau descendent de lui par ses filles. Un fils de Dupin de Chenonceaux épouse une Roche-thoinet ; le duc de Chaulnes épouse la sœur de Bonnier de la Manon, et le maréchal de Rochambeau la fille du Portugais Tellez d’Acosta, fournisseur des vivres[57].

Ces financiers cherchaient fréquemment à entrer dans le corps des fermiers généraux. La ferme générale avait été établie pour la première fois en 1680 et se renouvelait par des baux, généralement de six ans, passés au nom d’un homme de paille. Les soixante fermiers généraux, qui officiellement étaient seulement ses cautions, dirigeaient toute cette grande administration. Elle comprenait le monopole des tabacs, les traites ou douanes, les gabelles du sel, les aides ou droits sur les boissons. Ils étaient en réalité des fonctionnaires, propriétaires de leur charge, et qui en cédaient la survivance à autant de fermiers généraux adjoints, généralement leurs fils, leurs gendres, leurs parents. Le Trésor leur demandait des anticipations, les unes régulières, les autres extraordinaires. En vue des premières, le fonds d’avance de chacun d’eux était de 1.500.000 livres. Pour le fournir, plusieurs avaient des bailleurs de fonds, des croupiers, comme on les appelait. Ce sont ces opérations qui les ont fait confondre avec les financiers proprement dits. M. Adrien Delahante, dont la famille appartenait à ce corps si intéressant par sa constitution et par la place qu’il tenait au xviiie siècle entre la haute bourgeoisie et la noblesse à côté des familles de robe, en a retracé le fonctionnement avec une grande exactitude. Il réfute l’opinion courante, qui, parce que la Popelinière, Beaujon, Helvétius, Bourret, ont fait partie de cette administration, identifie les fermiers généraux avec les financiers.

C’est la légende, voici l’histoire.

Il y avait à cette époque de nombreux financiers, qui, en l’absence de tout crédit public, jouaient de la dette flottante et profitaient des embarras du Trésor pour faire avec l’État des contrats très onéreux et partant très dangereux, au moyen desquels ils acquéraient de rapides fortunes, généralement terminées par des chutes non moins rapides. Quelques-uns, pendant le cours de leur prospérité, sont parvenus à s’introduire dans la Ferme pour ajouter à leurs splendeurs le double avantage d’une place largement rémunérée et d’un titre honorable ; mais c’étaient là des exceptions et des exceptions rares.

Règle générale, la Ferme était une réunion de très honnêtes gens de très respectables pères de famille, d’administrateurs plus ou moins capables, plus ou moins laborieux, mais tous véritables fonctionnaires publics, généralement étrangers aux combinaisons commerciales[58].[fin page468-469]

XI. — Les soixante années, qui s’écoulèrent depuis le ministère du cardinal Fleury jusqu’à la Révolution, ont été une époque de progrès économique. Aucun grand changement ne la marque ; mais la continuité même de ce progrès fit son importance. Quand Turgot arriva au ministère, une profonde transformation s’était déjà accomplie dans les conditions générales du pays : les manufactures étaient fort développées ; le commerce international, particulièrement avec l’Angleterre, avait pris une grande importance ; tous les prix étaient en mouvement ascendant, parce que la consommation s’était accrue avec la production et que la monnaie circulait plus facilement et plus rapidement[59].

La multiplication du papier commercial rendait nécessaire l’établissement d’une banque d’escompte et d’émission et faisait sentir l’infériorité où la France se trouvait sous ce rapport comparativement à l’Angleterre. Deux tentatives faites en 1769 et 1772 n’avaient pas réussi ; mais, grâce au patronage de Turgot, en 1776, la Caisse d’escompte fut créée au capital de 15 millions divisé en 5.000 actions de 3.000 livres chacune. Elle se livra avec succès à l’escompte. En 1783, un emprunt occulte de 6 millions de livres fait par le Trésor amena momentanément le cours forcé de ses billets ; mais deux mois après cette crise était conjurée. La Caisse d’escompte reprit le cours normal de ses opérations et en 1787 sa circulation atteignait 100 millions. Tout ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir favorisé moins le commerce que la Banque et de s’être mêlée, sous l’influence de M. de Calonne, en 1785, plus qu’elle ne l’eût dû, aux spéculations de la Bourse (§ 12). En 1787, M. de Calonne fit porter son capital à 100 millions au moyen d’une souscription d’actions nouvelles qui fut rapidement couverte ; sur le produit de cette souscription, 70 millions furent prêtés à l’État. Dès ce moment le Trésor aux abois ne cessa de lui faire de nouveaux emprunts. La plupart étaient occultes et avaient gravement compromis son fonctionnement, quand la Révolution emporta et la Monarchie et la Caisse d’escompte[60]. Cette dernière devait se reconstituer sous le nom de Banque de France en 1800.

La nécessité de banques d’émission s’était fait sentir à la même époque dans tous les pays, qui étaient restés en retard sur l’Angleterre.

En Prusse, un édit du 17 juin 1765 avait créé à Berlin la Kœnigliche Giro und Lehnbank, son capital avait été fourni exclusivement par le Trésor[61]. Le 14 octobre 1772, Frédéric II transformait la Preussische Seehandlung societœt, qui était originairement une compagnie de commerce, en une banque de crédit mobilier, dont le Trésor royal faisait encore presque tous les fonds, et dont le gouvernement gardait la direction exclusive, de manière à soutenir toutes sortes d’affaires industrielles.

En Autriche, une bourse pour la négociation des effets publics avait été ouverte en 1761 à Vienne.

En Espagne, en 1782, Cabarrus institua la Banque Saint-Charles, société par actions organisée sur le modèle de la Caisse d’escompte, et qui avait le privilège de l’émission des billets. La Banque Saint-Charles, outre l’escompte du papier de commerce, était chargée de tous les paiements à l’étranger dus par le Trésor royal et de toutes les fournitures de l’armée et de la marine. En 1785, Cabarrus créa à côté d’elle la Compagnie des Philippines sur le modèle de la Compagnie des Indes. Il y eut en France un grand engouement pour les actions de ces deux entreprises, qui rappelaient par certains côtés le système de Law. Cependant elles furent conduites avec plus de sagesse et la Révolution seule y mit fin.

Quand les opérations du visa avaient été terminées, un arrêt du Conseil du 24 septembre 1724 avait réorganisé la Bourse de Paris. Ses 41 articles ont véritablement constitué la Bourse moderne. Les agents de change ont le monopole des négociations des effets publics ; ils ne peuvent les faire qu’aux heures de Bourse ; ils ne pourront dans aucun cas nommer les personnes qui les auront chargés de négociations auxquelles ils devront garder un secret inviolable (art. 36) ; les opérations au comptant sont seules autorisées, (art. 29) ; enfin les femmes ne peuvent entrer à la Bourse, sous aucun prétexte (art. 11)[62]. Réorganisée matériellement, la Bourse de Paris n’eut pendant longtemps aucune animation. Le public avait pris en grande défiance toute valeur représentée par du papier. Il n’y avait guère de transactions que sur les actions de la Compagnie des Indes. Une preuve de cette stagnation des affaires se trouve dans l’édit du 22 décembre 1733, qui réduit à 40 le nombre des agents de change. Plusieurs des soixante offices demeuraient sans titulaires, dit le préambule[63]. Après le cardinal Fleury, les emprunts d’État s’étaient succédé à des intervalles de plus en plus rapprochés. Dans les dix dernières armées qui précèdent la Révolution, ils s’élevèrent à 1.600 millions. « La bourgeoisie les prend à des taux qui doublent rapidement cette partie de ses revenus, qui lui créent en même temps de nouveaux capitaux, et lui permettent de consolider avec un intérêt supérieur à ce que donnait la terre, à 6 2/3 p, 100 en rentes perpétuelles, en 1776, avant l’entrée de Necker aux affaires[64], ceux qui ne trouvaient pas un emploi utile dans le commerce ou qu’elle ne voulait pas hasarder[65]. »

Un édit du 20 mai 1749, imitant ce qui se faisait depuis plus d’un siècle en Hollande, avait permis de mettre au porteur des rentes remboursables en douze ans qu’il créait. Cette pratique devient générale dans les emprunts faits par Calonne, à partir de 1783.

M. de Loménie, dans son excellente étude sur les Polémiques financières de Mirabeau et les interventions de M. de Calonne à la Bourse[66], fait remarquer que la dette anglaise en 1789, peu différente de la nôtre comme charge annuelle, représentait un capital beaucoup plus élevé. Cela tenait à la bien plus grande importance de la dette viagère ou remboursable par annuités dans l’ensemble de la nôtre. Nous avons indiqué (chap. x, § 3) quelles avaient été les conséquences sous ce rapport des émissions de 3 p. 100 au-dessous du pair en Angleterre. Quoiqu’il y eût beaucoup plus de désordre en France, au fond, le gouvernement s’inspirait davantage des vrais intérêts du peuple. Mais cela ne suffisait pas pour permettre à la Monarchie de surmonter la tempête qui fut déterminée par une crise financière.

XII. — La Bourse de Paris avait pris une importance considérable à la veille de la Révolution.

La corporation des agents de change avait été réorganisée et confirmée dans son monopole par un arrêt du Conseil du 26 novembre 1781. La manière dont ils traitaient les affaires était exactement la même qu’aujourd’hui, faisant entre eux toutes leurs négociations sur paroles, comparant après chaque bourse leurs carnets dans le cabinet, étant garants vis-à-vis de leurs clients des opérations dont ils se sont chargés. Les valeurs négociées à la Bourse étaient au nombre de 17, savoir : les actions de la Compagnie des Indes, 14 fonds de l’État, les actions de la Caisse d’escompte et les actions des eaux de Paris. C’était là la cote publique ; mais d’autres valeurs[67] étaient négociées par les coulissiers que l’on appelait dans le langage du temps des proxénètes et dont aucune mesure n’a jamais pu arrêter l’industrie. L’édit de 1785, qui défendait les opérations à terme, d’après l’auteur des Étrennes financières, n’aurait eu pour effet que de pousser à l’agiotage. Les agents de change ne pouvaient, selon lui, trouver la rémunération du prix élevé de leur charge qu’en jouant pour leur propre compte[68].

M. A. Neymarck estime de 200 à 300 millions le montant des valeurs mobilières alors en circulation en France. Des valeurs étrangères, notamment les actions de la Banque Saint-Charles et de la Compagnie des Philippines, y étaient l’objet de spéculations actives. Le gouvernement en prit ombrage et l’arrêt du 7 août 1785 interdit de les coter à la Bourse. En même temps, Calonne commandait à Mirabeau un pamphlet pour les discréditer et provoquer des arbitrages entre ces actions et l’emprunt qu’il venait d’émettre, mais qui n’était pas classé après plusieurs mois.

Les dernières années de l’ancien régime furent marquées par un vif essor de la spéculation et de l’agiotage. On peut en voir un tableau tracé avec passion par Mirabeau dans un pamphlet intitulé : Dénonciation de l’agiotage au Roi et à l’Assemblée des notables, en 1787[69]. Quelques gros spéculateurs jouaient tantôt à la hausse tantôt à la baisse sur les actions de la Compagnie des Indes, de la Société des eaux de Paris, de la Compagnie des assurances générales contre l’incendie, de la Caisse d’escompte et sur les valeurs espagnoles.

La spéculation portait aussi sur les rentes. Necker, pendant son premier ministère, s’était appuyé habilement sur la banque genevoise établie en France et à l’étranger pour faire couvrir plusieurs fois certains de ses emprunts et il avait été assez habile pour ne laisser aucune trace de ces opérations plus ou moins régulières. Après lui, de Calonne, qui pendant ses quatre années de ministère (1783-1787), multipliait les emprunts et même plaçait sans publicité des rentes à la Bourse, continua ces tentatives d’influencer les cours ; mais sa base d’opération était moins solide et il avait dans la Haute-Banque des adversaires qui ne le laissèrent pas manipuler le marché à son gré. Il voulut essayer de soutenir les cours à la veille de l’Assemblée des notables. Le dernier emprunt de 125 millions de livres, qu’il avait émis au commencement de 1787, n’était en effet pas encore classé. Calonne fit sortir du Trésor onze millions pour faire soutenir le cours de la rente, des actions de la Compagnie des Indes et de la Compagnie des eaux de Paris par des banquiers affidés au moyen de reports. Ces manœuvres ne purent conjurer la baisse et le Trésor y perdit plusieurs millions[70].

Les procédés de la spéculation étaient les mêmes qu’aujourd’hui : ventes à découvert, reports pour prolonger les achats à terme faits par les haussiers, marchés à primes. Ces derniers étaient d’autant plus dangereux qu’ils étaient faits pour des liquidations éloignées. Un groupe de spéculateurs, à la tête desquels était l’abbé d’Espagnac, avait organisé en mars 1787 un corner sur les actions de la Compagnie des Indes. Il en avait acheté à terme 46.000 livrables à la fin du mois, alors qu’il n’en existait sur la place que 37.000 ! Mirabeau constatait que le droit d’escompte donné à l’acheteur dans le but de décourager les ventes à découvert (chap. ix, § 13) fournissait un moyen assuré aux spéculateurs à la hausse, quand ils étaient assez puissants pour étrangler leurs adversaires. Personne n’avait cure des arrêts du Conseil que Calonne avait fait rendre coup sur coup (24 janvier, 7 août, 2 octobre 1785, 22 septembre 1786, 14 juillet 1787), avant d’essayer lui-même de soutenir les cours avec les fonds du Trésor[71].

Les agioteurs, l’abbé d’Espagnac et quelques autres personnages secondaires que Mirabeau désigne dans son pamphlet, n’étaient pas assez puissants pour influencer le marché. Quels étaient donc ceux qui pouvaient le mener ?

De tout temps il y avait eu à Paris des banquiers étrangers. En 1720, des Suisses, des Italiens, des Hollandais faisaient ce commerce rue Quinquempoix. Dans le troisième tiers du siècle, nous voyons s’établir à Lyon, puis à Paris, des banquiers genevois qui disposent de capitaux considérables. C’est un Suisse nommé Penchaud, qui avec l’Écossais Clouard avait fondé l’établissement appelé à devenir la Caisse d’escompte en 1776. Ils restent en relations étroites avec les banques de Lyon, de Genève, d’Amsterdam, et c’est ce qui fait leur force. Ce sont des Genevois qui prennent les emprunts viagers sous forme de tontine, notamment celui dit des Trentes-Têtes, émis par le gouvernement en 1782 pour dix millions.

Necker commença sa grande réputation comme associé de la maison Thelusson, établie à Paris, et ce fut un banquier genevois fixé aussi à Paris, Clavière, qui, après avoir joué un rôle très actif dans toutes les campagnes d’agiotage des dernières années de la monarchie, fut, en 1792, ministre des Finances de la Convention. C’est de cette époque que date l’influence de la Banque genevoise sur notre place. Cette influence a été prépondérante jusqu’à l’avènement d’une banque plus forte qu’elle (chap. xii, § 5).

Les pamphlets du temps se plaignent de l’influence de ces grands banquiers et reprochent à la Caisse d’escompte, au ministère lui-même, d’être à leur dévotion[72]. En effet, la Haute-Banque était dès lors distincte de la banque ordinaire. Les Étrennes financières pour 1789 l’indiquent nettement :

La correspondance active de la Banque de Paris avec toutes nos provinces et les royaumes étrangers lui donne une grande influence dans les virements d’argent. De là vient que le ministre des Finances consulte volontiers les maisons les plus considérables de la banque, lorsqu’il médite quelque opération majeure… Les banquiers de la première classe et les financiers peuvent être considérés comme tenant le premier rang et formant le même ordre dans la société, surtout depuis que les mêmes rapports d’intérêt les unissent. C’est surtout en qualité d’administrateurs de la Banque d’escompte que l’on peut considérer les financiers et les banquiers comme égaux entre eux.

Et Anquetil-Duperron, qui exprime les rancunes du commerce moyen et des banquiers escompteurs de Paris, ajoute :

Trois ou quatre forts banquiers, en jetant sur la place ou retirant sur la place une certaine quantité d’effets, mettant en circulation une certaine quantité de capitaux, font sur-le-champ hausser ou baisser les actions, éloignent ou ruinent les concurrents. Ainsi, dès qu’on voit dans le commerce des changements trop subits et considérables sans causes connues prises des accidents ordinaires, peut-on assurer que l’impulsion vient de la Banque, c’est-à-dire des gens à capitaux, à portefeuille.

Ce Penchaud, qui après avoir fondé la Caisse d’escompte, était devenu ensuite le chef des campagnes de baisse conduites contre elle, est le type caractéristique de cette nouvelle génération de banquiers. Mollien, qui l’avait pratiqué, esquisse ainsi son portrait :

C’était un Suisse qui avait longtemps habité l’Angleterre. Il avait formé à Paris une maison de banque dont il s’occupait peu. Il était versé dans tous les genres de spéculation qui se font sur les places de Londres et d’Amsterdam. Il avait fait de grands profits et des pertes souvent plus grandes. La place de Paris lui semblait trop petite pour ses opérations[73].

Les grands banquiers de l’Europe étaient déjà tous en relations suivies les uns avec les autres et se soutenaient au besoin. On peut en juger par l’opération que Ouvrard proposa au gouvernement espagnol[74].

Au moment de la paix de Bâle (1795), François Cabarrus, contrôleur des finances du roi d’Espagne, et Ouvrard conçurent le plan d’une vaste opération de change qui aurait pu avoir de grandes conséquences politiques, si l’Espagne, à qui elle fut proposée, avait osé l’adopter. Il s’agissait de procurer à l’Espagne le recouvrement de cent millions de piastres en lingots et numéraire existant dans ses colonies et qui, transporté si directement, seraient tombés infailliblement aux mains des Anglais. Ouvrard proposait de créer des lettres de change qui seraient négociées successivement sur les principales places de Hollande, d’Allemagne ou de Suisse, dont les banquiers, moyennant un courtage de 25 p. 100, feraient transporter les lingots par la voie des neutres. Charles IV et le prince de la Paix repoussèrent ce hardi projet.

Le marché universel de l’argent existait dès lors. [fin page478]

  1. V. notre étude : le Crédit populaire et les Banques en Italie, du xve au xviiie siècle. 1886 (Larose et Forcel).
  2. V. entre autres les pièces du temps citées dans les Caquets de l’accouchée (édition Jannet-Picard, Paris, 1891), p. 38.
  3. En 1703, une Girobank fut créée à Vienne : son principal objet était d’aider à éteindre les dettes de l’Empereur.
  4. Traité général du Commerce (1re édit. 1700 ; 4e édition, 1721, in-4o) p. 2.
  5. En 1602 la plus grande partie du capital de la Compagnie des Indes avait été souscrite à Anvers. Mais, peu à peu, les capitaux de cette ville s’étaient transportés à Amsterdam. V. Otto Pringsheim, Beitrœge zur wirthschaftlichen Entwickelungs geschichte der Niederlande im 17 und 18 Jahrhundert (Leipzig, Duncker und Humblot, 1890), p. 60.
  6. Tels étaient, par exemple, le banquier Gaspard van Gangelt établi à Paris en 1656, le banquier Salomon, établi à Bordeaux à la même époque, que nous voyons s’intéresser dans les entreprises de dessèchement des marais. V. l’Histoire du dessèchement des lacs et des marais en France, par le comte de Dienne (Guillaumin, 1890), pp. 44 et suiv.
  7. V. la description des opérations de cette banque dans le Traité général du Commerce, de Samuel Ricard, pp. 146-154. La banque de Rotterdam était organisée d’après les mêmes principes ; mais elle était moins importante, p. 154. V. aussi Instruction abrégée sur les livres à double partie, de Desaguliers (Amsterdam, 1721), pp. 7 et suiv. Ni l’une ni l’autre ne faisaient l’escompte ni n’émettaient de billets. Mais, étant donné l’état économique et les mauvais systèmes monétaires de l’époque, la sûreté des dépôts et la faculté des paiements par compensation devaient donner la prépondérance à la place qui jouissait d’une semblable institution. En 1780, la Banque d’Amsterdam fonctionnait encore de la même manière. V. le Traité général du commerce, en 2 volumes in-4, publiés à cette date dans cette ville, t. I, pp. 74 et suiv.
  8. V. Desaguliers, loc. cit., pp. 60 et 62.
  9. Les opérations à prime sont décrites très exactement dans un opuscule de N. Muys van Holy, Consideratien tot wederlegginge van de voorsteblinge (Ams­terdam, 1687), cité par Pringhsheim.
  10. Desaguliers, loc. citat., pp. 63-64.
  11. Manuscrit conservé au ministère des colonies et publié dans la Revue historique novembre-décembre 1890, pp. 327-330.
  12. Histoire des Israélites (Hachette, 1885), pp. 238-239.
  13. En 1781, le Traité général du commerce (in-4, Amsterdam) constate que pour cinq cents courtiers non jurés chrétiens, il y a cinquante courtiers juifs, et pour trente-trois cargadors (courtiers maritimes) chrétiens cinq juifs (tome I p. 71). Le magistrat avait établi ces proportions pour maintenir une pondération entre les éléments commerciaux de la ville. Les courtiers jurés étaient nécessairement chrétiens.
  14. D’après M. Th. Reinach (Histoire des Israélites, p. 247), la communauté juive de Hambourg, formée de réfugiés portugais, avait eu une grande part à l’établissement de la Banque de cette ville.
  15. V. le curieux recueil intitulé : Het groole Tafereel der dwaadsherd… (le Grand tableau de la Folie représentant l’origine, les progrès et le discrédit des actions et du commerce chimérique qui furent en vogue en France, en Angleterre et dans les Pays-Bas en 1720 ; formant un recueil de toutes les conditions et projets des Compagnies d’assurances, de navigation, de commerce, etc., établies dans les Pays-Bas, avec des estampes, des comédies et des poèmes publiés par différents auteurs pour flétrir cet exécrable et frauduleux commerce par lequel plusieurs familles et personnes de haute et basse condition ont été ruinées dans cette année. Imprimé pour l’avertissement de la postérité en cette fatale année). Voor veel Zotte en Wyze, 1720, in-f° (cote de la Bibliothèque Nationale, L. 38, b. 171).
  16. Sur l’introduction des juifs en Angleterre sous Cromwell, V. notre ouvrage les Précurseurs de la franc-maçonnerie au xvie et au xviie siècle (Palmé, 1887).
  17. V. Macaulay, Histoire du règne de Guillaume III.
  18. V. Octave Noël, les Banques d’émission en Europe (Berger-Levrault, 1888), t. I, pp. 1 à 9, et Thorold Rogers, the First nine years of the Bank of England (London, Mac-Millan, 1887).
  19. V. Montesquieu, Esprit des lois, livre XXII, chapitres xvii et xviii : Des dettes publiques, du paiement des dettes publiques. Il y est question uniquement du système financier de l’Angleterre, qui est proposé pour modèle à tous les autres pays.
  20. John Francis, Histoire de la Bourse de Londres, pp. 28, 32, 50 : un bill voté en 1753 accorda aux juifs les droits de citoyen.
  21. V. Richelieu et la monarchie absolue, par d’Avenel (Plon, 1884), t. II, pp. 323-324, 334, 365, 361.
  22. La Banque d’Écosse en 1696 alloua pour la première fois un léger intérêt aux dépôts à vue.
  23. Les abus du crédit et le désordre financier à la fin du règne de Louis XIV, par Vuitry (Revue des Deux Mondes, l5 décembre 1883 et 15 janvier 1884) ; M. Vuhrer (Hist. de la dette publique en France (1886), t. I, p. 142, estime qu’il est impossible d’évaluer avec certitude le montant de la dette publique, au moment de la mort de Louis XIV.
  24. C’était un des modes de recours au crédit les plus usités à l’époque. V. une lettre de Pontchartrain en novembre 1689 à l’intendant du Languedoc, à propos de l’établissement d’un siège de Présidial au Puy : « Il ne reste plus que de savoir si on les débitera (ces offices) dès à présent au profit du Roi ou si S. M. ne trouverait pas même son compte à en charger la province. Il sera toujours bon de vous assurer de marchands pour les débiter. » Correspondance des contrôleurs généraux avec les intendants, publiée par M. de Boislile, t. I, n° 778.
  25. Encyclopédie méthodique, vis Partisans et Traitants.
  26. Cette mesure avait été prise uniquement contre le surintendant Lavieuville et Beaumarchais, son beau-père, qui s’était enrichi de 10 millions en quelques années depuis qu’il était trésorier de l’Epargne. Une fois ces deux condamnations prononcées, un édit du 2 mai 1625 révoqua la Chambre avec une abolition pour les gens de finance à charge de payer les taxes auxquelles ils pourraient être condamnés par le Conseil. Cette recherche fit rentrer dans les coffres du Roi, 10.800.000 livres. V. d’Artigny, Mémoires, t. V, pp. 57-58.
  27. D’Avenel, Richelieu et la Monarchie absolue, t. IV, p. 24 ; Vuitry, lot. cit.
  28. Duhautchamp, Histoire du Visa, t. I, p. 14. Voltaire avait fait en 1717 une satire contre la Chambre de justice en faveur des Traitants. En 1721 il en fut récompensé par une participation dans une affaire financière obtenue suivant l’usage moyennant des pots-de-vin donnés aux personnes de la cour. V. Desnoireterres, la Jeunesse de Voltaire (1867), pp. 165-166, 216-221.
  29. Correspondance des contrôleurs généraux avec les intendants. Projet de capitation présenté par M. de Vauban en 1694, appendice, p. 563. Daguesseau, Mémoire sur le commerce des actions de la Compagnie des Indes, disait un peu plus tard : « Le mal que le luxe des Financiers avait causé dure encore et quelle proportion leur gain ou leur dépense avaient-ils avec ce que nous voyons aujourd’hui et ce que nous entendons dire des actionnaires ? »
  30. Richelieu, Testament politique, 1re partie, chapitre iv, section 4.
  31. V., dans la Revue historique de 1879 : un Banquier protestant en France au xviiie siècle, par M. Depping.
  32. V. tous ces édits dans le Banquier français ou la pratique des lettres de change suivant l’usage des principales places de France (Paris, 1724).
  33. Vuhrer, Histoire de la dette publique en France, t. I, p. 123.
  34. On organisait partout des sociétés par actions privilégiées. Un peu plus tard, en 1729, Voltaire, apprenant qu’on crée à Nancy une société par actions sous le patronage du duc, s’y rend en poste. Il réussit à souscrire 50 actions par la complaisance d’un prête-nom, car elles étaient réservées aux sujets du duc. «  J’ai profité de la demande de ce papier assez promptement, écrit-il peu après, et j’ai triplé mon or. » V. Desnoireterres, la Jeunesse de Voltaire, p. 412.
  35. V. dans le Journal des économistes de février 1863 : Un émule de Law, par de Lavergne.
  36. Dans cet exposé du système de Law et de sa liquidation, nous avons suivi surtout l’Histoire des banques en France, de M. Alph. Courtois (2e édit., Guillaumin, 1881).
  37. Au mois de mai 1718, le prix du marc d’argent fin s’éleva tout à coup de 43 livres à 65, et, depuis cette époque jusqu’au mois de mars 1724, il varia de 61 livres à 130. Leber, Appréciation de la fortune privée au moyen âge (2e édit.), p. 104.
  38. A l’apparition de l’édit du Visa, les actions tombèrent à 45 et 30 livres et les billets à 10 p. 100. Un peu plus tard, les actions remontèrent à 200 livres et les billets à 90 p. 100. Des bruits évidemment semés à dessein provoquèrent ces alternatives de hausse et de baisse, qui, malgré tous les édits détendant les transactions sur les titres de la Compagnie, se prolongèrent pendant plusieurs années. Les porteurs espérèrent toujours une reprise de faveur de Law tant que le Régent vécut.
  39. Les Huguenots et les Gueux (Bruges, 1884), t. III, p. 211.
  40. V. Denizart vis Aubaine et Rentes constituées ; Guyot, Répertoire, v° Rentes.
  41. Mun, England’s Treasure, 1664, chap. iv ; Roscher, Principes d’économie politique, § 187.
  42. Frignet, Histoire de l’Association commerciale, p. 267.
  43. Les mémoires du temps ont raconté les mésaventures amoureuses avec la Pélissier du Juif Dulys, qui était venu à cette époque à Paris, et qui, à la chute Système, avait dû se réfugier en Hollande. En 1721, Montesquieu faisait écrire à Elsbeck dans les Lettres persanes : Tu me demandes s’il y a des Juifs en France. Sachez que partout où il y a de l’argent, il y a des Juifs… Les Juifs n’ont jamais eu en Europe un calme pareil à celui dont ils jouissent maintenant. On commence à se défaire parmi les chrétiens de cet esprit d’intolérance qui les animait. » (Lettre LX.)
  44. V. Laspeyres, Geschichte der Volkswirthschaftlichen Anschauungen der Niederlænder zur zeit der Republik (Leipzig, 1863), p. 273.
  45. Laspeyres, op. cit., p. 254, et F.-W. Pestel, Commentarii de Republica Batavorum (2e édit. Lugd. Batav., 1795), t. I, p. 494.
  46. Silhouette, Observations sur les finances, le commerce et la navigation de l’Angleterre. Cf. Robert Giffen, the Growth of capital, p. 91.
  47. Laspeyres, op. cit., p. 247.
  48. Cunningham, Growth of english commerce and industry, pp. 336 et suiv.
  49. Pestel, op. cit., t. I, p. 494. Traité général du commerce (Amsterdam, 1781), t. I, pp. 208-211.
  50. En 1730 l’on essaya d’émettre à Londres un emprunt de 400.000 liv. st. pour l’Empereur d’Allemagne. Il fallut un bill spécial du Parlement obtenu à grand peine par Robert Walpole pour l’empêcher. Francis, Histoire de la Bourse de Londres, p. 83.
  51. Traité général du commerce, t. I, p. 210. Les emprunts autrichiens faits sous Marie-Thérèse étaient émis à la fois à Amsterdam par la maison Hope et Goll et à Francfort par les Bethmann frères. Ils étaient placés au pair et étaient très recherchés du public. Le crédit de l’Autriche baissa beaucoup à partir de la Révolution.
  52. Tome II, p. 233. C’est cette évaluation qu’Adam Smith reproduit en 1778 dans son Essai sur la richesse de la Hollande, quand il parle de 1.500 millions de livres placés par la Hollande en fonds français et anglais.
  53. Laspeyres, op. cit., pp. 279 et suiv. Max Wirth, Geschichte der Handels-Krisen (3e édit. Francfort, 1883), et Clément Juglar, Des crises commerciales et de leur retour périodique (2e édit.), pp. 296-297.
  54. Staatslexikon de la Gœrresgesellschaft, v° Banken. En Angleterre, un projet de banque foncière avait été mis en avant peu après la révolution de 1688 par un nommé Chamberlain. La Land bank avait été incorporée ; mais la souscription aux actions échoua devant le bon sens des capitalistes. La combinaison reposait sur le prêt à l’État du montant des espèces métalliques versées par les actionnaires et sur l’émission, par le Trésor, d’un papier-monnaie avec lequel il aurait fait des prêts à bon marché aux propriétaires obérés !V. Thorold Rogers, the first nine years of the bank of England (London, 1887).
  55. Recherches et Considérations sur les finances, t. I, p. 372.
  56. En Espagne, au milieu du xviiie siècle, les capitalistes prêtaient volontiers à 2 et 3 p. 100 aux sociétés commerciales qui offraient des garanties solides, dit Bourgoing, Tableau de l’Espagne moderne (1789), tome I, p. 248. Il en était de même à Gênes. V. Roscher, Principes d’économie politique, §§ 185-186.
  57. Sur ces alliances, V. entre autres les Financiers d’autrefois, par Me Alix de Janzé (Ollendorf, 1886) et M. de Silhouette, Bourret, les derniers fermiers généraux, par Pierre Clément et Alfred Lermina (Paris, 1878).
  58. Une famille de finance au xviiie siècle, 2 vol. (Paris, Hetzel, 1881). Cf. Encyclopédie méthodique, dictionnaire des Finances, vis Adjudicataire, bail, ferme.
  59. V. entre autres le témoignage d’Arthur Young, Voyages en France (édi­tion de Lavergne), t. II, p. 274.
  60. V. Alph. Courtois, Histoire des Banques en France (2e édit.), pp. 84 à 96.
  61. Noël, les Banques d’émission en Europe (Guillaumin, 1888), t. I, p. 245.
  62. Il y avait aussi une Bourse et des agents de change à Lyon. V. entre autres l’édit du 29 mars 1772, qui les érige en titre d’office.
  63. Le nombre de 60 fut rétabli par l’édit du 10 septembre 1786, qui autorisa en même temps les titulaires à avoir des commis pour les assister à la Bourse.
  64. Compte rendu au Roi, par Necker, 1781, p. 17. Beaucoup d’emprunts de cette époque, qui sont qualifiés de loteries, étaient en réalité des émissions d’obligations à lots remboursables dans d’assez courtes périodes par voie de tirage au sort. Un intérêt de 4 p. 100 était assuré même à celles qui n’étaient remboursées qu’au pair.
  65. Félix Faure, les Assemblées de Vizille et de Romans (Grenoble, 1889), p. 27.
  66. Journal des économistes, octobre et novembre 1886.
  67. Parmi les valeurs qui devaient être l’objet de négociations, étaient les actions de la Compagnie générale des Assurances, créée à Paris par le sieur Labarthe, en 1786. Des compagnies d’assurances de toute sorte s’étaient créées en Angleterre depuis 1688. C’était un des traits par lesquels la supériorité économique de ce pays se manifestait.
  68. Les Etrennes financières ou recueil des matières les plus importantes en finances, banque, commerce, etc., lre année, 1789, 2e année, 1790, 2 vol. in-8, Paris.
  69. Dans ce pamphlet, Mirabeau déclame contre l’agiotage et prétend que les seuls moyens de l’arrêter sont la liberté de la presse et une constitution !Cela indique l’absence de toute valeur scientifique de cet opuscule passionné et déclamatoire. Deux autres pamphlets que Mirabeau avait fait paraître en 1785, l’un sur la Compagnie des eaux, l’autre sur la Caisse d’escompte, paraissent avoir été écrits uniquement pour favoriser des spéculations à la baisse sur ces valeurs. M. de Loménie, dans l’étude que nous avons citée, a remarquablement reconstitué l’ensemble des campagnes de Bourse au milieu desquelles Mirabeau se jeta. Beaumarchais était à la solde d’un autre groupe de financiers.
  70. Les Interventions du Trésor à la Bourse depuis cent ans, par Léon Say (1886), pp. 2 et suiv.
  71. Quelques extraits du texte même de ces édits doivent être cités ici :« Sur ce qui a été représenté au roi, par les commissaires députés des actionnaires de la Caisse d’escompte, que depuis trois mois, et notamment dans les derniers jours du mois de décembre, il s’était fait sur les dividendes des actions de cette caisse un trafic tellement désordonné qu’il s’en était vendu quatre fois plus qu’il n’en existe réellement ; que la preuve en était acquise et mise sous les yeux de S. M. par l’exhibition d’une grande quantité de marchés qui portent la réserve de leur inexécution, moyennant des primes payables comptant, en proportion du prix plus ou moins fort que les dividendes pourraient acquérir ; qu’ils croyaient de leur devoir de dénoncer à S. M. un abus qui pourrait compromettre la fortune de ses sujets…… » (Arrêt du Conseil du 24 janvier 1785.) « Le roi est informé que, depuis quelque temps, il s’est introduit dans la capitale un genre de marchés ou de compromis, aussi dangereux pour les vendeurs que pour les acheteurs, par lesquels l’un s’engagea fournir, à des termes éloignés, des effets qu’il n’a pas, et l’autre se soumet à les payer sans en avoir les fonds, avec réserve de pouvoir exiger la livraison avant l’échéance, moyennant l’escompte : que ces engagements qui, dépourvus de cause et de réalité n’ont, suivant la loi, aucune valeur, occasionnent une infinité de manœuvres insidieuses, tendant à dénaturer momentanément le cours des effets publics, à donner aux uns une valeur exagérée et à faire des autres un emploi capable de les décrier, qu’il en résulte un agiotage désordonné….. » (Arrêt du Conseil du 7 avril 1785.)
  72. Mirabeau, op. cit., pp. 26 et suiv., et Anquetil-Duperron, Dignité du commerce et de l’état de commerçant (Paris, 1789).
  73. Mémoires d’un ministre du Trésor, t. I, p. 70.
  74. V. A. de Janzé, les Financiers d’autrefois, p. 335.