Le fort et le château Saint-Louis (Québec)/15

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Texte établi par Librairie Beauchemin, Limitée (p. 199-213).


XV


Un odieux personnage. — Dialogue historique. — La guerre de 1812. — Le fort Saint-Louis en 1815. — Les restes du duc de Richmond. — L’incendie du château Saint-Louis (23 janvier 1834). — La terrasse Durham. — Événements politiques. — Destruction.



Parmi les personnages qui fréquentèrent le château Haldimand pendant le séjour qu’y firent les gouverneurs, il faut citer le notoire Herman-Witrius Ryland, secrétaire intime de Lord Dorchester et de ses quatre successeurs, puis membre du Conseil Législatif et secrétaire du Conseil Exécutif. Il écrivait, le 23 décembre 1804, les lignes suivantes qui font voir tout ce qu’il y avait de fanatisme et de fiel au fond de son cœur : We have been mad enough to allow a company of French rascals to deprive us for the moment of the means of accomplishing all this (la domination de l’anglicanisme dans le Bas-Canada) ; but one prudent decisive step might rectify this absurdity. Il fit l’impossible pour empêcher M. Dunn, administrateur de la colonie, de reconnaître Mgr Plessis comme évêque de Québec et d’accepter son serment de fidélité au roi d’Angleterre. Il écrivit à ce sujet : « Je méprise et je hais la religion catholique, parce qu’elle ravale l’esprit humain et qu’elle est fatale à tous les pays où elle existe. »

Le gouverneur intérimaire passa outre.

En 1807 arriva à Québec le gouverneur Sir James-Henry Craig, — dont nous avons déjà parlé, — qui devait s’entendre parfaitement avec cet odieux personnage[1].

Craig, dit M. Garneau, était un officier de quelque réputation, mais un « administrateur fantasque et borné, qui déploya un grand étalage militaire et parla au peuple comme il eût parlé à des recrues soumises au fouet. »

Ainsi que nous l’avons déjà dit, ce gouverneur aux étranges allures quitta, quelques mois avant son départ de Québec, le château Haldimand, dépendance du château Saint-Louis, pour aller habiter ce dernier édifice. Ce fut dans une des salles du château Saint-Louis qu’eut lieu, au mois de juin 1811, le célèbre dialogue entre sir James Craig et Mgr Plessis, dans lequel le gouverneur voulut jouer au Napoléon.[2] L’illustre évêque qui devait plus tard obtenir de l’Angleterre, pour l’Église du Canada, une indépendance que celle-ci n’avait connue ni sous le nouveau régime, ni même sous le régime français, déploya en cette circonstance autant de fermeté que de tact et de modération. Il était d’ailleurs fort instruit, et avait une connaissance étendue des lois anglaises touchant le domaine religieux. Craig, qui voulait que le roi de la Grande-Bretagne nommât les évêques et les curés canadiens, et ignorait la doctrine catholique relativement à la juridiction spirituelle, tenta de faire briller aux yeux du prélat les avantages matériels qui lui reviendraient en acceptant la suprématie ecclésiastique du roi. Le prélat ne prononça pas le mot comediante, qui échappa, a-t-on dit, à Pie VII dans l’entretien de Fontainebleau, quelques mois plus tard, mais il exposa d’une façon lucide[3] la doctrine de l’Église à son interlocuteur, moins susceptible de la comprendre qu’était Napoléon.

Les événements de la « guerre de 1812 » vinrent servir nos intérêts. Mis en suspicion, maltraités dans leurs chefs par une caricature de potentat, les Canadiens n’avaient rien perdu de leur loyauté, et ils oublièrent généreusement leurs griefs lorsque sir George Prevost, successeur de Craig, leur témoigna une confiance qui était à leur honneur réciproque. La guerre ayant été déclarée, en 1812, entre l’Angleterre et les États-Unis (à propos du droit de visite), le gouverneur donna la garde de sa capitale aux Canadiens-Français. Il n’en fallait pas davantage pour faire éclater la générosité et les sentiments chevaleresques de nos pères. Le plus brillant fait d’armes de cette campagne de 1812, 1813 et 1814, fut la bataille de Châteauguay (26 octobre 1813), où le colonel de Salaberry et ses trois cents voltigeurs franco-canadiens défirent sept mille Américains commandés par le général Hampton.[4] Après la guerre, l’Angleterre victorieuse et reconnaissante confirma les promesses faites par sir George Prevost à l’évêque de Québec, et tous les droits des Canadiens-Français, relativement au domaine religieux, furent enfin et définitivement reconnus.

Monsieur Joseph Bouchette, dans sa Description topographique de la province du Bas-Canada, publiée à Londres en 1815, s’exprime ainsi :

« En 1759, la population de Québec se montait à environ huit à neuf mille âmes ; à présent, y compris les faubourgs, elle est d’à peu près 18,000. Les édifices publics sont le château Saint-Louis, l’Hôtel-Dieu, le couvent des Ursulines, le monastère des Jésuites, actuellement converti en casernes, les cathédrales protestante et catholique, l’église écossaise, l’église de la basse-ville, la maison de Justice, le séminaire, la nouvelle prison, et les casernes de l’artillerie ; il y a deux marchés, une place d’armes, une parade et une esplanade. De ces bâtiments, le château Saint-Louis étant l’objet le plus saillant sur le sommet du rocher, mérite le premier d’être remarqué ; c’est un beau


LE CHÂTEAU ST-LOUIS, QUÉBEC.
Détruit par le feu le 23 janvier 1834. — D’après un dessin de W.-S.
Sewell, copié par Geo. St-Michel.

bâtiment de pierre, situé près du bord d’un précipice d’un peu plus de deux cents pieds de hauteur, et soutenu de ce côté par un ouvrage solide en maçonnerie, qui s’élève jusqu’à la moitié de l’édifice, et surmonté d’une galerie spacieuse d’où l’on a une vue très imposante du bassin, de l’Île d’Orléans, de la Pointe-Lévi, et du pays d’alentour. Le bâtiment a en totalité 162 pieds de long sur 45 de large ; il a trois étages, mais du côté du Cap il paraît beaucoup plus haut : chaque extrémité est terminée par une petite aile qui donne au tout ensemble un air libre et régulier ; la distribution intérieure est commode, les décorations sont pleines de goût et magnifiques, et convenables à tous égards à la résidence du Gouverneur Général. Il fut bâti peu après que la ville eût été fortifiée par des ouvrages réguliers, par conséquent il offre assez peu de beautés qui puissent attirer l’attention : pendant une longue suite d’années il fut négligé au point qu’on le laissa dépérir, et cessant d’être la résidence du commandant en chef, il ne servit plus qu’aux bureaux du gouvernement, jusqu’en 1808, alors que le parlement provincial adopta une résolution pour le réparer et l’embellir ; on vota en même temps pour cela la somme de 7000 livres sterling, et on commença aussitôt les travaux. L’argent qui était destiné à cet objet ne se trouva pas suffisant pour défrayer les dépenses d’après la grande échelle sur laquelle les améliorations avaient été commencées ; mais on vota une somme additionnelle pour couvrir tous les frais, et à présent, comme résidence du représentant de Sa Majesté, il fait beaucoup d’honneur à la libéralité et à l’esprit public de la province. Sir James Craig fut le premier qui en prit possession. La partie appelée proprement le Château, occupe un côté de la place ou de la cour ; du côté opposé est un vaste bâtiment[5] divisé en différents bureaux du gouvernement tant civil que militaire, qui sont sous les ordres immédiats du gouverneur ; il contient aussi une belle enfilade d’appartements, où se donnent toujours les bals et les autres amusements de la cour. Durant l’état de dépérissement du Château, ce bâtiment était occupé par la famille du Gouverneur. L’extérieur aussi bien que l’intérieur est dans un style très simple ; il forme une partie de la courtine qui s’étendait entre les deux bastions extérieurs de l’ancienne forteresse de Saint-Louis ; tout auprès sont d’autres bâtiments plus petits servant à de semblables usages, un corps de garde, des écuries, et un vaste manège.[6] La forteresse de Saint-Louis couvrait environ quatre acres de terrain, et formait presque un parallélogramme ; du côté de l’ouest, deux forts bastions à chaque angle étaient unis par une courtine, au centre de laquelle était une porte pour les sorties ; les autres faces présentaient des ouvrages d’une description à peu près semblable, mais d’une moindre dimension. Il ne reste plus que quelques vestiges de ces ouvrages, excepté le mur de l’ouest qu’on tient en bonne réparation. Le nouveau corps de garde et les écuries, qui font face à la parade, ont un très joli extérieur ; le premier forme l’arc d’un cercle, et a une colonnade sur le devant ; les écuries tiennent au manège, qui est spacieux et en tout point très propre à son usage ; il sert aussi pour exercer la milice de la ville. Au sud-ouest du Château, il y a un excellent jardin bien cultivé, de 90 toises de longueur sur 35 de largeur, et de l’autre côté de la rue des Carrières, il y en a un autre de 53½ toises de longueur sur 42 de largeur, l’un et l’autre pour l’usage du Gouverneur ; le dernier avait d’abord été destiné à former une promenade publique, et plante de beaux arbres dont il reste encore

plusieurs. »


Le chateau Saint-Louis après sa dernière restauration (1808-1811)
Vue prise de l’intérieur du Fort.
D’après un dessin conservé au séminaire de Nicolet.
(Collection de l’abbé Bois.)

Les lignes suivantes, extraites de la Vie de Madame C.-E. Casgrain (née Baby), m’ont été communiquées par un des collaborateurs de cet ouvrage intime, intéressant à plus d’un titre :

« Les premières visites de Mme Casgrain au château Saint-Louis, dont elle a gardé un souvenir distinct, datent de 1819. Charles Lennox, duc de Richmond, était alors gouverneur. Quoique arrivé depuis peu dans le pays, il était universellement reconnu pour un ennemi des Canadiens et souverainement détesté. La plupart de ceux qui n’étaient pas obligés de faire acte de présence au château, par suite des devoirs de leur charge ou de leur position, s’abstenaient d’y paraître. Aussi les réceptions et les bals du gouverneur avaient plus que jamais une physionomie anglaise. Les réceptions avaient lieu aux salons du château Saint-Louis ; mais les bals se donnaient en face, dans les salles plus vastes du nouveau château bâti par Haldimand, qui a subi, depuis, bien des vicissitudes, et qui a enfin été converti de nos jours en école normale. »

« L’espace libre que l’on voit entre cet édifice et celui de la poste était fermé d’une enceinte de murs auxquels se rattachaient les écuries du gouverneur et le corps de garde situé près de l’entrée qui donnait accès à la cour du château Saint-Louis, et qui s’ouvrait près du pignon de l’école normale actuelle.[7] Un chemin sablé, soigneusement entretenu, faisait le tour de la cour intérieure du Château, dont la façade, peu élevée de ce côté, était d’une architecture très simple. En entrant dans le vestibule, on remarquait la largeur des escaliers qui conduisaient aux salons de réception, et qui avaient vraiment de la majesté. Les salons eux-mêmes étaient d’un goût sévère ; ils respiraient cependant de la solennité, surtout quand on se rappelait tous les personnages célèbres de notre histoire qui y avaient passé, depuis Frontenac, Montcalm, Dorchester, jusqu’aux princes d’Angleterre. Dans le cours de l’été de 1819, le château Saint-Louis présentait une animation inaccoutumée. Les gardes anglaises étaient doublées à toutes les issues, et une foule nombreuse entrait et sortait sans interruption du château. Le silence de cette foule indiquait une cérémonie funèbre. En effet, elle venait visiter la chambre mortuaire du duc de Richmond, enlevé par une mort tragique dans laquelle la croyance populaire voyait un châtiment de Dieu. On pouvait, raconte notre mère, lire sur toutes les figures qu’on rencontrait une expression de soulagement et de satisfaction secrète.

« Le principal ornement de la chambre funèbre, qui attirait l’attention du monde, consistait en quatre magnifiques candélabres placés autour du catafalque, et qui appartenaient à la famille du noble Lord.

« Chacun racontait à sa manière les incidents de la mort du duc. Mordu par un renard captif, avec lequel il avait voulu jouer en passant à Sorel, au moment où il se rendait à la chasse, il ressentit, au milieu de la forêt, les premières atteintes de la rage que ce renard, pris d’hydrophobie sans que personne ne le sût, lui avait communiquée.[8] Dès que les gens de sa suite s’en furent aperçus, ils l’engagèrent à descendre à Québec. Il partit en effet ; mais du moment qu’il entrevit l’eau de la rivière Ottawa, où il fallait s’embarquer, l’horreur hydrophobique s’empara de lui, et il s’enfonça de nouveau dans la forêt. On l’entendait s’écrier, en se parlant à lui-même : « Lennox, be a man. » Mais sa volonté était vaincue : impossible d’avancer. Il fallut l’entraîner malgré lui et le lier dans le canot, où les convulsions de la rage, en entendant le clapotement de l’eau autour de lui, le mirent dans un état indescriptible.

« Il mourut peu de temps après, avant même d’arriver à Québec. Cette fin tragique fit une grande sensation dans tout le pays. »

Le duc de Richmond remplissait les fonctions de gouverneur depuis l’année précédente. Son corps fut inhumé dans l’église anglicane de Québec, où on lui érigea un monument.

La mort ne devait plus pénétrer dans cette forteresse Saint-Louis qui avait vu s’éteindre Champlain, Mésy, Frontenac, Callières, Vaudreuil, La Jonquière, et avait abrité la dépouille mortelle du duc de Richmond. Le Château lui-même eut bientôt à subir la loi commune de la destruction des œuvres humaines : l’incendie, qui avait déjà détruit tant d’édifices et d’espérances dans la ville de Québec, devait encore faire disparaître ce monument par excellence des luttes et des gloires du passé. Sous le titre : « Incendie du Château Saint-Louis, » la Gazette de Québec du 25 janvier 1834 publia les lignes suivantes qui créèrent une profonde impression dans tout le Canada :

« Cet édifice, qui servait de domicile depuis 150 ans, au moins, aux gouverneurs en chef de tout le territoire présentement connu comme l’Amérique Britannique du Nord, et l’un des objets les plus saillants de Québec vu du côté du port, et qui dominait le précipice qui se trouve entre la citadelle et la basse-ville, est devenue la proie des flammes. Avant-hier, vers midi, le feu éclata dans une chambre, au troisième étage, vers la partie sud de la bâtisse, occupée par M. le capitaine McKinnon, aide-de-camp et bien qu’on s’en fût aperçu de bonne heure, et qu’on employât tous les moyens pour en arrêter les progrès, néanmoins il s’étendit avec une rapidité étonnante dans l’étage supérieur, et continua à brûler en descendant, en dépit de tous les efforts des troupes et d’une douzaine de pompes. Maintenant il se présente aux regards avec ses cent ouvertures, ses cheminées à nu, et ses murs dévastés et noircis par les flammes. Hier l’après-midi une couple de pompes essayaient encore d’éteindre le feu dans l’aile du sud.

« Il fut originairement bâti par les Français dans un temps qu’on ne peut fixer d’une manière certaine ; et quoiqu’il ait été changé et embelli, particulièrement sous l’administration de sir James Craig (ce qui coûta 10,000 £ à la province), ce sont encore les murs originairement bâtis, lesquels ont échappé, sauf quelques légers dommages, au siège de 1759 par les Anglais, à celui de 1775 par les Américains et au bombardement par sir William Phipps en 1690[9].

« Depuis une cinquantaine d’années[10] après la découverte du pays, cette place a été successivement le quartier-général de toutes les possessions françaises, à l’époque où elles comprenaient toute l’Amérique Britannique du Nord actuelle, ainsi que la Louisiane et les territoires le long du Mississipi ; et depuis 1759 jusqu’en 1778, que s’effectua l’indépendance américaine, devint le siège du principal commandant de tout le continent de l’Amérique du Nord.

« Ce château était occupé, lors de l’incendie, par le lieutenant-général Aylmer, gouverneur-en-chef, et Lady Aylmer, le capitaine McKinnon, des grenadiers de la garde, et le capitaine Doyle, du 24e de ligne, aide-de-camp, et le lieutenant Paynter, extra aide-de-camp. Le secrétaire militaire (M. le capitaine Airey), occupait des appartements dans l’édifice communément appelé le vieux château, lequel cependant a été construit par les Anglais après la conquête, et dont on se sert en partie pour les repas et les danses. Les documents publics qui appartiennent à l’administration furent sauvés à temps, ainsi que l’argenterie et la plus grande partie de l’ameublement, qui néanmoins a été endommagé.

« Son Excellence avait fait assurer pour 3,000 £, au bureau de Québec, le ménage qui est vendu par le dernier gouverneur au suivant, à chaque changement d’administration.

« Le matin de l’incendie, le thermomètre avait marqué 22° au-dessous de zéro, et tant qu’il a duré, le froid a été depuis 2° jusqu’à 8° au-dessous de zéro, accompagné d’un vent perçant, qui soufflait de l’ouest au sud-ouest. La plupart des pompes ne pouvaient pas jouer, à cause du froid, et on n’aurait pu en retirer beaucoup d’avantage sans l’eau chaude qui fut généreusement fournie par les brasseries de MM. Racey, McCallum et Quirouet, et par les communautés religieuses.

« Les citoyens et les troupes se sont signalés par leurs efforts ; mais vu l’impossibilité où l’on était d’atteindre la partie de l’édifice qui donnait sur le précipice, on vit bientôt qu’on ne pourrait réussir à arrêter le progrès des flammes.

« Il en coûtera probablement £25,000 à £30,000 pour construire un nouveau château ; mais la beauté et l’étendue du terrain permettront d’y ériger un très bel édifice, qui pourra faire l’ornement de Québec. La propriété appartient au gouvernement militaire.

« Pendant l’incendie, Lord et Lady Aylmer sont restés chez le Col. Craig ; et ils y sont restés depuis. Ils cherchent à louer une maison en ville. Le feu régna avec une grande violence pendant toute la nuit de jeudi, et on donna de fréquentes alarmes, dans la crainte où l’on était que les maisons des rues La Montagne et Champlain, qui se trouvent au pied du cap, ne prissent en feu par les flammèches que poussait le vent, et les pièces de bois embrasées qui tombaient sur les maisons ou dans les cours ; heureusement la neige qui se trouvait sur les toits, a préservé les maisons, et il n’en a été que cela. Si l’incendie fût survenu en été, bien des propriétés auraient été détruites dans la basse-ville. »

Après l’incendie du 23 janvier 1834, le nom de château Saint-Louis fut donné au château Haldimand dans les documents officiels.

Lord Gosford, successeur de Lord Aylmer, avait sa résidence sur le cap, mais les journaux de l’époque parlent fréquemment des dîners qu’il donnait au château.

Lord Durham fit raser, en 1838, les ruines du château incendié en 1834, et fit construire sur une partie des fondements de l’ancien édifice, à environ 180 pieds au-dessus du niveau de la basse-ville, une terrasse ou plate-forme mesurant 160 pieds de longueur (du nord au sud), avec balustrade en bois du côté du fleuve. Cette terrasse fut agrandie et construite dans sa forme actuelle, sur une longueur de 276 pieds, par l’honorable M. Chabot, alors ministre des Travaux Publics, en 1854, puis continuée en 1879, jusqu’au pied de la redoute du cap Diamant, par le gouvernement du Canada et la ville de Québec, d’après les conseils de Lord Dufferin. Elle a maintenant 1 400 pieds de longueur, du nord au sud, c’est-à-dire depuis l’emplacement de l’ancien château Saint-Louis jusqu’au pied de l’ouvrage le plus avancé de la citadelle.

La « plate-forme » chère aux Québecquois est connue de toute l’Amérique à cause du panorama éblouissant que l’œil y découvre de tous côtés. Depuis 1838, on lui a donné les noms de Plate-forme Saint-Louis, Terrasse Durham, Terrasse Frontenac, Terrasse Dufferin[11] : pour tous les étrangers, elle est l’unique, l’incomparable Terrasse de Québec, la promenade aux vastes horizons, souvent animée par la présence d’une foule joyeuse, toujours peuplée de rêveurs, d’artistes, de poètes et de souvenirs.

Nous touchons à une époque trop rapprochée de nous pour qu’il soit nécessaire de rappeler les événements importants qui s’y sont succédé. Après l’incendie du 23 janvier 1834, le gouvernement loua l’hôtel Union, en face de la Place d’Armes, pour y installer la plupart des bureaux publics. De 1838 à 1840, sous le régime du Conseil Spécial, le siège du gouvernement fut la ville de Montréal. Après l’Union et jusqu’à l’établissement de la Confédération, la capitale, et, partant, la résidence des gouverneurs, fut fixée tour à tour dans le Haut ou le Bas Canada. Ainsi, le Parlement siégea à Kingston, de 1841 à 1843 ; à Montréal, de 1844 à 1849 ; à Toronto, de 1850 à 1851 ; à Québec, de 1852 à 1855 ; à Toronto, de 1856 à 1859 ; à Québec, de 1860 à 1865 ; à Ottawa, en 1866.

De 1852 à 1855 et de 1860 à 1865 le château Haldimand fut occupé par des bureaux publics.

Un lugubre événement, le feu du théâtre, se produisit au fort Saint-Louis en 1846, et vint continuer l’œuvre de destruction commencée en 1834, et qui devait se poursuivre par l’action du temps d’abord, puis par la démolition d’une partie des murailles et de quelques petits bâtiments en 1854, puis enfin par la démolition du château Haldimand et du « magasin des poudres » en 1892.



  1. Ryland se rendit à Londres pour appuyer de sa parole un mémoire de Craig qu’il avait indubitablement inspiré et dont l’objet était de détruire tout ce qui était catholique et français dans le Bas-Canada. On répondit à l’envoyé de Craig qu’il avait raison en principe, mais qu’il ne fallait pas oublier que les Canadiens étaient en majorité dans leur pays. Le « mémoire » fut mis de côté. Plus tard, vers 1820, un autre fanatique, le juge Sewell, fit des instances auprès du gouvernement de la métropole pour que l’union de toutes les provinces britannique de l’Amérique du Nord fût décrétée, dans un but d’anglicisation et d’écrasement pour les Canadiens-Français. L’Angleterre ne voulut rien faire alors contre ses fidèles sujets du Bas-Canada, et ce ne furent que les imprudences de ceux qui préparèrent la regrettable insurrection de 1837, et cette insurrection elle-même, qui nous valurent le régime du Conseil Spécial, puis l’union des deux Canada dans des conditions difficiles, « dangereuses » sous certains rapports, ruineuses et injustes au point de vue financier.
  2. Mgr Plessis dit que l’entretien dura sept quarts d’heure ; sir James Craig dit qu’il dura deux heures et demie. Il est évident que l’un des deux personnages avait trouvé le temps plus long que son interlocuteur.
  3. Rentré chez lui, Mgr Plessis s’empressa d’écrire ce qu’il venait de dire au gouverneur.
  4. La « guerre de 1812 » se termina par le traité de Gand, du 24 décembre 1814. « La bataille de Châteauguay surtout fut décisive. On l’a comparée, non sans raison, aux Thermopyles, et le nom de Salaberry a été exalté, en prose et en vers, à l’égal de celui de Léonidas. Si cet enthousiasme a pu paraître excessif à raison de la courte durée de l’engagement et du petit nombre de tués et de blessés de notre côté, la résistance à des forces si supérieures et les résultats qu’elle a eus suffisent pour le justifier. Ce n’est, si l’on veut, qu’une vive fusillade, un éclair au coin d’un bois ; mais cet éclair a illuminé tout notre avenir. Il a fait voir encore une fois à l’Angleterre qu’elle devait compter avec nous ; il a donné raison à la politique du général Prevost. » — P.-J.-O. Chauveau.
  5. Le château Haldimand.
  6. Transformé en théâtre vers 1839. Détruit par un incendie le 12 juin 1846.
  7. Ces lignes fuient écrites vers 1870. — E. G.
  8. D’après M. A.-G. Doughty, ce fut la morsure d’un chien favori, et non celle d’un renard, qui causa la mort du gouverneur. — E. G.
  9. Le Château qui existait en 1690 fut rasé en 1694 ; mais il est exact de dire que les murs du deuxième château, dont la construction fut commencée en 1694, avaient résisté aux sièges de 1759 et de 1775. — E. G.
  10. Près de cent ans. — E. G.
  11. Il y a, à Québec, une très belle avenue appelée Avenue Dufferin. Elle court parallèlement à la façade du Palais Législatif, et traverse le terrain des Glacis, non loin du mur d’enceinte qui sépare la porte Saint-Louis de la porte Kent. On sait que la construction de la porte Kent et la reconstruction de la porte Saint-Louis sont dues à l’initiative du marquis d’Ava, comte de Dufferin. Ces deux ouvrages sont fort remarquables.