Le mécanisme du toucher/04
IV
les empreintes et la souplesse des mouvements
L’étude du mécanisme du toucher appliqué aux actes même les plus simples, offre un intérêt réel par l’analyse des empreintes du toucher et de leurs rapports avec le caractère des mouvements.
C’est par les dispositions des contacts que nous établissons la forme d’un objet que nous touchons ; car si prenons, par exemple, alternativement la même bille entre les doigts des deux mains, à moins que nous soyons gauchers, elle ne nous paraît sphérique que dans la droite. Dans la main gauche, non seulement nous lui attribuons de plus grandes dimensions, mais elle nous fait l’effet d’une pâte molle dont les facettes changent avec chacun de nos attouchements.
Voici comment les empreintes nous révèlent les causes de ces genres de différences des sensations tactiles. Si nous posons la région la moins sensible de l’index et la région la plus sensible du médius sur une bille entourée d’une petite bande de papier, afin de la mouvoir sur une table par un mouvement de va-et-vient, les contacts se superposeront avec une exactitude parfaite. Dans cette fusion des deux empreintes, les lignes papillaires convergeront de façon à dessiner en quelque sorte les contours de la bille (voir fig. 12).
Si nous renouvelons les empreintes en croisant les doigts de façon à poser la région plus sensible de l’index à droite et la région moins sensible du médius à gauche, nous aurons l’illusion de toucher deux billes, et les contacts évoqueront en quelque sorte les contours des deux billes que nous croyons toucher (voir fig. 13).
Donc en rapprochant les résultats des empreintes, nous voyons comment les dispositions des contacts figure 12 et figure 13 peuvent nous faire sentir que nous touchons une seule bille ou nous faire croire que nous en touchons deux.
L’illusion évoquée, en touchant la même bille successivement avec les deux mains, provient, comme les empreintes le prouvent, de causes non moins précises. Car nous attribuons les divergences des dispositions papillaires de nos contacts à des divergences de formes de l’objet que nous touchons qui, dès lors, aussi arrondi qu’il soit, ne peut pas nous apparaître tel.
Voici comment nous avons reconnu ce fait : pour maintenir la bille de la main droite nous avons fléchi la phalangette du pouce et posé la région la moins sensible de l’index entre le contact le plus sensible du médius et le contact du pouce ; cet agencement nous a permis de communiquer aux trois doigts des mouvements de va-et-vient et d’obtenir la superposition partielle des trois empreintes en faisant mouvoir la bille (voir fig. 14).
Nous avons localisé ensuite les trois premiers doigts de la main gauche par le même agencement, mais sans obtenir le même résultat, car le mouvement de va-et-vient par lequel les trois contacts doivent être fusionnés n’a pu être réalisé. Ce manque de souplesse du toucher est expliqué par le caractère des empreintes (voir fig. 15). Tandis que nous voyons fig. 14 les trois contacts non seulement fusionner, mais ébaucher pour ainsi dire les contours de la bille tenue entre nos doigts, la figure 15 au contraire nous offre des contacts disparates qui s’opposent à la réalisation des mouvements souples. On peut donc admettre que les empreintes, figure 14 et figure 15, pré-sentent des différences si considérables de contacts et par conséquent de mouvements, que nous avons réellement agi comme si nous avions touché des objets différents avec les deux mains.
Les mêmes phénomènes sont obtenus si nous prenons successivement un anneau en acier entre les cinq doigts des deux mains. Les représentations de l’anneau ne conserveront des contours corrects que dans la main droite où, avec les cinq empreintes réalisées (voir fig. 16), nous pouvons reconstituer la moitié de sa circonférence (voir fig. 16 bis). Dans la main gauche la reconstitution des contours circulaires ne peut se faire en raison de l’incohérence des contacts réalisés (voir fig. 17).
Le phénomène qui nous intéresse en particulier dans ces expériences, c’est que dans la main droite nous communiquons à l’anneau pendant la réalisation des empreintes, des mouvements de va-et-vient rapides etcontinus, parce que les cinq doigts restent très mobiles. Dans la main gauche, quoique nous appliquions le même agencement à nos contacts, la raideur, la crispation de nos doigts nous empêchent de mouvoir l’anneau. Donc nous ne pouvons mouvoir l’anneau que lorsqu’il ne nous paraît pas déformé, grâce à la correspondance exacte des lignes papillaires des contacts.
Dans l’exécution musicale cette correspondance des contacts exerce une action non moins remarquable sur la beauté de la sonorité et sur le caractère du style. Qu’il s’agisse de formes palpables ou non, notre cerveau conçoit par la coordination des attouchements, l’unité dans les diversifications.
En raison de ces faits, il y a des rapports indéniables entre les contacts réalisés par la main droite, figure 16, et le toucher d’un artiste qui tire une sonorité harmonieuse du clavier, et d’autre part entre les contacts réalisés, figure 17, par la main gauche et le toucher d’un exécutant qui a une mauvaise sonorité et un jeu anti-musical.
Comme nous l’avons dit, l’enchaînement de nos contacts agit non seulement sur notre sonorité mais sur notre pensée, il nous fait concevoir la structure de la phrase musicale. Dans l’exécution, c’est à travers nos mouvements que nous pensons. Le mécanisme tactile apte à créer les conceptions les plus justes ne peut varier : aussi peu qu’un miroir varie selon qu’il reflète des formes grandes ou petites, belles ou laides. Mais si le miroir est dévié, il ne pourra nous représenter que des formes déviées, et il en est de même de notre mécanisme tactile. Qu’il s’agisse d’évoquer la forme symétrique d’un anneau ou la beauté esthétique de l’art musical, notre conception sera faussée, du moment que nos contacts sont désordonnés. Dans le mécanisme des doigts, ce désordre peut se manifester dans tous les genres d’attaques.
Examinons les empreintes de deux exécutants dont chacun joue à deux reprises le même accord avec quatre doigts de la main gauche (voir fig. 18).
Nous observons que les empreintes des nos 1 et 2, fig. 18, sont disparates et qu’aucun déplacement ne modifierait l’ensemble des rapports des contacts. Nous voyons au contraire que dans les empreintes nos 3 et 4 les contacts s’enchaînent et qu’on ne saurait déplacer une seule empreinte sans détruire leur cohérence.
Pour peu qu’on soit familiarisé avec la lecture des empreintes musicales, on conclura par l’examen de ces contacts que les doigts, en attaquant simultanément les quatre touches pour l’exécution des deux premiers accords, se sont crispés et raidis, tandis que pour l’exécution des deux derniers accords, les mouvements des doigts étaient élastiques et souples, quelque vigoureuse qu’ait été l’attaque de l’accord.
À juger des dimensions des contacts, on pourrait supposer que ce sont les empreintes nos 1 et 2 qui ont été réalisées par une main moins grande. Ce sont précisément les empreintes nos 3 et 4 qui ont été réalisées par une main beaucoup plus petite ; la grandeur de ces contacts est le résultat du perfectionnement du toucher et des mouvements de l’exécutant. En voici la preuve : au moment d’attaquer simultanément les quatre touches il a fait des mouvements glissés, et a soulevé aussitôt la main par un mouvement courbe dont la direction est conforme à celle des lignes papillaires de l’empreinte du pouce. Ces glissés, quoique faits instantanément, ont augmenté la surface des contacts à peu près d’un tiers. Donc ces empreintes prouvent que le perfectionnement des contacts et le perfectionnement des mouvements sont un même phénomène.
Elles prouvent tout aussi nettement en raison de quels faits physiologiques les exécutants dont la sonorité est belle, ont toujours des mouvements souples, pourquoi la sonorité défectueuse, dure, sèche, est toujours en corrélation avec les doigts raidis, crispés.
Ainsi s’explique que nous pourrions intervertir les contacts de chacun des deux premiers accords sans modifier le résultat discordant, tandis que nous ne pourrions déplacer une seule empreinte des accords suivants sans détruire l’homogénéité, l’harmonie des mouvements.
Si les graphologues sont vivement intéressés par l’examen des écritures parce que leurs rapports et leurs diversités les frappent, l’étude des empreintes du toucher a pour l’artiste un intérêt encore bien plus puissant, bien plus suggestif parce qu’elle aboutit à des conclusions d’une précision scientifique.
Autant de jeux différents, autant d’empreintes différentes. Aucun pianiste ne peut contrefaire les empreintes d’un autre. Celui qui progresse est aussi incapable de reproduire les empreintes qu’il a faites quelques semaines auparavant, que de réaliser celles qu’il est destiné à faire quelques semaines plus tard, s’il continue à progresser. Selon les dispositions générales du système nerveux, les contacts varient tant soit peu d’un jour à l’autre. Ces différences journalières nous ont surtout frappée dans les empreintes des pouces, où l’infériorité de la tension se marque par un relâchement significatif de l’orientation. Un fait curieux, c’est l’impossibilité de corriger à volonté dans un groupement de notes, même une seule empreinte défectueuse. Il nous est arrivé de persévérer vainement des journées entières dans la recherche d’une de ces corrections.
Toutes les améliorations des empreintes se produisent par surprise, mais une fois réalisées elles subsistent jusqu’au moment où de nouvelles améliorations les remplacent.
Cette impuissance d’agir directement sur nos contacts prouve qu’ils sont la résultante d’un ensemble de phénomènes des plus complexes. L’étude intelligente les évoquera toujours dans la mesure de l’effort tenté et dans la limite assignée à la conformation de chaque main ; mais, quoi qu’on fasse, l’étude inintelligente ne les produira jamais.
Voici donc l’étude munie d’un contrôle scientifique qui permettra d’apprécier la valeur de chaque enseignement, de chaque système de travail.
La lecture des empreintes offre un intérêt nouveau, car le jeu d’un grand artiste devient approximativement appréciable par la vue de ses contacts. Le caractère des mouvements est divulgué par l’examen des contacts, pour peu qu’on s’applique à étudier leurs rapports avec les mouvements. La vue de belles empreintes peut être pour le musicien une jouissance d’un nouveau genre, car elle lui offre la résolution d’un problème qui dénote un perfectionnement réel, une supériorité incontestable.
L’existence de ces rapports physiologiques et esthétiques est dorénavant un fait acquis dont la justesse ne peut être mise en doute. La voie nouvelle qui s’ouvre sera féconde parce que toutes les erreurs commises dans l’attaque des touches sont rendues visibles comme tous les progrès atteints sont également rendus visibles. Il s’agit là de phénomènes physiologiques que nous sommes tous capables de vérifier en vue de nous perfectionner, mais ils évoquent des phénomènes esthétiques que nous ne sommes pas tous capables de saisir, car c’est l’éducation de l’oreille qui est avant tout à faire.
Sans éducation spéciale, nous n’entendons pas toutes les erreurs de nos mouvements ; nous pouvons apprendre à les entendre à force de les avoir vues par les empreintes de nos contacts et senties par le perfectionnement de nos impressions tactiles.
Un des défauts établis par les empreintes du toucher, c’est la petitesse des contacts. Généralement on n’appuie, par rapport aux dimensions de la pulpe des doigts, qu’une surface très limitée sur les touches. Les exécutants sont habituellement eux-mêmes surpris de ce fait et arrivent à rectifier aussitôt, du moins dans une certaine mesure, cette erreur.
Vouloir vaincre la difficulté de l’exécution sans reconnaître que l’inconscience des mouvements s’oppose à leurs progrès, c’est entreprendre une tâche irrésoluble.
La difficulté ne peut être déclarée vaincue que si la beauté de la sonorité est acquise pour l’exécution des plus grandes complications de mécanisme.
Grâce aux empreintes du toucher, ce fait peut être prouvé expérimentalement, car si nous examinons, dans les trois exemples suivants, les contacts réalisés par le même exécutant pendant la réalisation de passages différents nous voyons que les dispositions les plus simples des notes correspondent aux empreintes les plus régulières (voir fig. 19).
se rapetissent, perdent la netteté des contours, prennent des formes irrégulières (voir fig. 20). La défectuosité de la pose des doigts s’accroît encore dans les empreintes des doubles notes (voir fig. 21) ; l’amoindrissement de la surface des contacts et la bizarrerie des formes s’accusent ; quant aux rapports des contacts, ils sont si faussés qu’ils perdent au point de vue de l’exécution musicale tout agencement physiologique rationnel.
Certains exécutants dont la difficulté des intervalles altère le caractère des contacts, et par conséquent des mouvements, croient néanmoins avoir vaincu les difficultés du mécanisme d’une œuvre compliquée aussitôt qu’ils arriveront à en jouer à peu près toutes les notes et à les jouer vite ! À ces exécutants optimistes, l’analyse de leurs empreintes prouvera que la difficulté n’est pas vaincue parce qu’on arrive à faire, en un temps déterminé, la quantité de mouvements d’attaque exigés, mais que la justesse des mouvements pouvant être nettement contrôlée, le critérium se trouve désormais déplacé : la quantité des mouvements réalisés n’aura de valeur effective qu’en raison de leur qualité.
Devant les phénomènes de l’art nous sommes tous atteints d’un défaut chronique : le manque de développement de l’ouïe. S’il n’en était ainsi, ces erreurs tactiles auraient été reconnues de longue date, car elles s’entendent toutes bien mieux qu’elles ne voient, mais encore faut-il avoir l’ouïe suffisamment développée pour les entendre, ce qui est rarement le cas. Il fallait donc nous renseigner par un autre moyen sur les erreurs tactiles commises par l’étude usuelle du piano.
Ce moyen, les empreintes nous le fournissent, car les erreurs tactiles que les pianistes n’ont pu entendre, les empreintes de leurs contacts sont destinées à les leur rendre visibles. Ils pourront se rendre compte qu’ils n’auront vaincu les difficultés de l’exécution d’une œuvre musicale que lorsque leurs contacts ne se déformeront pas à mesure que la complication des traits augmente. Ce problème est résolu par les empreintes fig. 22, fig. 23 et fig. 24 qui prouvent que l’exécutant n’a pas plus de difficulté à jouer des intervalles complexes qu’à jouer ut, ré, mi, fa, sol.
Voici enfin la difficulté de l’exécution musicale présentée de façon à évoquer un perfectionnement réel du mécanisme qui est non seulement le signe certain de la beauté de la sonorité de l’exécutant, mais du caractère spécial du fonctionnement de sa pensée, de sa conception de l’esthétique.
Nous affirmons la loi de ces rapports tout en leur supposant des résolutions multiples et variées qui seraient certainement divulguées promptement, si les artistes, dans l’intérêt de leur art, livraient au public les empreintes de leurs contacts. On atteindrait ainsi une appréciation complète du caractère de ces phénomènes. L’exécutant, familiarisé avec la lecture des empreintes, est surpris de ce que, sans varier la position des doigts, ses contacts se modifient extraordinairement par la différenciation des mouvements d’attaque. Comment ne pas supposer que, parmi les personnalités artistiques, des différences frappantes de mouvements se produisent, et que certaines particularités de leur jeu apparaissent nettement dans le caractère des contacts ?
Les empreintes sont non seulement destinées à faire connaître en quoi réside le perfectionnement de l’exécution, mais à prouver aux exécutants qui étudient par des mouvements inconscients, la stérilité de leurs soi-disant progrès, vu que l’inconscience des mouvements s’oppose au perfectionnement des mouvements. Pour l’intérêt de leur développement, il serait désirable qu’ils reconnussent que vouloir dériver les progrès de la quantité d’heures de travail est un principe aussi faux, par rapport au perfectionnement à acquérir, que vouloir faire coïncider les progrès avec la difficulté des mouvements réalisés dans l’exécution d’une œuvre musicale. La difficulté n’est pas du tout là où on la cherche, et où on la voit ; cette difficulté apparente dont on se préoccupe, est en quelque sorte à l’exécution musicale ce que les chiffres qui marquent les degrés d’un thermomètre sontà la définition de la température. C’est grâce à ce thermomètre fictif que ceux qui arrivent à jouer des morceaux de plus en plus difficiles se croient de plus en plus en progrès. Ils n’ont jamais songé qu’envisagées ainsi, ces distinctions n’ont pas de sens, car pendant qu’ils jouent une œuvre très difficile, la valeur de leur exécution peut être nulle. Par contre, un grand artiste peut jouer une œuvre très facile et réaliser le maximum de la difficulté, c’est-à-dire atteindre l’effet inverse.
Toutes ces déviations du jugement, toutes ces appréciations dénuées de bon sens proviennent principalement du fait que le développement de l’ouïe, de la pensée, du sentiment est considéré comme une force qui ne correspond pas à des faits matériels analysables et qui pour cette raison ne pourrait être définie. Mais la perfection des contacts réalisés dans l’exécution d’une œuvre indique très nettement les différenciations des sonorités que l’oreille de l’exécutant doit être apte à percevoir ; elle précise aussi l’évolution de sa pensée, de son émotivité : car l’harmonie physiologique de ses contacts entraîne sa pensée à une conception harmonieuse de l’art.
Si ces corrélations inévitables étonnent par leur nouveauté, il n’en est pas moins probable que l’influence que l’étude des mouvements peut exercer sur nos représentations mentales sera bientôt reconnue et qu’on cherchera à l’utiliser dans l’éducation. Elle servira peut-être bientôt non seulement de base à l’enseignement musical, mais à l’enseignement artistique en général. Aussi longtemps que nous ne possédons pas, par rapport à la conception de l’art, les mouvements qui font voir, sentir, entendre, penser, notre imagination peut être mise en éveil, mais aucun discernement ne peut être acquis sur le caractère spécial des progrès à atteindre ; la boussole, c’est-à-dire l’affinement conscient ou inconscient des sensations tactiles, manque.
L’exécution musicale offre un exemple frappant du fait que nous distinguons imparfaitement les rapports des sons si nous ne les distinguons pas à travers nos sens principaux.
Plus nous aurons vu de différences dans les dispositions des empreintes de nos contacts, plus nous en sentirons dans notre toucher et dans nos mouvements et plus nous en entendrons dans les sons que nous produirons. Ainsi envisagée, l’analyse des empreintes est pour nous la révélation d’un mécanisme si merveilleusement délicat que l’étude de l’art se présente à nous sous une apparence singulièrement perfectionnée.
On peut dire que la corrélation si frappante de l’agencement physiologique des contacts et des mouvements avec la beauté et la variété du timbre évoquées dans la sonorité par l’exécutant, ouvre une perspective sur l’existence d’affinités insoupçonnées. Grâce aux empreintes du toucher, nous pouvons définir certaines poses acoustiques, par lesquelles nous communiquons aux mains et aux doigts des positions qui favorisent l’agencement des contacts dans tous les groupements de notes exécutés par des attaques simultanées ou successives.
Par ces poses acoustiques basées sur les caractères divers de la sensibilité des contacts, l’image que notre cerveau a conque de la pulpe des doigts devient infiniment perfectible. Nos sensations tactiles sont considérablement renforcées par les représentations visuelles des empreintes des contacts et par les diversifications des perceptions auditives.
Admettons qu’une tempête soit déchaînée et que de trois personnes différentes la première n’entende que le bruit du vent, la seconde me perçoive que les vêtements qui la recouvrent agités violemment, et la troisième ne sente que le souffle impétueux lui cingler le visage et les membres. Ces trois sensations ne donneront une représentation complète du caractère de la tempête que lorsqu’elles seront réunies chez la même personne. Il en est ainsi pour la conception de l’art musical ; c’est à travers le développement de nos trois sens principaux qu’elle doit se former. La supériorité des grands artistes consiste précisément dans le fait qu’ils pressentent cette corrélation et l’utilisent inconsciemment.
Par les empreintes, nous établissons cette corrélation dans l’étude, puisque la vue de l’enchaînement rationnel de nos contacts nous permet d’affiner nos sensations tactiles, qui réagiront sur nos perceptions auditives de façon à nous apprendre à les diversifier de plus en plus nettement.
On peut admettre que désormais chacun pourra, par une étude sérieuse, connaître les trois principes fondamentaux de l’art de l’exécution : l’agencement physiologique des contacts par la vue des empreintes ; l’infinie diversification des impressions tactiles par l’étude du toucher ; l’infinie diversification des sons évoqués par l’affinement de l’ouïe.