Le nouveau Paris/45

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Paris : Louis-Michaud (p. 152-154).

VIVE LA MONTAGNE !



Quiconque n’a point vu, n’a point entendu toutes ces sections populaires défiler et hurler en la manière accoutumée dans la salle de la Convention nationale, ne peut se former une image de ce qu’était ce peuple vociférant : Vive la Montagne ! Il n’était pas conduit, il était déchaîné dans tout ce que la licence peut imaginer de plus absurde et de plus violent. Les discours de ses orateurs, les réponses, des présidents, les hymnes patriotiques, les chants de liberté, les cris perçants, les clameurs, le cliquetis des armes, le brandissement des piques, la danse des écriteaux, deux mille femmes, du haut des tribunes, tendant ou se tordant les bras, et joignant leurs glapissements de Mégères à tous ces sons discordants, voilà l’harmonie qui environnait et accompagnait Chaumette, quand il venait à la barre.

Qui n’a pas entendu ce Chaumette procureur-syndic de la commune, lorsqu’il entretenait la Convention, et qu’il parlait des pauvres, des malheureux, des estropiés et des vieillards, et de tout ce qu’il faisait pour la splendeur de la République, pour l’abaissement des trônes pour la ruine du fédéralisme, n’a pas une idée de l’insolence d’un démagogue, et des choses bizarres que ce rôle lui inspire.

Ces farces burlesques auraient provoqué le rire inextinguible des dieux d’Homère, si la sanguinaire férocité n’y eût pas joint ses menaçantes paroles. Amar, qui n’ouvrait la bouche que pour demander le meurtre de ses collègues, et qui semblait n’être venu à la Convention que pour devenir leur bourreau, complimentait et félicitait Chaumette ; et toute la multitude de porter les vociférations et les menaces à la plus atroce énergie, à cette énergie infernale qui annonçait la dépopulation de la France et l’égorgement des Français. À ce cri de vive la Montagne, on croyait voir tous les tigres déchaînés sortir de leur repaire pour dévorer sans faim.

Témoin et victime de ces scènes insensées et violentes, je le répète, qui n’y a pas assisté, ne peut connaître l’histoire de ces jours déplorables, encore moins en rendre compte à la postérité ; qui n’y a pas assisté, ne peut dire jusqu’à quel point une populace, mue par des scélérats, déploie une physionomie tout à la fois extravagante et barbare. Musique du Tartare ! Opéra des enfers ! cris des démons ! exultation des êtres foudroyés par la Divinité et devenus ennemis de l’homme ! accents du crime et de la noire méchanceté ! oui, je vous ai entendus sur la terre ! tous ces cris infernaux étaient renfermés dans le vive la Montagne !

Et lorsque le Verrès de Nantes écrivit à la Convention sur une noyade de cinquante-huit prêtres, et qu’il ajouta gaîment : Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! l’Assemblée couvrit par des applaudissements immortels l’horrible rapport de Carrier[1].

  1. Carrier fut condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, le 26 frimaire an III (16 déc. 1794). Il se défendit lui-même. Son plaidoyer, commencé à minuit et demi, ne se termina qu’à près de cinq heures par ces paroles : « Fatigué, exténué, je m’en rapporte à la justice des jurés. Ma moralité est décrite dans une adresse de mon département. Je demande tout ce qui peut être accordé pour mes co-accusés. Je demande que si la justice nationale doit peser sur quelqu’un, elle pèse sur moi seul. » Et après l’arrêt : « Je meurs, dit-il, victime et innocent ; mon dernier vœu est pour la République et pour le salut de mes concitoyens ! » Trente sur trente-trois co-accusés furent rendus à la liberté.
    (Note de l’édition Poulet-Malassis.)