Le programme des écoles primaires

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CHAPITRE V

LE PROGRAMME DES ÉCOLES PRIMAIRES

Le premier paragraphe de l’article 58 définit le programme de l’enseignement religieux. Cet enseignement, et tous les commentaires qui s’y rapportent, appartiennent exclusivement aux ecclésiastiques.

2o La langue maternelle ; lecture de livres en caractères vieux-slaves et russes ; lecture expliquée.

3o Arithmétique : les quatre opérations des nombres entiers simples et concrets ; notions sur les fractions. — Observation : outre ces matières, sur le désir des communes, on peut introduire l’enseignement du chant d’église, et, avec l’autorisation des chefs supérieurs, l’enseignement de sujets autres.

Nous avons plus haut exprimé l’opinion que la définition du programme des écoles primaires est tout à fait impossible, surtout dans le sens où l’on essaie de faire le projet : dans le sens de délimitation des matières d’enseignement. La circulaire du ministre de l’Instruction publique relative aux écoles du dimanche a été publiée dans ce sens. Dans le même sens est faite l’observation d’après laquelle tout ce qui n’est pas spécifié dans les trois lignes précédentes du programme ne peut être enseigné qu’avec l’assentiment des autorités scolaires. Dans le même sens préventif sont rédigés les articles 59, 60 et 61, selon lesquels les méthodes elles-mêmes de l’enseignement et les manuels employés pour l’enseignement de ce programme inapplicable et très étroit doivent être définis par le ministère de l’Instruction publique.

Je ne dis pas que c’est injuste, que c’est nuisible au développement de l’instruction, que cela exclut la possibilité pour le maître de prendre un véritable intérêt à sa tâche, et prête à d’innombrables abus (il suffit que l’auteur du programme ou du manuel se trompe une fois, et cette faute devient obligatoire pour toute la Russie), je dis seulement que tout programme pour l’école populaire est absolument impossible, et que tous les programmes pareils ne sont que des mots, des mots, des mots… Je comprends le programme qui définit le devoir que prend sur soi le maître ou le pouvoir qui fonde l’école. Je comprends qu’on puisse dire à la commune et aux parents : « Moi, le maître, j’ouvre une école et m’engage à enseigner à vos enfants telle ou telle chose, et vous n’avez pas le droit d’exiger de moi ce que je n’ai pas promis. » Mais ouvrir une école et promettre que je n’enseignerai pas telle et telle chose, c’est irraisonnable et absolument impossible. Et le projet propose un programme aussi négatif, pour toute la Russie et pour toutes les écoles primaires publiques. Dans les écoles supérieures, je crois possible qu’un professeur s’en tienne à un certain programme. En faisant un cours de droit romain civil, le professeur peut s’engager à ne pas parler de chimie ou de zoologie. Mais à l’école primaire, l’histoire naturelle, l’arithmétique, et toutes les sciences se fondent ensemble, et des questions ayant trait à ces diverses sciences se posent à chaque moment.

La différence la plus essentielle entre l’école supérieure et l’école primaire, c’est le degré de division des objets d’enseignement. Dans l’école primaire, il n’y a point de pareille division : tous les sujets sont unis, et c’est seulement au delà de celle-ci que, peu à peu, commence l’embranchement.

Examinons les paragraphes 2 et 3 du programme. Qu’est-ce que c’est que la langue maternelle ? Ce sujet inclut-il la syntaxe et l’étymologie ? Il y a des maîtres qui considèrent l’une et l’autre comme le meilleur moyen d’apprendre une langue. Que signifie : la lecture des livres et la lecture expliquée ? Celui qui a appris par cœur l’alphabet sait lire, et celui qui lit et comprend « Le Journal de Moscou » ne fait, lui aussi, que lire. Comment peut-on expliquer les livres, par exemple la chrestomathie de la Société des livres à bon marché ? Lire et expliquer tous les petits articles de ces livres, c’est presque étudier toutes les sciences humaines : théologie, philosophie, histoire, sciences naturelles ; et lire ces livres par syllabes et, en guise d’explications, répéter chaque phrase avec d’autres mots incompris, ce sera aussi une lecture expliquée. L’écriture est tout à fait omise dans le projet, mais si même elle était autorisée, d’après le programme le plus défini, on peut comprendre sous le nom « écriture » la copie de cahiers d’écriture ou la connaissance de l’art de la langue, qui ne s’acquiert que par un cours complet d’études et d’exercices. Le programme définit tout et ne définit rien, et ne peut rien définir.

L’arithmétique. — Que signifient les quatre opérations des nombres simples et concrets ? Moi, par exemple, dans mon enseignement, je n’emploie pas du tout de nombres concrets, en prenant ce qu’on appelle nombres concrets pour les cas de multiplication et de division. Pour l’arithmétique, en général, je commence par les progressions, ce que fait chaque maître, car la numération n’est autre qu’une progression. On dit dans le projet : Notions sur les fractions. Pourquoi seulement les notions ? Dans mon enseignement, je commence les fractions décimales avec la numération ; l’équation, c’est-à dire l’algèbre, je la commence avec les premières opérations. Alors je sors du programme. La planimétrie n’est pas nommée dans le programme, et, pourtant, ses problèmes sont des applications, les plus naturelles et les plus compréhensibles, des premières opérations. Avec un maître, la géométrie et l’algèbre rentreront dans l’enseignement des quatre opérations ; pour un autre, les quatre opérations ne formeront que l’exercice mécanique d’écrire avec de la craie sur le tableau noir, et, pour les deux maîtres, le programme ne sera que des mots, des mots, des mots. Néanmoins, il est possible de donner au maître une règle et un guide. Pour le progrès rapide de l’étude, le maître doit seulement avoir les moyens d’apprendre lui-même et l’indépendance absolue dans le choix des méthodes. Pour l’un, il est commode et utile d’enseigner d’après le bouki-az-ba ; pour un autre, d’après une autre méthode. Mais pour qu’un maître adopte une autre méthode, c’est encore peu de la lui faire connaître et de la lui prescrire, il faut qu’il croie, qu’il se convainque que cette méthode est la meilleure, et qu’il l’aime.

Cela se rapporte tant aux méthodes de l’enseignement lui-même qu’à celles de se conduire envers les élèves, et les circulaires aux maîtres ne feront que les gêner.

Quant au but que le comité a peut-être poursuivi en composant le programme, but qui consiste à éviter que les mauvais maîtres aient une influence nuisible, aucun programme n’empêchera le maître d’exercer une pareille influence sur les élèves.

Avec le programme, la présence d’un colonel de gendarmerie est nécessaire dans chaque école, car on ne peut pas se baser sur les récits des élèves, soit pour, soit contre les maîtres, et, le principal, c’est que cette crainte n’est pas du tout anéantie par le programme et que les craintes de cette sorte sont tout à fait vaines. De quelque façon que la commune puisse être écartée du contrôle sur ses écoles, on ne peut empêcher le père de se soucier de la manière dont on instruit son fils, et, de quelque façon que soit instituée l’école obligatoire, on ne peut empêcher la masse des élèves d’apprécier le maître, et de ne lui donner que juste le mérite qui lui revient. Je suis fermement convaincu, par la raison et l’expérience, que l’école est toujours garantie contre les influences nuisibles par le contrôle des parents et par le sentiment d’équité des élèves.

On dit, dans l’article 62, que les communes peuvent installer des bibliothèques, c’est-à-dire qu’on ne défend à personne d’acheter des livres, ni isolément, ni en se groupant, si elles le désirent.