Les élèves des écoles populaires et l’emploi du temps scolaire

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CHAPITRE VII

LES ÉLÈVES DES ÉCOLES POPULAIRES ET L’EMPLOI DU TEMPS SCOLAIRE

Art. 63. — Les élèves peuvent entrer à l’école primaire à partir de l’âge de huit ans. On ne demande aux élèves qui entrent à l’école aucune connaissance préparatoire.

Pourquoi à partir de huit ans et non à partir de six ans et trois mois et demi ? Cette question exige une réponse probante, de même que celle-ci : pourquoi donne-t-on au maître cent cinquante roubles et non 178 roubles 16 kopeks et demi, — d’autant plus que, par mon expérience personnelle, je sais qu’un quart au moins des enfants va à l’école avant l’âge de huit ans, et que c’est précisément de six à huit qu’on apprend à lire plus facilement et mieux. Dans des familles que je connais, les enfants commencent aussi à étudier bien avant l’âge de huit ans. C’est le moment où l’enfant des paysans est le plus libre : on ne l’emploie pas encore aux travaux domestiques, et il est tout à l’école jusqu’à l’âge de huit ans. Pourquoi donc cet âge a-t-il déplu aux auteurs du projet ? Il est nécessaire de connaître les raisons pour lesquelles les enfants, avant huit ans, sont exclus de l’école. Dans la deuxième partie de l’article, on dit qu’on ne demande aucune connaissance préparatoire à ceux qui entrent à l’école. Nous ne comprenons pas. Exige-t-on ou non de ceux qui entrent à l’école, en été, d’avoir un veston de basin, et, l’hiver, un uniforme ? S’il faut définir tout ce qu’il ne faut pas, alors il fallait définir cela aussi.

Art. 64. — Il n’y a pas de délai fixe pour terminer les cours de l’école primaire. Chaque élève aura terminé ses études quand il se sera suffisamment assimilé tout ce qu’on y enseigne.

Je me représente vivement la joie d’un Akhrameï quelconque quand quelqu’un lui déclarera qu’il a terminé ses études !

Art. 65. — Dans les écoles populaires villageoises, les classes doivent commencer à la fin des travaux des champs et se continuer jusqu’à leur commencement l’année suivante, conformément aux conditions locales et aux coutumes des paysans.

Les auteurs du projet se trompent de nouveau en s’efforçant, évidemment, de se soumettre aux exigences de la réalité, malgré l’air pratique de cet article. Qu’est-ce que c’est que le commencement et la fin des travaux des champs ?

Dès qu’il s’agit de statuts, ils doivent être très clairs. Le maître qui se soumet absolument aux statuts doit les appliquer exactement. Et, dans ce cas, si le congé est fixé au 1er avril, il ne le dépassera pas d’un jour. Sans parler qu’il est bien difficile de définir ce délai. Dans plusieurs villages, l’été, il restera beaucoup d’élèves, et presque partout, il en restera plus d’un tiers. Les paysans sont partout fermement convaincus, grâce à la méthode développée chez eux, d’apprendre par cœur, que ce qu’on enseigne à l’école s’oublie vite, et c’est pourquoi ce sont seulement les besogneux, et même, peu volontiers, qui prennent leurs enfants pour tout l’été. Même dans ce cas, ils demandent au maître de s’occuper des élèves au moins une fois par semaine. Si l’on dresse le projet conformément aux vœux du peuple, il faut mentionner cela aussi.

L’article 66 indique clairement qu’on va à l’école les jours ouvrables et non les jours fériés. On ne peut pas plus y contredire qu’à toutes les règles de cette sorte, écrites on ne sait trop pourquoi et qui ne signifient absolument rien.

Mais l’article 67 nous étonne de nouveau : les élèves ne doivent se réunir à l’école qu’une seule fois, et les classes ne doivent pas durer plus de quatre heures, avec un repos.

Il serait intéressant de voir le succès au moins de cinquante élèves (et peut-être même cent, d’après les calculs) qui n’étudieront que pendant l’hiver et pas plus de quatre heures par jour, avec un repos ! J’ai la prétention de me croire un bon instituteur, mais si l’on me donnait soixante-dix élèves dans ces conditions, je pourrais dire d’avance que, même en deux années, la moitié ne saurait pas encore lire. Et aussitôt que le projet sera ratifié, on peut être absolument sûr que pas un seul maître, malgré une demi-déciatine de terre pour le potager, n’ajoutera une seule heure d’occupation de plus qu’il n’y en a dans le programme, se fiant à la perspicacité philanthropique du projet pour ne pas fatiguer les jeunes esprits des enfants des paysans.

Dans le grand nombre d’écoles que je connais, les enfants travaillent de huit à neuf heures par jour, couchent à l’école afin de pouvoir lire le soir, avec le maître, et ni parents, ni maîtres, ne remarquent à cela de fâcheuses conséquences.

Selon l’article 69, un examen public a lieu chaque année. Ce n’est pas ici l’endroit de prouver que les examens sont nuisibles, et même plus que nuisibles, qu’ils sont impossibles. J’ai parlé de cela dans l’article sur l’École de Iasnaïa-Poliana. Mais, à propos de l’article 69, je me bornerai à une question : pourquoi et pour qui sont institués ces examens ?

Le côté mauvais et nuisible des examens pour l’école populaire doit apparaître à chacun : les tromperies officielles, les mensonges, les distractions sans but des enfants, le dérangement de leurs occupations ordinaires, tandis que l’utilité de ces examens m’est tout à fait incompréhensible. Provoquer, par l’examen, la jalousie des enfants de huit ans est nuisible. Juger par un examen de deux heures les connaissances d’un élève de huit ans et apprécier les mérites des maîtres, c’est impossible.

D’après l’article 70, on donnera aux élèves des papiers avec des sceaux, qu’on appelle certificats. À quoi serviront ces papiers, on ne le voit pas dans le projet. À ces papiers aucun droit ni privilège n’est attaché, c’est pourquoi je ne crois pas que l’idée trompeuse qu’il est très flatteur d’avoir des papiers avec sceaux, prendra longtemps dans le peuple et servira de motif pour entrer à l’école. Si même, les premiers temps, on réussissait à tromper le peuple par l’importance de ces papiers, bientôt il comprendrait son erreur. L’article 71 donne ce même droit aux certificats aux personnes ayant étudié en dehors de l’école et qui, selon moi, doivent être encore moins flattées d’un tel honneur.

L’article 72, au contraire, avec son addition, mérite pleine confiance et correspond plus que les autres au but et à l’esprit du projet : À la fin de chaque année scolaire, l’instituteur ou l’institutrice enverra à l’Inspecteur des écoles de province, d’après le modèle ci-joint, le bulletin du nombre des élèves de l’école et de ceux qui ont subi l’examen pour l’obtention du certificat.

Addition : Ce bulletin doit contenir les données statistiques nécessaires pour le compte rendu général du ministère de l’Instruction publique, c’est pourquoi sa forme doit toujours correspondre aux questions définies par ce compte rendu. L’inspecteur des écoles doit fournir les feuilles imprimées de ces bulletins, préparées au compte qui lui est ouvert pour fournitures de bureau.

Comme tout est prévu et réfléchi ! Même la préparation des feuilles, même les sommes qui doivent servir à cela ! On prévoit cette régularité mécanique et cette immuabilité de la forme et même du contenu du futur compte rendu, précisément tel que le demande le gouvernement ; les comptes rendus non de ce qui devrait être en réalité, pas même de ce qui est, car la partie principale de l’enseignement dans les écoles primaires échappe au compte rendu, mais de ce qui devrait être d’après les ordres du gouvernement impossibles à exécuter. Et par cet article se termine tout le projet des écoles gouvernementales.