Le venin des vipères françaises/Chapitre 2

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Librarie J. B. Baillière et Fils (p. 15-20).

CHAPITRE II

Composition du Venin de Vipère.


Le prince Lucien Bonaparte, qui en 1843 avait analysé le venin de Pelias berus, y avait trouvé une matière colorante jaune, de l’albumine, du mucus, une substance soluble dans l’alcool, de la matière grasse et divers sels, chlorures et phosphates, et une substance albuminoïde, toxique, comme le venin qu’il nomma vipérine ou échidnine.

Plus récemment, Phisalix a étudié le venin de Vipera aspis et appliquant à cette analyse les données de la physiologie et de la biologie, il expose en ces termes les résultats par lui obtenus (p. 196 et suiv. ind. bibl. 1) :

« Avant de rechercher la nature intime des substances que l’on isole des venins, on peut tout d’abord se demander 1o si les troubles physiologiques produits par une substance correspondent à une partie ou à l’ensemble des symptômes qu’on observe avec le venin entier et 2o si cette substance préexiste dans le venin ou si elle n’est que le résultat des manipulations.

« Si au lieu d’isoler du venin certaine substance, ou la supprime au contraire, et qu’en même temps on supprime certains symptômes, on démontrera par là même la liaison étroite qui existe entre le symptôme et le principe actif détruit. C’est ainsi que le venin de crotale mélangé au tanin ou à l’iode ne détermine plus d’accidents locaux (Weir-Mitchell), que le venin de vipère sous l’influence de l’acide chromique perd aussi ses propriétés phlogogènes (Kaufmann) tandis que les accidents généraux suivent leur cours. Nous sommes arrivés au même résultat en soumettant pendant quelques secondes le venin de vipère à la température de l’ébullition (Phisalix et Bertrand). On peut donc conclure à l’existence d’un principe à action locale.

« Si le venin de vipère a été chauffé de 5 à 15 minutes à la température de 80°, il ne détermine plus ni accidents locaux ni accidents généraux, et il vaccine les animaux. (Phisalix et Bertrand). »

Cette substance vaccinante, existant dans le venin de Vipera aspis a été isolée par Phisalix au moyen d’autres procédés (filtration sur porcelaine, dialyse) que nous exposerons au chapitre de la sérothérapie antivenimeuse.

« La préexistence dans le venin d’une matière vaccinante semble donc absolument démontrée et justifie la dénomination d’échidno-vaccin. Il ne reste plus qu’à en déterminer la nature chimique. D’après quelques expériences encore incomplètes, je suis porté à croire que ce corps est soluble dans l’alcool ; j’ai obtenu en effet un certain degré de vaccination en inoculant à des cobayes l’extrait alcoolique de venin frais. »  (Phisalix, p. 197, jnd. bibl. 1). »

Phisalix a isolé aussi la substance qui produit les accidents locaux, l’échidnase de la substance qui produit les accidents généraux d’échidnotoxine.

« Quant à l’échidnase, j’ai réussi à l’isoler de l’échidnotoxine par le procédé suivant : on traite du venin de vipère frais par l’alcool absolu. Le précipité séparé est desséché, puis redissous dans une nouvelle quantité d’eau qu’on additionne de 5 à 6 fois le volume d’alcool absolu. Le deuxième précipité dissous dans l’eau inoculé à la dose de 1 mmgr. 05 produit encore les accidents locaux et généraux du venin entier. Enfin à cette dernière solution, on ajoute 5 fois son volume d’alcool à 95°. Le troisième précipité ainsi obtenu pèse après dessication 5 mmgr. 02. Dissous dans l’eau, il est inoculé en entier à un cobaye. Il survient un œdème énorme avec peau violacée et eschare consécutive, mais il n’y a pas d’accidents généraux ; la température, loin de s’abaisser, s’est élevée au contraire de 39° à 40°,1.

Dans ces diverses manipulations, l’échidnotoxine est détruite peu à peu ; l’échidnase résiste plus longtemps et peut être séparée par suite de l’inégale altérabilité. En raison de ces caractères et des accidents locaux qu’elle détermine, accidents très analogues à ceux produits par les diastases comme la pepsine ou la pancréatine, le nom d’échidnase semble parfaitement légitime. »

En résumé pour Phisalix, la composition du venin de vipère (Vipera aspis) est la suivante (p. 197, ind. bibl. 1).

« Eau 70 à 80 p. 100.

« Substances solides 20 à 30 p. 100, se décomposant en :

« 1o Albumine et mucus coagulables à une température inférieure à 100° ;

« 2o Substance albuminoïde qui filtre et dialyse lentement, qui s’altère par précipitations alcooliques successives, qui résiste à une très courte ébullition, mais s’atténue par la chaleur, d’autant plus qu’elle est plus élevée et plus longtemps prolongée, dont l’inoculation aux animaux détermine un abaissement de température caractéristique. C’est l’échidno-toxine dont la nature chimique reste à déterminer ;

« 3o Substance albuminoïde qui filtre et dialyse plus rapidement que la précédente, qui se dissout en partie dans l’alcool, qui résiste mieux à la chaleur, et dont l’inoculation produit une élévation de température et une réaction vaccinante de l’organisme. C’est l’échidno-vaccin. Nature chimique indéterminée.

« 4o Substance albuminoïde, en grande partie retenue par le filtre et le dialyseur, précipitée par l’alcool, isolable par précipitations successives, détruite par l’ébullition et les réactifs chimiques, tanin, iode, acide chromique, etc. Détermine au point d’inoculation des accidents caractéristiques : œdème hémorragique, digestion des tissus, dissolution des globules rouges, mortification et eschare des tissus. C’est l’échidnase, nature chimique très voisine de celle des diastases ;

« 5o Des sels, chlorures et phosphates ;

« 6o Une matière colorante jaune, peu soluble dans l’alcool ;

« 7o Une substance acide indéterminée.

« Depuis, Phisalix a montré (ind. bibl. 2) que l’échidnase n’existe pas chez toutes les espèces venimeuses ; elle fait défaut dans le venin des najas, des ophiophages et probablement de la plupart des Colubridés venimeux. Elle est au contraire plus ou moins abondante dans le venin des Vipéridés dont elle constitue un des principaux caractères. Chez Vipera aspis, la quantité de cette diastase, appréciée d’après ses effets physiologiques, varie suivant la contrée et la saison. C’est ainsi que le venin, des vipères de la Vendée est beaucoup plus riche en échidnase que celui des vipères d’Arbois (Jura). Chez ces dernières, le venin, recueilli à la fin de la période hibernale, au mois d’avril, et pour ainsi dire dépourvu de toute action phlogogène. De même que le venin de cobra, il ne produit sous la peau qu’une légère infiltration d’une sérosité incolore. Peu à peu la quantité d’échidnase augmente et, vers la fin de mai ou le commencement de juin, elle est assez abondante pour déterminer dans le tissu conjonctif, les œdèmes hémorragiques diffus si caractéristiques. »

Considérant que le venin de vipère en solution dans l’eau glycérinée s’atténue spontanément et cela d’autant plus rapidement que la température est plus élevée et que d’autre part le venin d’Arbois, dépourvu d’échidnase, s’atténue beaucoup moins rapidement, Phisalix conclut que les faits précédents démontrent « d’une manière indiscutable que le ferment diastasique du venin des vipéridés exerce une action digestive non seulement sur les tissus des animaux inoculés, mais encore sur la substance active propre du venin, sur l’échidnotoxine. »

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Phisalix (C.). – Venins et Animaux venimeux dans la série animale (Revue scientifique. Paris ; 14 août 1897.)

2. Phisalix (C.). – Nouvelles observations sur l’échidnase (C.R. Académie des sciences. Paris ; 3 juillet 1889, p. 115, 117). (C.R. Société de biologie. Paris ; 15 juillet 1889, p. 658, 660).