Le venin des vipères françaises

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Librarie J. B. Baillière et Fils (p. 5-209).

AVANT-PROPOS


Au mois de mai 1905, M. le professeur Février nous proposa d’étudier dans notre thèse la pathologie de l’envenimation consécutive aux morsures des vipères françaises et il nous confia l’observation d’un cas de morsure de vipère recueillie par lui et concernant un malade de l’hôpital militaire (obs. XVII de notre thèse).

Le sujet en lui-même n’est pas nouveau : l’ouvrage de J.–L. Soubeiran « De la vipère, de son venin et de sa morsure » (Paris, Masson, 1855) renferme déjà 259 index bibliographiques. Toutefois depuis cette époque le mémoire de Kaufmann « Du venin de la vipère » (mém. Acad. de méd. Paris 1889) et le livre du même auteur « Les vipères de France » (Paris 1893) constituent les seuls ouvrages d’ensemble écrits sur ce sujet.

Et cependant depuis, de nombreux travaux de laboratoire sont venus modifier la question. Phisalix et Bertrand ont décomposé le venin de vipère en plusieurs éléments constitutifs. En même temps que Calmette et suivant un autre procédé ils ont découvert la sérothérapie antivenimeuse.

Nous avons voulu voir si l’ensemble de tous ces travaux ne permettrait pas de remanier la pathologie de l’envenimation vipérique ou tout au moins ne faciliterait pas l’intelligence de certains phénomènes. C’est pourquoi si l’étude de la pathologie constitue le centre de notre travail, l’exposé de toutes les découvertes relatives aux venins et plus particulièrement au venin des vipères en constitue le cadre. Mais ce cadre est plus intéressant que le sujet lui-même qu’il arrive à effacer à cause de l’ampleur que nous avons cru devoir lui donner.

Ainsi présentée notre thèse est avant tout un travail de mise au point ; c’est une page d’histoire de la médecine.

Que M. Calmette, qui voulut bien nous envoyer quelques brochures relatant les derniers travaux effectués sur les venins dans son laboratoire de l’Institut Pasteur de Lille, veuille bien accepter l’humble hommage de notre reconnaissance.

Nous devons beaucoup à M. le professeur Février, qui nous aida de ses conseils pendant la rédaction de ce travail, à M. Dumont, bibliothécaire de l’Université de Nancy, et à M. le Dr Bouchon, de Toul, qui voulut bien nous abandonner une observation recueillie par lui (obs. XV de notre thèse). Envers tous nous devons nous excuser du retard apporté dans la publication de ce travail, retard causé, par le deuil et la maladie qui sont venus nous frapper dans nos affections.

M. le Dr Thiry, chef de laboratoire à la Faculté de médecine, voulut bien se montrer pour nous autant un ami qu’un maître. Nous gardons de lui, de son enseignement et de ses bons conseils le meilleur souvenir.

Que M. le professeur Vuillemin, qui nous fait le très grand honneur d’accepter la présidence de notre thèse, veuille bien accepter l’expression de notre profonde gratitude.


CHAPITRE PREMIER

Serpents venimeux et venins en général.


Sans avoir la prétention de donner ici une classification scientifique des serpents et des venins, nous pensons cependant que quelques notions tout à fait générales sur ce sujet pourront faciliter l’intelligence de notre travail.

Les naturalistes divisent les serpents venimeux en trois sous-ordres ;

1o  Les Opisthoglyphes, ainsi nommés parce que leurs crochets, munis d’une rainure pour l’écoulement du venin, sont placés en arrière des autres dents, disposition qui rend leur morsure moins dangereuse que celle des serpents appartenant aux groupes suivants ;

2o  Les Protéroglyphes, qui présentent des crochets à rainure, situés en avant des autres dents. Quelques serpents de ce groupe, en raison de certains caractères morphologiques qui les font ressembler aux Colubriformes non venimeuses (présence de plaques sur la tête, par exemple), sont désignés par certains auteurs sous le nom de Colubriformes ou Colubridées venimeuses. Tels sont le Naja tripudians (cobra di capello ou serpent à lunettes) de l’Inde, le Naja nigricollis (naja noir ou serpent cracheur) de la Guinée ;

3o  Les Solénoglyphes, qui eux aussi présentent des crochets placés en avant des autres dents, mais caractérisés par ce fait que ces crochets sont munis pour l’écoulement du venin, non d’une simple rainure, mais d’un canal entièrement fermé. Ce groupe désigné aussi par certains auteurs sous le nom de Vipéridés, se divise en deux familles, les Vipérinés et les Crotalinés.

C’est dans la famille des Vipérinés que se rangent les deux genres français que nous nous proposons d’étudier dans notre thèse, c’est-à-dire Pelias berus Dum et Bihr. (Vipera berus, Linn.) ou péliade, et Vipera aspis (Linn.) ou vipère aspic. Les auteurs signalent l’existence dans le Dauphiné d’une troisième espèce, la vipère ammodyte (Vipera Ammodytes).

L’inoculation du venin, consécutive à la morsure des serpents venimeux, produit chez les animaux et chez l’homme des accidents toxiques qui peuvent entraîner la mort et la gravité des accidents d’intoxication varie en fonction de différents facteurs. C’est ainsi qu’indépendamment du poids et de la résistance propre de l’animal ou de l’individu mordu, il faut tenir compte de l’espèce à laquelle appartient le serpent mordeur et de la quantité de venin qu’il est susceptible d’inoculer. Les glandes d’un Naja tripudians peuvent renfermer jusqu’à 2 grammes de venin, celle du crotale (Crotalus durissus, serpent à sonnettes) 1 gr. 50. Nos vipères françaises sont loin d’en posséder une pareille quantité. Vipera aspis n’en possède que 15 à 17 centigrammes, Vipera berus 10 centigrammes environ. Mais à chaque morsure le serpent n’inocule pas la totalité du contenu de ses glandes venimeuses, et ce contenu varie selon que le serpent est à jeun, ou selon qu’il a déjà mordu.

D’ailleurs la toxicité d’un venin varie selon l’espèce qui le fournit. Calmette a montré (pie si la dose mortelle en moins de 12 heures, de venin desséché, pour 1 kilogramme de lapin est de 0,25 milligrammes s’il s’agit de venin de cobra, elle est de 4 milligrammes s’il s’agit de venin de vipère péliade. Tandis que 1 gramme de venin de cobra tue 4.000 kilogrammes de lapin et a par conséquent une activité de 4.000.000, 1 gramme de venin de vipère péliade ne tue que 250 kilogrammes de lapin et son activité n’est que de 250.000 (p. 275, ind. bibl. 1). L’activité d’un venin augmente aussi à mesure que l’animal qui le possède est à jeun depuis plus longtemps.

Indépendamment de la quantité de venin inoculée, indépendamment de l’activité particulière à chaque espèce de venin, il faut aussi considérer le mode d’action qu’il exerce sur les organismes animaux.

C’est ainsi que l’action du venin de cobra ou Naja tripudians (Colubridée) se traduit surtout par des troubles nerveux et ne produit pour ainsi dire point d’action locale. L’action du venin de Vipera aspis (Vipéridée) au contraire, se traduit immédiatement par une réaction locale intense caractérisée par un gonflement avec coloration violacée de la peau et œdème plus ou moins considérable.

C’est ce qu’a vu Rogers (ind. bibl. 3), lorsqu’il distingue les venins en colubrines et vipérines, les premiers agissant par paralysie des centres respiratoires dans la moelle et les plaques terminales motrices des nerfs phréniques, mais n’exerçant qu’une action faible sur le sang, les vipérines au contraire agissant sur le sang soit en provoquant des coagulations intravasculaires comme la vipère de l’Inde soit en faisant perdre au sang son pouvoir coagulant et en facilitant ainsi les hémorragies comme le serpent à sonnettes américain (Crotalus durissus).

C’est aussi ce qu’exprime Noc (p. 403, ind. bibl. 5) lorsqu’il écrit :

« Alors que les venins des Colubridés tuent par action neurotoxique et paralysie bulbaire, sans provoquer d’autres phénomènes locaux qu’un peu d’œdème au point d’inoculation, les venins de la plupart des vipéridés produisent des désordres violents dans les tissus ; hémorragies en nappe dans tous les points ou a diffusé le venin, apparition plus ou moins étendue d’une eschare suivie d’une véritable digestion des tissus et des pertes de substances considérables. Les venins de Vipéridés possèdent donc une propriété qui les différencie nettement des autres venins ; c’est ce que l’on appelle la propriété hémorragipare. »  

Noc trouve même qu’il existe des relations entre les propriétés de ces différents venins et la place occupée dans la classification par les espèces qui les fournissent et après avoir étudié isolément diverses actions des venins, action de dissolution des globules rouges du sang (pouvoir hémolytique), action coagulante (indépendante de l’hémolyse), action protéolytique, c’est-à-dire désintégration par les venins des substances albuminoïdes dissoutes et action neurotoxique, il arrive aux conclusions suivantes (p. 403, ind. bibl. 3) :

« Sécrétions de nature complexe, les venins de serpents présentent, dans leur constitution, des substances importantes pour le physiologiste, dont les principales sont des hémolysines, des coagulines, des protéolysines et des neurotoxines.

« Ces substances confèrent aux divers venins des caractères nettement différenciés qui peuvent servir à confirmer ou à compléter les bases de la classification zoologique des espèces venimeuses.

« C’est ainsi que les venins de Colubridés sont des venins pourvus d’hémolysines et de neurotoxines résistantes à la chaleur. Parmi les venins de Vipéridés, la plupart des Crotalinés ont des propriétés coagulante et protéolytique énergiques, mais sont dépourvus de neurotoxine et possèdent des hémolysines peu résistantes. Les venins de Vipérinés occupent une place intermédiaire, par leurs caractères physiologiques, entre les venins des Colubridés et ceux des Crotalinés. »

Considérant la substance qui agit sur les centres nerveux (neurotoxine) et celle qui produit les désordres locaux caractérisés par l’œdème et la digestion des tissus, substance que Flexner désignait par le terme d’hémorragine et d’après ce que nous enseigne Noc doit être un mélange de substances plus complexe (hémolysines, coagulines, protéolysines), Calmette (ind. bibl. 4) a montré que leur action était dissociable et qu’un chauffage de quelques minutes à 75° suffit à détruire l’hémorragine tandis que la neurotoxine ne disparaît qu’à partir de 90°, souvent même seulement au-delà de 98°.

Ces faits lui permettent de tirer des conclusions importantes (ind. bibl. 2) ;

« J’ai pu acquérir la certitude que les venins de diverses origines ne présentent de différences entre eux que par cette propriété hémorragipare que le chauffage fait disparaître très facilement et qui paraît tout à fait spéciale aux venins de Vipéridés ; aucun venin de Colubridé ne la possède. Après chauffage à 70° et séparation par filtration des albumines coagulées à cette température, il y a identité entre les effets locaux et généraux de tous les venins. »

Ces généralités sur les venins, maintenant exposées, nous allons pouvoir aborder plus particulièrement l’étude du venin, de nos vipères françaises qui, s’il est moins important au point de vue de sa toxicité que celui des espèces exotiques, est tout aussi intéressant par ses multiples propriétés répondant à la diversité de ses principes constituants.


INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Calmette (A.). – Contribution à l’étude du venin des serpents. – Immunisation des animaux et traitement de l’envenimation (travail du laboratoire de M. Roux à l’Institut Pasteur). In Annales de l’Institut Pasteur, Paris, mai 1894.

2. Calmette (A.). – Sur le venin des serpents et sur l’emploi du sérum antivenimeux dans la thérapeutique des morsures venimeuses chez l’homme et chez les animaux. In Annales de l’Institut Pasteur, Paris, mars 1897.

3. Rogers (L.). – À lecture on the physiological action and antidotes of snake venoms with a practical method of treatment of snake bites (the Lancet, 5 febr. 1904, p. 349, 354).

Analyse de cet article in Revue scientifique, Paris, mars 1904, t. 1, p. 377.

4. Calmette (A.). – Les sérums antivenimeux polyvalents. Mesure de leur activité (Compt. rend. Académie des sciences, Paris, 2 mai 1904, p. 1079).

5. Noc (F.). – Sur quelques propriétés physiologiques des différents venins de serpents (travail du laboratoire de M. Calmette) in Annales de l’Institut Pasteur, Paris, juin 1904.


CHAPITRE II

Composition du Venin de Vipère.


Le prince Lucien Bonaparte, qui en 1843 avait analysé le venin de Pelias berus, y avait trouvé une matière colorante jaune, de l’albumine, du mucus, une substance soluble dans l’alcool, de la matière grasse et divers sels, chlorures et phosphates, et une substance albuminoïde, toxique, comme le venin qu’il nomma vipérine ou échidnine.

Plus récemment, Phisalix a étudié le venin de Vipera aspis et appliquant à cette analyse les données de la physiologie et de la biologie, il expose en ces termes les résultats par lui obtenus (p. 196 et suiv. ind. bibl. 1) :

« Avant de rechercher la nature intime des substances que l’on isole des venins, on peut tout d’abord se demander 1o  si les troubles physiologiques produits par une substance correspondent à une partie ou à l’ensemble des symptômes qu’on observe avec le venin entier et 2o  si cette substance préexiste dans le venin ou si elle n’est que le résultat des manipulations.

« Si au lieu d’isoler du venin certaine substance, ou la supprime au contraire, et qu’en même temps on supprime certains symptômes, on démontrera par là même la liaison étroite qui existe entre le symptôme et le principe actif détruit. C’est ainsi que le venin de crotale mélangé au tanin ou à l’iode ne détermine plus d’accidents locaux (Weir-Mitchell), que le venin de vipère sous l’influence de l’acide chromique perd aussi ses propriétés phlogogènes (Kaufmann) tandis que les accidents généraux suivent leur cours. Nous sommes arrivés au même résultat en soumettant pendant quelques secondes le venin de vipère à la température de l’ébullition (Phisalix et Bertrand). On peut donc conclure à l’existence d’un principe à action locale.

« Si le venin de vipère a été chauffé de 5 à 15 minutes à la température de 80°, il ne détermine plus ni accidents locaux ni accidents généraux, et il vaccine les animaux. (Phisalix et Bertrand). »

Cette substance vaccinante, existant dans le venin de Vipera aspis a été isolée par Phisalix au moyen d’autres procédés (filtration sur porcelaine, dialyse) que nous exposerons au chapitre de la sérothérapie antivenimeuse.

« La préexistence dans le venin d’une matière vaccinante semble donc absolument démontrée et justifie la dénomination d’échidno-vaccin. Il ne reste plus qu’à en déterminer la nature chimique. D’après quelques expériences encore incomplètes, je suis porté à croire que ce corps est soluble dans l’alcool ; j’ai obtenu en effet un certain degré de vaccination en inoculant à des cobayes l’extrait alcoolique de venin frais. »  (Phisalix, p. 197, jnd. bibl. 1). »

Phisalix a isolé aussi la substance qui produit les accidents locaux, l’échidnase de la substance qui produit les accidents généraux d’échidnotoxine.

« Quant à l’échidnase, j’ai réussi à l’isoler de l’échidnotoxine par le procédé suivant : on traite du venin de vipère frais par l’alcool absolu. Le précipité séparé est desséché, puis redissous dans une nouvelle quantité d’eau qu’on additionne de 5 à 6 fois le volume d’alcool absolu. Le deuxième précipité dissous dans l’eau inoculé à la dose de 1 mmgr. 05 produit encore les accidents locaux et généraux du venin entier. Enfin à cette dernière solution, on ajoute 5 fois son volume d’alcool à 95°. Le troisième précipité ainsi obtenu pèse après dessication 5 mmgr. 02. Dissous dans l’eau, il est inoculé en entier à un cobaye. Il survient un œdème énorme avec peau violacée et eschare consécutive, mais il n’y a pas d’accidents généraux ; la température, loin de s’abaisser, s’est élevée au contraire de 39° à 40°,1.

Dans ces diverses manipulations, l’échidnotoxine est détruite peu à peu ; l’échidnase résiste plus longtemps et peut être séparée par suite de l’inégale altérabilité. En raison de ces caractères et des accidents locaux qu’elle détermine, accidents très analogues à ceux produits par les diastases comme la pepsine ou la pancréatine, le nom d’échidnase semble parfaitement légitime. »

En résumé pour Phisalix, la composition du venin de vipère (Vipera aspis) est la suivante (p. 197, ind. bibl. 1).

« Eau 70 à 80 p. 100.

« Substances solides 20 à 30 p. 100, se décomposant en :

« 1o  Albumine et mucus coagulables à une température inférieure à 100° ;

« 2o  Substance albuminoïde qui filtre et dialyse lentement, qui s’altère par précipitations alcooliques successives, qui résiste à une très courte ébullition, mais s’atténue par la chaleur, d’autant plus qu’elle est plus élevée et plus longtemps prolongée, dont l’inoculation aux animaux détermine un abaissement de température caractéristique. C’est l’échidno-toxine dont la nature chimique reste à déterminer ;

« 3o  Substance albuminoïde qui filtre et dialyse plus rapidement que la précédente, qui se dissout en partie dans l’alcool, qui résiste mieux à la chaleur, et dont l’inoculation produit une élévation de température et une réaction vaccinante de l’organisme. C’est l’échidno-vaccin. Nature chimique indéterminée.

« 4o  Substance albuminoïde, en grande partie retenue par le filtre et le dialyseur, précipitée par l’alcool, isolable par précipitations successives, détruite par l’ébullition et les réactifs chimiques, tanin, iode, acide chromique, etc. Détermine au point d’inoculation des accidents caractéristiques : œdème hémorragique, digestion des tissus, dissolution des globules rouges, mortification et eschare des tissus. C’est l’échidnase, nature chimique très voisine de celle des diastases ;

« 5o  Des sels, chlorures et phosphates ;

« 6o  Une matière colorante jaune, peu soluble dans l’alcool ;

« 7o  Une substance acide indéterminée.

« Depuis, Phisalix a montré (ind. bibl. 2) que l’échidnase n’existe pas chez toutes les espèces venimeuses ; elle fait défaut dans le venin des najas, des ophiophages et probablement de la plupart des Colubridés venimeux. Elle est au contraire plus ou moins abondante dans le venin des Vipéridés dont elle constitue un des principaux caractères. Chez Vipera aspis, la quantité de cette diastase, appréciée d’après ses effets physiologiques, varie suivant la contrée et la saison. C’est ainsi que le venin, des vipères de la Vendée est beaucoup plus riche en échidnase que celui des vipères d’Arbois (Jura). Chez ces dernières, le venin, recueilli à la fin de la période hibernale, au mois d’avril, et pour ainsi dire dépourvu de toute action phlogogène. De même que le venin de cobra, il ne produit sous la peau qu’une légère infiltration d’une sérosité incolore. Peu à peu la quantité d’échidnase augmente et, vers la fin de mai ou le commencement de juin, elle est assez abondante pour déterminer dans le tissu conjonctif, les œdèmes hémorragiques diffus si caractéristiques. »

Considérant que le venin de vipère en solution dans l’eau glycérinée s’atténue spontanément et cela d’autant plus rapidement que la température est plus élevée et que d’autre part le venin d’Arbois, dépourvu d’échidnase, s’atténue beaucoup moins rapidement, Phisalix conclut que les faits précédents démontrent « d’une manière indiscutable que le ferment diastasique du venin des vipéridés exerce une action digestive non seulement sur les tissus des animaux inoculés, mais encore sur la substance active propre du venin, sur l’échidnotoxine. »

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Phisalix (C.). – Venins et Animaux venimeux dans la série animale (Revue scientifique. Paris ; 14 août 1897.)

2. Phisalix (C.). – Nouvelles observations sur l’échidnase (C.R. Académie des sciences. Paris ; 3 juillet 1889, p. 115, 117). (C.R. Société de biologie. Paris ; 15 juillet 1889, p. 658, 660).


CHAPITRE III

Diverses propriétés du venin. — Action hémolytique. — Action sur la coagulation du sang. — Action protéolytique.


§ 1. — Historique.

Fontana (1781) (ind. bibl. 1), injectant du venin de vipère dans la jugulaire externe du lapin, avait provoqué la mort presque instantanée de cet animal et constaté à l’autopsie que le sang était coagulé dans les ventricules, dans les oreillettes et dans les vaisseaux veineux.

D’autre part, en mélangeant, in vitro, du venin avec du sang de cobaye, il avait constaté que celui-ci restait noir, visqueux et sans sérum. Fontana conclut de ses expériences que le venin de vipère produit un changement sensible dans le sang tiré des vaisseaux. « Dans ces cas, dit-il, le sang devient noir et demeure fluide au lieu de se coaguler comme cela lui arrive constamment lorsqu’il n’est pas uni avec ce venin. Au contraire, quand il est introduit dans le sang des animaux le venin de la vipère le coagule promptement en sorte qu’il en empêche la circulation. »

Weir-Mitchell (1868) (ind. bibl. 2) étudiant l’action du venin du serpent à sonnettes prétend que, lorsque les animaux survivent à l’empoisonnement pendant un certain temps le sang perd la propriété de se coaguler et il attribue ce fait non à une insuffisance de fibrine dans le sang mais à une modification produite par le venin lui-même sur cette fibrine du sang. Pour lui, les globules rouges ne sont pas altérés quand la mort arrive rapidement et ils ne le sont que rarement dans les cas où elle arrive lentement.

Albertoni (1879) constate que chez les chiens empoisonnés par la vipère ; les globules rouges restent normaux de forme, mais non d’aspect coloré.

« Dans quelques cas, dit-il (ind. bibl. 8), ils avaient perdu leur matière colorante, laquelle était passée dans le plasma, qui était devenu roussâtre. » Les leucocytes sont réunis et amassés de façon à constituer de grandes plaques. Le sang traité par Peau, l’acide acétique très dilué et d’autres agents permet d’observer bientôt (pie les hématies se séparent et se dissocient, montrant ainsi une résistance bien moins grande qu’à l’ordinaire à l’action de ces mêmes agents.

Romiti (1883) a l’occasion de faire l’autopsie d’un forgeron de 40 ans, mort quatre heures après la morsure d’une vipère. Examinant le sang recueilli au voisinage de la morsure sans réactif et aussi en le traitant par la méthode de Bizzozero (sang mêlé à une solution de Na Cl à 7.5 % et coloré par le bleu de méthylène) il constate les modifications suivantes (p. 41 et 42, ind. bibl. 4) : « Les globules rouges semblent normaux par leur forme, mais ils ont pâli ; la matière colorante est diffuse dans le plasma, ils ne présentent jamais la disposition en piles qui leur est particulière. Çà et là apparaissent des groupes de leucocytes et Ton voit facilement avec un faible grossissement, au milieu d’eux, de la substance granuleuse. Avec 1,500 diamètres, le sang coloré au violet de métylène, montre que les amas granuleux sont formés de piastrine (Bizzozero) ou d’hématoblastes (Hayem)

« Je dirai d’abord, écrit l’auteur, que le sang conservé en vases clos se conserva toujours fluide, d’aspect sirupeux, dense, de couleur lie de vin. Trois mois après l’autopsie, il avait toujours les mêmes caractères, n’ayant jamais eu la fétidité spéciale de la putréfaction, mais seulement une forte odeur empyreumatique, comparable à l’extrait de viande de Liebig.

« Jusqu’à la fin du troisième jour qui suivit la nécropsie, les préparations du sang présentèrent les mêmes caractères que celles du sang frais ; au quatrième jour les globules blancs se maintenaient encore sans altérations, mais les rouges commençaient à se dissocier et la piastrine l’était complètement.

Urueta (1884) expérimentant avec le venin du crotale, du Bothrops fer de lance voit que dans les cas de mort lente le sang présente toujours les caractères du sang dissous. Il conclut ainsi (ind. bibl. 3) : « De toutes ces altérations, il ressort que le venin des serpents contient un ferment, un agent quelconque capable de détruire les globules et la matière fibrino-plastique, de produire des embolies capillaires et des hémorragies intestinales. Il y a donc un poison hématique qui produit des lésions d’autant plus évidentes qu’il a plus de temps pour séjourner dans la circulation et que la mort se produit plus tardivement. »

Kaufmann (1889) a vu que « les caractères anatomiques du sang se modifient sous l’action du venin. Chez le chien les globules rouges perdent leur forme discoïde et deviennent complètement sphériques. Ils ne se disposent plus en piles comme dans le sang normal. Ils semblent aussi être plus petits, légèrement rétractés ([p. 22, ind. bibl. 6). »

Phisalix : a montré que l’action du venin de vipère sur le sang était variable aussi bien in vivo que in vitro et qu’elle dépendait de l’espèce sur laquelle on expérimentait. Il a trouvé (ind. bibl. 7) « chez les cobayes qui meurent en 5 ou 6 heures des caillots dans la veine porte la veine sus-hépatique, le cœur. Si la mort est plus tardive, de 25 à 30 heures, le sang reste fluide dans les vaisseaux et le cœur. En injectant du venin de vipère dans la veine de l’oreille d’un lapin, on peut le foudroyer par coagulation intravasculaire généralisée. Il suffit pour cela d’inoculer assez rapidement 0,5 mg de venin par kilogramme. »

Chez le chien les résultats sont différents : « Chez un chien de 4 à 5 kg, une dose de 1,5 mg de venin de vipère rapidement introduite dans la veine jugulaire, détermine la mort en une ou deux heures avec les troubles caractéristiques de la circulation et de la respiration. Déjà 5 à 6 minutes après l’injection, le sang est incoagulable. Ce sang possède les propriétés du sang de peptone ; inoculé à dose forte dans les veines d’un autre chien (80 centimètres cubes dans un cas), il empêche au bout d’une heure les effets anticoagulants de la peptone… (Phisalix, 1899, ind. bibl. 9.)

Toutefois « les expériences faites avec la peptone, l’extrait de sangsue et le venin, montrent qu’aucune de ces substances injectées préventivement dans les veines ne peut empêcher les effets des autres sur la coagulation du sang. Il faut en conclure ou bien que ces substances agissent sur le sang par un mécanisme différent ou bien que si le processus physiologique est le même, les effets en sont complètement modifiés par l’intervention de phénomènes antagonistes. »  (Phisalix, 1899, ind. bibl. 10)

En ce qui concerne l’action du venin de vipère sur le sang in vitro, Phisalix a montré (1902, ind. bibl. 14) que si on mélange du sang aspiré dans la veine à l’aide d’une seringue stérilisée contenant une solution de venin à 1 p. 1000 dans l’eau salée physiologique et qu’on projette ensuite le mélange dans un tube stérilisé pour en suivre les modifications, on obtient des résultats différents selon qu’il s’agit de sang de chien ou de sang de lapin.

Le sang de chien devient noir et ne rougit plus par agitation ; il reste complètement fluide et homogène ; le sang de lapin, au contraire, se sépare en deux couches ; une inférieure de teinte foncée où s’amassent les globules et quelques flocons de coagulum et une supérieure légèrement teintée en jaune. Les globules rouges sont capables de fixer l’oxygène, par brassage du mélange avec Pair, cela pendant plus de deux heures. Puis la teinte noirâtre s’accentue et, au bout de douze heures, elle est aussi marquée que dans le sang de chien.

D’autre part, Phisalix remarque que dans le sang de chien, les globules rouges ont complètement disparu, par dissolution dans le plasma, que l’hémoglobine s’altère et se modifie, prenant une coloration brune qui s’accentue peu à peu et devient noirâtre en même temps qu’elle perd complètement la faculté de fixer l’oxygène et de rougir par agitation, cela à cause de sa transformation probable en méthémoglobine.

Les globules blancs ne sont pas altérés ; ils sont sphériques, granuleux ; leur noyau est marqué et ils paraissent relativement plus nombreux à cause de la diminution des globules rouges en partie dissous ; ils ont une tendance à se réunir en petits amas et au bout de 15 à 20 heures alors que tous les globules rouges ont disparu, on trouve encore quelques amas granuleux de globules blancs.

Les globules rouges du lapin sont beaucoup moins vite attaqués que ceux du chien. Après deux heures, les globules rouges sont presque intacts alors que les globules blancs ont disparu, mais peu à peu, les globules rouges se dissolvent et au bout de 12-15 heures l’hémoglobine a diffusé en même temps qu’elle a pris une teinte brime foncée que l’agitation ne modifie pins, subissant une modification analogue à celle qu’elle présente dans le sang de chien.

D’après tout ce qui précède, nous voyons que le venin de vipère exerce sur le sang deux actions différentes : une action de dissolution de l’hémoglobine et des globules rouges, phénomène que les auteurs ont désigné sous le nom d’action hémolytique du venin, et une action sur la coagulation qui semble varier selon les conditions de l’expérience.

Nous allons exposer successivement les faits d’expériences relatifs à ces deux phénomènes et les explications que donne la science moderne sur leur mode de production.

§ 2. — Action hémolytique.

Les venins en général, le venin de vipère en particulier, dissolvent les globules rouges du sang mais, fait important, mis en relief par les travaux de Flexner et Noguchi (1902), (ind. bibl. 12), il est nécessaire pour que la dissolution des globules rouges, c’est-à-dire L’hémolyse, se produise en présence du venin, que ces globules soient également en présence du sérum sanguin. Des globules rouges débarrassés de leur sérum par des lavages à l’eau physiologique ne s’hémolysent plus lorsqu’on les met en présence de venin. L’hémolyse au contraire se produit, si on restitue aux globules du sérum normal. Les auteurs expliquent ce fait en admettant la théorie émise par Ehrlich, à propos des sérums bactériolytiques. Le venin contiendrait une substance quia une grande affinité pour le globule rouge (substance intermédiaire ou ambocepteur) et qui, après s’être fixée sur ce globule, attirerait dans son intérieur une substance du sérum (complément) avec laquelle il se combinerait pour produire l’hémolyse. L’ambocepteur serait comparable à un mordant et sensibiliserait le globule à l’action de la seconde substance. Le complément ne serait autre chose que cette substance « mal définie, encore inconnue dans sa constitution chimique à la présence de laquelle on attribue cette propriété qu’ont généralement les sérums, d’exercer une influence destructive sur diverses cellules et sur certains microbes » (Bordet et Gengou, ind. bibl. 11). Cette substance, qui perd son activité lorsqu’on chauffe à 55° le sérum qui la contient, serait l'alexine de Büchner, la cytase de Metchnikoff.

Pour Kyes (1902-1903) (ind. bibl. 19), le venin jouerait le rôle d’ambocepteur et se combinerait aux lécithines du sérum pour constituer une lécithide qui serait capable à elle seule d’hémolyser toute espèce de globules rouges. Cette substance serait plus résistante à la chaleur que chacun de ses composants, car ou peut la chauffer plusieurs heures à 100° sans que son pouvoir hémolytique soit même atténué, tandis que le venin de cobra et les lécithines ne supportent pas une ébullition prolongée.

Les deux théories, théorie de Flexner et Noguchi d’après Elrlich, théorie de Kyes, sont d’accord pour reconnaître que le venin renferme ou joue le rôle d’ambocepteur, c’est-à-dire de substance à double affinité, mais elles diffèrent précisément en ce qui concerne les affinités de l’ambocepteur. Les conditions nécessaires à la production de l’hémolyse peuvent être exprimées par les formules suivantes, répondant respectivement à la première et à la seconde de ces théories ;

1o  (Globule rouge + ambocepteur fourni par le venin) + complément fourni par le sérum (alexine) ;

1o  { Globule rouge + { ambocepteur fourni par le venin + { complément fourni par le sérum (alexine)

2o  {(Ambocepteur fourni par le venin) + complément fourni par le sérum (lécithine)} = lécithide. + globule rouge.

Texte de la légende
2o  Ambocepteur fourni par le venin + complément fourni par le sérum (lécithine) + globule rouge
lécithide ?


Or, les travaux de Calmette ont montré (1902), en ce qui concerne le venin de cobra, que la substance active du sérum ne saurait être l’alexine, mais que cette propriété appartenait à une « sensibilisatrice particulièrement thermostabile et existant normalement dans le sang à côté de l'antihémolysine naturelle thermolabile. » (Ind. bibl. 13).

Calmette démontre en effet :

1o  Que les sérums normaux chauffés à 62° ( température à laquelle l’alexine est détruite) permettent l’hémolyse des globules lavés beaucoup plus facilement que les sérums frais alexiques et que les sérums normaux dilués avec trois parties d’eau distillée et chauffés 20 minutes à 80° sont encore capables de sensibiliser à l’égard du venin les hématies lavées.

2o  Que au contraire, les sérums frais, ajoutés en excès, retardent ou entravent l’hémolyse tandis que celle-ci s’effectue en quelques instants dans les tubes témoins qui reçoivent la même quantité de sérum chauffé avec les mêmes quantités de venin (sérums normaux de cheval, chien, lapin, cobaye, poule). S’il en est ainsi, c’est que le sérum renferme une antihémolysine naturelle, qui protège dans une certaine mesure les hématies contre l’action dissolvante du venin.

3o  Si le sérum chauffé est plus actif vis-à-vis de l’hémolyse que le sérum normal, c’est parce que cette antihémolysine est détruite, comme l’alexine, par le chauffage à 56°.

4o  La substance hémolysante, au contraire, est extraordinairement résistante à la chaleur, puisque le venin de cobra chauffé à +75° est aussi hémolysant qu’à l’état frais. Cette substance n’est détruite qu’après une ébullition prolongée pendant 15 minutes.

5o  Les hématies lavées, par suite non hémolysables, présentent la curieuse propriété de fixer le venin. Si on les laisse pendant quelques minutes en contact avec une solution de venin et qu’on les lave ensuite à plusieurs reprises à l’eau physiologique en centrifugeant chaque fois pour éliminer toute trace de venin dissous, on constate que ces hématies s’hémolysent très rapidement, aussitôt qu’on les met et en présence d’un peu de sérum normal chauffé à 62°.

Phisalix, reprenant ces expériences avec le venin de vipère, agissant sur les sangs de chien et de lapin, corrobore les résultats obtenus par Calmette, et explique les différences constatées au point de vue de la dissolution des globules rouges, suivant qu’il s’agit du sang de chien ou du sang de lapin (ind. bibl. 15).

Tandis que les globules de chien lavés et centrifugés, mêlés à une solution de venin, en présence de sérum de chien normal ou chauffé à 58-60°, se dissolvent en 10 à 15 minutes, ces mêmes globules de chien, mis en présence d’une solution de venin et de sérum de lapin, se dissolvent beaucoup moins rapidement.

« Les résultats varient (Phisalix, ind. biblXXX) suivant que le sérum a été chauffé ou non chauffé. Dans le premier cas, l’hématolyse se fait progressivement, elle est complète en une heure, avant que les globules aient eu le temps de se déposer, tandis que dans le deuxième cas les globules se déposent et c’est à peine si, au bout de deux heures, ils commencent à être attaqués. Il existe donc dans le sérum de lapin une substance antihémolytique, qui est détruite par le chauffage. »

« Cette antihémolysine naturelle est une des causes qui empêchent la dissolution des globules de lapin lavés quand on ajoute du sérum de lapin non chauffé au mélange de ces globules et du venin. Cependant quand on supprime cette antihémolysine par le chauffage, le sérum ne devient pas plus hémolytique pour les globules de lapin. Il n’en est pas de même si l’on emploie du sérum de chien. Celui-ci, après un ou plusieurs chauffages à 58° possède la propriété de dissoudre les globules de lapin. Il faut en conclure qu’il contient un principe sensibilisateur plus actif que celui du lapin. Ces laits corroborent ceux que M. Calmette a découverts ; ils montrent eu outre que c’est à la proportion relative d’antihémolysine et de sensibilisatrice dans le sérum, qu’il faut attribuer le rôle le plus important dans l’action hématolytique des venins. »

Nous voyons d’après tout ce qui précède, que le phénomène de l’hémolyse est essentiellement variable, puisqu’il dépend de plusieurs facteurs qui sont l'hémolysine du venin, la sensibilisatrice et l’antihémolysine du sérum. Il faut ajouter un quatrième facteur, la résistance propre du globule sanguin, mis en expérience. Phisalix montre que les globules du lapin sont plus résistants que ceux du chien. Noc a étudié les modalités de l’hémolyse, suivant qu’il s’agit de diverses sortes de venin, c’est-à-dire d’hémolysines variables. Il s’est arrangé de façon à laisser invariables les facteurs résistance du globule et sensibilisatrice du sérum et à annihiler l’effet du quatrième facteur antihémolysine.

Il a étudié l’action de un milligramme de venin (0.1 cm3 d’une solution à 1 % fraîchement préparée et non filtrée) sur 1 cm3 de globules de sang de cheval lavés et dilués à 5 % dans de l’eau physiologique, en présence de 0.2 cm3 de sérum de cheval chauffé à 58° (ind. bibl. 20).

Il a vu que un milligramme de venin de Pelias berus donne une hémolyse complète en 60 minutes, tandis que un milligr. de venin de cobra (Colubridé) donne le même résultat en 5 minutes, et un milligr. de venin de Bothrops (Crotaliné) en 3 heures et il montre que les venins les plus actifs, au point de vue de l’hémolyse, sont ceux des Colubridés, les moins actifs ceux des Crotalinés, les venins des vipérinés, groupe dans lequel rentrent nos vipères françaises, occupant au point de vue de là fonction hémolytique une place intermédiaire. Noc conclut que « la différenciation des hémolysines permet de classer les venins en plusieurs groupes, qui se rapprochent des groupes déterminés par les naturalistes, dans la classification des espèces venimeuses. »

§ 3. — Action du venin sur la coagulation du sang.

L’historique nous a appris que cette action était variable et fonction de la nature du sang mis en expérience. Phisalix nous a montré que le venin de vipère coagulait le sang de lapin tandis que le sang de chien mis en sa présence, restait incoagulable.

Si nous rappelons en quelques mots l’expérience de Phisalix, nous voyons le sang de chien incoagulable, noir, ne rougissant plus par agitation, avec les globules rouges hémolysés, tandis que les blancs sont plus résistants. Le sang de lapin, au contraire est coagulé, mais il reste rouge et peut fixer pendant plus de deux heures l’O. par agitation. Les globules rouges sont plus résistants que les globules blancs et hémolysés après eux.

« Le venin de vipère, conclut Phisalix (ind. bibl. 14), exerce donc une action directe sur la coagulabilité du sang et le sens de cette action paraît être en rapport avec la résistance relative des deux espèces de globules. En effet, chez le chien, ce sont les globules rouges qui sont les premiers attaqués par le venin, chez le lapin, ce sont les globules blancs ; dans le premier cas le sang est incoagulable ; dans le second, an contraire, on voit apparaître un coagulum partiel qui semble diminuer à mesure que l’hématolyse progresse. Les choses se passent comme si la destruction des globules rouges avec transformation de l’oxyhémoglobine en méthémoglobine mettaient en liberté des substances anticoagulantes. Si ce phénomène est tardif et consécutif à la leucolyse, comme cela arrive chez le lapin, l’action du fibrinferment peut s’exercer jusqu’au moment où les substances antagonistes viennent en entraver les effets. »

Pour Phisalix, il n’y a pas de relations entre les variations de l’hématolyse et les variations de la coagulabilité du sang par le venin. En effet, l’hématolyse du sang de chien est beaucoup plus rapide avec le venin de cobra qu’avec le venin de vipère. Par contre, quand on mélange du sang de chien avec du venin de cobra, les globules se dissolvent et le sang se coagule en 15 on 20 secondes, alors qu’il reste incoagulable avec le venin de vipère. « Le seul fait de la dissolution des globules rouges ne suffit donc pas à expliquer une si grande variation de coagulabilité. Il y a autre chose. En effet, taudis qu’après l’action du venin de cobra sur le sang, sur les globules de chien, l’hémoglobine ne paraît pas sensiblement modifiée au moins pendant plusieurs heures, avec le venin de vipère, elle se transforme très rapidement en méthémoglobine. »

Cette transformation de l’hémoglobine serait due à l’échidnase, qui jouerait le rôle de ferment, car, si on la détruit par chauffage à 80° ou à 100°, le venin de vipère se comporte comme le venin de cobra, coagulant le sang et dissolvant les globules lavés sans modifier sensiblement l’hémoglobine. Cette hypothèse est corroborée par ce fait que échidnase donne avec la teinture de gaïac la réaction des oxydases, qu’on n’obtient pas avec le venin de cobra. (Phisalix, 1902, ind. bibl. 15).

Noc (ind. bibl. 20) montre, d’antre part, que les globules rouges ne jouent aucun rôle dans la coagulation du venin et que « si l’on sépare ces globules par centrifugation du plasma, le venin coagule le plasma déglobulisé dans le même temps et avec la même intensité que le sang total. »

Pour Noc, l’incoagulabilité du sang observée avec les venins de certains serpents (Colubridés et certains Crotalinés}. serait due à une action de ces venins sur la fibrine dissoute ou plutôt sur la substance fibrinogène du sang et le phénomène de l’incoagubilité serait un cas particulier d’une action plus générale du venin, l'action protéolytique.

§ 4. — Action protéolytique.

Par action protéolytique des venins, il faut entendre une action de désintégration exercée par ces venins sur les substances albuminoïdes en solution.

Launoy montre que (ind. bibl. 17) : « 1o  Si l’on fait agir à des températures de 37°, 40° ou 43° sur des substances albuminoïdes dissoutes, des solutions de venin de cobra, ou des extraits de glande venimeuse de vipère et de parotide de couleuvre, le venin désintègre la molécule albuminoïde, de telle sorte que celle-ci reste soluble après addition d’acide formique (HCOOH) et dessiccation à 105° (caséine, albuminoïdes du sérum) ou n’est plus précipitable par l’acide acétique (CH3COOH).

« 2o  Celte désintégration est favorisée par une faible alcalinité du milieu (neutre à la phénolphtaléine) ; elle donne lieu à des albumoses à réaction biurétique précipitées par l’acide nitrique, le chlorure de sodium et le sulfate d’ammoniaque, l’hydrolyse n’atteint jamais le terme peptone.

« 3o  Si l’on fait agir simultanément sur une substance albuminoïde en solution alcaline, une solution de venin de cobra et une solution de pancréatine active, l’action zymotique faible du venin s’additionne à l’action propre du ferment soluble, sans que celle-ci semble notablement accélérée par la présence du venin.

« 4o  Les venins de vipère (Vipera aspis), de vive (Trachinus draco), de scolopendre (Scolopendra morsitans) et guêpe commune (Vespa vulgaris), en solutions glycérinées thymolées, les venins de cobra et de scorpion (Buthus europœus) en solutions filtrées à la bougie, se montrent dépourvus de toute action protéolytique sur les substances albuminoïdes coagulées (ovalbumines, albuminoïdes du sérum) et sur la fibrine. »

Noc (ind. bibl. 20) signale le parallélisme existant entre l’action fibrinolytique des venins et leur action anticoagulante. Il constate, en outre, que l’action fibrinolytique des venins et l’action anticoagulante sont détruites pour les divers venins à la température de 80° après une demi-heure de chauffage au bain-marie en tubes scellés.

Ces mêmes venins qui ont perdu leur action sur la coagulation, sont encore capables de produire l’hémolyse. Il conclut que :

« 1o  Tous les venins de serpents possèdent une action protéolytique variable sur les substances albuminoïdes non coagulées par la chaleur.

« 2o  Leur action fibrinolytique explique leur rôle important dans les phénomènes d’incoagulabilité du sang à la suite des injections de venin.

« 3o  La substance protéolytique et anticoagulante des venins est détruite par le chauffage à 80" ;

« 4o  Les hémolysines et les antihémolysines iront aucune corrélation avec les phénomènes de coagulation et d’incoagulabilité. »

§ 5. — Conclusions.

De l’étude qui précède nous pouvons conclure en ce qui concerne particulièrement le venin de vipère :

1o  Qu’il possède ;

a) Une action de dissolution sur le globule sanguin action variable selon les proportions d’antihémolysine et de sensibilisatrice contenues dans le sérum d’une part, selon la résistance propre du globule d’autre part ;

b) Une action sur la coagulation, qu’il semble dans certains cas favoriser, empêcher dans d’autres, sans que ces différences soient en relation avec des différences dans la modalité de hémolyse ;

c) Une action protéolytique, sur certaines substances albuminoïdes en solution, action remarquable si on la considère en tant que s’exerçant sur la substance fibrinogène du sang parce qu’elle permet, dans une certaine mesure d’expliquer le phénomène de l’incoagulabilité, mais action qui, par contre, rend plus difficile l’interprétation des cas où le venin produit la coagulation du sang.

2o  Quoi qu’il en soit, ces phénomènes semblent être produits par la substance isolée par Phisalix et par lui désignée sous le nom d’échidnase. Si nous considérons que vraisemblablement, le venin de vipère jouit très probablement de quelques autres propriétés signalées pour d’autres espèces de venin (propriétés cytolytique, leucolytique, amylolytique, bactériolytique) mais encore trop peu connues pour que nous puissions les étudier ici, nous sommes amenés à considérer l’échidnase comme une substance qui exerce des pouvoirs très différents, ou comme un ensemble complexe de substances qui exerceraient ces actions. Ce sont ces substances désignées par Noc sous le nom d'hémolysines, coagulines, protéolysines, cytolysines et dont il cherche à démontrer l’individualité (ind. bibl. 20 et 21).

3o  11 ne faut pas confondre les termes propriété hémorragipare et action hémolytique du venin. Noc remarque en effet que, si on peut arriver à débarrasser les venins de toute substance hémorragipare par le chauffage à 80°, la propriété hémolytique, de même que la propriété neurotoxique est beaucoup plus résistante à la chaleur. S’il en est ainsi en ce qui concerne le venin de vipère, la fonction hémolytique doit être retirée à l’échidnase et constituer un pouvoir indépendant. Nous ne pouvons que soulever la question sans la résoudre.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Fontana. (F.). – Traité sur le venin de la vipère, sur les poisons américains, sur le laurier cerise et sur quelques autres poisons végétaux. (Florence 1781 ; t. I, 3e  partie, chap. V ; p. 308.)

2. Weir-Mitchell. – Experimental contribution to the toxical of rattlesnake venom, (New-York 1808), cité d’après la thèse d’Urueta. (V. cet index 5.)

3. Aldertoni. – Sull’azione del veleno della vipera (Lo Sperimentale, Firenze août, 1879 ; p. 142-153 et Ann. di chim. applic. a med. Milano, 1879, p. 210), cité par Noé (voy. cet index n° 8).

4. Romiti (G.). – Indagini anatomiche sopra un caso di morte da morsicatura di vipera. (Riv. clin. di Bologna, 1884, 3 s. ; IV, p. 26-39.)

Recherches anatomiques sur un cas de mort par morsure de vipère, traduction p. G. Millot Carpentier) in Archives italiennes de Biologie. Turin, 1884 ; p. 37-46).

5. Urueta (R.). – Recherches anatomo-pathologiques sur l’action du venin des serpents. Action physiologique, toxicologique et thérapeutique. (Thèse Paris, 1884.)

6. Kaufmann. – Du venin de la vipère. (Mémoires de l’Académie de médecine, 1889, tome 36.)

7. Phisalix (C.). – Venins et Animaux venimeux dans la série animale. (Revue scientifique, 4e  série, tome VIII, 24 juillet 1807.)

8. Noé (J.). – Les Venins. (Archives générales de médecine, février 1889, no 2 ; p. 217-250.)

9. Phisalix (G.). – Venins et coagulabilité du sang. (C.R. Société de biologie, 28 octobre 1899 ; p. 834-837.)

10. Phisalix (G.). – Relations entre le venin de vipère, la peptone et l’extrait de sangsue. (C.R. Société de biologie, 4 nov. 1889.)

11. Bordet et Gengou. – Sur l’existence de substances sensibilisatrices dans la plupart des sérums antimicrobiens (trav. du lab. de M. Metchnikoff). (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, mai 1901.)

12. Flexner (S.) et Noguchi (H.). – Snake venom in relations to hemolysin and toxicity. (Journal of experimental Medicin. Washington, 17 mars 1902.) The constitution of snake venom and snake sera (Univ. of. Pensylv. medic. Bull. nov. 1902).

13. Calmette (A.). – Sur l’action hémolytique du venin de Cobra. (C.R. de l’Académie des Sciences. Paris ; 10 juin 1902 ; p. 1440.)

14. Phisalix (G.). – Action du venin de vipère sur le sang de chien et de lapin. (C.R. Société biologie. Paris 1902.)

15. Phisalix (G.). – Etude comparée de l’hématolyse par les venins chez le chien et le lapin. (C.R. Société de biologie. Paris ; juillet 1902 ; p. 1070-71.) (C.R. Acad. des Sciences. Paris 1902, p. 257-258.)

10. Delezenne (G.). – De l’existence d’une Kinase dans le venin des serpents. (C.R. Acad. des Sciences. Paris ; 11 août 1902, p. 329.)

17. Launoy (L.). – Sur l’action protéolytique des Venins. (C.R. Acad. des Sciences. Paris, 1er  sept. 1902, p. 403.)

18. Phisalix (C.). – Les Venins considérés dans leurs rapports avec la biologie générale et la pathologie comparée. (Revue générale des Sciences pures et appliquées. Paris ; déc. 1903 ; p. 1250-1258.)

19. Kyes (P.). – Ueber die Wirkungsweise des Cobragiftes. (Berl. Klin. Wocli. 1902, nos 38 et 39.) Zur Kenntniss der Cobragiftantiwironden Substanzen. (Berl. Klin. Woch. 1903, nos 2 à 4.) Ueber die Isolirung von Sclilangengift Lecithiden. (Perl. Klin. Wocli. 1903, nos 42 et 43.)

20. Noc (F.). – Sur quelques propriétés physiologiques des différents venins de serpents (trav. du lab. de M. Calmette, Institut Pasteur de Lille). (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, juin 1904.)

21. Noc (F.). – Propriétés bactériolytiques et anticytasiques du venin de Cobra (trav. du lab. de M. Calmette, Institut Pasteur de Lille). (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, avril 1905.)


CHAPITRE IV

Action du venin de vipère sur l’organisme animal. — Physiologie et Anatomie pathologiques.


Après avoir montré quelques propriétés dont jouit le venin à l’égard de certaines substances tirées de l’organisme animal, il nous reste à aborder l’étude de l’envenimation expérimentale, ce qui nous permettra d’esquisser les perturbations physiologiques et les lésions résultant du conflit entre le venin et l’animal vivant et d’aborder ensuite la pathologie de l’envenimation.


§ 1. — Envenimation en général.


Phisalix, comparant entre eux les symptômes produits par l’injection expérimentale sous-cutanée de venins de cobra et de vipère, s’exprime en ces termes (ind. bibl. 5) :

« Rien de plus facile à constater que cette différence d’action physiologique, si l’on examine comparativement, comme nous l’avons fait, deux cobayes inoculés sous la peau, l’un avec du venin de cobra, l’autre avec du venin de vipère. Chez le premier, l’action locale est peu manquée, et l’animal reste [pendant une, deux ou trois heures, sans paraître éprouver aucun symptôme, puis brusquement, on est prévenu des premiers troubles bulbaires par un hoquet caractéristique d’abord espacé, puis de plus en plus fréquent. En même temps, la salivation et le larmoiement apparaissent. Puis la respiration devient de plus en plus difficile ; elle est bruyante et l’animal fait des efforts considérables pour aspirer l’air qui lui manque. Bientôt survient une parésie progressive, la tête s’affaisse, tout le corps repose à terre, et c’est à peine si par des efforts violents l’animal peut faire (quelques pas. La bouche, le nez, sont remplis de mucosités ; les mouvements respiratoires sont de plus en plus rares, le cornage augmente ; la sensibilité persiste, mais l’animal ne peut plus crier ; enfin l’asphyxie arrive avec les convulsions qui précèdent la mort.

« Chez le second cobaye, au contraire, l’action locale est très marquée dès le début.

« La douleur vive est bientôt suivie d’un gonflement caractéristique avec coloration violacée de la peau ; quelquefois il y a des mouvements nauséeux et un peu de somnolence, mais l'animal reste assez vif et il ne se produit aucun des symptômes que nous venons de signaler plus haut, la respiration ne semble pas atteinte, il n’y a ni salivation ni larmoiement. Cependant l’intoxication s’accentue de plus en plus, mais elle se traduit par un symptôme qui n’existe pas avec le venin de cobra, je veux dire l’abaissement progressif de la température qui est plus ou moins rapide selon les doses. En moins d’une heure la température qui était de 39° avant l’inoculation, descend à 37° ; généralement elle diminue de 1° par heure et l’animal succombe lorsqu’elle est descendue à 32° environ.

« Mais quelquefois elle s’abaisse l)bien davantage et j’ai vu des cobayes mourir complètement froids, le thermomètre marquant de 24° à 26°.

En même temps que la température baisse, l’affaiblissement musculaire augmente surtout dans le train postérieur et l’animal succombe bientôt dans le collapsus. Le venin de vipère agit d’abord et surtout sur la moelle tandis que le venin de cobra attaque d’emblée le bulbe et principalement le centre respiratoire. »  

L’envenimation par le venin de vipère est donc caractérisée par une action locale très marquée due à l’échidnase, et par une action toxique sur le système nerveux due à une neurotoxine. Nous devons ajouter qu’elle provoque des hémorragies dans les tissus. Nous étudierons donc :

1o  Les phénomènes locaux ;

2o  Les phénomènes nerveux ;

3o  Les congestions et les hémorragies viscérales.

§ 2. — Lésions locales (Échidnase).

Les lésions locales ne se produisent que lorsque le venin est déposé dans les tissus.

Kaufmann, en effet, a montré que si l’on injecte directement le venin dans une veine, les accidents généraux évoluent seuls. Il a vu que si l’on additionne le venin de permanganate ou acide chromique en solution, celui-ci ne produit plus d’accidents locaux. Phisalix a isolé la substance qui détermine ces phénomènes et c’est elle qu’il désigne sous le nom d´échidnase.

Vallant, dans sa thèse, donne une bonne description de la lésion qu’il a observée chez les cobayes soit après l’injection de venin en solution glycérinée, soit après morsure par la vipère (ind. bibl. 8).

« Trois ou quatre heures après l’injection de venin, l’on constate dans la région inoculée un certain œdème. Au point même où l’aiguille a pénétré l’on trouve une petite tache brune dont l’étendue est variable, sans cependant dépasser la surface d’une pièce de 50 centimes. La consistance de la peau y est un peu plus ferme, elle est absolument terne et ses limites sont nettes. Dans les jours qui suivent, elle garde le même aspect sans jamais changer de couleur. L’œdème qui a apparu en même temps augmente et gagne les parties déclives, soit l’abdomen, soit les cuisses.

« Vingt-quatre heures après l’injection, on trouve une poche liquide, extrêmement mobile, qui se déplace aux moindres mouvements. Puis dans les jours qui suivent, sa consistance change, elle devient pâteuse, diminue de volume, se dessèche, une croûte noirâtre se forme, un sillon se creuse autour et l’eschare tombe. À sa place, on trouve une large perte de substance, nettement limitée dont les bords sont à pic et secs tandis que le fond est rosé, recouvert de sérosité. Petit à petit la cicatrisation se fait, mais il reste toujours une rétraction des tissus à cet endroit, qui peut aller jusqu’à limiter les mouvements d’un membre.

« Chez les animaux mordus, le début est différent. Au niveau des points où les crochets ont pénétré, environ une demi-heure après la morsure, les poils tombent et laissent voir la surface de la peau livide et luisante. L’œdème est très accentué mais l’on n’a pas constaté comme chez les animaux injectés, cette poche liquide d’une extrême mobilité ; il reste pâteux. L’eschare se forme dans ce point où l’on a trouvé la première lésion de la peau. La marche est absolument identique à celle décrite plus haut. »

L’auteur attribue les différences qu’il signale dans le mode d’évolution de la lésion au début, à ce fait que, dans le cas d’inoculation artificielle, il n’y a pas de venin déposé dans le trajet cutané ; la masse injectée se dépose au point déclive et c’est alors seulement que se manifestent ses propriétés nécrosantes. Dans le cas de morsure, au contraire, il y a du venin répandu dans tout le trajet et peut-être même à la surface de la peau. Dans le premier cas la nécrose débute par la partie profonde, dans le second elle se produit dans toute l’épaisseur du tégument.

Romiti (ind. bibl. 2) décrit dans les termes suivants la lésion locale qu’il a observée chez un individu, mort quatre heures après l’accident, c’est-à-dire dans un délai trop court pour que l’évolution de cette lésion soit complète.

« Dans la région dorsale de la main gauche, dans la moitié du premier espace intermétacarpien, à 3 centimètres du milieu de la plaie interdigitale, se voient quatre trous ronds, nets et réguliers comme s’ils avaient été faits à l’emporte-pièce, ayant 2 millimètres de diamètre et disposés à une distance égale entre eux et en deux séries, deux supérieurs et deux inférieurs ; ils occupent toute épaisseur du tégument. La peau du voisinage est légèrement turgide dans un rayon de cinq centimètres. Mais cela ne se continue pas dans les parties voisines et, comme aspect les deux membres sont identiques.

« Le tissu cellulaire étant disséqué autour des plaies, on voit qu’il est infiltré d’une sérosité sanguinolente très fluide qui a envahi également les muscles placés dessous. Les veines voisines qui forment l’origine de la céphalique elle-même, sont à peine remplies d’un sang fluide, noirâtre. On retrouve les mêmes caractères dans le sang contenu dans les gros troncs du bras. Les plaies n’atteignent aucune veine ; elles se terminent dans le tissu cellulaire sous-cutanée qui est, tout à l’entour, largement pourvu de ces vaisseaux. »

§ 3. — Lésions cellulaires : neurotoxiques, hépato et néphrotoxiques (échidnotoxine).

Indépendamment de l’action qu’il exerce localement, le venin de vipère exerce une action spéciale sur le système nerveux. Alors même qu’on l’a débarrassé de la substance qui produit l’action locale, de l’échidnase, il reste encore toxique.

Comme la plupart des venins de serpents, le venin de vipère possède en effet une neurotoxine très active qui résiste même à une très courte ébullition, tandis que les propriétés phlogogène et hémorragipare disparaissent entre 75° et 80°. Cette neurotoxine répond au produit isolé par Phisalix sous le nom d’échidnotoxine.

L’échidnotoxine exerce une action sur la sensibilité en général, elle amène de la perturbation dans la pression sanguine et provoque des troubles circulatoires et du ralentissement des combustions interstitielles, se traduisant, comme l’a montré Phisalix, chez le cobaye par une hypothermie accentuée.


A. — Troubles de la sensibilité.


Kaufmann (ind. bibl. 3) après injection intraveineuse d’une demi-goutte de venin de vipère dissoute dans cinq gouttes d’eau distillée, chez un chien de 7 kilogrammes, constate que, pendant la durée de l’expérience, l’animal est immobile, plongé dans un état d’assoupissement et de faiblesse considérables, mais que néanmoins l’intelligence reste intacte, les mouvements des yeux indiquant qu’il comprend les caresses et la voix du maître. L’animal ne présente pas de vomissements, mais des nausées périodiques .

« Après toutes les injections, écrit Kaufmann, les animaux ont montré d’abord un moment d’excitation très court, puis une longue période d’assoupissement. L’excitation primitive n’a guère duré plus longtemps que le temps employé pour faire l’injection. L’assoupissement au contraire s’est maintenu jusqu’à la mort. Ce n’est qu’après des intervalles éloignés que les animaux se livraient à quelques mouvements que l’on doit considérer comme l’expression des nausées.

« Pendant que les animaux étaient plongés dans la torpeur, ils étaient à peu près insensibles aux excitations douloureuses. On i)pouvait les piquer, leur couper la peau et les tissus sans qu’ils manifestassent aucune réaction.

« La sensibilité générale subit donc sous l’action du venin une dépression profonde.

« L’action stupéfiante du venin diffère de celle produite par la morphine et les autres narcotiques en ce que les animaux conservent toute leur intelligence intacte…

« Le venin agit donc comme anesthésique, comme narcotique, mais sans altérer sensiblement les facultés intellectuelles. Les régions élevées de l’encéphale semblent moins ressentir ses effets que les ganglions de la base, la moelle et les nerfs de la sensibilité générale. » 


B. — Perturbation dans la pression sanguine et troubles circulatoires.


Kaufmann (ind. bibl. 3) montre que « aussitôt que le venin a pénétré dans le torrent circulatoire, il détermine une dépression énorme de la tension artérielle qui s’accuse de plus en plus jusqu’à la mort. Cet abaissement si remarquable de la tension artérielle est accompagné d’une accélération considérable des battements cardiaques. Le pouls est fréquent, mais il est très faible, et, à un moment donné, il devient presque imperceptible à l’exploration digitale. » 

Kaufmann explique l’abaissement de la tension artérielle ]par la dilatation capillaire périphérique, que décèlent les apoplexies et les épanchements sanguins dans la trame des tissus, et par la faiblesse des contractions cardiaques explicable elle-même par l’accélération du cœur. Le venin semble exercer en effet sur cet organe une action particulière. Chez un chien envenimé, Kaufmann a vu que l’excitation du nerf pneumogastrique droit, par des courants induits, ralentissait les battements du cœur sans parvenir cependant à l’arrêter. Le même phénomène se produit si l’on excite le bout périphérique du nerf pneumogastrique après section préalable.

Il pense aussi, mais cela sans donnée expérimentale, que le venin exerce une action excitante sur le système accélérateur.

« La faiblesse des battements cardiaques et le petit volume des ondées s’expliquent par l’accélération des contractions du cœur. La succession des battements est tellement rapide que le cœur n’agit à chaque systole que sur une petite masse de sang, car il devient impossible que le cœur se remplisse complètement entre deux systoles.

« Si les nerfs accélérateurs sont excités par le venin, comme je le pense, le volume des ondées doit être évidemment faible. On a constaté, en effet, que l’excitation des nerfs accélérateurs diminue le débit malgré l’accélération. La grande précipitation des mouvements n’augmente pas le travail utile mais au contraire le diminue.

« Une autre condition qui doit contribuer à la faiblesse des ondées, c’est la vaso-dilatation vasculaire périphérique et les hémorragies capillaires qui en sont la conséquence. Le sang, en effet, s’accumule dans les organes qui sont le siège de la congestion, il en résulte que la quantité totale qui circule dans les gros troncs est diminuée beaucoup. L’énorme congestion du tube digestif accompagnée d'hémorragies, retient une forte proportion du sang. Celte dérivation du sang a pour effet de diminuer la quantité totale du liquide qui circule dans les gros vaisseaux, de là la faible tension artérielle, de là la faiblesse des ondées et du pouls. L’animal semble mourir par congestion de quelques-uns de ses appareils et par anémie de quelques autres (Kaufmann, ind. bibl. 3).


C. - Ralentissement des combustions interstitielles.


Kaufmann démontre expérimentalement que, malgré les altérations causées par le venin sur le sang, les échanges gazeux sont assez peu modifiés. Il résulte de ses expériences que, pendant l’action du venin :

1o  La quantité totale des gaz diminue dans le sang ;

2o  Cette diminution porte surtout sur la quantité de CO2 ;

3o  Le sang artériel contient une proportion d’oxygène sensiblement égale avant et pendant l’action du venin et l'hématose ne semble nullement gênée ;

4o  La respiration, dans la trame des tissus semble se faire comme à l’état normal, mais on constate que la disparition de O est toujours plus forte que la formation de CO2.

« Il ressort de ces expériences, conclut M. Kaufmann (p. 39, ind. bibl. 3) :

« 1o  Que le sang conserve, comme à l’état normal, la propriété d’absorber l’oxygène et de le céder aux tissus ;

« 2o  Que les tissus ne semblent pas utiliser l’oxygène comme à l’état normal ;

« 3o  Que l’oxygène au lieu de former presque un volume égal d’acide carbonique, ne forme qu’une très faible proportion de ce gaz, de sorte que le sang veineux quoique dépouillé de sou oxygène, ne se charge que faiblement d’acide carbonique.


D. — Anatomie pathologique.


La physiologie n’est pas seule à montrer l’action du venin sur le système nerveux.

Charrin et Claude sont parvenus à matérialiser, pour ainsi dire, cette action sur les neurones en mettant en évidence les lésions anatomo-pathologiques (ind. bibl. 6).

« Le 4 novembre 1897, on injecte à un lapin de l’extrait de sangsue, le produit de cinq têtes ; puis quelques jours après, on introduit sur la peau 1 mmgr. de venin. Ce lapin, vacciné contre l’action coagulante de ce venin sous l'influence de l’extrait de sangsue, résiste à ce poison. Néanmoins cette immunisation n’étant pas absolue, on voit survenir un amaigrissement marqué, qui, cependant cesse assez promptement. L’animal paraissait assez ])bien, lorsque, vers la fin de décembre, se sont développés des accidents progressifs caractérisés par de la faiblesse, par de l’atrophie musculaire. Le 22 janvier 1898, l’évolution de ces accidents permettait de constater l’existence d’une [paraplégie spasmodique avec retards dans la sensibilité, dans les réactions réflexes ; il existait aussi des troubles trophiques, une parésie prononcée des membres antérieurs. Bientôt les muscles du thorax ont cessé de fonctionner, l’asphyxie a déterminé la mort.

« L’examen histologique de l’appareil nerveux a permis de déceler les causes de ces accidents.

« Les nerfs, surtout ceux des membres antérieurs, sont atteints d’une névrite parenchymateuse prononcée ; la myéline est augmentée, réduite en boules plus ou moins grosses.

« Les coupes de la moelle, traitées au picro-carmin, à l’hématoxyline, à la méthode de Pal, révèlent une congestion intense. La technique de Nissl, l’hématoxyline de Delafield font découvrir des lésions cellulaires plus ou moins manquées suivant les régions, légères dans la zone cervicale, moyennes dans la partie dorsale, considérables dans le segment lombaire, plus encore au niveau de la terminaison.

« Dans le haut, on observe un protoplasma pins granuleux qu'à l’état normal, les cellules offrent quelque déformations. En descendant d’étage en étage, ces granulations aussi bien que ces déformations augmentent ; les noyaux deviennent indistincts ; les prolongements cellulaires sont plus grêles. Dans les territoires lombaire et sacré, les éléments chromatophiles disparaissent, des vacuoles se montrent de plus en plus nombreuses en se rapprochant de l’extrémité inférieure ; on distingue difficilement les masses nucléaires ; les expansions sont tordues, filiformes, la congestion est excessive ; la prolifération est manifeste, surtout au niveau du groupe antéro-interne, vers la partie de la substance moyenne grise ; en ce point les cellules embryonnaires sont assez nombreuses.

L’examen des centres supérieurs, de la protubérance, du bulbe, etc. révèle aussi quelques altérations.

« En somme on constate l’existence d’une polio-myélite lombo-sacrée associée à des névrites prédominantes dans les membres antérieurs ; les lésions centrales paraissent tenir de préférence, sous leur dépendance, les troubles morbides des pattes postérieures ; les lésions périphériques sont plutôt en rapport avec les désordres moteurs de ces membres antérieurs. » 

11 s’agit dans ce cas d’une maladie expérimentale, mais il est intéressant de rapprocher la description des lésions médullaires, surtout accentuées au niveau de la région lombo-sacrée et de la terminaison, des constatations relatées par Romiti dans l’autopsie qu’il eut l’occasion de pratiquer et qu’il consigne en ces termes (ind. bibl. 2).

« Moelle spinale — Méninges congestionnées ; les vaisseaux superficiels de la moelle sont gorgés de sang ; la moelle est de consistance normale dans toute son étendue ; il existe une légère congestion de son tissu au niveau de la substance grise et plus encore dans les parties inférieures des viscères. » 


E. — Lésions produites par l’échidnotoxine en dehors du système nerveux.


Si l’échidnotoxine semble être surtout une neurotoxine, elle produit cependant des lésions en dehors du système nerveux, et s’attaque aux éléments cellulaires du foie et du rein. M. Vaillant, dans sa thèse (ind. bibl. 8) a donné Une description très détaillée de ces lésions qui évoluent d’ailleurs en même temps que les lésions congestives. Le foie est l’organe le plus atteint. La congestion peut produire une rupture dans la continuité des cellules et même la tuméfaction trouble évoluant parfois jusqu’à la nécrose totale. Ces altérations seraient surtout marquées au niveau de la région centro-lobulaire, les cellules périphériques pouvant cependant être atteintes dans les cas où l’intoxication a été lente et prolongée.

« Le protoplasma, écrit Vaillant (p. 63), devient moins homogène les granulations qui le constituent sont irrégulières, puis elles se groupent laissant ainsi des espaces vides, des vacuoles plus ou moins grandes. Celles-ci n’ont aucune forme bien nette, leurs contours sont diffus, quelquefois elles peuvent occuper la presque totalité d’une cellule. Parallèlement à ces altérations du protoplasma, il s’en développe d’autres dans le noyau. Il commence par diminuer de volume, il se colore mal, puis il se désagrège, et quelquefois avant sa disparition complète, l’on aperçoit, répandus çà et là dans une masse protoplasmique granuleuse et vacuolaire, quelques grains de nucléine plus ou moins nets. Ces lésions sont habituellement diffuses. Cependant, dans certains cas, il semble y avoir une certaine localisation. On trouve de petits foyers où le tissu hépatique est absolument détruit.....

« À côté de cette lésion cellulaire, il y en a une autre qui semble assez constante et qui et indépendante de celle que nous venons de décrire. La dégénérescence graisseuse a été observée dans tous les cas d’intoxication prononcée. Son intensité d’ailleurs varie selon le degré de l’envenimation.....

« Cette dégénérescence graisseuse est absolument indépendante de l’état vacuolaire ; elle n’en est pas la cause. Les granulations adipeuses laissent dans les cellules un vide caractéristique dont la forme est régulièrement arrondie et les contours nets.....

Du côté du rein, les altérations sont également importantes.

« Le revêtement épithélial de la capsule de Bowmann, dans les cas de mort tardive, est souvent boursouflé, le noyau se colore mal (Thèse de Vaillant, p. 65).

« Dans les tubes contournés les lésions cellulaires sont extrêmement marquées ; elles ont une certaine analogie avec celles du foie. Toutes les cellules ne sont pas toujours atteintes ; à côté d’éléments sains ou à l’état de simple tuméfaction trouble, on en rencontre de profondément altérés. Quelquefois dans un tube les cellules sont gonflées et la lumière rétrécie, mais le protoplasma est homogène et le noyau se colore bien. Le plus souvent, des granulations et des vacuoles apparaissent dans la cellule, le noyau n’est plus alors très net. Mais le processus morbide ne s’arrête pas là : dans le foie, malgré l’intensité des lésions, les limites cellulaires subsistaient toujours ; ici elles s’effacent. C’est d’abord la limite interne qui disparaît. Les granulations protoplasmiques se répandent dans la lumière du tube ; puis bientôt on ne parvient même plus à la distinguer sur les parties latérales. On aperçoit alors un tube dont la lumière est mal limitée et occupée par un exsudat granuleux, une couronne sans structure, compacte à la périphérie, mais se désagrégeant au fur et à mesure que l’on s’approche du centre[…]

« Dans les branches de Henle, nous retrouvons la même marche des altérations, cependant elles ne se poursuivent pas toujours aussi loin. L’exsudat y est très abondant, à structure confuse, granuleuse, çà et là on peut y distinguer des fragments de noyau, rarement des hématies. Le plus souvent l’épithélium du tube n’est pas lésé dans sa totalité.

« Les branches grêles de Henle et les collecteurs sont ordinairement sains, quelquefois on peut y rencontrer une desquamation légère. Elle se fait alors en masse, des files de cinq ou six cellules viennent se placer dans la lumière de ces canaux. Le noyau de celles-ci est mal coloré et le protoplasma granuleux ; dans les intoxications lentes seulement vers le deuxième ou troisième jour, on trouve cette lésion. » 

§ 4. — Congestions et Hémorragies viscérales.

Nous étudions à part ces phénomènes de congestions et d’hémorragies parce qu’il nous semble très difficile de faire la part relative qui revient, dans leur production, à chaque élément constitutif du venin. Relèvent-ils de l’échidnase, de l’échidnotoxine, ou d’une substance spéciale conférant au venin des Vipéridés cette propriété hémorragipare ?

Nowack (ind. bibl. 7) expérimentant avec les venins de divers reptiles des pays chauds, chauffés à 80° et ainsi dépourvus de leur propriété phlogogène, a néanmoins, constaté à l’autopsie des animaux envenimés des lésions congestives des reins, des poumons et de l’intestin. Noc, au contraire, prétend avec Calmette qu’à cette température, le pouvoir hémorragipare des venins disparaît.

« En chauffant, écrit Noc (ind. bibl. 9), les divers venins graduellement de 60° à 80° pendant une demi-heure, en tube scellé au bain-marie, j’ai pu me rendre compte que tous les venins perdent complètement la propriété hémorragipare et ne déterminent chez la souris qu’un léger œdème pour toute réaction locale{{corr|.....|[…] « On peut donc arriver à débarrasser les venins de toute substance hémorragipare par le chauffage à 80°. Par centrifugation, on sépare les substances coagulées et l’on obtient des solutions limpides qui doivent contenir la neurotoxine, puisque celle-ci n’est détruite qu’aux environs de 100° et au-delà. » 

D’autre part, les phénomènes hémorragiques semblent marcher de pair au point de vue de l’intensité avec les phénomènes d’inflammation locale ; presque nuls avec les venins de Colubridés qui sont surtout neurotoxiques, ils sont très intenses avec les venins de Crotalinés qui sont peu neurotoxiques mais produisent des œdèmes considérables ; les venins des Vipérinés occupent entre ces deux extrêmes une place intermédiaire.

Ces raisons portent à croire que l’échidnase joue un rôle important dans la production des phénomènes hémorragiques. Mais on ne saurait affirmer que seule elle jouit de cette action, et il est très probable que l’échidnotoxine intervient elle aussi en créant les vaso-dilatations. La fonction hémolytique du venin, que Noc nous montre différente de la fonction hémorragipare doit, elle aussi jouer un rôle dans la production de ces phénomènes.

Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne le venin de vipère, les phénomènes de congestion et d’hémorragies ont été observés par tous les auteurs. Kaufmann écrit (ind. bibl.3) :

« Les congestions, les hémorragies interstitielles ont leur lieu de prédilection dans la muqueuse gastro-intestinale, les muscles abdominaux, intercostaux internes et le triangulaire du sternum, les reins, la vessie, l’endocarde du cœur gauche. Les centres nerveux sont plutôt anémiés que congestionnés. »

Vaillant a décrit ces lésions congestives considérées au point de vue microscopique ; elles sont surtout marquées dans le foie et dans le rein, où elles coexistent avec des altérations cellulaires des parenchymes, dans le cœur et les poumons.

« Foie : La disposition lobulaire est parfaitement conservée, ce qui frappe tout d’abord, c’est l’état congestif du foie. Les veines intra-lobulaires sont dilatées, les capillaires qui en partent sont fortement ectasiés et leur calibre est très souvent bien supérieur à l’épaisseur des trabécules hépatiques. Parfois même leur diamètre augmente encore et donne au tissu un vague aspect de tissu caverneux. Cette zone d’ectasie capillaire s’étend quelquefois jusqu’à la périphérie du lobule et jusqu’aux espaces porto-biliaires ; le plus souvent elle ne comprend que les deux tiers ou la moitié interne du lobule […]

« Les capillaires intra-lobulaires renferment des globules blancs en plus grand nombre qu’à l’état normal ; ce sont des lymphocytes et surtout des leucocytes polynucléés. On peut dans quelques points à l’intérieur d’un capillaire sanguin, trouver un amas de trois ou quatre leucocytes réunis. » 

« Reins : Les glomérules sont généralement peu altérés, quelquefois on trouve dans la capsule de Bowmann un léger exsudat granuleux et quelques globules rouges du sang. Les cellules de revêtement de la capsule et du bouquet glomérulaire ne paraissent pas sensiblement modifiées. Mais les capillaires sont un peu dilatés et le glomérule est assez souvent infiltré par une certaine quantité de leucocytes polynucléés et quelques lymphocytes […]

« Le tissu conjonctif intercellulaire est légèrement infiltré par des lymphocytes. De loin en loin, dans la substance corticale, on rencontre de petits îlots où l’infiltration lymphocytique est très intense. Leurs limites sont très diffuses, l’infiltration diminue petit à petit sur leurs bords. Les vaisseaux sont légèrement ectasiés. Leurs parois sont intactes. À leur pourtour existe parfois une légère infiltration de lymphocytes.

« Cœur. — Les vaisseaux et capillaires sanguins sont dilatés et bourrés de sang. Par place on trouve même quelques très petits foyers d’infiltration hémorragique.

« Poumons. — Dans les préparations, on rencontre de gros noyaux où l’on trouve les altérations suivantes : une très grande quantité de lymphocytes et de leucocytes polynucléés a envahi les parois alvéolaires ; elles sont excessivement épaissies. Les cavités alvéolaires sont très rétrécies, presque effacées en certains points. Les capillaires sont fortement distendus et contiennent aussi de nombreux globules blancs polynucléés. Les alvéoles renferment un très léger exsudat granuleux et quelques grosses cellules endothéliales desquamées et boursouflées, parfois quelques hématies […]

« En dehors de ces noyaux, le tissu pulmonaire est normal ou seulement légèrement congestionné ». (Thèse de Vaillant, observation XIII : cobaye mordu par une vipère aspic. Mort deux heures après. Pages 42-45) (ind. bibl. 8).

L’autopsie, pratiquée par Romiti, nous montre que ces lésions congestives peuvent être très accentuées chez l’homme, Romiti les relate en ces termes (ind. bibl. 2) :

« Le poumon gauche présente de vieilles adhérences au sommet ; l'organe est assez congestionné dans ses parties les plus déclives ; il est rempli littéralement de sang fluide noirâtre. Le poumon droit est de même moins les adhérences ; la muqueuse bronchique assez congestionnée […]

« Le péritoine pariétal est congestionné le viscéral l’est encore plus, et davantage encore la partie qui constitue la séreuse intestinale. Les intestins sont distendus au maximum par des gaz ; leurs parois présentent une fine injection dans les vaisseaux de toutes leurs couches […]

« Rate extraordinairement molle, mesurant 16 centimètres dans son plus grand axe ; pulpe splénique demi-fluide, couleur lie de vin, sang noir fluide dans les gros vaisseaux, corpuscules de Malpighi assez apparents ; poids 265 grammes […]

« Le foie pèse 1,680 grammes ; son parenchyme est mou, jaune foncé, ses vaisseaux sont gorgés de sang noir fluide, qui s’écoule en abondance en comprimant le viscère[…] il existe sur la face inférieure de l’organe de nombreuses suffusions sanguines, véritables ecchymoses, sous la capsule de Glisson ; la plus grande partie de celles-ci sont punctiformes, mais il en existe une d’un centimètre et demi de diamètre, située sur la face inférieure du lobule de Spiegel, dans sa partie médiane […]

« Les reins ont une texture molle, ils sont assez congestionnés, surtout dans la partie corticale ; des ecchymoses analogues à celles du foie existent sous la séreuse ; elles se trouvent sur la lace postérieure, surtout sur le rein gauche […]

« Capsules surrénales congestionnées. Les organes génito-urinaires sont normaux.

« Les intestins ouverts renferment un peu de matières.

celles-ci sont molles et colorées par la bile ; la muqueuse est congestionnée, surtout près de l’iléon […] (Homme de 40 ans mort, quatre heures après morsure de vipère aspic.)

§ 5. — Mécanisme de la mort.

Ces lésions si diverses créées par le venin permettent d’expliquer la mort qui survient à la suite de l’intoxication vipérique. Il est plus difficile de faire la part relative qui revient à chaque lésion envisagée en particulier. Romiti termine le compte rendu de son autopsie par le diagnostic anatomique suivant : « Mort par congestion pulmonaire asphyxique due à un empoisonnement rapide. »

Les lésions congestives, l'hypothermie qui en résulte peuvent aussi expliquer la mort.

Pour Kaufmann (ind. bibl. 3) celle-ci « est due surtout U l’apoplexie de l’appareil gastro-intestinal et du rein, et aussi à l’action stupéfiante exercée sur les centres nerveux. L’anémie profonde, écrit-il, qui succède à la congestion et à l’hémorragie des organes abdominaux est à mes yeux très suffisante pour expliquer la mort dans le cas d’introduction directe du venin dans le sang. La respiration s’éteint toujours avant le cœur. Celui-ci peut continuer à battre pendant deux ou trois minutes et même plus après l’arrêt respiratoire. » 

Il s’agit de la mort survenant après injection intraveineuse, c’est-à-dire dans des conditions où le venin ne produit pas de lésion locale, Mais considérant les cas où le venin est inoculé dans le tissu conjonctif sous-cutané, Kaufmann distingue les cas où la mort, survenant quelques heures après l'inoculation, résulte d’une absorption toxique et ceux où la mort est plus tardive, survenant douze heures, par exemple, après absorption du venin. Dans ce cas le venin ne tuerait pas directement comme poison, mais indirectement par les effets locaux congestifs et hémorragiques qu’il provoque, les lésions locales devenant le point de départ d’une infection qui tue ensuite rapidement les animaux. Kaufmann remarque en effet que chez le cobaye la toxicité du venin semble varier selon le lieu de l’inoculation sous-cutanée. Tandis que deux lots de deux cobayes inoculés, l'un à la face interne de la cuisse droite, l'autre sur la ligue médiane de la tête un peu au-dessus des narines succombent tardivement, 20 heures environ après l’inoculation un troisième lot de deux cobayes inoculés à la face latérale gauche de la poitrine survit.

Chez les cobayes des deux premiers lots, Kaufmann avait constaté une infiltration énorme des tissus autour du point d’inoculation, sans lésions hémorragiques du côté du rein, du tube digestif et du cœur. Chez les cobayes du troisième lot qui ont survécu, l'infiltration locale était moins étendue.

« Cette expérience démontre, écrit Kaufmann, que la même dose de venin est inégalement dangereuse suivant le point de la peau où elle est inoculée. Si le venin est déposé dans une région où les lésions locales peuvent s’étendre facilement, la mort arrivera comme conséquence de ces altérations locales ; si, au contraire, le venin est inoculé dans un point qui, par sa position ne permet pas l’extension des accidents locaux sur une grande surface, il se produit une gangrène de la peau et élimination d’une eschare, mais sans accidents mortels.

« Dans le cas de morsure naturelle, la mort peut certainement, comme dans les cas d’expérimentation, être le résultat d’une intoxication par absorption du venin ou la conséquence des altérations locales extrêmement intenses qui apparaissent dans la plupart des cas. Je puis affirmer d’après mes observations que les lésions hémorragiques locales, c’est-à-dire celles qui se développent au point de la morsure, causent plus souvent la mort que l’absorption du venin et son transport par le sang dans tous les points de l’économie. » 

Autrement dit, il est certain que dans certains cas la mort est due à l’action de l’échidnotoxine, mais pour Kaufmann, le principe local, l’échidnase, serait lui aussi capable d’entraîner la mort.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Albertoni. – Sull’azione del veleno della vipera. (Lo Sperimentale. Firenze, 1879, p. 142-153.)

2. Romiti (G.). – Indagini anatomiche sopra un caso di morte da morsicatura di vipera. (Riv. clin, di Bologna, 1884 ; 3 s, IV, 26-29.)

Recherches anatomiques sur un cas de mort par morsure de vipère, trad. par G. Millot Carpentier. (Archives italiennes de biologie. Turin, 1884 ; p. 37-46.)

3. Kaufmann. – Du venin de la vipère. (Mém. de l’Acad. de médecine, 1889, tome 36.)

4. Kaufmann. – Les Vipères de France. (Paris 1893.)

5. Phisalix (C.). – Venins et Animaux venimeux dans la série animale. (Revue Scientifique, Paris 1897, 14 août.)

6. Charrin et Claude. – Paralysie expérimentale sous l’influence des venins. Altérations de la moelle (poliomyélite) et des nerfs (névrite). (Compt. rend. Acad, des Sciences. Paris, 1898, p. 925-926.)

7. Nowack (J.). – Étude expérimentale des altérations histologiques produites dans l’organisme par les venins des serpents venimeux et des scorpions (trav. du lab.de M. Metchnikoff). (Annales de l’Institut Pasteur, Paris, juin 1898.)

8. Vaillant (L.A.A.M.). – Étude expérimentale de quelques lésions viscérales causées par le venin des serpents. (Thèse de Bordeaux, 1902, 75 p., no 46.)

9. Noc (F.). – Sur quelques propriétés physiologiques des différents venins de serpents (trav. du lab. de M. Calmette). (Annales de l’Institut Pasteur, juin 1904.)


CHAPITRE V

L’envenimation vipérique chez l’homme. — Pathologie.


§ 1. — Envenimation en général.

Chez l'homme, comme chez l’animal d’expérience, l’envenimation se manifeste par des symptômes locaux, c’est-à-dire qui débutent au lieu même de la morsure et irradient à partir de ce point, et par des symptômes généraux d’intoxication.

Nous étudions dans ce chapitre la symptomatologie de l’envenimation vipérique et nous superposons, dans la mesure du possible, les faits cliniques aux résultats que nous ont fournis la physiologie et l'anatomie pathologique. Nous considérons d’abord la lésion locale créée par le principe isolé par Phisalix et par lui désigné sous le nom d’échidnase, puis les phénomènes généraux relevant du principe qui agit particulièrement sur le système nerveux, autrement dit de l'échidnotoxine de Phisalix. Comme dans le chapitre précédent et pour les mêmes raisons, nous étudions à part les faits de congestions et d’hémorragies viscérales. Efin nous considérons la marche de la maladie, ce qui nous amène à dire quelques mots de l'envenimation chronique et du mécanisme de la mort dans les cas où la terminaison a été fatale.

§ 2. — Lésions locales (Échidnase).

Elles consistent tout d’abord en la lésion même créée par le fait de la morsure, celle-ci étant plus ou moins profonde, de siège variable, plus ou moins douloureuse et suivie d'un écoulement sanguin plus ou moins abondant. Ensuite survient une tuméfaction, créée par un œdème d’allure spéciale, qui s’accompagne d’une douleur produite par la distension des téguments, d’une sensation d’engourdissement et de refroidissement du membre blessé, de phénomènes hémorragiques et dans certains cas de phlyctènes.

Si nous considérons nos observations nous voyons que la morsure siège le plus souvent aux doigts (obs. I, II, V, VI, VII, X, XIV, XV, XIX, XX, XXVIII, XXXII, XXXV), ou dans les plis interdigitaux (obs. XII, XVII, XXVII, XXXVI), sur la main (obs. IV, XVI, XXIV, XXV). Plus rarement, elle siège au pied, au niveau des malléoles ou de la partie inférieure de la jambe (obs. III, VIII, IX, XVIII, XX, XXI, XXX, XXXI, XXXIV).

Exceptionnellement, et à la suite de circonstances toutes particulières, nous la voyons siéger à la poitrine, au-dessus du sein gauche [obs. XXIII), au front (obs. XXVI), au ventre (obs. XXIX), ou avoir deux sièges différents, le reptile mordant une première fois, puis réitérant sa morsure au moment où le blessé cherche à le saisir pour s’en débarrasser (obs. XI).

Il se peut qu’il n’y ait qu’un seul crochet qui pénètre (obs. I, XIV XXV) ; dans d’autres cas ils Pénètrent tous les deux, et parfois si profondément que la vipère ne peut lâcher prise et que le blessé est obligé de l’arracher (obs. I, XVII).

La douleur consécutive à la blessure est d’intensité variable, tantôt à peine perçue (obs. II, XIV), comparable à une piqûre d’épingle (obs. XV) ; d’autres fois elle est très douloureuse (obs. XII, XXIX), pouvant même provoquer l’évanouissement immédiat (obs. XXXV).

L’écoulement sanguin consécutif à la morsure est très minime, dans toutes les observations où il est signalé. Il peut même faire défaut (obs. II).

Le premier symptôme local, consécutif à la piqûre, consiste dans un gonflement qui débute autour de celle-ci par une auréole violacée pour s’étendre de proche en proche à une portion plus ou moins grande du membre blessé, pouvant même envahir le tronc. Dans ce cas il a tendance à ne pas dépasser la ligne médiane et à rester localisé au côté qui répond à la partie lésée. Cependant cette tendance n’est pas absolue et dans les cas très graves le gonflement peut être généralisé (obs. XXI, XXIII). Par contre il peut être très peu étendu (obs. II, XIV).

La marche de cette tuméfaction œdémateuse est très intéressante à considérer. Comme c’est un phénomène qui frappe, et qui effraie par son mode d’extension, il est généralement bien décrit dans les observations. L’analyse de quelques-unes donnera mieux qu’une description une idée de sa marche.

Observation I. — (Homme de 25 ans mordu au pouce de la main droite) ;

1er  jour. — L’œdème envahit le doigt et la main.

2e  jour. — L’œdème envahit le bras, l’épaule, l’aisselle, la mamelle et la région hépatique.

3e  jour. — L’œdème semble vouloir gagner le côté gauche.

4e  jour. — L’œdème tend à rétrocéder, disparaissant au foie, à la mamelle et à l’aisselle,

5e  jour. — L’épaule est désenflée.

6e  jour. — Les parties atteintes sont revenues à l’état normal.

Observation XIII. — (Homme, 30 ans, mordu à l’index de la main droite) :

1er  jour. — 3 heures ½ après la morsure, l’avant-bras commence à se tuméfier.

4e  jour. — L’œdème a envahi tout le bras, jusqu’à l’épaule.

5e  jour. — Il s’étend au tronc.

7e  jour. — Diminution.

9e  jour. — La tuméfaction du membre est presque nulle.

Observation XV. — (Femme, 29 ans, mordue à l’index droit) :

1er  jour. — La main est enflée.

2e  jour. — Extension de l’œdème à l’avant-bras, au bras et à l’épaule.

3e  jour. — Il atteint la partie droite de la poitrine et du dos.

4e  jour. — S’étend au ventre et aux reins, mais reste limité à la partie droite.

5e  jour. — État stationnaire ; l'œdème est un peu moins dur.

7e  jour. — Diminution du gonflement au niveau du sein et de l’épaule.

9e  jour. — Épaule et poitrine revenues à leur état normal ; œdème très mou au niveau de la main et de l’avant-bras.

14e jour. — L’avant-bras est complètement désenflé.

Observation XVI. — (Enfant, 13 ans, mordu à la main droite) :

1er  jour. — Une heure après l’accident, œdème considérable de toute la main et de l’avant-bras, 6 heures ½ après, l’œdème, blanc verdâtre, a gagné l’épaule.

2e  jour. — Pendant la nuit, il a envahi la région pectorale, jusqu'au-dessus du sein droit, et la région axillaire.

4e  jour. — La coloration brune de l’œdème pâlit et il rétrocède à partir de l’épaule : la pression ne détermine plus de godet sur la région pectorale.

6e  jour. — L’œdème continue à diminuer : mouvements du coude et du poignet plus faciles.

7e  jour. — La main, seule, est enflée.

14e jour. — Tout œdème a disparu, mais la main est encore lourde.

Observation XVII. — (Homme, mordu à la main droite entre le pouce et l’index).

1er  jour. — 4 heures ½ après l’accident, la main est considérablement tuméfiée, de couleur livide et le gonflement remonte jusqu’au ⅓ supérieur de l’avant-bras.

2e  jour. — Extension de l'œdème aux ⅔ inférieurs du bras, atteignant le soir le moignon de l'épaule et débordant un peu sur le thorax (7 heures ½) ; à 8 heures ½, il a envahi le cou et la moitié droite du thorax.

4e  jour. — L’œdème tend à s’affaisser un [peu, mais s’étend sur le côté gauche du thorax et vers la partie inférieure du tronc notamment sur les parties latérales.

5e  jour. — Il descend sur les flancs jusqu’à la crête iliaque ; il a atteint son apogée et sa localisation est décrite avec beaucoup de détails dans l’observation,

6e  jour. — Même état.

7e  jour. — Il tend à rétrocéder.

10e jour. — Le bras est encore tuméfié.

19e jour, — Le bras a repris son aspect normal.

Observation XXI. — (Femme, 61 ans, mordue au bas de la jambe gauche) :

1er  jour. — 5 heures après l’accident la cuisse est envahie par l'œdème.

2e  jour. — L’œdème est généralisé : le membre gauche énorme.

3e  jour. — L’œdème est tellement étendu que la malade ne peut soulever les paupières : Mort.

Observation XXII. — (Enfant, 6 ans) :

1er jour. — Dans l’après-dîner, l’œdème est généralisé : Mort.

Observation XXIII. — (Homme, 47 ans, mordu au-dessus du sein gauche :

1er  jour. — Après 12 heures, mort avec engorgement œdémateux généralisé.

L'œdème ne reste pas toujours limité au tissu cellulaire sous-cutané. Il peut envahir les tissus sous-muqueux et s’étendre à la glotte. Nous le voyons envahir les lèvres (obs. I), la langue (obs. IV et V). L’accès de dyspnée intense, qui survient la nuit du second jour chez le malade de l’observation XIX, concordant avec l’envahissement du cou par l’œdème, pourrait bien être dû à l’œdème de la glotte.

Cet œdème est douloureux et gène les mouvements, par la distension qu’il provoque dans les tissus. La douleur est de caractère variable ; tantôt les malades n’accusent qu’une sensation d’engourdissement (obs. II, III, XII, XIV, XVI, XVII) ou de fourmillements (obs. XIII). Elle est exagérée par la pression et les mouvements imprimés au membre. Dans d’antres cas elle est très vive (obs. VIII), lancinante, ou encore le malade présente une hyperesthésie très douloureuse des téguments (obs. IX, XVI, XXI, XXVI). Des cautérisations de la plaie, au fer rougi à blanc, après large débridement, l’auraient fait disparaître presque Instantanément (obs. VIII et IX). Cette douleur accompagne l’œdème, apparaissant et rétrocédant avec lui.

Les taches ecchymotiques et les lividités accompagnent l’œdème, mais elles apparaissent un peu plus tardivement. Elles sont de couleur rouge, violacée par places, violette le soir, et siègent principalement dans les parties déclives (obs. II).

Quatre jours après la morsure, le membre inférieur présente un aspect ecchymotique couleur lie de vin, le membre supérieur, également mordu, présente des ecchymoses, surtout à sa partie interne (obs. XI) ; des taches violacées apparaissent au 2e  jour particulièrement à la partie postéro-interne du bras [obs. XII) ; au 4e  jour, tout le membre supérieur droit et une partie du thorax du même côté sont tuméfiés et violacés (obs. XIII). La teinte rouge livide (le l'œdème, s’effaçant peu à peu au 14e jour, est signalée (obs. XVII), ou encore la teinte jaune verdâtre de la peau de la jambe plus marquée à la cuisse où la lividité prend l’aspect de marbrures (obs. XXI). Signalées dans nombre d’autres observations (obs. XX, XXIV, XXXII, XXXV), les taches ecchymotiques apparaissent parfois très rapidement (obs. XXIII).

Les phlyctènes sont moins fréquentes ; nous les trouvons cependant signalées dans quelques observations. Elles apparaissent au 3e  jour au nombre de deux ou trois sur la face antérieure du membre ; elles sont assez nombreuses au 4e  jour sur le bras et l’avant-bras et il en existe quelques-uns sur le tronc (obs. XIII). Au 2e  jour trois phlyctènes brunâtres de 2 centimètres de large, apparaissent sur la paume de la main et le poignet pour s’affaisser au 6e  jour (obs. XVI) ; quelques petites phlyctènes sur la main apparaissent le jour même de l’accident (obs. XVII), sur l’index, autour de la plaie, au 2e  jour, séchant au 8e  jour pour disparaître au 13{{e|e} (obs. XV). Au 2e  jour le membre mordu est couvert de phlyctènes (obs. XXI). La main, l’avant-bras et toute la partie antérieure de la poitrine, qui sont tuméfiés, sont également couverts de phlyctènes (obs. XXIV).

L'eschare, consécutive à la piqûre, n’est signalée que dans une observation, et dans ce cas elle ne se détache qu’un mois ; après l’accident, à la dernière phalange du doigt et à la partie mordue (obs. XXXII). Il est probable qu’elle n’est pas signalée plus souvent parce que les médecins n’ont pas observé sa chute qui est trop tardive, ou parce que dans certains cas, les parties mordues ont été modifiées par les topiques et les traitements locaux.

L'hypothermie du membre blessé est signalée (obs. XII et XVI). Dans l’observation XIV, il survient au 5e  jour dans le doigt piqué et dans la région métacarpienne correspondante de la démangeaison qui persiste au 6e , au 7e  et au 8e  jour encore à la phalange piquée. De même le blessé de l’observation XVII présente sur les parties qui ont été le siège de l’œdème un prurit marqué, apparaissant au 14e jour et persistant encore au 19e époque à laquelle on constate une desquamation fine de la peau.

L’angioleucite et rengorgement ganglionnaire sont signalés dans quelques observations. Les ganglions lymphatiques de l’aisselle droite sont indurés et douloureux à la pression (obs. VII). Le soir de l’accident, on constate de la rougeur et de la douleur au niveau du ganglion épitrochléen et, à partir de ce ganglion, une traînée lymphatique jusqu’à l’aisselle (obs. XV) alors qu’à ce moment la main seule est enflée. Dans la même observation, au 14e jour, alors que l’avant-bras est désenflé, il reste encore un peu de dureté à la partie interne du bras. Il semble, dans ce cas du moins, qu’il s’agit d’une inflammation indépendante de l’action du venin et en effet, la dent de la vipère ne crée pas toujours une plaie aseptique. C’est ainsi que Viaud-Grand-Marais signale le développement d’abcès autour des crochets, relevant certainement d’une infection indépendante de l’action du venin.

Le phénomène le plus considérable dans la lésion locale, consiste dans l'apparition et l’extension de l'œdème. Cet œdème présente des caractères spéciaux. Romiti a trouvé dans l’autopsie qu’il a pratiquée, alors même que l'œdème avait eu très peu de temps pour évoluer, le tissu cellulaire infiltré d’une sérosité sanguinolente très fluide ; cette sérosité avait envahi également les muscles sous-jacents.

Le docteur Roché (obs. XIII) attire l’attention sur le liquide qui s’échappe des incisions pratiquées sur son malade et écrit : « Mais ce que je tiens à signaler, ce que je n’ai lu nulle part dans les nombreuses observations que j’ai compulsées, c’est cet écoulement jaune safrané qui a eu lieu sans ictère dans aucun point du corps par les scarifications que j’avais pratiquées. » 

De même, des mouchetures pratiquées dans le cou, il sort de la sérosité rougeâtre (obs. XXVI) ; il se produit un écoulement séreux jaunâtre très abondant par l’incision pratiquée la veille (obs. XXVII).

L’œdème, par la consistance de son liquide, est donc très particulier. Sa coloration peut être expliquée par la présence des principes colorants du sang modifiés par l’action de l’échidnase, mais ce n’est là qu’une hypothèse.

§ 3. — Phénomènes généraux résultant de l’action du venin sur le système nerveux, et sur le rein (échidnotoxine).

A. — Troubles de la sensibilité et de la motilité.

L’action exercée par le venin sur la sensibilité en général et signalée par Kaufmann chez les animaux en expérience, consistant en une tendance à la torpeur et à l’ assoupissement, ne se rencontre guère dans nos observations. La tendance à la somnolence est cependant signalée dans l'observation XIV et le malade de l’observation XI, après avoir perdu connaissance et être revenu à lui, est comme paralysé et ne peut que se traîner par terre en rampant. Dans la plupart des cas, les malades gardent leur intelligence. Toutefois l'agitation et le délire sont mentionnés dans quelques observations (obs. IV, VIII, XII, XVI, XXV, XXVI, XXVII).

Par contre tandis que chez les animaux en expérience, les nausées étaient à peine esquissées, elles prennent chez l'homme une importance considérable. Les symptômes gastro-intestinaux consistant en nausées, vomissements, coliques, douleur épigastrique et selles, parfois involontaires, sont signalés dans la plupart des observations. Les nausées surviennent parfois très peu de temps après la morsure : moins d’un demi-quart d’heure (obs. I) ; dans les 20 minutes qui suivent l’accident (obs. XIII), trois quarts d’heure après (obs. XXIII), de une heure à une heure et demie après (obs. XII et XV). Les vomissements cessent assez rapidement et parfois ne durent que quelques heures (obs. II, XIII, XV, XXIII), mais ils peuvent, dans les cas graves, persister plusieurs jours (obs. XXVI, XXYII). La diarrhée apparaît à peu près en même temps (obs. VIII, IX, XI, XVII) et est, elle aussi, parfois persistante (obs. XXVI).

Viaud-Grand-Marais (ind. bibl. 6) attribue ces phénomènes gastro-intestinaux à l'élimination du principe toxique, par les voies digestives.

L’action du venin sur le système moteur se traduit dans certains cas par des mouvements convulsifs. Le malade présente des mouvements convulsifs et des roidissements de tout le corps, surtout du cou et des muscles de la tête (obs. I); il est pris de mouvements convulsifs inconscients dans l’une des jambes (obs. II). Quelques convulsions surviennent au 3e  jour, spécialement aux muscles du visage (obs. XII) ; un accès de rire convulsif durant une heure et demie s’observe chez l'enfant de l’observation XVI.

B. — Perturbation dans la pression sanguine et troubles circulatoires.

La dépression de la tension artérielle existe chez l'homme envenimé comme chez l’animal. Les lipothymies, les défaillances, les syncopes sont très fréquentes. Elles surviennent presque immédiatement après l'accident, quelques minutes après (obs. I, X, XI, XVI), durant quelques minutes (obs. XVI), une heure au moins (obs. XI). La dépression sanguine est donc aussi rapide que dans l'envenimation expérimentale. L'état syncopal lui-même peut durer plusieurs jours ; nous voyons la tendance aux lipothymies persistante au 3e  jour (obs. XII) ; les syncopes peuvent devenir très rapprochées et déterminer la mort (obs. XIX).

Le pouls est petit, misérable, accéléré (obs. I, VIII, IX, X, XI, XIII, XVII, XXI). Dans une seule de nos observations il est très ralenti, tombant à 24 pulsations par minute (obs. IV).

C. — Ralentissement des Combustions interstitielles.

Il ne se manifeste pathologiquement que par l’hypothermie qui résulte aussi pour une part des vaso-dilatations. Les sueurs froides et les frissons sont constatés souvent (obs. I, IX, X, XIII, XVII, XXI, XXIII, XXVI, XXVII). La malade de l’observation XX présente pendant cinq jours consécutifs une température = 36°2 matin et soir. Il est probable que si on recherchait la température à l’aide du thermomètre, on la constaterait plus souvent.

Chez l’homme, l’intoxication des centres nerveux bulbomédullaires, se traduit aussi par la dyspnée, indépendante de celle que peuvent créer l’œdème de la glotte ou les phénomènes congestifs du côté des poumons. Elle apparaît de bonne heure, dans les six heures qui suivent l’accident, se calmant au second jour (obs. XVI) ; on la rencontre cinq[ heures après la morsure, persistant encore le lendemain dans l’observation XXI où la mort survient au troisième jour.

D. — Lésions produites par l’échidnotoxine en dehors des centres nerveux.

Ces lésions si marquées, que l’anatomie pathologique nous montre dans les cellules du foie et du rein, se traduisent pathologiquement, chez l’homme du moins, en ce qui concerne le rein. C’est ainsi que l’anurie ou l’oligurie au cours de l’intoxication sont signalées (obs. XIII, XV, XVI), de l’analyse décèle 20 centigrammes d’albumine pour 1000 d’urine dans le cas de l’observation XVII et des traces d’alumine persistant encore au huitième jour.

En ce qui concerne le foie, nos observations sont muettes. Toutefois nous devons dire que Viaud-Grand-Marais a observé l’ictère survenant au cours de l’envenimation vipérique (ind. bibl. G).

§ 4. — Congestions et hémorragies viscérales.

Ces phénomènes ont également leur traduction pathologique. C’est ainsi qu’on observe peu de temps après la morsure l’hématémèse et le mélœna (obs. X), des vomissements d’abord alimentaires, puis glaireux et striés de sang au quatrième jour (obs. XII) des urines rouges au quatrième jour (obs. XIII) ; l’urine contient de nombreux globules sanguins au troisième jour, au quatrième le malade a une selle noirâtre peu abondante et liquide ; il a de l’épistaxis le matin et dans la nuit du cinquième jour (obs. XVII) dans d’autres cas, nous voyons une hémorragie assez abondante du côté de l’intestin et de la vessie précéder la mort (obs. XXI) ou encore des urines sanguinolentes (obs. XXVI)

Les pbénomènes de congestion du côté du poumon sont aussi révélés i>ar la symptomatologie,

La malade de l’observation XII est prise au deuxième jour d’une toux opiniâtre, sans expectoration qui ne cesse qu’au quatrième jour. Le malade de l’observation XA’II commence à tousser et à craclicr un ])eu le sixième jour de l’intoxication. Au liuitièmc jour ses crachats sont constitués par un mélange de mucosités et de sang noir, cette expectoration rétrocédant après le neuvième jour.

L’enfant de l’observation XX présente, au septième jour, de la congestion pulmonaire à droite et en bas persistant encore au neuvième jour. Dans les observations XVII et XX la fièvre accompagne d’ailleurs l’évolution des symptômes pulmonaires. Il faut, pour l’expliquer, faire intervenir une légère infection favorisée par la congestion.

§ 5. — Marche de la maladie.

Dans la grande majorité des cas, la terminaison de l’envenimation vipérique est favorable. Aux symptômes d’intoxication générale succèdent les phénomènes de réaction. Le poids redevient plus fort, la froideur est remplacée par la chaleur naturelle, cela 4 heures après la morsure (obs. I) ; le pouls remonte le lendemain matin (obs. IV) : neuf heures après l’accident la peau s’est réchauffée et le pouls est moins faible et moins accéléré (obs. XIII). Le pouls peut d’ailleurs remonter alors que d’autres symptômes d’intoxication persistent. Il peut aussi retomber après s’être remonté (obs. XVII). Dans certains cas la terminaison se fait par crises. Les sueurs profuses apparaissent (obs. III). La réaction se produit au bout d’un temps très variable et parfois elle est assez lente à se produire. C’est ainsi que la sudation copieuse accompagnée de moiteur (après absorption de jaborandi) n’apparaît qu’au quatrième jour (obs. XII). Les symptômes d’adynamie ne disparaissent que lentement et au quinzième jour le blessé se tient à peine assis ; trois mois et demi après l’accident il est encore dans un état de faiblesse considérable (obs. XI).

Les auteurs signalent l’apparition de la fièvre à la fin de l’intoxication et traduisant la réaction favorable de l’organisme. Le malade ne présente aucun symptôme d’intoxication générale, mais le soir de l’accident il présente de la fièvre qui persiste encore le lendemain (obs. VII). Le malade de l’observation XXXII présente de la fièvre pendant plusieurs jours alors même que les accidents toxiques ont disparu dans les 24 heures. Nous voyons la fièvre apparaître le soir du quatrième jour (obs. XVII) T = 37°7, le soir du sixième jour T = 37°6, le soir du huitième jour T = 38°3, mais ici elle concorde avec l’apparition de symptômes pulmonaires. Il en est de même dans l’observation XX.

Dans l’observation XV à une température de 36°2 se maintenant pendant les cinq premiers jours succède le soir du sixième jour une température = 37°7, atteignant 38° le soir du septième jour redevenant normale au huitième jour. Mais dans cette observation il y a des phénomènes d’angioleucite et de gonflement ganglionnaire dus à une infection surajoutée.

La réaction de l’organisme peut aussi ne pas se produire on n’être pas assez intense. Dans ces cas les malades succombent à l’intoxication. Viaud-Grand-Marais distingue les cas d’envenimation suraigüe, cas dans lesquels la vie ne persiste que quelques heures et les cas d'envenimation aiguë dans lesquels la mort survient dans un délai variant de 12 heures quelques jours. Nous rapportons quatre cas d’envenimation suraiguë : garçon de six ans, mort dans le coma, le jour même de l’accident (obs. XXII] ; homme de 47, ans, mort 12 heures après la morsure, après refroidissement des extrémités et hémorragies par l’intestin et la vessie (obs. XXIII) ; garçon de 9 ans, mordu au ventre, mort 3 heures après la morsure (obs. XXIV) ; fille de onze ans, morte 2 heures après l’accident (os. XXX).

Sur sept cas d’envenimation aiguë par nous rapportés, nous voyons la mort survenir trois fois au troisième jour, chez une femme de 61 ans (obs. XXII), un garçon de 9 ans (obs. XXVII) et un autre de 10 ans (obs. XXXI) ; une fois au quatrième jour chez un garçon de 12 ans (obs. XXVI), une fois au cinquième jour, chez un homme de 60 ans (obs. XXVIII) ; une fois au septième jour, chez un garçon de 7 ans (obs. XXV) ; une fois au huitième, chez une fille de 11 ans (obs. XXIV).

§ 6. — Mécanisms de la mort.

La mort survient après que la malade a présenté de la dyspnée toxique, des lipothymies et des syncopes de plus en plus fréquentes (obs. XXI) ; la malade meurt au huitième jour faisant les plus grands efforts pour respirer sans y parvenir : elle est asphyxiée (obs. XXIV). Notons que dans ces cas il existe de l’œdème considérable de la partie antérieure de la poitrine.

Un enfant meurt au septième jour, par asphyxie, après avoir présenté cependant une amélioration notable de l’état général, mais non de l’œdème qui avait dépassé la ligne médiane du corps et envahi toute la partie gauche de la poitrine (obs. XXV). Au contraire, un autre enfant meurt le matin du quatrième jour présentant de l’absence du pouls et une grande prostration. L’œdème considérable de la ligure et du cou avait déjà notablement rétrocédé au moment de la mort (obs. XXVI). L’enfant de l’observation XXVII meurt au troisième jour, avec des sueurs visqueuses, un pouls petit, serré, filiforme, souvent imperceptible, environ 160 ; la respiration est à 30. Le gonflement fait tout le tour du thorax. Le malade de l’observation XVIII, homme de 60 ans, meurt le lendemain matin dans un coma profond. Un jeune garçon (obs. XXXI), meurt le surlendemain de sa morsure, par asphyxie.

Nous voyons donc la mort survenir par syncope, par asphyxie ou dans le coma. Si la syncope et le coma indiquent bien l'action d’une substance toxique sur le système nerveux il n’en est pas toujours de même de l’asphyxie. Celle-ci peut, en effet, relever d’une dyspnée toxique mais elle peut aussi, surtout dans les cas où elle est tardive, relever des causes mécaniques telles que l’œdème de la de la glotte ou les phénomènes de congestion du côté du poumon.

Si nous considérons dans les observations XXIV et XXV, d’une part, l’intensité des phénomènes locaux, d’autre part, la date relativement tardive de la mort ; nous sommes embarrassés pour expliquer sa cause, surtout si nous remarquons que dans l’observation XXV celle-ci survient après plusieurs jours d’amendement dans les symptômes généraux.

Nous savons que Kaufmann pense que, dans la majorité des cas, la mort est la conséquence des altérations locales produites par le venin. M. de Boismarmin commentant son observation (obs. XXVI) émet une hypothèse à peu près analogue : « De l’observation de ces faits, écrit-il, je crois devoir conclure qu’après le départ du venin dans la piqûre, une partie du venin entre dans la pour produire les effets généraux qu'on observe, qu’une autre partie se diffuse de proche eu proche et détermine l’œdème voisin de la piqûre. La sérosité venimeuse de l’œdème est reprise par la circulation plus tard et peut déterminer la mort chez des individus qui ont résisté aux accidents primitifs. Dans nos pays tempérés où la mort ne survient qu'au bout de plusieurs heures, de huit jours même parfois, c’est de cette façon qu’elle arrive. »  Autrement dit, meurt-on par l’action de l’échidnotoxine ou par celle de l’échidnase ou plutôt quelle est la part relative que prennent ces deux principes dans la production de la mort, telle est la question que nous pouvons poser sans pouvoir la résoudre d’une manière satisfaisante. Il est certain que l’échidnotoxine suffit à amener la mort. L’expérimentation l’a montré, la pathologie confirme ces résultats en montrant que la mort peut être précoce et due à des syncopes ou à une dyspnée toxique précoce, Mais la pathologie ne montre pas si l’échidnase, si la lésion locale est capable de produire la mort par action toxique indépendante de l’action mécanique. L’expérimentation pourrait peut-être donner la solution du problème.

§ 7. — Envenimation chronique.

L’envenimation vipérique peut se terminer autrement que par la guérison ou par la mort survenant dans un délai assez rapproché. Viaud-Grand-Marais décrit en effet l’echidnisme chronique, qui peut durer plusieurs mois et est toujours consécutif à une envenimation aiguë. (Ind. bibl. 5 et 6.) « La guérison est incomplète, écrit cet auteur, et l’on voit apparaître des symptômes tertiaires : les uns de moindre importance sont dits périodiques ou à répétition et consistent dans le retour, pendant plusieurs années, à l’époque de la morsure, du gonflement et de la douleur du membre et des phénomènes gastriques ; les autres appelés cachectiques constituent l’échidnisme chronique et correspondent à une altération persistante et profonde du sang. Ils apparaissent parfois dès la convalescence. Le blessé reste alors valétudinaire et continue à décliner. D’autres fois il y a une rémission : il s’est cru guéri et a repris ses habitudes, quand, sans cause apparente, il voit toutes ses fonctions s’affaiblir. Sa température s’abaisse, il est engourdi et somnolent : ses digestions sont lentes, ses gencives fongueuses ; sa peau est subictérique. Les hommes faits vieillissent prématurément, les enfants sont arrêtés dans leur développement. Le sang de ces cachectiques recueilli à la suite d’hémorragies ressemble à celui des veines sus-hépatiques et ne se coagule qu’imparfaitement.

« D’autres envenimés, après une guérison apparente de 18 mois à deux ans, meurent subitement, frappés d’accidents cérébraux, sans qu’aucune autopsie ait encore dévoilé la lésion à laquelle ils succombent. » 

Nous rapportons quelques observations d’accidents à répétition consécutifs à l’envenimation vipérique (obs. XXXII, XXXIII), d’accidents chroniques (obs. XXXVI) et d’accidents mortels à longue échéance (obs. XXXIV, XXXV). Nous pouvons y ajouter d’autres faits enregistrés par Viaud-Grand-Marais( Ind. bibl. 8.).

« Une jeune fille, soignée à l’hospice général de Nantes par le docteur Deluen, alors interne, présentait tous les ans, à l’époque de sa morsure, une éruption de taches livides sur le membre blessé.

« Jean Coulommier, de Boussay, âgé de 18 ans, fut mordu par une vipère en 1831. Il se met entre les mains d’un conjureur aux remèdes duquel il attribua sa guérison, et depuis lors il jouit d’une bonne santé ; mais chaque année au jour anniversaire de sa blessure, il ressent un malaise général ; sa jambe enfle et il s’y forme parfois des plaies. »  

La plus belle de ces observations est celle du docteur Demeurat de Tournan (ind. bibl. I) où la malade, piquée le 28 mai 1824, éprouve chaque année à la même époque de l’anxiété, des nausées, de la céphalalgie, puis voit apparaître au bout de 6 à 8 jours des bulles de pemphigus au lieu de sa blessure. Avant sa rencontre avec le serpent elle n’avait rien ressenti de semblable.

Nous n’insistons pas sur ces faits, mais nous remarquons que la régularité dans le retour des accidents, leur périodicité réglée pour ainsi dire mathématiquement permettent de soupçonner qu’il s’agit là de phénomènes d’autosuggestion ou d’hystéro-traumatisme. Notre observation XXXVI, dans laquelle est relatée une (paralysie du membre et du côté correspondant à la morsure, peut être expliquée de la même façon. Toutefois, nous savons aussi que le venin peut créer des névrites et des lésions des centres nerveux soit en attaquant le neurone lui-même, soit en provoquant des hémorragies surtout chez un sujet prédisposé. Quant à notre observation XXXV, relative à un homme mort GO jours après avoir été mordu, nous avouons qu’elle est très peu probante.

Nous n’entendons pas, par ces remarques, nier existance de l'échidnisme chronique et nous pensons qu’un poison aussi actif que le venin peut dans certains cas imprimer des modifications assez notables dans la nutrition générale de l’organisme, mais nous pensons aussi que les faits de ce genre déjà relativement rares doivent être encore diminués d’importance si l’on en retranche tous ceux qui peuvent relever d’une autre cause.

§ 8. — Pronostic.

La mortalité consécutive à la morsure par vipère est de 1 pour 100 d’après Fontana.

Viaud-Grand-Marais donne le chiffre de 4 pour 100 concernant la vipère aspis de Vendée, la mortalité due à la péliade étant inférieure. Fredet, en Auvergne, a relaté 6 fois la mort sur 140 observations. Les conditions qui peuvent faire varier le pronostic sont déterminées par Viaud-Grand-Marais. Elles dépendent : 1o  du serpent, 2o  du blessé.

1o  Conditions dépendant du reptile. Ce sont :

a) L’espèce. La vipère aspis est plus dangereuse que la vipère peliade parce qu’elle dispose d’une plus grande quantité de venin ;

b) L’âge, la grosseur, la force et l’état d’excitation du reptile ;

c) La dépense plus ou moins récente de venin faite par le serpent. Ce dernier est d’autant plus à craindre qu’il y a plus de temps qu’il a mordu ; cela non seulement parce qu’il dispose de plus de venin, mais aussi parce que le jeûne augmente la toxicité du venin (obs. XIV) ; d) Les conditions dépendant de la localité. Nous savons que la composition du venin peut varier selon les régions et aussi selon l’époque de l’année ;

e) La profondeur et la durée de la morsure. Les éraillures qui ne font qu'effleurer le derme sont sans gravité.

f} Le nombre des piqûres.

2° Conditions dépendant du blessé. Ce sont ;

a) Le poids ; le venin ressemble en cela à tous les poisons ;

b] L'âge ; les enfants résistent moins bien que les adultes et les vieillards même, si l’on tient bien compte de la différence du poids ; l'absorption est, d’une manière générale, plus active chez l'enfant, ralentie chez le vieillard.

Considérées au point de vue des relations entre l’âge et la mortalité, dans les cas d’échidnisme aigu, nos observations donnent les résultats suivants :

Âge Nb. de cas Cas mortels Mortalité %
6 à 11 ans 8 8 100 %
12 ans 2 1 50 %
13 à 55 ans 18 1 5 %
Plus de 60 ans 2 2 100 %
Texte 1 0 0 %

Ces chiffres auxquels nous n’accordons pas une grande valeur statistique, étant donné le nombre relativement restreint de nos observations, étant donné aussi que la littérature médicale ne consigne que les cas ayant présenté quelque gravité, sont cependant assez suggestifs au point de vue de la mortalité chez les enfants et les vieillards.

Les observations concernant les enfants se décomposent comme il suit :

Enfant de 6 ans, mort (obs. XXII) ; enfant de 7 ans, mort (obs. XXV) ; enfants de 9 ans, 2 cas mortels (obs. XXVII et XXVIV) ; enfant de 10 ans, mort (obs. XXXI) ; enfants de 11 ans, 2 cas mortels (obs. XXIV et XXX); enfants de 12 ans, 2 cas dont 1 mortel (obs. XXVI) et 1 guérison (obs. XX), ce dernier traité par le sérum anti Yenimeux.

Les observations relatives à des personnes âgées sont les suivantes :

Homme de 60 ans, mordu per Vipera aspis, mort (obs. XXVII) ; femme de 61 ans (Vipera aspis), mort (obs. XXI) ; homme, 78 ans (Pelias), guérison (obs. II).

c) Les crises physiologiques ; l’époque des règles et la grossesse constituent des conditions fâcheuses, mais n’impliquent pas nécessairement un dénouement fatal ; cette dernière n’est pas une cause absolue d’avortement (obs. III).

d) L'état de résistance du sujet ; pour résister à l’envenimation comme à toute infection, il importe d’avoir des organes aen bon état, principalement ceux qui sont plus particulièrement frappés par l’intoxication où qui servent soit à l'élimination, soit à la transformation du poison.

e) L'état de l'estomac et de ses fonctions : Viaud-Grand- Marais a remarqué que les animaux qui vomissent ont plus de chances de résister ; pour lui, une partie du venin s’élimine par les voies digestives.

f) L'impressionnabilité : la peur peut déterminer une syncope mortelle ; l’affaissement moral diminue les moyens de résistance de l'organisme.

g) Les parties atteintes : Viaud-Grand-Marais prétend que les piqûres des membres sont plus graves. Kaufmann nous à appris également que la gravité de l'intoxication chez les animaux d'expérience varie selon la région mordue.

Considérées au point de vue de l'influence de la localisation de la morsure, nos observations donnent les résultats suivants :

Lieu mordu Nb. de cas Cas mortels Mortalité %
Doigts 11 1 9 %
Ples interdigitaux 3 1 33 %
Main 4 2 50 %
Pied, malléole, jambe 8 3 36 %
Sein, front, ventre 3 3 100 %

Les morsures des doigts sont peut-être les plus bénignes parce qu'il est plus facile d'en exprimer le venin par pression ou par succion.

h) La protection de la région lésée : les vêtements empêchent la pénétration des dents du reptile et essuient en outre une partie du venin.

i) L’envenimation antérieure : Viaud-Grand-Marais prétend qu’elle ne préserve pas d’une nouvelle envenimation. Ce point est discutable et rentre dans la question de l'immunité acquise. Or nous savons que beaucoup de régions possèdent leurs chasseurs de vipères et que quelques-uns d’entre eux jouissent d’une immunité qu’ils entretiennent en se faisant mordre de temps en temps par ces animaux. Toutefois, comme il s’agit là d’un cas particulier et que la durée de cette immunité acquise peut être très courte, l'opinion de Viaud-Grand-Marais reste la vraie en fait.

Enfin nous devons ajouter que le traitement peut singulièrement modifier le pronostic et nous pouvons affirmer qu'une intoxication consécutive à la morsure de nos vipères françaises doit toujours se terminer par la guérison si l’on intervient à temps et dans de bonnes conditions. Les statistiques de Fontana, de Viaud-Grand-Marais et de Fredet au point de vue de la mortalité n’ont plus aujourd'hui qu'un intérêt historique. Nous sommes en effet en possession d’agents chimiques destructeurs de venin et nous pouvons augmenter la résistance de l'organisme à l'intoxication. C’est ce que nous allons montrer dans les chapitres suivants.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Demeurat (L.). – Observation d’accidents développés à la suite d’une morsure de vipère et se reproduisant depuis 39 ans d’une manière parfaitement périodique. (Gazette hebdomadaire de médecine. Paris, 1863, p. 736.)

2. Viaud-Grand-Marais. – De la létalité dans la morsure des vipères. (Gazette des hôpitaux. Paris, 1868 ; no 62, p. 245 ; no 65, p. 258.)

3. Viaud-Grand-Marais. – Description de la maladie produite par l’inoculation du venin de la vipère. (Gazette des hôpitaux. Paris, 1869 ; no 48, p. 186 ; no 54, p. 210.)

4. Fredet. – Considérations sur la morsure de vipère en Auvergne. (Association française pour l’avancement des sciences. Paris, 1877 ; p. 817-827. — Union médicale. Paris, 1878 ; no 25, p. 74-85.)

5. Viaud-Grand-Marais. – L’envenimation ophidienne, étudiée dans les différents groupes de serpents.(Gazette des hôpitaux. Paris, 1880 ; no 118, p. 942, et 129, p. 1029.)

6. Viaud-Grand-Marais. – Serpents venimeux. (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Paris, 1881 ; 3 s. t. 19, p. 387-417.)

7. Achalme (P.). – L’envenimation par les morsures de serpents. (Abstr). (Gazette hebdomadaire de médecine. Paris, 1896 ; t. 43, p. 469-475.)


CHAPITRE VII

Action de quelques substances chimiques et diastases sur le venin.


La recliercbe de substances capables de neutraliser ou d’atténuer les elTets du venin de vij)ère a de tout temps préoccupé les médecins. L’ammoniaque d’abord conseillée à l’intérieur par Mead en 1702 (ind. bibl. 1) sous forme de confection de Ralcg^ de sel de ^ ipère^ par lîernard de Jussieu en 1747 sous forme d’eau de Luce a fourni l’occasion d’un grand nombre de travaux. Nous n’en i)arlons ici (pie iiarce qu’elle est restée un remède po])ulaire. Mais déjà Fontana après de très nombreuses expériences (1781) démontre que son action sur le venin de vipère est complètement nulle (ind. bibl. 3). Leroy de Méricourt et Delpccb condamnent son emploi en injection intraveineuse (ind. bibl. 3 et G) qu’avait préconisé Oré (ind. bibl. 4).

Kaufmann (ind. bibl. 10) a étudié l’action de divers réactifs chimiques sur le venin de vipère, Calmette sur le venin du naja (ind. bibl. 1892). Nous n’étudions ici que quelques uns de ces agents chimiques qui exercent une action réelle sur le venin.

Le permanganate de potasse préconisé par de Lacerda au 1/100e et en injection sous-cutanée autour du lieu de la morsure, fait le sujet d’une communication à l’Académie des sciences (1882) présentée par de Quatrefages (ind. bibl. 7). Vulpian, contrôlant les résultats obtenus, conclut que les injections ne seront efficaces que si elles sont faites immédiatement après la morsure (ind. bibl. 8). Urueta, dans sa thèse, rapporte une ou deux expériences faites avec cette substance employée contre l'envenimation et dont les résultats lui sont peu favorables (ind. bibl. 9).

Kaufmann (1889) (ind. bibl. 10), expérimentant avec le venin de vipère, voit qu’en présence du venin le permanganate perd sa coloration violette et prend une coloration brune et que le permanganate en solution à 1/100e exerce une action sur le venin, mais il accorde la préférence à l'acide chromique en solution à 1/100e. Il écrit ailleurs (ind. bibl. 11) :

« 4o  Le permanganate, comme l’acide chromique en solution à 1/100e, empêche complètement l'apparition des accidents locaux ou les enraye quand ils ont déjà commencé à se produire au moment du traitement.

« 2o  Ni le permanganate de potasse, ni l'acide chromique ne détruisent complètement la substance du venin qui produit les accidents généraux, mais ils atténuent l'un et l’autre son action. Ainsi une dose de venin simplement mortelle ne produit presque aucun accident, ni local ni général si le venin est traité préalablement par le permanganate de potasse ou l'acide chromique ; mais une dose de venin doublement ou triplement mortelle manifestera encore ses effets généraux, quoiqu'il n'y ait dans ce cas aucun accident local. Des doses très fortes tuent les animaux malgré le traitement par le permanganate ou l'acide chromique, mais la mort est toujours très lente à se pro duire. »

Calmette obtient des résultats analogues en expérimentant avec le venin du naja (ind. bibl. 12). Néanmoins, il préfère au permanganate le chlorure d’or en solution au 1/100 (1892).

En 1894, il écrit (ind. bibl. 13) :

« Les hypochlorites alcalins donnent des résultats bien supérieurs à ceux de toutes les substances signalées jusqu'ici comme antidotes du venin ; il suffit de trois gouttes d’une solution à 1/12{{e|e} de chlorure de chaux solide ou d’hypochlorite de soude pour détruire immédiatement in vitro l'activité de 1 milligramme de venin de cobra ou de 10 milligrammes de venin de vipère dissous dans 1 c.c. d’eau.

« On peut injecter de grandes quantités de ces hypochlorites dilués dans les tissus, dans les séreuses et même dans les veines sans provoquer aucun accident. Ils sont encore très efficaces lorsqu'on les injecte au bout d’un temps relativement très long après l'inoculation venimeuse, et à une grande distance du point inoculé.

« Les hypochlorites de soude, de potasse, toujours fortement alcalins, ont l'inconvénient d’occasionner d'assez vives douleurs, surtout si on emploie des solutions ordinaires du commerce dont la teneur en chlore varie de 11 à 15 litres par 1000 c.c.

Le chlorure de chaux solide, purifié, est d’un emploi plus commode ; grâce à sa faible alcalinité, il n'irrite pas les tissus et ne provoque aucune souffrance chez les animaux.

« Je me suis servi dans la plupart de mes expériences de solution de chlorure de chaux au 1/12e, titrant 4 litres 232 de chlore par 1000 c.c., et que je diluais, au moment de l'usage, dans 3 ou 5 parties d’eau ; je ramenais ainsi la dilution à injecter au titre de 1 litre 410 ou 0 litre 846 de chlore par 1000 c.c. On peut, dans ces conditions, en injecter de 10 à 30 c.c. aux lapins sous la peau ou dans le péritoine sans avoir à redouter aucun accident […] Chez les animaux inoculés avec une dose de venin mortelle en moins de 2 heures, on peut sûrement empêcher la mort en injectant la solution d'hypochlorite de chaux dans les 20 premières minutes après l’inoculation venimeuse. L'injection doit être faite, bien entendu en piqûres disséminées autour du lieu d’inoculation, et en divers points du corps de l'animal.

« Au-delà de 20 minutes et jusqu'à une demi-heure, l'intervention est encore très souvent suivie de guérison. Passé ce délai, si on prend soin de soutenir l'énergie cardiaque avec une dose faible de morphine injectée sous la peau (1 centigramme par exemple pour le lapin) les phénomènes asphyxiques peuvent être retardés et permettre à l'hypochlorite d'exercer son action

€ J'ai traité ainsi des animaux avec succès 50 minutes après l'injection d’une dose de venin capable de les tuer en 1 heure et demie environ. »

Ces substances ne sont pas seules à exercer une action destructive sur le venin.

Depuis longtemps on sait que le venin absorbé par les voies digestives n’exerce sur l’organisme aucune action toxique.

Les recherches de Fraser (ind. bibl. 14), de Phisalix (ind. bibl. 15) ont montré que la bile détruisait le pouvoir toxique du venin. Calmette (ind bibl. 16) a vu que tous les venins, mis en contact pendant 24 heures avec une certaine quantité de bile fraîche, perdent leur toxicité et ne produisent aucun effet nuisible lorsqu'on injecte le mélange à des animaux. Mais si l'on injecte du venin dans la vésicule biliaire de lapins, ceux-ci meurent dans le même temps que les animaux qui reçoivent la même dose en injections sous-cutanée parce que, dit Calmette, « le venin est probablement absorbé avant d’avoir pu être modifié ou détruit par la bile, cette destruction ne pouvant s’opérer qu'après un assez long contact ».

Les recherches de Wehrmann (ind. bibl. 17) et Carrière (ind. bibl. 18) ont montré que la bile, le suc gastrique et la pancréatine diminuaient ou atténuaient considérablement le pouvoir toxique des venins. Il en est de même des oxydases leucocytaires (Carrières). D'autres diastases telles que la papaïne, la présure, et l’amylase jouent à des degrés divers un rôle semblable (Wehrmann). Rappelons que Phisalix a montré que l’échidnase qu'il considère comme un ferment, détruit l'échidnotoxine. (Noir chapitre Il.)

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Mead (R.). – A mechanical account of poisons. (Lond., 1702.)

2. Jussieu (B. de). – Sur les effets de l’eau de Luce contre la morsure des vipères. (Mém. de l’Acad. roy. des sciences, p. 54. – Mercure de France, 3 sept. 1749.)

3. Fontana. – Traité sur le venin de la vipère, sur les poisons américains, sur le laurier cerise et sur quelques autres poisons végétaux. Florence, 1781. (Seconde partie, chap. II. Si l’alkali volatil est un remède assuré contre la morsure de la vipère.)

4. Oré. – Injection d’ammoniaque dans les veines pour combattre les accidents produits par la morsure de la vipère. (C.R. Acad. des sciences, 14 avril 1874.)

5. Méricourt (Leroy de). – Discussion sur la morsure des serpents venimeux. (Séances de l’Académie de médecine, 23 juin 1874 ; p. 559-572.)

6. Delpech. – Communication d’une lettre de M. Goupil des Pallières, correspondant à Nemours. (Académie de médecine, 23 juin 1874 ; p. 608-610.)

7. Quatrefages (de). – Note sur le permanganate de potasse considéré comme antidote du venin des serpents à propos d’une publication de M. J. R. de Lacerda. (C.R. Acad. des sciences. Paris, 1882, 20 février.)

8. Vulpian. – Etudes expérimentales relatives à l’action que peut exercer le permanganate de potasse sur les venins, les virus, et les maladies zymotiques. (C.R. Académie des sciences. Paris, 1882, 27 février. — J. de pharmacie et de chimie. Paris, 1882 ; p. 100-104. — Franco médicale. Paris, 1882 ; P 385 388.

9. Urueta. (R.). – Recherches anatomo pathologiques sur l’action du venin des serpents. Action physiologique, toxicologique et thérapeutique. (Thèse de Paris, 1884.)

10. Kaufmann. – Du venin de la vipère. (Mém. Académie de médecine, 1889.)

11. Kaufmann (Moufflet et). – Le traitement des morsures de serpent. (Revue scientifique. Paris, 1890 ; t. 45, p. 181.)

12. Calmette. (A.). – Etude expérimentale du venin de naja tri-pudians ou cobra capel, et exposé d’une méthode de neutralisation de ce venin dans l’organisme. (Annales de l’Institut Pasteur, février 1892.)

13. Calmette (A.). – Contribution à l’étude du venin des serpents. Immunisation des animaux et traitement de l’envenimation. (Annales de l’Institut Pasteur, mai 1894.)

14. Fraser (T.-R.). – Remarks on the antivenomous properties of the bile of serpents and other animals, and an explanation of the insusceptibility of animals to the poisonous action of venom introduced into the stomach. (Brit. M. Journal. Lond., 1897 ; p. 125-127. – Indian medical Rec. Calcutta, 1897.)

– Remerkungen über die antitoxischen Eigenschaflen der Galle der Schlangon und anderer Thiere. (Wien. med. RL, 1897 ; p. 481 498.)

15. Phisalix (G.). – La cholestérine et les sels biliaires vaccins chimiques du venin de vipère.(C.R. Acad, des sciences. Paris, 13 déc. 1897.)

16. Calmette (A.). – Sur le mécanisme de l’immunisation contre les venins. (Annales de l’Institut Pasteur, mai 1898.)

17. Wehrmann (C.). – Contribution à l’étude du venin des serpents. (Travail du laboratoire du docteur Calmette.) (Annales de l’Institut Pasteur, août 1898.)

18. Carrière (G.). – Étude expérimentale sur le sort des toxines et des antitoxines introduites dans le tube digestif des animaux. (Trav. du laboratoire de M. le docteur Calmette.) (Annales de l’Institut Pasteur, mai 1899.)


CHAPITRE VII

La sérothérapie antivenimeuse.


§ 1. — Historique.

Sewall, en 1887 (ind. bibl. 1), annonce qu’on peut faire supporter peu à peu aux pigeons, en commençant par de très petites doses, des quantités considérables de venin. Kaufmann (1889) (ind. bibl. 2), expérimentant sur des cobayes, voit « que les inoculations de venin communiquent aux animaux une résistance plus grande pour les doses fortes… » Après d’autres expériences faites sur une chienne griffonne il conclut que « des inoculations successives de petites quantités de venin peuvent communiquer une résistance plus grande au venin, mais qu’elles sont incapables de conférer une véritable immunité contre l’envenimation. Le venin, dit-il, impressionne toujours l’animal vacciné ; et je suis persuadé que des doses un peu fortes le feraient succomber (ind. bibl. 4).

Calmette, en 1892, expérimentant avec le venin de Naja tripudians, essaie de « produire chez des animaux l’immunité artificielle contre l’envenimation, soit en leur pratiquant des inoculations successives de venin chauffé, puis des doses croissantes de venin virulent, soit en leur injectant du venin virulent mélangé à du permanganate de potasse ou à du chlorure d’or, soit enfin en leur faisant ingérer pendant dix jours consécutifs des doses progressivement croissantes de venin virulent ». Il réussit seulement « à produire, par les inoculations successives de venin chauffé, un état de résistance à des doses mortelles pour les animaux non préparés ; ce n’est point là, dit-il, une immunité même partielle. Il s’agit plutôt d’une sorte de mithridatisme, d’accoutumance à des doses faibles de poison, comparable à celle qui s’acquiert par l'usage prolongé de poisons végétaux comme l'opium, ou minéraux comme l’arsenic ». (Calmette, ind. bibl. 3.)

Le 5 février 1894, dans une note communiquée à l’Académie des sciences, Phisalix et Bertrand (ind, bibl. 5) annoncent que le venin de vipère convenablement chauffé est doué de propriétés vaccinantes. Les conditions de l'expérience sont précisées dans les comptes rendus de la Société de biologie du 10 février (ind. bibl. 9). Ces expérimentateurs ont employé :

1o  Le venin extrait aseptiquement des glandes de la vipère par pression, recueilli sur des verres de montre, tarés et stérilisés, puis desséché dans le vide ;

2o  Une dissolution de ce venin à 4 pour 50,000, dans l’eau salée physiologique, enfermée dans un tube étroit et scellé et immergée pendant cinq minutes dans un bain-marie à température constante ;

3o  Des cobayes, dont ils ont estimé le poids suffisant, cela pour éviter l’action possible d’une trace de toxique, qui aurait pu résister à la destruction, sur des animaux aussi sensibles.

Dans ces conditions, le venin chauffé même un quart d’heure à 70° est encore toxique pour un cobaye adulte de 500 grammes. Par contre, il suffit de cinq minutes de chauffage à 75° pour le rendre à peu près inoffensif et comme il paraît évident que la destruction des substances toxiques augmente très rapidement avec la température, Phisalix et Bertrand concluent que, à 80° et à plus forte raison à 90°, il ne doit en rester dans le produit chauffé que des traces inappréciables.

Le 10 février 1894, Phisalix et Bertrand (ind. bibl. 6) montrent qu’il s’agit bien de propriétés vaccinantes : « Ces propriétés ne se manifestent pas chez l’animal vacciné, aussitôt après l’inoculation ; il faut un certain temps pour atteindre ce résultat. Sur une série de cobayes auxquels on a injecté la même dose d’échidnovaccin, on fait l’inoculation d’épreuve après vingt-quatre, trente-six et quarante-huit heures. Or, tandis que le premier cobaye meurt aussi rapidement qu’un cobaye témoin, le deuxième résiste trois jours et le troisième survit. L’immunisation n’est donc pas produite directement par la matière vaccinante, elle résulte d’une réaction de l’organisme…

« L’échidnovaccin provoque la formation dans le sang d’une substance antitoxique. Nous le démontrons de la manière suivante : des cobayes vaccinés sont sacrifiés quarante-huit heures après l’injection. Le sang défibriné ou le sérum, mélangé avec du venin, est inoculé à des cobayes neufs dans la cavité péritonéale. Dans ces conditions, ces cobayes résistent parfaitement. »

Le 27 mars 1904, Calmette (ind. bibl. 11) écrit : « On peut immuniser les animaux contre le venin des serpents, soit au moyen d’injections répétées de doses d’abord faibles, puis progressives de venin, soit au moyen d’injections successives de venin mélangé à des substances chimiques parmi lesquelles je citerai le chlorure d’or ou les hypochlorites de soude ou de chaux…

« Le sérum des animaux ainsi traités est à la fois préventif, antitoxique et thérapeutique exactement comme celui des animaux immunisés contre la diphtérie et le tétanos. Il possède ces propriétés non seulement à l’égard du venin qui a servi à immuniser l’animal dont on l’a retiré, mais même à l’égard de venins d’autres origines. Le sérum de lapin immunisé contre le venin de cobra, par exemple, est antitoxique à l’égard des venins de France, d’Hoplocephalus et de Pseudechis d’Australie.

« Le pouvoir antitoxique à vitro est naturellement très variable suivant la dose de venin contre laquelle l’animal est immunisé. 00 cc. 5 de celui que j’emploie actuellement pour mes essais de thérapeutique est capable de détruire 1 mgr. de venin de cobra, dose mortelle en moins de 12 heures pour 4 kilogr. de lapin. »

Dans un travail publié dans les Annales de l’institut Pasteur (1894) (ind. bibl. 11), Calmette expose 4 procédés d’immunisation des animaux contre l’envenimation.

1o  Vaccination par accoutumance. — Ce procédé consiste à injecter à l’animal des doses progressivement croissantes de venin. Cette méthode « réussit à donner une immunité très solide contre des doses considérables de poison, mais elle est lente et d’une application qui demande à être très surveillée. Si on injecte aux animaux des doses croissantes trop rapprochées, ils ne tardent pas à maigrir et succombent ». Par cette méthode, Calmette est arrivé à faire supporter en deux mois à un lapin la dose de 6 milligrammes de venin injectée d’un seul coup, dose capable de tuer 24 kilogrammes de lapin. Calmette a immunisé ainsi des lapins à l’aide d'un artifice à lui indiqué par M. Roux et qui consiste à insérer à demeure sous la peau petit bâton de craie imprégné de 4 ou 5 milligrammes de venin et entouré de collodion, constituant « dans l'organisme de l'animal une sorte de glande artificielle, d’où le venin diffuse lentement, et d’une manière continue, à travers la couche de collodion formant membrane dialysante ». Ce procédé permet à l’animal de supporter au bout de 1 mois, sans malaise, l’inoculation d’épreuve d’une dose mortelle.

2o  Vaccination à l'aide du venin modifié par la chaleur. — « La méthode d’immunisation par le venin modifié par la chaleur, écrit M. Calmette, est beaucoup plus rapide puisqu'elle permet, en 48 heures, de rendre un cobaye réfractaire à une dose mortelle, mais elle ne permet de vacciner ces animaux que contre une quantité de poison voisine de la dose minima mortelle. »

« En inoculant à des cobayes tous les trois jours, des doses croissantes de venin de vipère chauffé pendant dix minutes à 80°, je n’ai pas obtenu de tolérance au-delà de O mgr 6 pour ce venin chauffé. Chez le lapin, la limite de la tolérance, dans les mêmes conditions, s'élève à 10 milligrammes ; lorsqu'on dépasse cette dose, l'animal maigrit brusquement et meurt en deux ou trois jours.

« L’accoutumance à la toxicité pourtant affaiblie du venin chauffé ne se produit donc pas lorsqu'on renouvelle les injections à des intervalles si rapprochés.

On peut la réaliser, au contraire, exactement comme pour le venin non chauffé, en prenant soin de les espacer davantage, et on arrive alors facilement, en 25 jours, à faire tolérer au lapin 14 milligrammes de venin chauffé puis 0 mgr 6 de venin entier. Dans ces conditions on retombe dans le procédé d'immunisation lente par l'accoutumance et on arrive toujours à constater que les animaux ne supportent jamais d'emblée une dose de venin entier égale à la dose de venin chauffé qu’ils ont reçue trois jours auparavant. »

3o  Vaccination à l'aide du venin mélangé à une substance destructrice du venin. — Ce procédé consiste à inoculer 2 milligrammes de venin (cobra) mélangé à une solution étendue (1/60) d'hypochlorite de soude ou de chaux en quantité décroissante, tous les cinq jours. « On obtient sûrement, au bout d’un mois, l'immunisation contre cette dose de 2 milligrammes de venin pur. On peut ensuite, sans aucun danger pour l'animal, renforcer son immunité par des injections progressives de venin répétées tous les 8 ou 10 jours, en augmentant chaque fois de 1 où même de 2 milligrammes la quantité de venin injectée. »

4o  Vaccination par inoculation à l'animal de venin suivie d'injection thérapeutique d'une solution de chlorure de chaux. — Calmette a pu vacciner aussi le lapin en lui injectant une dose mortelle de venin de cobra (2 milligr.) et en le traitant après 20 minutes par des injections thérapeutiques de chlorure de chaux dilué à 1/60 autour de l'inoculation venimeuse et en divers points du corps. « Pour que l’immunisation soit réalisée par cette méthode, il est tout à fait nécessaire que l'animal ait subi, entre l'inoculation venimeuse et le traitement un commencement de malaise. Si le traitement suit de trop près l’introduction du venin, il n’y a pas d’immunité produite. »

§ 2. — Sérothérapie antivenimeuse.

Non seulement on peut vacciner l’animal contre l’envenimation, mais le sérum de l’animal vacciné jouit de propriétés particulières.

1o  Le sérum des lapins ainsi traités est antitoxique in vitro contre le venin. — « Si l’on mélange, in vitro, 1 milligr. de venin de cobra ou 4 milligrammes de venin de vipère à une petite quantité de sérum immunisé, et qu’on inocule ce mélange à un lapin neuf, celui-ci ne présente, dans la suite, aucun malaise. Il n’est pas nécessaire que le sérum provienne d’un animal vacciné contre un venin de même origine que celui qu’on introduit dans le mélange : le sérum d’un lapin immunisé contre le venin de cobra ou de vipère agit indifféremment sur tous les venins que j’ai expérimentés (Calmette, ind. bibl. 12).

2o  Ce même sérum est préventif contre l’action d’une dose de venin mortelle. — « Injectons dans le péritoine ou sous la peau d’un lapin neuf 3 ou 4 centimètres cubes de sérum d’un lapin immunisé contre une dose vingt fois mortelle de venin, et aussitôt après inoculons dans les muscles de la patte une dose deux fois mortelle de venin pur. L’animal ne sera même pas malade ; et si, après l’injection de sérum préventif, nous attendons vingt-quatre ou quarante-huit heures avant d’introduire le venin, nous constatons encore que celui-ci ne produit aucun effet toxique. Notre lapin est donc immunisé d’emblée par le sérum qu’il a reçu. »

3o  Le même sérum est curatif. — « D'autre part, inoculons à un second lapin la même dose deux fois mortelle de venin pur, qui tuera un témoin à peu près en trois heures. Une heure ou même une heure et demie après, alors que les symptômes de l’envenimation commenceront à se manifester (régurgitations, accélération du cœur, dyspnée, légère parésie des membres), injectons dans le péritoine et sous la peau en divers points du corps 6 ou 8 cc. de notre sérum immunisant. L'animal reste pendant plus ou moins longtemps dans un état de malaise alarmant, caractérisé d’abord par un peu d'hypothermie, puis par une fièvre véritable. Sa température s'élève de 1°5 ou 2° pendant quarante-huit heures puis redescend graduellement à la normale. Tout accident est, dès lors, écarté, et si nous prélevons du sérum à ce lapin, nous constatons qu'il possède des propriétés préventives et antitoxiques..……. » (Calmette, ind. bibl. 12).

Après avoir immunisé des lapins, M. Calmette immunise deux ânes qui reçoivent, l’un 220 milligrammes de venin de naja du 25 septembre au 31 décembre 1894, l'autre 160 milligrammes du 15 octobre au 31 décembre.

« Le sérum du premier a actuellement (avril 1895) un pouvoir antitoxique tel qu’à la dose de 1/2 cc. il détruit la toxicité de 1 milligramme de venin n° { (venin dont la dose mortelle en 3-4 heures pour le lapin pesant 1 kil. 600 à 1 kilog. — 0 mgr 5, et pour le cobaye pesant 450-500 g = 0 mgr 05). » (Calmette, ind. bibl. 13).

Depuis, M. Calmette a immunisé des chevaux fournissant un sérum extrêmement actif contre l’envenimation (1897). Le venin qui sert à immuniser les chevaux producteurs de sérum est un mélange des venins secrétés par les serpents les plus dangereux, tels que Naja tripudians, Bungarus cœruleus, Trimeresurus, Cerastes, Bothrops lanceolatus et crotales de diverses origines.

Le venin recueilli dans des verres de montre qu’on place entre les mâchoires des serpents, en même temps qu’on comprime les glandes venimeuses de chaque côté est desséché dans le vide à basse température. Il présente alors l'aspect de petites écailles jaunes qu'on peut mettre en flacons et conserver longtemps à l’état pulvérulent sans qu’il perde son activité, pourvu qu’il soit maintenu à l'abri de Pair.

« Lorsqu'on veut utiliser ce venin pour vacciner des chevaux en vue de l'obtention du sérum antivenimeux, on commence par préparer des solutions titrées de venin sec et par déterminer exactement la toxicité de ces solutions par kilogramme de lapin par exemple […]

« La solution est généralement titrée à 1 gr de venin sec pour 100 gr. d’eau distillée où d’eau salée physiologique. Quand le venin est bien dissous, à froid, on chauffe la solution au bain marie pendant une demi-heure à 70° centigr. pour séparer l’albumine qui se coagule à cette température et pour détruire les impuretés microbiennes que le venin peut renfermer. On filtre ensuite sur un papier stérilisé, et la solution est prète pour l’usage. On commence par en injecter aux chevaux de très petites doses, correspondant à 1 ou 2 milligr. de venin sec. On attend deux ou trois jours, et on répète l'injection à la même dose. Après quelques jours d'attente et si les animaux ne sont pas trop malades, on injecte une dose un peu plus forte, et ainsi de suite en augmentant chaque fois la quantité de venin injectée.

Il faut surveiller attentivement les animaux et ne pas répéter trop souvent les injections lorsqu'ils réagissent beaucoup.

« L’immunisation contre le venin est lente. Pour faire supporter aux chevaux 2 grammes de venin sec en une seule injection, c'est-à-dire une dose cent fois mortelle (20 milligrammes tuent un cheval neuf en moins de 48 heures), il faut répéter et espacer les injections de venin à doses progressivement croissantes pendant un an et demi, On ne doit pas compter obtenir un sérum suffisamment actif avant ce délai.

« Il arrive fréquemment que des chevaux ne résistent pas et succombent pendant le traitement, ou que les injections de venin amènent la formation d'abcès aseptiques très longs à guérir. »

« Lorsque les chevaux sont immunisés, il faut continuer à leur injecter de grandes doses de venin de temps en temps. On peut les saigner tous les quinze jours, en les laissant reposer un mois sur trois.

« À chaque saignée, on prélève six ou huit litres de sang. Le sérum, séparé du caillot, est réparti avec des précautions d’asepsie parfaite, dans des flacons stérilisés de 10 cc. que l’on bouche et capuchonne au caoutchouc. Puis on chauffe les flacons au bain-marie, pendant une heure par jour, à la température de 58° centigrades, pour assurer la conservation indéfinie du sérum qu’ils contiennent.

« Chaque flacon de 10 cc. représente une dose de sérum prêt à être employé pour le traitement des morsures venimeuses (ind. bibl. 19).

§ 3. — Mesure du pouvoir antitoxique du Sérum antivenimeux.

Calmette remarque (ind. bibl. 14) que ni la méthode de Behring, qui consiste à mesurer la quantité de sérum nécessaire pour détruire in vitro la toxicité d’une dose dix fois mortelle de toxine, ni la méthode de Roux qui repose sur là détermination de la quantité de sérum nécessaire pour immuniser un gramme d'animal vivant contre une dose sûrement mortelle de poison ne sauraient s'appliquer à la détermination du pouvoir antitoxique du sérum antivenimeux parce que :

« 1° La sensibilité des divers animaux à l'égard d’un même venin est très variable ;

« 2° La toxicité du venin change avec l’espèce du serpent qui l’a fourni et, pour un même serpent, avec le moment où il a été recueilli ;

« 3° La quantité de sérum antivenimeux à injecter aux animaux pour les immuniser est en raison inverse de leur résistance. »

Pour ces raisons, Calmette propose au mois de juillet 1896, à la commission du « Royal Collège of physicians (L.) and surgeons (E.) », la méthode suivante :

1° Détermination pour un venin quelconque pesé à l’état sec et redissous dans l’eau stérile de la dose sûrement mortelle en 15 à 20 minutes pour le lapin par injections dans la veine marginale de l'oreille (dose très variable suivant l'origine du venin et oscillant entre 0 mgr 5 [Bungarus coeruleus] et 6 milligrammes [vipère de France]).

2o  Injection préventive à une série de 3 lapins, a, b, c, toujours par voie intraveineuse de quantités croissantes de sérum antivenimeux ½, 1, 2, 3. cc. par exemple.

Le sérum devant conférer instantanément l'immunité à ces animaux, on peut leur inoculer un quart d'heure après dans la veine marginale de l’autre oreille la dose de venin calculée pour tuer en 15-20 minutes les lapins témoins.

Si 1 cc. de sérum suffit à préserver un lapin de 2 kilogrammes contre l'unité toxique de venin, le sérum remferme 2,000 unités antivenimeuses par centimètre cube soit 20,000 pour 10 cc.

Après avoir montré que le sérum antivenimeux jouit in vitro de propriétés antihémolytiques (ind. bib. 20) et constaté « qu’il existe un parallélisme étroit entre l'action hémolytique et l’action neurotoxique des différents venins » (ind. bibl. 21), Calmette donne en 1904 une autre méthode qui permet de mesurer le pouvoir antitoxique d’un sérum antivenimeux ind. bibl. 21). Il écrit :

« Pour déterminer pratiquement le pouvoir antihémolytique d’un sérum antivenimeux et, par conséquent, son pouvoir antitoxique, il suffira de faire agir des doses varia- bles de sérum sur une même quantité de sang de cheval ou de rat défibriné, additionnée ensuite d’une dose constante de venin. J’emploie à cet effet, une dilution à 5 pour 100 de sang de cheval défibriné que je répartis à la dose de 1 cm3. »

« J'introduis ensuite dans tous les tubes 1 milligramme de venin dissous dans 0 cm3 1 de sérum physiologique. À la température de 16° environ, l'hémolyse commence à se manifester dans le tube témoin en 15 à 20 minutes. Elle se produit dans les autres tubes avec un retard d’autant plus grand que la dose de sérum ajouté est plus considéable. On note les tubes dans lesquels elle ne se produit pas après deux heures.

L’expérience montre qu’on doit considérer comme bons pour l’usage thérapeutique les sérums qui, à la dose de 0.5 cm3 empêchent complètement l’hémolyse par 1 milliamme de venin de cobra, de Bothrops ou de Bungare et ceux qui, à la dose de 0.3 cm3, empêchent l’hémolyse par 1 milligramme de venin de Lachesis ou de vipère peliade. »

« On peut, par une méthode calquée sur la précédente, mesurer l’activité antihémorragique d’un sérum antivenimeux, car le parallélisme qui existe entre l’action neurotoxique et l’action antihémolytique des sérums se retrouve ainsi que j’ai pu le constater, entre l’action antibémorragique et l’action antiprotéolytique de ces mêmes sérums.

« Or l’action antiprotéolytique se mesure aisément au moyen d’une série de tubes à essai dans lesquels on verse une même quantité de bouillon gélatiné à 20 pour 100 rendu imputrescible par un peu de thymol.

« La gélatine étant maintenue liquide à l’étuve, on verse dans chaque tube une quantité croissante de sérum. On ajoute ensuite partout la même dose de venin, soit 1 milligramme. Les tubes sont portés à l’étuve à 38° pendant 6 heures. On les retire ensuite et on les immerge dans un bain d’eau froide. On note ceux dans lesquels la gélatine se solidifie et l’on détermine ainsi la dose de sérum antivenimeux qui empêche la protéolyse de cette substance.

« Cette double méthode de contrôle permet de mesurer très exactement l’activité des sérums antivenimeux sans avoir recours à l’expérimentation sur les animaux. »

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Sewall – Journ. of physiology, t. VIII, p. 203, 1887.

2. Kaufmann. – Du venin de la vipère. (Mémoires de l’Académie de médecine. Paris, 1889 ; tome 36.)

3. {{sc|Calmette (A.). – Étude expérimentale du venin de naja tripudians ou cobra capel, et exposé d’une méthode de neutralisation de venin dans l’organisme. (Annales de l’Institut Pasteur, février 1892.)

4. Kaufmann. – Les vipères de France. Morsures. Traitement. (Paris, Asselin et Houzeau, 1893.)

5. Phisalix (G.) et Bertrand (G.). – Atténuation du venin de vipère par la chaleur et vaccination du cobaye contre ce venin. (Comptes rendus Académie des sciences. Paris, 1894, 5 février ; p. 288-291.)

6. Phisalix (G.) et Bertrand (G.). – Sur la propriété antitoxique du sang des animaux vaccinés contre le venin de vipère. (Comptes rendus Société de biologie. Paris, 1894, 10 février ; p. 111-113, et C.R. Académie des sciences. Paris, 1894, 12 février ; p. 356-358.)

7. Kaufmann. – Sur le venin de la vipère, ses principes actifs. La vaccination contre l'envenimation. (C.R. Société de biologie. Paris, 1894, 10 février ; p. 113-115.)

8. Calmette (A.). – L’immunisation artificielle des animaux contre le venin des serpents et la thérapeutique expérimentale des morsures venimeuses. (C.R. Société de biologie. Paris, 1894, 10 février ; p. 120-123.)

9. Phisalix (C.) et {{sc|Bertrand (G.). – Réponse à M. Calmette. (C.R. Société de biologie. Paris, 1894, 10 février.)

10. Calmette (A.). – Au sujet de l’atténuation des venins par le chauffage et de l’immunisation des animaux contre l’envenimation. (C.R. Société de biologie. Paris, 1894, 3 mars.)

11. Calmette (A.) – Propriétés du sérum des animaux immunisés contre le venin des serpents. Thérapeutique de l’envenimation. (C.R. Académie des sciences. Paris, 1894, 27 mars.)

12. Calmette (A.). – Contribution à l’étude du venin des serpents. Immunisation des animaux et traitement de l’envenimation. (Travail du laboratoire de M. Roux.) (Annales de l’Institut Pasteur, mai 1894.)

13. Calmette (A.). – Contribution à l’étude des toxines et des sérums antitoxiques. Annales de l’Institut Pasteur, avril 1895.

14. Calmette (A.). – Sur le venin des serpents et sur l’emploi du sérum antivenimeux dans la thérapeutique des morsures venimeuses chez l’homme et les animaux. (Annales de l’Institut Pasteur, mars 1897)

15. Guérin (C.). – Ou traitement des morsures de vipères chez les animaux domestiques par le sérum antivenimeux. (Recueil de médecine vétérinaire. Paris, 1897 ; p. 299-308.)

16. Héricourt (J.). – La sérothérapie. Historique. État actuel. Bibliographie. (Paris, Ruell, 1899.)

17. Grimbert (L). – Les sérums thérapeutiques. (Paris, Doin, 1899.)

18. Landouzy. – Les sérothérapies. (Paris, 1898.)

19. Notice sur le sérum antivenimeux et sur le traitement des morsures de serpents. (Danel, édit., Lille, 1901, 45 p.)

20. Calmette (A.). – Sur l’action hémolytique du venin de cobra. (C.R. Acad. des sciences. Paris, 1902, 16 juin.)

21. Calmette (A.). – Les sérums antivenimeux polyvalents. Mesure de leur activité. (C.R. Acad. des sciences. Paris, 1904, 2 mai.)


CHAPITRE VIII

Mécanisme de l’Immunité.


§ 1. — Le venin de vipère et l’échidnovaccin.

Pour M. Phisalix, la vaccination antiviperique de l’animal, à l’aide du venin atténué par la chaleur, est une vaccination vraie et il distingue en ces termes l’immunité acquise par vaccination de l’immunité acquise par accoutumance. « Dans la vaccination, la séparation des substances toxiques et vaccinantes, est produite artificiellement en dehors de l’organisme ; on détruit les premières pour n’injecter que les secondes ; dans l’accoutumance, au contraire, c’est l’organisme lui-même qui produit cette séparation (ind. bibl. 16) ».

La chaleur n’est pas le seul moyen qui permette d’enlever au venin de vipère ses propriétés toxiques en lui laissant son pouvoir vaccinant. Phisalix a montré que ce même résultat pouvait être obtenu en soumettant le venin de vipère à l’action des courants à haute fréquence, cela en évitant l’échauffement du venin dû au passage du courant (solution de venin dans l'eau salée à 7,5 p. 1000 opposant moins de résistance au passage du courant que la solution glycérinée à 50 p. 100 (ind. bibl. 7). Plus récemment (1904), il a montré que le venin de vipère soumis à l'action des radiations du radium jouit de propriétés semblables et que « les rayons émis par le radium exercent sur le venin de vipère une influence atténuante dont l'intensité est fonction du temps et probablement aussi de l’activité du sel de radium (ind. bibl. 95).

Ces faits toutefois ne suffiraient pas à affirmer l'indépendance d’un principe vaccinant.

Il se peut en effet que la chaleur détruise les substances toxiques en respectant les substances vaccinantes, ou qu'elle les fasse naître aux dépens des matières toxiques ou autres contenues dans le venin. Aussi Phisalix élimine cette dernière hypothèse en faisant remarquer que s'il en était ainsi d'ordinaire, on devrait, par un chauffage convenable, transformer d’une manière constante le venin en vaccin. Or le venin des vipères de Clermont-Ferrand, chauffé à des températures variables, s'atténue et perd sa toxicité, mais ne possède aucune propriété vaccinante et cependant il contient les mêmes substances toxiques (échidnase et échidnotoxine).

De plus on peut séparer les produits vaccinants des produits toxiques par filtration du venin sur la bougie. Tandis que les produits toxiques restent dans la bougie, les pro- duits vaccinants filtrent (Phisalix, ind. bibl. 10).

Il en est de même si on soumet le venin de vipère à l'action de la dialyse.

« J'ai employé comme dialyseur des boyaux en par- chemin dont j'ai vérifié l'intégrité avec le plus grand soin.

Une solution de venin de vipère diluée à 1 p. 5000 est placé dans le dialyseur.

« La quantité de venin correspond à 3 doses mortelles. Dans le vase extérieur, on verse 20 centimètres cubes d'eau distillée. Au bout de 24 heures ce liquide est inoculé à un cobaye. Il ne détermine pas d'autre symptôme qu'une élévation de température de 1°. L'animal éprouvé, au au bout de 4 jours avec une dose de venin qui tue un témoin en 9 heures a parfaitement résisté. Si on remplace le premier liquide du vase extérieur par la même quantité d'eau distillée et qu'au bout de 24 heures on recommence avec cette même eau la même expérience sur un cobaye, on constate que la température s'abaisse sensiblement, qu'il y a un œdème local très accentué et qu'il n’y a pas le moindre indice de vaccination. En effet, ce cobaye, inoculé 3 jours après avec la même dose du même venin, est mort en 9 heures. Que conclure de ces faits sinon que l'échidnovaccin traverse le filtre et la membrane du dialyseur plus rapidement que l'échidnase et l'échidnotoxine {Phisalix, ind, bibl. 16).

Calmette, pour qui la vaccination antivenimeuse est une vaccination par accoutumance, a discuté quelques-uns des faits avancés par Phisalix.

En ce qui concerne l’action de la chaleur sur le venin, il s'exprime ainsi (ind. bibl, 15) :

« […] Je ne pense pas qu'on puisse interpréter l’action de la chaleur dans le même sens que ce savant et qu’on soit en droit de supposer dans les venins l'existence de deux sortes de substance aussi facilement dissociables, les unes toxiques, les autres vaccinantes […]

En résumé, la chaleur modifie tous les venins à des températures variables, en diminuant graduellement leur toxicité.

« Le chauffage ne transforme pas les venins en vaccins : Lorsqu’on inocule aux animaux des venins chauffés à des doses voisines de celles des venins normaux qui donnent la mort, on vaccine dans les mêmes conditions qu’en inoculant aux animaux des doses non mortelles de venin normal. »

Cette assertion de Calmette repose sur les expériences suivantes :

1o  Inoculation à 4 cobayes, a, b, c, d, du poids de 300 à 400 grammes, d’une dose de venin de cobra égale aux 2/3 de la dose minima mortelle, soit 0 milligr. 03 de la solution d’épreuve : tous les cobayes restent en bonne santé ; ils ont une légère ascension de température de 0°5 à 1°, qui dure environ 24 heures.

3 jours après, ils reçoivent la dose de 0 milligr. 05 de venin, mortelle en 12 heures pour les témoins de même poids : ils sont un peu malades, restent près de 24 heures sans manger, puis se rétablissent. La première injection les a vaccinés contre la dose minima mortelle.

2o  Inoculation à une deuxième série de cobaye, a, b, c, d, d’une dose minima mortelle de 0 milligr. 05, mais après chauffage de 30 minutes à 85°. Les cobayes restent en bonne santé. 3 jours après, deux d’entre eux résistent à la dose de 0 milligr. 05 non chauffé et les deux autres qui reçoivent 0 milligr. 2 de venin chauffé succcombent en 2 heures.

Calmette conclut que le venin chauffé est encore toxique et que sa toxicité est seulement diminuée par le chauffage (Calmette, ind. bibl. 15).

Nous devons remarquer que cette expérience faite avec le venin de cobra, n'infirme pas les faits énoncés par Phisalix en ce qui concerne le venin de vipère et plus particulièrement le venin de certaines vipères, puisque la présence de l’échidnovaccin n’est pas un fait général et que Phisalix lui-même nous apprend que l'échidnovaccin n'existe pas dans le venin des vipères de Clermont-Ferrand. D'autre part, Phisalix reconnait que le venin de vipère même chauffé, peut être encore toxique. Il écrit en effet (1897) :

« Une solution à 1 p. 5000 de venin de vipère dans l’eau glycérinée est enfermée dans des tubes étroits presque pleins et chauffée au bain-marie à des températures variables.

« L’atténuation du venin est d'autant plus accentuée que la température est plus élevée ou la durée du chauffage plus longtemps prolongée. C’est à partir de 75° que l’action de la température devient le plus manifeste. L'animal inoculé avec ce venin chauffé présente quelquefois de légers symptômes d’échidnisme, mais survit à l’inoculation. Ces symptômes sont d’autant plus faibles que la durée du chauffage est plus grande ou la température plus élevée ; le plus souvent déjà, ils sont nuls avec un venin maintenu 5 minutes à 80° ou un quart d'heure à 75°. Du venin chauffé à 100° pendant 10 ou 20 minutes ne détermine plus, à doses modérées, aucun accident local ou général. Faut-il en conclure que les substances toxiques sont entièrement détruites à cette température ? Assurément non. En augmentant les doses ou en inoculant de jeunes animaux ou des animaux plus sensibles, on peut encore tuer avec le venin chauffé à 100°. »

Marmier, opérant sur un mélange de venins de cobra, de Bothrops lanceolatus, d'Hoplocephalus d'Australie et de Pseudechis porphyriacus, n'a pas obtenu d'atténuation par les courants à haute fréquence « malgré une dépense d'énergie considérable qui aurait suffi pour faire bouillir le liquide en quelques minutes sans le refroidissement (ind. bibl. 14). Ces résultats n’infirment pas le fait énoncé par M. Phisalix concernant uniquement le venin de vipère.

M. Calmette nie aussi la séparation de l’échidnovaccin des autres substances du venin par la filtration. D'après lui, si l’on prend soin de désalbuminer le venin par la chaleur (chauffage de 20 minutes à 72°, puis filtration sur le papier), on constate que le venin passe intégralement à travers la bougie et que le liquide filtré possède à très peu de chose près la même toxicité que le liquide non filtré.

« Le fait annoncé par M. Phisalix provenait donc de ce qu'il filtrait un liquide albumineux : l'albumine obstruant en grande partie les pores de la porcelaine constituait à la surface de celle-ci une véritable membrane dialysante (Calmette, p. 233, ind. bibl. 15). »

L'expérience par laquelle M. Phisalix à opéré cette même séparation par dialyse, semble répondre à cette objection.

§ 2. — Animaux à immunité naturelle contre le venin.

Déjà Fontana avait constaté que la vipère était réfractaire à l’action de son propre venin et que la couleuvre également était réfractaire à l’action de ce même venin.

Phisalix a contrôlé cette assertion et en inoculant aux vipères et aux couleuvres des doses progressivement croissantes de venin dissous dans l'eau salée, il a constaté que « pour empoisonner un de ces reptiles il fallait inoculer la dose prodigieuse de 100 à 120 milligrammes, dose qui suffirait à tuer plus de 100 cobayes, d'où il résulte qu'à poids égal la vipère est 5 à 600 fois plus résistante que le cobaye […] »

«  […] Et cependant si au lieu d'introduire le venin dans le péritoine, on le fait pénétrer dans la cavité crânienne, le reptile est beaucoup plus sensible, il faut seule- ment 2 à 4 milligrammes pour déterminer la mort (Phisalix, ind. bibl. 23).

Le sang de la vipère lui-même renferme des produits toxiques et ceux-ci sont, pour une partie du moins, des produits de la sécrétion interne des glandes venimeuses. Si on enlève en effet à une vipère ses glandes à venin, on constate au bout d’une cinquantaine de jours un abaissement dans la toxicité du sang, ce retard dans l'effet consécutif à la cause s’expliquant en partie par la lenteur avec laquelle s'éliminent les principes toxiques du venin, en partie par l'effet d’une suppléance qui atténue peu à peu les effets de l’ablation des glandes {Phisalix et Bertrand, ind. bibl. 2).

La même explication peut être donnée pour la toxicité du sang de la couleuvre, car les produits glycérinés des glandes salivaires de ces animaux, glandes labiales supérieures, ont donné lieu à des phénomènes toxiquque alors que les macérations des autres organes sont restées inoffensives (Phisalix et Bertrand, ind. bibl. 1). À côté des substances toxiques du sang, il existe chez la vipère des substances antitoxiques capables de neutraliser le venin.

« Une forte dose de venin de vipère (15 mgr. à 20 mgr.) était dissoute dans 2 cm3 d’eau salée et inoculée dans le péritoine ou sous la peau d’une vipère ou d’une couleuvre. Au bout d’un temps variable de 1 heure à 15 heures on sacrifiait le reptile et l’on recherchait, par la méthode physiologique (inoculation au cobaye), si une partie du venin restait dans les tissus, en particulier dans le sang ou dans le foie.

« Or, dans aucune des quinze expériences ainsi faites, il n’a été constaté d'augmentation sensible de la toxicité du sang ou du foie. Et cependant il suffisait que sur les 15 mmgr. ou 20 mgr. de venin injecté, il en restât seulement 0.5 mgr. dans la circulation pour que le sang extrait d'une vipère pût donner la mort à un cobaye. D'autre part, il est facile de vérifier que cette dose de venin introduite sous la peau en a disparu au bout de 2 heures ; l'absorption dans le péritoine est encore plus rapide.

« D'après ces faits, il est naturel de penser que le venin a été détruit ou neutralisé et qu'il existe dans le sang des substances capables d'opérer cette neutralisation. » (Phisalix, ind. bibl. 26.)

Ces expériences confirment l'opinion émise antérieurement (1895) par Phisalix et Bertrand. Ils avaient constaté en effet que :

1o  L'injection de sérum de vipère chauffé à 58° pendant 15 minutes dans le péritoine de plusieurs cobayes ne produit aucun résultat, probablement parce que la chaleur à détruit les substances toxiques.

2o  Un cobaye de 375 grammes qui a reçu une injection de 3 cmc. de sérum de vipère chauffé à 58° pendant 15 minutes résiste, 24 heures après, à l’injection d’une dose de venin capable de tuer un témoin en six heures, probablement parce que la chaleur qui a détruit les substances toxiques à respecté les principes antitoxiques. (Phisalix et Bertrand, ind. bibl. 6.)

L’immunité de la vipère vis-à-vis de son propre venin, immunité qui d’ailleurs n’est pas absolue, s’explique donc par la présence dans son sang de principes antitoxiques existant à côté de principes toxiques.

Ces derniers ne seraient d’ailleurs pas constitués par du venin en nature.

Calmette écrit (ind. bibl. 4) que le pouvoir toxique du sang des ophidiens venimeux et des anguilles n’est pas dû à la présence du venin en nature dans le sang, parce que le sang chauffé à la température de 68° n’est plus toxique, tandis qu’à cette même température le venin n’est pas modifié (1895).

Phisalix (1897) (ind. bibl. 16) signale la même différence et écrit : « Le sérum de vipère détermine des accidents locaux et généraux très analogues à ceux du venin : œdème hémorragique énorme, abaissement progressif de la température, diminution de la pression sanguine, paralysie du train postérieur qui aboutit au collapsus et à la mort […]

« Cependant les caractères physiques et chimiques des principes actifs de ce sérum sont bien différents de ceux du venin, Pour m’en tenir à la vipère voici ce qui existe : le sérum de vipère chauffé pendant 15 minutes à 58° perd ses propriétés toxiques, tandis que pour le venin il faut élever la température à 80° pour obtenir des effets à peu près semblables. Si l'on additionne le sérum de 5 à G fois son volume d'alcool à 95°, il se fait un précipité complètement dépourvu de toxicité, tandis que le venin traité de la même manière donne un abondant dépôt de matière très toxique possédant toutes les propriétés du venin entier. Il est donc certain que les principes actifs du sang, quoique possédant une action physiologique très voisine de celle du venin, n’y sont pas combinés sous la même forme chimique que dans le venin. Cela n'a rien d'étonnant si l'on réfléchit que le venin est acide et le sang alcalin. »

Phisalix écrit ailleurs (1904) (ind. bibl. 26): « En ce qui concerne la nature du poison contenu dans le sang de vipère, le fait que ce poison est détruit à 58° ne suffit pas pour affirmer que ce n’est pas du venin en nature et voici pourquoi : Si à une solution de venin ou ajoute du sérum de vipère et qu'on porte le mélange à la température de 58° pendant 15 minutes, on en détruit à coup sûr les propriétés toxiques. On peut donc admettre que le poison du sang dont les propriétés sont identiques à celles du venin, est lui aussi du venin en nature. Mais alors pourquoi n'est-il pas complètement neutralisé par la substance antitoxique si celle-ci préexiste réellement dans le sang ? On peut expliquer cette contradiction apparente de deux manières ; ou bien la quantité d'antitoxine est inférieure à celle du venin, ou bien son action est entravée par celle d’une substance antagoniste.

« Cette dernière hypothèse me parait justifiée par les nouveaux faits que je vais exposer. Il y a deux moyens de rendre le sérum antitoxique : le premier, déjà connu, c’est le chauffage ; le second, c’est la filtration. En effet, du sérum filtré sur bougie Chamberland ou Berkefeld perd complètement ses propriétés toxiques. Cela s’explique aisément, si l’on admet qu’à côté de l’antitoxine libre dans le sang il existe un diastase antagoniste. Celle-ci resterait sur le filtre et serait détruite par la chaleur ; tandis que l’antitoxine traverse le filtre et résiste au chauffage. Et, de fait, on peut maintenir à 68°, pendant 15 minutes, du sérum filtré sans en diminuer les propriétés antitoxiques.

« Cette antitoxine venimeuse est, comme le venin, une substance complexe ; elle contient au moins deux principes distincts dont l’un agit sur l’échidnotoxine et l’autre sur l’échidnase. Dans ces conditions, on dissocie les effets produits par chacun d’eux. C’est ainsi que du sérum filtré sur une bougie peu poreuse n’a qu’une faible action sur l’échidnotoxine et, si la dose est insuffisante, il n’empêche pas la mort, mais à l’autopsie on ne constate, au point d’inoculation, aucun des effets caractéristiques de l’échidnase. »

D’autre part, Phisalix à montré qu’il existait entre les glandes labiales supérieures et les glandes venimeuses de la vipère un antagonisme et que la sécrétion des premières vaccine contre le venin des secondes. (Phisalix, ind. bibl. 11.)

En ce qui concerne l’immunité du hérisson, Phisalix et Bertrand nous apprennent ce qui suit : La résistance du hérisson pour le venin de vipère est, à poids égal, 35 à 40 fois plus grande que celle du cobaye (pour tuer un hérisson de 645 grammes en douze heures, il faut lui inoculer sous la peau 20 milligrammes de venin sec). Le sang du hérisson contient, comme le sang de la vipère, une substance capable de neutraliser le venin, mais ce fait ne peut ètre démontré par l’injection au cobaye d’un mélange de venin de vipère et de sang de hérisson, parce que ce dernier est à lui seul toxique pour le cobaye à la dose de 2 à 3 cent. cubes injecté dans l’abdomen, déterminant la mort en 15 à 20 heures.

Phisalix tourne la difficulté en chauffant le sang défibriné ou le sérum à 58° pendant un quart d’heure, ce qui enlève à ces liquides la substance toxique sans leur enlever leurs propriétés immunisantes.

« Un cobaye qui a reçu dans l’abdomen 8 centimètres cubes de sérum ainsi préparé, supporte immédiatement l’inoculation dans la cuisse d’une dose deux fois mortelle de venin de vipère : il conserve toute sa vivacité et c’est à peine si, dans quelques cas, sa température s’abaisse passagèrement d’un degré environ. Ajoutons que cette immunisation est de courte durée et disparaît après quelques jours. » (Phisalix et Bertrand, ind. bibl, 5.)

§ 3. — Substances antitoxiques dans le sang de mammifères sensibles au venin de vipère.

Phisalix et Bertrand ont montré expérimentalement l’existence de substances antivenimeuses dans le sang de quelques mammifères sensibles au venin de la vipère (cheval et cobaye). Ils tirent de ces faits des conclusions très intéressantes au point de vue de l’immunité. « Peut-être, écrivent-ils, en est-il de mème dans tout le groupe des mammifères. Chez les oiseaux le sang ne renferme que des quantités inappréciables de substances antivenimeuses. C’est, du moins, ce qui résulte d’une expérience que nous avons faite sur la poule. On comprend que ces substances dont la quantité varie d’une espèce à l’autre, soient susceptibles d'augmenter chez un animal, sous l'influence de certaines excitations, en particulier celle qui résulte des injections vaccinantes. Dans ce cas l'immunité artificielle consisterait dans l'exagération d’un moyen de défense naturelle de l'organisme. Cette manière interpréter les faits est d'autant plus vraisemblable qu'elle ramène aux mêmes lois les phénomènes de l’immunité naturelle et de l'immunité artificielle. »

§ 4. — Substances capables d’engendrer une réaction vaccinale.

S'il en est ainsi, il se peut que quelques autres substances soient capables de produire cette stimulation, et ainsi peuvent s'expliquer les faits que Phisalix et Bertrand ont observés tels que la vaccination contre le venin de vipère par le sérum d'anguille, par le venin des guêpes, par la cholestérine fusible à 148° et les sels biliaires, par la cholestérine végétale extraite de la carotte et fusible à 136°, par la tyrosine extraite du dahlia et de la Russule noircissante et par les sucs de certains champignons. (Phi salix, ind. bibl. 12, 17, 18, 19, 20, 21.)

Dans tous ces cas, il S’agit, pour Phisalix, de réactions vaccinales et non pas simplement de propriétés antitoxiques.

Toutefois Calmette conteste ces faits (ind. bibl. 22).

« Il importe de remarquer, écrit-il, que, pour vérifier ces expériences, on doit éprouver les animaux avec des doses de venin sûrement mortelles en 2-3 heures, car si on n'injecte que des doses mortelles en 5-6 heures, comme le fait Phisalix, on trouve environ quatre cobayes sur dix de même poids qui survivent après avoir été plus ou moins malades et sans injection préventive de bile....

En expérimentant avec de la cholestérine pure de Merck, fusible à 146°, et dissoute dans l'éther ou dans l'huile de pieds de bœuf, nous avons constaté que cette substance, même à doses élevées (1 cc. de solution éthérée saturée), ne possède pas de pouvoir préventif réel. Elle retarde la mort de 1 à 5 jours lorsqu'on l'injecte 2 à 4 heures avant une dose de venin mortelle en 3 à 4 heures. Mais si on l'injecte 48 heures avant, elle ne produit aucun effet préventif. »

Beaucoup d’autres substances, d'après Calmette, jouiraient des mêmes propriétés, parmi lesquelles le bouillon normal frais à dose de 5 ou 10 cc. injecté 2 heures avant le venin, de même certains sérums normaux ou antitétaniques. Calmette conclut en ces termes : « Il n'est pas possible d'envisager ces faits comme démontrant une spécificité réelle de la bile, de la cholestérine, de certains sérums où du bouillon normal de bœuf à l'égard du venin. Nous pensons qu'il faut les interpréter tout simplement dans le sens d'une stimulation passagère des leucocytes qui ont pour mission de fixer le venin et de le véhiculer vers les éléments nerveux qu'il doit frapper de mort. »

§ 5. — Rôle des leucocytes et du système nerveux dans le mécanisme de l’immunité.

Pour Calmette, « le rôle des leucocytes dans la fixation du venin parait très important, car l'introduction de ce poison dans l'organisme, localement ou par voie intraveineuse, s'accompagne toujours d'une hyperleucocytose manifeste et, d'autre part, si on injecte à un animal neuf une dose de venin diluée dans une petite quantité d'exsudat leucocytaire frais, on observe toujours un retard considérable dans l'envenimation et très souvent la survie, » (Calmette, p.346, ind. bibl. 22.)

En ce qui concerne le rôle du système nerveux, Calmette a constaté que les émulsions de cerveau de lapin et de serpent (Bothrops lanceolatus) sont sans action antitoxique in vitro contre le venin. Elles n’ont aucun pouvoir préventif.

D'autre part, Calmette, en collaboration avec Guérin, à injecté des lapins avec du sérum antivenimeux (2 cc.) puis des substances à action élective sur le système nerveux (curare, 3 milligrammes), alcool éthylique (20 cc. dilution à 50 %), chloral (0 gr. 45 dans les veines), bromure de potassium (0 gr. 3 dans les veines), sulfate de strychnine (0 gr. 0003 dans les veines, puis enfin du venin à une dose mortelle en 15 minutes. Aucun des animaux n’est mort. Les résultats sont identiques si on injecte les substances toxiques d’abord, puis le sérum antivenimeux, puis enfin le venin. Donc « après l'injection de sérum antivenimeux, ce sérum manifeste son action préventive, malgré que l’on se soit efforcé de diminuer la résistance des éléments nerveux par l'injection de divers poisons qui agissent sur ces derniers. » (Calmette, p. 347, ind. bibl. 22.)

§ 6. — Relations entre le sérum antivenimeux et certaines toxines et entre certains sérums antitoxiques et le venin.

Ces relations ont été étudiées par Calmette. Il a vu que tous les sérums antivenimeux, même les plus actifs, se sont montrés inactifs sur la toxine diphtéritique par mélange in vitro de 2, 3 et 5 cc. de sérum avec 0 cc. 25 de toxine, et sur la ricine aux mêmes doses, avec 1 milligramme de poison, inactifs sur la toxine tétanique.

D'autre part, le sérum antidiphtérique de cheval, contenant 160 unités curatives par centimètre cube est inactif par mélange in vitro à l'égard du venin.

Le sérum antitétanique, au contraire, très nettement actif sur le venin, est inactif sur l'abrine et la ricine. Mélangé aux doses de 8 cc. de sérum avec un milligramme de venin de cobra ou de 3 cc. avec 0 mgr 5 de venin, il en empêche les effets toxiques on les retarde notablement.

Le sérum anti-abrique est égaiement antitoxique in vitro à l'égard du venin. Les lapins qui reçoivent un mélange de venin et de sérum antiabrique résistent ou succombent avec un long retard sur les témoins. Ceux qui reçoivent le sérum préventivement et le venin quelques heures après succombent toujours.

Le sérum des animaux vaccinés contre la rage, n'a aucun pouvoir préventif contre la rage elle-même, mais il détruit très bien in vitro le virus rabique après un contact plus ou moins prolongé. Ce sérum a une action des plus remarquables sur le venin des serpents et cette action s'exerce non seulement in vitro mais quelquefois préventi- vement. (Calmette, ind. bibl. 4.)

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Phisalix et Bertrand. – Sur la présence de glandes venimeuses chez les couleuvres, et la toxicité du sang chez ces animaux. (C.R. Académie des sciences, 8 janvier 1894. – C.R. Société biologie. Paris, 1894.)

2. Phisalix et Bertrand. – Sur les effets de l’ablation des glandes à venin chez la vipère (vipera aspis Linn.). (C.R. Académie des sciences. Paris, 26 novembre 1894. – C.R. Société biologie. Paris, 1894.)

3. Chatenay (G.). – Les réactions leucocytaires vis-à-vis de certaines toxines végétales et animales. (Thèse, Paris, 1894, no 238.)

4. Calmette (A.). – Contribution à l’étude des venins, des toxines et des sérums antitoxiques.(Annales Institut Pasteur. Paris, avril 1895.)

5. Phisalix et Bertrand. – Recherches sur l’immunité du hérisson contre le venin de vipère. (C.R. Société biologie. Paris, 27 juillet 1895.)

6. Phisalix et Bertrand. – Sur l’emploi du sang de vipère et de couleuvre comme substance antivenimeuse.(C.R. Société biologie. Paris, 23 nov. 1895 ; p. 751-753. – C.R. Académie des sciences. Paris, 1895 ; t. 136, p. 745-747.) 7. Phisalix (G.). – Atténuation du venin de vipère par les courants à haute fréquence ; nouvelle méthode de vaccination contre ce venin. (C.R. Société biologie. Paris, 29 février 1896.)

8. Phisalix (G.). – État de nos connaissances sur les venins ; production de l’immunité contre les venins inoculés par morsure. (Revue générale des sciences pures et appliquées. Paris, 1896, p. 185-191.)

9. Phisalix et Bertrand. – Sur l’existence à l’état normal de substances antivenimeuses dans le sang de quelques mammifères sensibles au venin de vipère. (C.R. Société de biologie. Paris, 18 avril 1896.)

10. Phisalix. – Action du filtre de porcelaine sur le venin de vipère. Séparation des substances toxiques et des substances vaccinantes. (C.R. Académie des sciences. Paris, 15 juin 1898. – C.R. Société de biologie. Paris, 20 juin 1896.)

11. Phisalix. – Antagonisme physiologique des glandes labiales supérieures et des glandes venimeuses chez la vipère et la couleuvre ; la sécrétion des premières vaccine contre le venin des secondes. Corollaires relatifs à la classification des ophidiens. (C.R. Société de biologie. Paris, 28 nov. 1896 ; p. 963-966.)

12. Phisalix. – Propriétés immunisantes du sérum d’anguille contre le venin de vipère. (C.R. Acad. des sciences. Paris, 28 déc. 1896.)

13. Calmette (A.) et Delearde. – Sur les toxines non microbiennes et le mécanisme de l’immunité par les sérums antitoxiques. (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, décembre 1896.)

14. Marmier (L.-A). – Les toxines et l’électricité. (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, 1896)

15. Calmette (A.). – Sur le venin des serpents et sur l’emploi du sérum antivenimeux dans la thérapeutique des morsures venimeuses chez l’homme et chez les animaux. (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, mars 1897.)

16. Phisalix. – Venins et animaux venimeux dans la série animale. (Revue scientifique. Paris, 14 août 1897.)

17. Phisalix. – Antagonisme entre le venin des Vespidae et celui de la vipère ; le premier vaccine contre le second. (C.R. Académie des sciences. Paris, 6 décembre 1897. – C.R. Société biologie. Paris, 1897.)

18. Phisalix. — La cholestérine et les sels biliaires vaccins chimiques du venin de vipère.(C.R. Académie des sciences. Paris, 13 décembre 1897. – C.R. Société de biologie. Paris, 1897.)

19. Phisalix. — La tyrosine, vaccin chimique du venin de vipère. (C.R. Académie des sciences. Paris, 31 janvier 1898.)

20. Phisalix. – Les sucs de champignons vaccinent contre le venin de vipère. (C.R. Académie des sciences. Paris, 12 déc. 1898. – C.R. Société biologie. Paris, 1898.)

21. Phisalix. – Sur quelques espèces de champignons étudiés au point de vue de leurs propriétés vaccinantes contre le venin de vipère. (C.R. Société de biologie. Paris, 1898.)

22. Calmette (A.). – Sur le mécanisme de l’immunisation contre le venin. (Annales de l’Institut Pasteur. Paris, mai 1898.)

23. Phisalix. – Recherches sur l’immunité naturelle des vipères et des couleuvres. (C. R. Académie dos sciences. Paris, 27 juillet 1903.)

24. Phisalix. – Les venins considérés dans leurs rapports avec la biologie générale et la pathologie comparée. (Revue générale des sciences pures et appliquées. Paris, 30 décembre 1903.) 25. Phisalix. – Influence des radiations du radium sur la toxicité du venin de vipère. (C.R. Académie des sciences. Paris, 22 février 1904.)

26. Phisalix. – Recherches sur les causes de l’immunité naturelle des vipères et des couleuvres. (C.R. Académie des sciences. Paris, 6 juin 1904.)


CHAPITRE IX

Traitement des morsures de vipères.


Le traitement qu’il convient d’appliquer à l’homme mordu par une vipère est la conclusion pratique des chapitres précédents.

Les moyens anciens tels que la ligature du membre mordu s’opposant à l’absorption du venin ou la retardant, la succion de la plaie après débridement léger avec une lame aseptique, favorisant l’issue d’une certaine quantité de venin et de sang doivent toujours être employés au début.

Les injections interstitielles profondes de substances destructrices de venin rendent également de grands services. Kaufmann a montré qu’elles exerçaient une action manifeste sur les phénomènes locaux de l’envenimation, Calmette a montré qu’elles atténuaient considérablement les phénomènes généraux. Parmi ces substances il convient de citer en première ligne le chlorure de chaux, en solution à 1 p. 100, l’hypochlorite de chaux en solution à 1 p. 60 ; à leur défaut le chlorure d’or solution à 1 p. 100), l’acide chromique (solution à 1 p. 100), le permanganate de potasse (solution à 1 p. 100) peuvent être également employés.

Les injections doivent être profondes, multiples, disséminées autour du lieu de la morsure, leur rôle consistant dans la destruction du venin au lieu même où il a été inoculé.

Les solutions doivent être fraîchement préparées.

Ces moyens doivent être complétés par l'emploi du sérum antivenimeux, injecté aseptiquement sous la peau du ventre à la dose de 10 centimètres cubes. Cette dose pourrait être doublée sans inconvénient si l’intervention est tardive, ou renouvelée si une première injection n’était pas suivie d’un amendement des phénomènes d’intoxication.

Ces divers procédés ne s’excluent pas les uns les autres. Au contraire, ils se complètent.

Grâce au sérum antivenimeux, la mortalité causée par la morsure des vipères devrait être nulle. Malheureusement le sérum antivenimeux n’agit pas s’il n’est inoculé le plus rapidement possible après la morsure. Nous avons dit que Phisalix avait constaté que l’inoculation du sérum antivenimeux est inefficace chez le cobaye si on la fait plus d’une demi-heure après l’introduction du venin. Nous devons remarquer cependant qu’il s’agit du cobaye, animal relativement plus sensible que l’homme à l’action du venin et que chez l'homme le sérum antivenimeux de Calmette a donné de brillants résultats, employé même plusieurs heures après la morsure de serpents bien plus redoutables que nos vipères françaises.

Nous rapportons cinq cas de morsures de vipère traitées par le sérum antivenimeux (obs. XVI, XVII, XVIII, XIX, XX) mais nous devons avouer que ces observations sont peu concluantes. En effet, trois de ces observations concernent des morsures de Pelias, espèce peu dangereuse (obs. XVIII, XIX, XX). Deux seulement concernent l’Aspic (obs. XVI et XVII) et sur ces deux dernières l’observation XVII seule présente quelque intérêt.

L’observation XVI, en effet, est pour nous sans valeur parce que l’injection de sérum a été beaucoup trop tardive (3e  jour) faite à ce moment où l amélioration était déjà survenue, chez un enfant de 13 ans et en outre parce que la quantité de sérum employée fut pour cette même raison très minime (1 cc.). Elle nous apprend cependant que l’injection de sérum antivenimeux, à l’instar de celle d’autres sérums antitoxiques peut donner naissance à une éruption morbilliforme.

Observation XVIII. — Adulte, 26 ans, mordu par une vipère péliade. Injection de 10 centimètres cubes moins de 30 minutes après l’accident, alors que les vomissements existaient déjà avec tendance à la défaillance. Cessation des phénomènes généraux d’intoxication. Malgré une seconde injection de 10 centimètres cubes pratiquée le lendemain, les accidents locaux ont évolué comme à l’ordinaire, l'œdème ne se résorbant que lentement les jours suivants.

Observation XIX. — Jeune fille, 19 ans, injection tardive, 28 heures après l’accident. Amélioration le lendemain.

Observation XX. — Enfant, 12 ans. Injection de 10 cc. de sérum antivenimeux 3 heures ¼ après l’accident. Le lendemain état satisfaisant mais œdème et tuméfaction du membre mordu. Nouvelle injection de sérum (20 cc.) 3e  jour, arythmie du pouls. Au 7e  jour œdème de la jambe de l’abdomen et du tronc, ecchymoses. Congestion pulmonaire.

Observation XVII. — Injection de sérum antivenimeux (10 cc.) 3 heures ¾ après la morsure, après que le malade a eu des vomissements et une selle involontaire. ].e pouls reste néanmoins petit et faible et le malade présente de l’hypothermie et des efforts de vomissements dans l’après-diner. Le pouls remonte le soir à 90. Nuit agitée.

2e  jour. — Pouls 93, plein et bien frappé. Anorexie, peu d’urines. Vers 7 heures du soir, agitation, refroidissement général, pouls assez faible. Nouvelle dose de 10 cc. de sérum antivenimeux. Anurie.

3e  jour. — Amélioration mais anorexie, 20 centigrammes pour 1,000 d’albumine dans l’urine, 450 grammes d’urine dans les 24 heures.

Les phénomènes d’œdème local et de congestion cutanée et viscérale n’ont pas été modifiés par le traitement. Les accidents toxiques généraux semblent avoir été un peu amoindris, à condition toutefois que l’on mette la dyspnée survenue dans la nuit du second jour sur le compte de l’œdème qui, à ce moment, a envahi le cou.

De tout ce qui précède il est difficile de tirer des conclusions au point de vue des résultats obtenus par l’emploi du sérum antivenimeux dans le traitement des morsures de vipère. Il faudrait pour cela posséder de nombreuses observations relatives à des cas où le sérum aurait été employé dans de bonnes conditions, c’est-à-dire peu de temps après la morsure. Les cas les plus graves seraient les meilleurs à ce point de vue, par exemple ceux qui concerneraient des enfants de moins de 12 ans mordus par des vipères aspics ; le pronostic, peu favorable de ces cas ferait ressortir d’autant mieux la valeur du traitement. Il ressort toutefois des quelques observations que nous rapportons, que le sérum antivenimeux reste sans action sur les phénomènes locaux de l'envenimation vipérique. Il n’empêche pas la production de l’œdème, il n’influence pas sa marche. L’observation XVII montre qu’il n’a pas agi sur les phénomènes congestifs et hémorragiques se passant du côté de la peau et des viscères.

Ces imperfections, signalées par Calmette, pourraient cependant être corrigées dans une certaine mesure puisqu’il écrit (1895) (ind. bibl. 1) : « Les sérums antivenimeux que l’on obtient en vaccinant des chevaux ou d’autres animaux avec le venin de cobra possèdent une action nettement antitoxique à l’égard de tous les venins neurotoxiques.

Or tous les venins des Colubridés venimeux et ceux de quelques Vipéridés (Cérastes, vipères péliade et aspics) renferment une neurotoxine plus ou moins active ; la plus toxique est celle du venin de cobra.

Mais à côté de cette neurotoxine (quelques venins de Colubridés {Hoplocephalus et Pseudechis d’Australie, Ancistrodon de l’Amérique du Nord) et tous les venins de Vipéridés renferment une substance (hémorragine de Flexner) qui produit des désordres locaux souvent très intenses caractérisés par un œdème sanguinolent et une digestion rapide des tissus. Cette substance introduite directement dans la circulation coagule le sang et le redissout ensuite. Un chauffage de quelques minutes à 75° suffit à la détruire tandis que la neurotoxine ne disparait qu’à partir de 90° souvent même seulement au-delà de 98° (Cobra).

Le sérum antineurotoxique de cobra reste sans action sur cette hémorragie. Mais on peut facilement obtenir des sérums antivenimeux polyvalents en vaccinant les animaux à la fois contre un venin fortement neurotoxique, tel que celui de Cobra, et contre un venin riche en hémorragine, comme celui de Daboïa ou de Lachesis. On peut de même préparer des sérums exclusivement antihémorragiques en utilisant seulement le venin de Daboïa dont la neurotoxicité est presque nulle. »

D’ailleurs ne dût-il agir que contre les phénomènes neurotoxiques, le sérum antivenimeux n’en resterait pas moins une arme thérapeutique précieuse contre les morsures de vipères et tout médecin exerçant dans une région où existent ces animaux, pourrait avoir l’occasion de se louer d’être en possession de quelques flacons de ce sérum.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE


1. Calmette (A). – Les sérums antivenimeux polyvalents. Mesure de leur activité. (C.R. Acad. des Sciences, Paris, 1904, 2 mai).


COMPLÉMENT


La clinique avait montré depuis longtemps que l’envenimation vipérique se traduit dans l’organisme par des symptômes locaux et par des symptômes généraux.

La découverte de deux principes toxiques différents, constituant le venin de vipère, l’échidnase et l’échidnotoxine (Phisalix) permet d’expliquer ce double mode d’action du venin.

L’échidnotoxine qui produit des effets généraux semble correspondre aux neurotoxines qui ont été isolées dans les venins d’autres serpents. Toutefois le terme échidnotoxine semble être d’une compréhension plus grande que celui de neurotoxine. L’anatomie pathologique nous apprend en effet que l’échidnotoxine est à la fois neurotoxique, hépatotoxique et néphrotoxique.

L’échidnase produit la lésion locale, caractérisée par un œdème hémorragique avec suffusions sanguines. L’étude de l’évolution clinique de cet œdème montre que ce principe semble diffuser dans les tissus par continuité, son action s’épuisant peu à peu à mesure qu’il s’éloigne du point d’inoculation. Elle répond au principe étudié dans d’autres venins et désigné sous le nom d’hémorragine (Flexner).

L’échidnase que Phisalix assimile à un fermement produit les modifications observées dans la coagulation du sang et qui, étudiées par Noc chez d’autres venins que celui des vipères semblent pour lui n’être que le résultat d’une action spéciale, l’action protéolytique s’exercant sur la fibrine du sang.

Quant à l’action hémolytique, il est plus difficile de voir duquel de ces deux éléments, échidnase ou échidnotoxine, elle relève. Étudiée avec d’autres venins, elle s’est montrée indépendante et dissociable de l’action exercée sur la coagulation du sang (Noc). En est-il ainsi en ce qui concerne plus spécialement le venin de vipère ? L’échidnase est-elle capable à elle seule de causer la mort ? Ces points seraient intéressants à résoudre, et leur solution n’est pas impossible puisque Phisalix enseigne la façon de séparer dans le venin de vipère l’échidnase et l’échidnotoxine.

La nature de l’œdème, accident local, est encore mal élucidée. L’assimilation de l’échidnase à un ferment pourrait peut-être permettre d’en présenter sous un jour nouveau la pathogénie et l’évolution. Il existe une théorie des « fermentations cellulaires ».

La pathologie ne nous donne aucun renseignement sur l’existence de l’échidnovaccin d’ailleurs mise en doute par Calmette qui ramène la vaccination obtenue par le procédé de Phisalix à une vaccination par accoutumance. Toutefois la fièvre apparaissant au cours de l’envenimation vipérique et considérée par les anciens observateurs comme de bon augure pourrait être considérée comme la traduction d’une réaction vaccinale.

BIBLIOGRAPHIQUE

(Complément concernant les ouvrages non cités dans les index des chapitres parce qu’ils n’ont pas servi à leur rédaction).

Soubeiran (J. L.). – De la vipère, de son venin, de sa morsure (259 indications bibliographiques. Paris, Masson, 1855.)

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OBSERVATIONS


1o  Accidents d’échidnisme aigu. — Intoxication plus ou moins grave mais non mortelle.

OBSERVATION I

(Dans l’ouvrage de Moyse Charas : Nouvelles expériences sur la vipère, seconde édition. — Paris, 1694, p. 69-80.)

Ce gentilhomme, âgé de vingt-cinq ans, s’étoit rencontré, par hasard, le jour précédent chez moy, lorsqu’on venait de m’apporter cinq ou six douzaines de vipères : d’abord il voulut les voir, et souhaitant de ma part de satisfaire à sa curiosité, je tiray du baril, une de ces vipères ; il ne se contenta pas de la voir, mais il la prit en sa main, et la tint environ un gros quart d’heure, la laissant tournoyer et s’entortiller à l’entour de sa main et de son bras, sans que la vipère fit aucun semblant de le mordre ; il luy lia ensuite le coù, et l’ayant pendue par là, il l’écorcha, et la vuida de ses entrailles pour les examiner. Je suis assûré qu’il n’aurait pas évité d’être mordu dès lors, si la vipère eut été irritée, mais n’ayant pas été mal traitée et se plaisant à respirer un autre air que celuy du vaisseau, où elle avoit été longtemps enfermée, elle se laissa attacher, et ne put après faire le mal qu’elle aurait fait, si elle n’eût été liée.

Ce fut toute autre chose le lendemain ; car ce curieux s’étant trouvé chez moy à l’heure de l’Assemblée, ayant vu sur la table une vipère, qu’on avait tenu longtemps avec des pincettes, et qui étoit fort irritée, la voulut prendre avec la main quoy qu’on l’eût exhorté de n’en rien faire, et qu’on luy eût représenté qu’il avoit déjà eu trop de hardiesse le jour précédent ; il ne l’eût pas plutôt prise qu’elle tourna la teste afin de le mordre et elle atteignit d’une de ses grandes dents crochües, la partie latérale interne du pouce droit, un peu au-dessous de la situation de l’ongle. La piqûre ne paroissoit que comme celle d’une épingle, elle ne nous semhloit même guère profonde, et nous ne vîmes à la superficie qu’un fort petit trou, avec tant soit peu de rouge ; de sorte qu’elle n’étoit connoissable que par sa couleur. Il n’y eut au-dessus, ni aux environs de ce petit trou, aucune trace de ce suc jaune contenu dans les vessies qui environnent les grosses dents, et que l’on a coûtume de voir épanché sur la playe, lorsque la vipère mord profondément ; la piqûre néanmoins luy causa d’ahord de la douleur, mais le doigt n’en fût pas enflé pour lors, et l’enflûre ne parût que quelques heures après, comme je le diray dans la suite.

On trouve bon de scarifier la partie, et de faire de fortes ligatures au-dessus de la morsure tant pour arrêter les effets du venin que pour en décharger cette partie blessée ; mais le malade y résista, ne croyant pas d’abord que son mal fût de conséquence et ne pouvant qu’à regret se résoudre à souffrir quelque scarification ; il n’endura qu’avec peine qu’on tint fort près et au-dessus de la morsure, une spatule de fer fort chaude et réchauffée plusieurs fois ; ce qui fut fait, afin de tenir les pores ouverts, et de rappeler et faire exhaler par là quelque partie du venin de la morsure : nous fîmes prendre cependant au blessé deux dragmes de thériaque dans un demy verre de vin.

Dans moins de demy quart d’heure après la morsure, le blessé sentit quelque débilité, et demanda une chaise ; il devint en même teins fort pâle, et son pouls se trouva fort petit, fort fréquent, et fort faible, et même interrompu : Ces accidents furent suivis de mouvements convulsifs et de roidissements de tout son corps, et surtout du coû, et des muscles de la tète : il se plaignoit aussi en même tems d’une très grande douleur vers le nombril : les froideurs parurent aux extrémitez, et même sur tout le visage, qui se trouvait couvert de petites sueurs froides : ses lèvres étoiont tuméfiées, surtout celle du dessous. En même temps se trouvant pressé de ses douleurs autour du nombril, et sentant que son ventre se voulait ouvrir, il se leva ; mais ayant rendu quelques excrémens, il tomba en foiblesse et rejetta en même tems par la bouche, non seulement la thériaque qu’il avoit prise, mais tout ce qu’il avoit mangé à dîner, qui n’étoit pas encore digéré ; nous courûmes à son secours, et le trouvâmes si abattu, qu’il luy fut impossible de remonter à la chambre, d’où il étoit descendu.

Comme son pouls étoit toujours petit, profond, fréquent et inégal et que ses défaillances étoient continuelles, aussi bien que ses sueurs froides, on trouva à propos de lui donner une dragme de poudre de vipère dans de l’eau thiériacale et de chardon bénit, et de luy appliquer un grand épithéme de thériaque sur le cœur etsur l’estomach, mais il rejetta d’abord ce qu’il venoit de prendre : Quelqu’un voulut aussi luy donner de l’orviétan mêlé avec de la nouvelle poudre de vipère, il les vomit tout de même, et pria qu’on le mit sur un lit, et qu’on luy donnât d’autres secours. Pendant tout cola, il ne manquoit ni de connoissanco, ni de bon raisonnement, nonobstant la foiblesse de son corps, et il avoit eu grande répugnance à l’orviétan, pour ce qu’il n’y ajouloit point de foy, et il ne consentit à le prendre que par déférence à quelques-uns de ceux qui étoient présens, qui luy en avoient fait instance.

Ce vomissement ne donnant pas le tems aux remèdes de porter, ni de communiquer leur vertu aux parties nobles ; je crus fort à propos de recourir au sel volatile de vipères, parce qu’étant tout volatile et tout propre à être promptement porté à toutes les parties, même les plus éloignées, le malade en pourroit plûtôt et plus à propos ressentir les ellets, que tous les autres remèdes plus grossiers, lesquels ayans été rejettez, dès qu’ils étoient entrez dans son corps, n’avoient pas eu le tems d’être réduits en acte par l’estomach, ni de communiquer leur vertu aux parties qui en avoient besoin.

Je fis donc dissoudre une dragme de ce sel volatile de vipères dans de l’eau thériacale, et de l’eau de chardon bénit, et je luy donnay environ le quart de ce mélange ; il le garda quelques moments, puis il en vomit une partie, mêlées avec plusieurs flegmes fort visqueuses ; je luy fis prendre encore une pareille quantité du même mélange qu’il garda encore quelque peu de tems, et après il revomit ce qui en pouvoit être resté dans son estomach, et parmy cela toujours plusieurs flegmes. On continua à lui redonner de ce mélange de tems en tems, à mesure qu’il l’avoit roeomy, et même on luy donna plusieurs lavements, pour appaiser les douleurs violentes et obstinées qu’il sentoit à l’entour du nombril.

Ses lèvres étoient toujours fort tuméfiées, son pouls fort mauvais et les sueurs froides, de même que les foiblesses continuèrent assez longtemps : mais ayant persévéré dans l’usage du sel volatile de vipères, son vomissement cessa, et il garda la huitième prise qui luy avait été donnée environ quatre heures après la morsure ; les symptômes diminuèrent dès lors, la froideur commença peu à peu il se retirer, et fit place à la chaleur naturelle, qui parut toute entière environ cinq heures après la morsure ; son pouls revint, et fut égal et robuste, mais un peu émû.

Ce fut sur les dix heures du soir que les accidents les plus fâcheux disparurent : le malade fut heureux dans son malheur, d’être secouru promptement et à propos. Je ne le quittay point que ses accidents mortels ne fussent cessez. Alors on le fit porter à son logis, où je l’accompagnay, et fis mettre au lit, et par l’avis de ces Messieurs, qui le visitèrent fréquemment pendant que son mal dura, je fis un mélange d’une dragme de confection de hyacinthe, d’autant de celle d’alkermès, d’une once de syrop de limons et de quatre onces d’eau de chardon bénit, on lui foisoit sentir des citrons, et on lui en donnoit de tems en te s de petites roüelles sucrées. Il prenoit de bons boüillons, et bûvoit de la ptisanne faite avec la racine de scorsonère et la raclure de corne de cerf, dans laquelle on mêloit du syrop de limons, il bûvoit aussi quelquefois un peu de vin, et on dissolvoit de la confection d’alkermès tantôt dans ses bouillons, et tantôt dans sa ptisanne.

C’est une chose assez remarquable, que pendant tous les grands accidents qu’il eût, son doigt n’étoit pas changé, et qu’il n’y paroissoit aucune enflûre, mais elle commença lorsque ces accidents cessèrent. Et cependant les douleurs autour du nombril continuaient, quoy qu’elles fussent tant soit peu diminuées ; ce qui obligea les médecins à luy ordonner souvent des lavemens ; son lim ventre étoit un peu tendu, mais non pas enflé ; sa langue étoit blanchâtre sans être seiche, ses yeux étoient abattus et ternis, son visage pâle, et ses lèvres toujours tuméfiées.

L’enflure du doigt s’étendit la nuit par toute la main ; on l’oignit plusieurs fois d’huile de scorpions composée de Mathiole, mêlée avec de l’eau de la reine de Hongrie ; mais nonobstant cette onction, l’enflure passa jusqu’au bras dès le lendemain avec douleur et rougeur, et s’augmentoit à vüe d’œil. On trouva bon de lui appliquer des fomentations faites avec les racines d’angélique, d’impératoire, de carline et d’aristoloche, et les sommités de scordium, de centaurée, d’absinthe, de millepertuis et de calamente, bouillies dans du vin blanc, et de continuer toujours les onctions de l’huile de scorpions de Mathiole parmi ces fomentations.

Quoique cela fut fait bien soigneusement, on n’en reconnut pas pourtant un grand effet : le malade étoit dégoûté, et même il vomit une fois le boüillon qu’il avoit pris ; mais ce vomissement ne continua pas ; Il usoit toujours des mêmes remodes internes et externes, et des mêmes aliments, mais bien qu’il sentît ses parties en fort bon état, et qu’il ne sentit aucune chaleur, ni aucune douleur en tout le reste de son corps ; neanmoins celle du nombril étoit obstinée, et l’enflûre, la douleur, et la rougeur de la main et du bras augmentoient toujours, et dès le troisième jour elles avoient gagné l’épaule du même côté, et descendoient sous l’aisselle, sur toute la mammelle, et sur toutes les parties voisines, et même sur toute la région du foye, nonobstant l’usage continuel des fomentations, et des onctions d’huile de scorpions.

Toutes ces considérations, jointes à la saison fort chaude où nous Otions, faisoient appréhender que la gangrène ne se mit à ces parties ; on crût que les remèdes extérieurs, qu’on avoit jugé les plus utiles, n’avoient pas un bon succez, il falloit avoir recours aux internes ; c’est ce qui porta les médecins à luy faire donner le soir du troisième jour, une dragme de Contrayerva en poudre dissoute dans des eaux cordiales, avec autant de confection d’alkermès ; mais on ne reconnut aucune diminution ni de la rougeur, ni de l’enflûre, ni de la douleur ; au contraire, nous remarquions que l’enflûre sembloit vouloir gagner le côté gauche. Après avoir bien examiné toutes choses, on donna unanimement les mains aux instances que je faisois de revenir à l’usage du premier remède interne qui avoit porté le plus grand coup, et qui avoit manifestement opéré ; je veux dire du sel volatile de vipères. C’étoit le matin du quatrième jour après sa morsure. On luy donna donc une demidragme de ce sel volatile de vipère dissoute dans quatre onces d’eau de chardon bénit, et on le fit bien couvrir pour luy provoquer la sueur ; le remède opéra conformément à notre espérance et à nos désirs, car non seulement le malade sua très copieusement, mais il reçut un amandement très considérable en tous les maux qui luy restoient. Sa douleur umbilicale n’étoit presque plus sensible, l’enflure de ses lèvres et celle qui étoit survenüe à la région du foye, à la mammelle, et sous l’aisselle disparurent, et celle de l’épaule, du bras et de la main fut beaucoup diminuée ; de même que la douleur et la rougeur. On jugea de là, qu’assurément on viendrait a bout de tout le reste ; et pour y parvenir, on donna au malade le lendemain matin une pareille dose de ce sol volatile de vipères, qui le fit suer de nouveau fort abondamment : la douleur du nombril cessa tout à fait, l’enflûre de l’épaule s’on alla entièrement, colle de tout le bras et de toute la main fut encore beaucoup diminuée ; de même que la rougeur et la douleur ; et pour ne pas laisser l’affaire imparfaite, encore que le malade se trouvât en un fort grand amandement, on luy redonna encore le jour suivant une pareille dose du même sel, et même on la réitéra encore le jour d’après pour la dernière fois ; en sorte que ce remède dissipa toute l’enflure, toute la rougeur, toute la douleur du bras, de la main, et du doigt même, où on se contenta d’appliquer un petit emplâtre pour cicatriser les incisions qu’on y avoit faites et qui furent consolidées trois ou quatre jours après, ce qui n’empêcha pas le malade de sortir et de vaquer à ses affaires ; de même que s’il n’eut jamais été mordu de la vipère.

OBSERVATION II

Duméril, in Erpétologie générale, t. VII, part. II, p. 1399-1854, rapportée par Soubeiran dans son livre De la vipère, de son venin et de sa morsure. — Paris, Masson, ed., 1855.

Le jeudi 11 septembre 1851, j’étais en promenade avec ma famille, dans la forêt de Sénart, près Paris ; je m’y livrais, comme de coutume aux recherches d’histoire naturelle. J’aperçus, au milieu d’une large allée peu garnie d’herbes courtes, un serpent qui la traversait rapidement. Il était environ 2 heures de l’après-midi. Trompé d’après un coup d’œil trop prompt, qui m’avait cependant permis d’apercevoir les plaques qui garnissaient au-dessus le devant de la tête de ce reptile, et même la raie brune sinueuse qui régnait le long du dos, je ne doutais pas que je voyais une couleuvre vipérine, c’est-à-dire un tropidonote qu’on rencontre assez fréquemment dans nos environs. Comme je ne devais pas en craindre de morsure, je me précipitai imprudemment sur ce serpent, que je saisis au milieu du corps avec la main droite pour l’enlever de terre ; mais ne l’ayant pas empoigné assez près de la tête et voulant m’aider de l’autre main, j’y fus mordu sur le pouce, au-dessus de l’articulation des deux dernières phalanges.

Ces piqûres furent si promptes que je les sentis à peine, car les crochets, fins et acérés comme des pointes d’aiguille, ne restèrent pas l’espace d’une seconde dans les petites ouvertures de la peau, très mince en cet endroit. L’une de ces piqûres ne fut même pas indiquée par le moindre atome de sang coloré. Saisissant à l’instant même la tête du serpent en arrière, je la repoussai en avant afin de décrocher les dents venimeuses, et j’essayai, mais inutilement, de briser la colonne vertébrale en étendant le tronc avec force sur la longueur et en sens opposé, le derrière de la tête étant retenu de la main gauche. Ne pouvant parvenir à rompre ainsi l’échine, je me servis de la main droite pour aller prendre dans mon gousset une paire de ciseaux qui s’ouvrent à ressort. Je m’empressai d’en introduire la pointe dans le gosier du serpent dont la bouche restait béante parce que les mâchoires étaient aussi repoussées par derrière. Je pus alors séparer les vertèbres en dedans et couper la moelle épinière en ménageant la peau du cou. Je jetai l’animal sur la terre, bien certain qu’il ne pourrait s’enfuir. Je m’occupai alors de sucer les piqûres de mes deux pouces ; mais les orifices étaient trop exigus pour qu’il on sortit le moindre liquide. J’aurais mieux fait de les inciser préalablement. Comme j’avais sur moi un cylindre d’azotate d’argent fondu, recouvert de cire à cacheter, je découvris un point de la surface de ce caustique, dit pierre infernale, pour l’appliquer successivement sur les trois indices de piqûres, et environ une minute après sur le quatrième du pouce droit que j’avais négligé d’abord ; mais y ayant remarqué un petit suintement sanguinolent, je crus devoir employer la pointe d’une lancette pour ouvrir plus largement la peau afin que l’action cautérisante du sel d’argent pût s’y exercer plus profondément. C’était, au reste, ce que j’aurais dû faire pour les trois autres piqûres, qui ne me faisaient éprouver aucune douleur ni sensation appréciable.

Le serpent recueilli pour être conservé, je continuai ma promenade pendant environ une heure et demie. Je m’apercevais à peine de ces petites blessures pendant la première demi-heure. Cependant je remarquai que le dessus du pouce gauche, le premier piqué, se gonflait insensiblement, mais sans douleur aucune.

L’enflure s’étendit peu à peu du pouce sur le milieu de la main, mais le seul effet éprouvé était celui d’un engourdissement, J’essayai, mais en vain, par des frictions, des mouvements de flexion et d’extension, en maniant une canne et en malaxant la surface, de faire dissiper ce gonflement qui allait toujours en augmentant, et qui commençait à se manifester, quoique moins sensiblement, sur le pouce droit qui avait été soigné le second.

Je continuai de marcher, n’éprouvant aucun malaise, et il était environ quatre heures et demie lorsque j’arrivai au village de Brunoy, assez près de l’embarcadère. Me sentant légèrement fatigué, et précédent ma famille qui m’accompagnait, je voulus l’attendre un instant en m’asseyant sur une borne élevée qui bordait la rue ; mais à peine y étais-je placé que sans en avoir la conscience, sans avoir éprouvé la moindre sensation pénible, il paraît que je tombai en syncope, car je glissai, et j’étais couché sur le terrain lorsque mon fils, qui arrivait près de moi, m’aida aussitôt à me relever. Très ferme d’ordinaire sur mes jambes, j’étais étonné moi-même d’être tombé et de ne sentir aucun malaise.

Je me remis on marche ; mais au bout d’une centaine de pas, n’étant pas pressé par l’heure du départ, et apercevant sur le bord de la route une pile de planches assez élevé pour m’y asseoir commodément, je m’y plaçai ayant les jambes légèrement suspendues. Mon fils remarqua alors, sans que j’en aie conservé le souvenir, qu’il se fit dans l’une de mes jambes de petits mouvements involontaires et répétés qu’il attribua à une influence nerveuse.

Quelques moments après je continuai ma course. Arrivé à l’embarcadère, j’avais à ce que l’on m’a dit, le visage pâle et très altérée ; j’étais, en effet, dans un état de malaise. Je m’étendis sur sur un canapé, éprouvant quelques légers gonflements d’estomac. Je ne tardai pas alors à entrer dans un bon wagon et me plaçai près de l’une des portes. Là, pendant les trois quarts d’heure que dura le trajet jusqu’à Paris, j’eus deux ou trois soulèvements d’estomac qui me forcèrent à cracher, et comme j’étais à jeun depuis près de 7 heures, je n’eus point de vomissement ; il n’y eut qu’un seul rapport amer ou bilieux.

Arrivé au débarcadère, j’allais à pied, mais avec difficulté, à plus de deux cents pas, trouver une voiture qui me ramena à mon domicile. Comme le malaise persistait, je m’étendis sur un canapé pendant qu’on préparait mon lit. Au moment où je me levais pour m’y rendre, je fus pris d’un vomissement de bile pure, peu abondant, de trois ou quatre gorgées. Rendu près de mon lit, je me sentis très faible et près de perdre connaissance, surtout au moment où je m’y étendis. En quittant mes vêtements je m’aperçus que mon bras gauche était très gonflé, depuis le poignet jusque vers le milieu de l’avant-bras. Cependant je n’éprouvais qu’un engourdissement sans douleur réelle, et que la gêne qui résultait de la distension des tissus.

Je fis faire sur toutes ces parties des onctions et des applications de linges imbibés d’alcoolat de mélisse sur 60 grammes desquels on avait ajouté 1 gramme d’ammoniaque liquide, ce qui fut répété deux ou trois fois dans la soirée. Le pouce droit, le dessus de la main et le poignet de ce côté étaient aussi gonflés, mais à peine en avais-je la conscience. Je pris un bouillon et un peu de vin d’Espagne, n’éprouvant d’autre malaise que celui de la tension de tout le tissu cellulaire de l’avant-bras qui était énormément distendu en avant, jusqu’au pli du bras et presque point du côté du coude.

Je dormis parfaitement pendant la nuit, et le sommeil me surprit une heure et demie environ après mon entrée au lit. À mon réveil, le volume du bras était le même, mais d’une teinte rouge, violacée par places, le sang s’étant extravasé par le tiraillement exercé sur les veines dont les capillaires étaient déchirés. Cependant la peau était comme engourdie, si ce n’est quand j’y exerçais une légère pression dont je ressentais l’action.

Dès le matin je bus une tasse de café au lait avec plaisir, et il s’ensuivit une légère et utile transpiration. Plus tard un potage gras et un peu de vin furent très bien digérés. Je me trouvais on assez bon état de santé pour me lever ; toutes mes fonctions s’exerçant librement. Le bras et la main restaient encore gonflés. Les taches noirâtres avaient pris une teinte violette ; elles se manifestaient principalement dans les parties les plus déclives et surtout vers le bord radial de l’avant-bras et sur le même côté de l’une et l’autre main.

Le samedi, c’est-à-dire, le surlendemain, je repris mes occupations- actives quotidiennes au dehors, et à l’établissement dont je suis le médecin. Je me trouvai tellement bien que je pus commencer mon cours au Muséum, qui était annoncé pour le lundi 14 septembre, c’est-à dire quatre jours après l’accident.


Il résulte de ce fait, que j’ai cru devoir consigner ici avec détails parce qu’ils feront bien connaître la série des accidents produits par les piqûres de ce serpent :

1o  Que la petite quantité d’humeur vénéneuse qui m’avait été inoculée par les morsures du Peliade Berus a déterminé chez moi, vieillard actif et vigoureux âgé de près de soixante-dix-huit ans, des accidents assez graves, et surtout une sorte d’insensibilité momentanée, pour donner à penser qu’une personne plus faible, plus jeune, et surtout un enfant, aurait pu {{corr|succcomber|succomber} à ces accidents ;

2o  …

3o  Que j’ai eu le tort de n’avoir pas élargi de suite avec la pointe de ma lancette les petites piqûres, avant de les soumettre à la succion, surtout de n’avoir point exercé de suite une compression circulaire au-dessus de mes pouces.

OBSERVATION III

Piqûre de vipère chez une femme enceinte.
(Dr Lihoreau à Aigrefeuille, rapporté par Viaud-Grand-Marais. — In Gazette des hôpitaux. Paris 1868, n" 65, p. 258.)

Au mois de juin 1859, la femme N…, de Hautes-Landes, à Aigrefeuille, âgé de 27 à 28 ans, fut piquée au pied gauche par un aspic pendant qu’elle aidait à faire le foin. On exprima aussitôt sur sa blessure le jus de plusieurs feuilles de molène et l’on donna à boire à la malade une grande quantité de vin chaud et sucré. Deux hommes vigoureux la saisissant par les bras, la firent courir jusqu’à ce qu’elle tombât de fatigue et de vin. Elle fut ensuite mise au lit sous plusieurs couvertures. Un sommeil de 15 à 20 heures s’empara d’elle, tandis qu’une sueur profuse perlant à la surface de sa peau traversait couette et matelas. À son réveil la blessée n’avait qu’un souvenir confus de ce qui s’était passé et ne conservait qu’un peu d’engourdissement et d’œdème de la jambe malade. L’enfant vint au monde à son terme et en parfait état de viabilité.

OBSERVATION IV

Morsure de vipère suivie de guérison.
(Dr Delasiauve. — In Gazette des hôpitaux. Paris, 1872, 12 sept, p. 874.)

C’était vers le 15 août 1830. J’étais allé, avant de prendre le collier de misère, passer quelques semaines dans la famille d’un de mes condisciples et amis, tout près d’être et étant aujourd’hui encore médecin à Rugles (Eure), M. le docteur Forcinal.

Sachant que nous étions là, à Bois Arnault, on vint nous requérir précipitamment vers les six heures du soir, pour un voisin, cultivateur d’environ 55 ans, rapporté des champs dans un imminent danger. En ramassant de l’avoine, il fut mordu par une vipère, au dos de la main, au moment où il glissait celle-ci sous une javelle. L’animal, enroulé dans le creux d’un pas de cheval, avait redressé la tête au contact. Il fut tué sur place ; chacun le vit et son identité ne fut douteuse pour personne.

Plus de quatre heures s’étaient écoulées. La situation du blessé, à notre arrivée, était des plus graves. Prostration absolue, teinte de la peau livide, haleine fétide, pouls à 28. La langue triplée de volume, sortait de la bouche qu’elle obstruait. Le gonflement local était énorme. On n’apercevait pas la piqûre ; pour la rendre sensible, nous appliquâmes une large ventouse dont l’aspiration fit sourdre, en effet, des gouttelettes de sang significatives.

Renseignés de la sorte, nous fîmes sur le point piqué deux incisions en croix, longues et profondes ; puis avec l’extrémité d’une broche rougie à blanc, nous cautérisâmes la plaie aussi avant que possible.

Le tout fut suivi d’un pansement avec la teinture d’arnica et l’ammoniaque. Pour boisson, une tisane sudorifique et un julep d’esprit de Mindererus.

La première nuit fut un peu agitée ; il y eut du délire. Toutefois, le lendemain matin, le pouls marquait quelques battements de plus et la connaissance était entière. Le malade répondait par signes. Malgré les gargarismes légèrement détersifs, la langue conservait son volume.

Dans la seconde nuit, le désordre des idées se reproduisit moindre ; même insomnie ; pouls à 40 ; langue sensiblement rétractée. A partir du troisième jour, l’amélioration fit des progrès ; le quatrième jour tout danger avait disparu.

Après une semaine, le malade reprenait ses occupations et ses habitudes

Ce qui m’a paru surtout caractéristique, c’est à la fois et l’extrême ralentissement de la circulation et l’énorme développement de la langue.

OBSERVATION V

Morsure de vipère. — Injection d’ammoniaque dans les veines. — Guérison.
(Dr Boille de Buzançais (Indre). — In Journal de médecine et chirurgie. Paris 1873, XLV, p. 452.)

Le 16 juillet 1874, un homme de 40 ans, vigoureux se rend chez moi, conduit par un de ses camarades. Il liait des gerbes de blé quand il se sentit mordu.

Aussitôt on l’amène à Buzançais, j’ouvre la plaie siégeant à l’index, j’aspire le sang et je cautérise avec un fer rouge.

La tuméfaction ne s’étend pas au-delà du poignet et la peau n’a pas changé de couleur. Cet homme est pâle et trempé de sueur.

Les vomissements se montrent et deviennent incoercibles, la langue se tuméfie, d’où un embarras très marqué de la parole.

Puis toutes les cinq minutes il urine sans qu’il puisse se retenir.

Je le fais conduire immédiatement à l’hôpital où à peine arrivé, il est pris de syncope et d’une violente douleur hypogastrique.

Tous ces symptômes s’étaient déroulés coup sur coup et il ne s’était pas écoulé deux heures depuis l’accident.

Alors je me souvins de M. Oré, et comme lui, j’injectai dans la veine médiane céphalique une solution ammoniacale au 1/10. J’en injectai une première de 68 centigrammes, et dix minutes après une seconde de 18 centigrammes encore.

l’affirme que les accidents cessèrent instantanément ; seule la tuméfaction gagna en douze heures tout le bras, mais le surlendemain elle ne dépassait pas la région deltoïdienne.

Trois jours après cet homme quittait l’hôpital en parfaite santé. Suis-je blâmable d’avoir agi de la sorte ?

Ayant été témoin de deux morts par morsure de serpent, persuadé que les cautérisations sont souvent insuffisantes, j’osai imiter un savant confrère. Il va sans dire que je ne conclus pas de ce fait que l’injection ammoniacale dans les veines est l’antidote de l’empoisonnement vipérin, ni qu’elle soit dépourvue de danger. Ici cependant il n’en est absolument rien résulté de fâcheux.

OBSERVATION VI

Morsure de vipère. — Guérison.
(Dr Gross, de Nancy. — In Revue médicale de l’Est, 1874, p. 319.)

Le mercredi de la semaine de Pâques 1873, à la carrière de Frouard, le nommé Guyon Alexis, âgé de 27 ans, serrurier à Nancy, a été mordu par une vipère, au bord externe du doigt indicateur de la main gauche. Il était 10 heures du matin à peu près. Aucun symptôme général au moment de l’accident.

Le malade ne fait rien pour cette piqûre, il monte en chemin de fer et arrive à l’hôpital Saint-Charles de Nancy, à 3 heures de l’après-dîner.

Là l’interne de garde constatant une petite piqûre à un centimètre en arrière de l’articulation métacarpo-phalangienne de l’index, sur le côté externe du doigt, fait une petite incision sur la morsure (dont la cicatrice est restée parfaitement visible) et pratique l’aspiration au moyen d’une pompe aspirante. L’avant-bras et le bras présentaient un œdème général assez consistant. Chargé du service à ce moment, je me contentai de prescrire l’application de compresses d’eau blanche sur le membre. L’œdème disparaît rapidement et trois jours après son entrée, le malade sort de l’hôpital, parfaitement guéri.

OBSERVATION VII

Morsure de vipère. — Guérison.
(Dr Gross, de Nancy, observation recueillie par M. Moreau, interne du service. — In Revue médicale de l’Est, 1874, p 319-320.)

Le nommé Steiger, Auguste, né à Strasbourg, âgé de 35 ans, employé du chemin de fer de l’Est, entre le 16 août à l’hôpital Saint-Léon, salle Saint-Léon, lit n“ 7. Grand, blond d’une bonne santé hahituello, a fait les campagnes de Crimée, d’Italie, du Mexique et la dernière guerre. N’a jamais eu de maladie.

Le malade sc présente à l’hôpital Saint-Léon pour un œdème considérable de tout le membre supérieur droit.

Toute la main, l’avant-hras, le bras, l’aisselle, l’épaule et la partie latérale et externe du thorax, jusqu’au niveau de l’angle intérieur de l’oinoplate, sont le siège d’un fort gonflement. La peau est chaude, fortement tendue ; les ganglions lymphatiques de l’aisselle droite sont indurés et douloureu à la pression.

À la partie postérieure de l’épaule, vers l’angle inférieur de l’omoplate, rougeur érysipélateuse disparaissant sous le doigt.

En examinant attentivement le membre du malade, on voit sur la face dorsale du doigt médius, au milieu de la première phalange une petite plaie ayant un centimètre d’étendue, et tout autour, une coloration brune de la peau.

Voici ce que nous apprend Steiger :

Le 14 août, c’est-à-dire deux jours avant son admission, étant allé se promener du côté de Frouard, il aperçoit, dans un taillis une vipère qu’il frappe de son parapluie. Le reptile se retourne et le mord au doigt médius de la main droite, sur le milieu de la face dorsale de la première phalange. La main enfle de suite après l’accident ; mais le malade est encore obligé de faire une course de vingt minutes avant de trouver une habitation où l’on puisse lui donner quelques soins. Enfin, il entre dans une ferme où se trouve par hasard un médecin qui, au dire du malade, pratique d’abord une incision cruciale à l’endroit de la morsure, y verse de l’ammoniaque, et, par surcroît de précaution, de la teinture d’iode ; ce qui nous explique la coloration brune de l’épiderme aux environs de la plaie. Puis on applique autour du poignet un lien constricteur. Tel est le traitement local. Comme médication générale, on administre au malade un médicament qui le fait vomir pendant trois heures consécutives. Toute cette thérapeutique affaiblit Steiger que l’on ramène chez lui en voiture.

Le 14 août, jour de l’accident, à 11 heures du soir, le malade se sent de la fièvre et appelle le docteur Marchal. Celui-ci fait d’abord enlever le lien que l’on avait serré autour du poignet, constate de l’œdème à la main et l’avant-bras, mais aucun symptôme général spécial, et pour calmer les craintes du malade, il prescrit une potion sudorifique (acétate d’ammoniaque 15 grammes).

Le lendemain, 15 août, M. Marchal et M. Gross, appelé en consultation, constatent que l’œdème de la main s’était étendu à l’avant-bras et au bras. Le malade avait de la fièvre. Prescriptions : Cataplasmes sur la main pour ramollir et enlever les eschares produites par les caustiques appliqués et qui formaient une croûte fermant hermétiquement la plaie. — Compresses d’eau blanche sur tout le bras et l’avant-bras droits. — Diète. — Limonade.

Sur l’avis de M. Gross, le malade entre à l’hôpital Saint-Léon, le 16 août, pour y être traité jusqu’à guérison. On continue le même traitement, cataplasmes et compresses d’eau blanche, limonade et comme Steiger allait déjà mieux, un peu de nourriture. Pendant 24 heures encore, on pouvait craindre la formation d’un abcès ganglionnaire de l’aisselle, vu la rougeur qui persistait dans cette région, mais l’état s’améliora progressivement jusqu’au 29 août, et le malade sortit en voie complète de convalescence. À cette date, il n’existait plus qu’un léger œdème de la main.

OBSERVATION VIII

Observation d’un cas de morsure de vipère ayant causé des accidents très graves rapidement améliorés par la cautérisation au fer rouge.
(M. Thiébaut, d’Aouze, in Revue médicale de l’Est, 1876, p. 245-247. — Rapportée par Kaufmann, dans son livre : Les Vipères de France, page 47.)

Vers la fin du mois d’août 1848, le nommé Mélet, âgé d’environ 40 ans, fort, robuste, curé à Vandeléville (Meurthe), traversant son jardin, fut mordu par une vipère au-dessus de la malléole externe du côté droit. Il était 10 heures du matin. Immédiatement, il appliqua sur la plaie une forte dose d’ammoniaque liquide, se croyant ainsi à l’abri de toute suite fâcheuse de sa blessure. Mais, contrairement à ses espérances, le blessé éprouva de vives douleurs, qui allèrent en augmentant dans le cours de la journée ; il survint en même temps un gonflement qui envahit progressivement la jambe, la cuisse et même le bas-ventre, puis la diarrhée très forte et du délire.

Appelé dans la soirée, j’arrivai près de lui à 7 heures du soir. Je trouvai le malade sans connaissance ; ventre ballonné, pouls très vite, très petit, filiforme ; selles diarrhéiques fréquentes. Le membre blessé est énormément tuméfié. L’application de mon index sur ce membre, dons le but de reconnaître la tension des tissus, fit pousser au patient un cri de douleur si violent, que les assistants reculèrent de frayeur.

Je pratiquai aussitôt une incision de 8 à 10 centimètres sur le lieu de la morsure, assez profonde pour ouvrir la veine saphène externe, de laquelle s’écoula une certaine quantité de sang, et je fis sur toute la jambe, principalement au mollet, une dizaine d’incisions profondes, desquelles il ne sortit et même difficilement, qu’un liquide légèrement citrin et tellement condensé qu’il restait sur le bord de la plaie sans couler. Je fis étendre dans la plaie pratiquée sur le lieu de la morsure, les mors réunis d’une pince à feu chauffés au rouge blanc, et un couteau de table également rougi à blanc fut introduit dans chacune des plaies plus petites pratiquées sur le reste de la jambe.

Chose remarquable, environ vingt à trente minutes après cette opération, mon malade reprit bonne connaissance, reconnut tous les assistants, et même son médecin, qu’il fut bien étonné de voir auprès de lui. J’ai pu dans ce moment lui serrer la cuisse à pleines mains, sans provoquer la moindre douleur. Le reste du traitement consista on boissons diaphorétiques pendant quelques jours, et le pansement des plaies bien entendu. Bientôt mon malade fut parfaitement rétabli.

OBSERVATION IX

Observation de morsure de vipère suivie d’accidents généraux graves. — Amélioration rapide après la cautérisation au fer rouge.
(Dr Crussard, de Neufchâteau, Revue médicale de l’Est, 1876, p. 247. — Rapportée par Kaufmann, dans son ouvrage : Les Vipères de France, p. 48.)

Au mois d’avril 1864, on m’amena une femme qui venait d’être mordue par une vipère en travaillant dans sa vigne. Cette femme a 28 ans, elle est robuste, sanguine, et n’a jamais été malade. Au moment où je la vois, il y a deux heures et demie que l’accident est arrivé. Un peu au-dessus de la malléole externe droite, je constate une petite blessure, par laquelle il s’est écoulé un peu de sang. Il n’y a pas de changement de coloration de la peau ; gonflement très léger ne s’étendant pas jusqu’à la naissance du mollet ; mais, en revanche, le membre est traversé par des élancements d’une grande violence, qui arrachent des plaintes continuelles à la malade, qui est pourtant une femme courageuse. La face est pâle, couverte ainsi que les mains un peu cyanosées d’une sueur froide. Vomissements répétés et plusieurs selles involontaires très fétides. Pouls petit, filiforme, fréquent, menaces continuelles de syncopes, qui ne sont empêchées que par un flacon d’ammoniaque tenu sous le nez de la malade. On lui a versé de l’ammoniaque sur la plaie, ce qui n’a pas empêché tous les accidents de la morsure de vipère de se produire.

Après avoir incisé la plaie crucialement, je fis rougir à blanc un cautère, que j’éteignis à deux reprises dans la plaie. Presque aussitôt les douleurs lancinantes cessèrent comme par enchantement. Je fis donner à la malade des infusions de menthe additionnées d’esprit de Mindererus. Les vomissements et les selles cessèrent ; quelques heures après, la malade était hors de danger, et au bout de deux jours elle ne souffrait plus que de la brûlure, qui demanda un mois pour guérir complètement.

OBSERVATION X

Cas de morsure grave de vipère. — Guérison.
(Dr Fredet, Union médicale, Paris, 1878. — Rapportée par Kaufmann, dans son ouvrage : Les Vipères de France, p. 42.)

L’année dernière encore dans ce même canton de St-Amand, à 18 kilomètres de Clermont, un paysan fut mordu à l’index de la main droite en voulant saisir une vipère cachée sous une touffe d’herbe. Voici d’ailleurs son observation :

Vendange, de Saint-Saturnin, âgé de trente ans, voulut saisir par la queue une vipère cachée sous une touffe de sainfoin, l’année dernière au mois de juillet. Le reptile, irrité, le mordit à l’index de la main droite, première phalange. On s’empresse autour du blessé, on frotte les piqûres avec de la terre (la terre enlève tout venin dans notre pays). Un châtelain du voisinage accourut sur ces entrefaites, muni de son flacon d’ammoniaque.

On frotte le doigt et on invite le patient à boire quelques gouttes de cette liqueur dans un verre d’eau. Néanmoins, le blessé est pris de syncope, et l’on décide à le transporter chez lui.

Chemin faisant, M.  le Dr Morin, de Saint-Amand-Tallende, de qui nous tenons cette observation, rencontre ce malheureux, étendu sans mouvement sur un tombereau que l’on menait à bras.

« Vendange était glacé, dit le Dr Morin, le pouls était imperceptible, le visage bleuâtre, j’eus peine à saisir le mouvement respiratoire. Je résolus cependant d’agir comme si la vipère ne venait que de mordre. N’ayant pas ma trousse sur moi, je fis avec un canif une incision cruciale sur la face palmaire de la phalange blessée. Vendange n’y fut pas sensible. Avec des tringles de rideau d’une auberge voisine que je fis rougir au feu, je cautérisai le fond de la plaie. En même temps, j’appliquai des ligatures, l’une à la base de la phalange, la deuxième au poignet, la troisième à l’avant-bras, la quatrième au coude, la cinquième et dernière au bras.

La cautérisation réveilla le patient de sa torpeur. On le conduisit alors à son domicile, et le mit au lit. Le malade est alors pris de vomissements de matières alimentaires au milieu desquelles on aperçoit deux lombrics et une infinité de petits points noirs, signes précurseurs d’une violente hématémèse qui se déclare un quart d’heure après.

Hématémèse et mélœna se manifestèrent jusqu’au lendemain. Pendant quinze jours le malade fut dans une faiblesse extrême et put à peine reprendre son travail deux mois après l’accident. Depuis cette époque, Vendange se plaint qu’à certains moments le membre blessé se colore de teintes ecchymotiques qui disparaissent aussi facilement qu’elles se montrent.

OBSERVATION XI

Cas grave de morsure de vipère.
(Dr Fredet, in Union médicale, Paris, 1878. — Rapportée par Kaufmann dans son livre : Les Vipères de France, p. 43.)

Baguess, ouvrier ferblantier à Clermont, se reposait après son repas dans la cour d’une maison habitée et située dans une commune de l’arrondissement de Thien, il y a cinq mois environ, lorsqu’il sentit tout à coup un corps froid se glisser sous le pantalon qui recouvrait la jambe droite. Il y porta la main et se sentit, piqué immédiatement au milieu de l’articulation fémoro-tibiale ; il se redressa effrayé, ouvrit son pantalon et aperçut sous sa chemise, une vipère assez volumineuse qui venait de le mordre et qui cherchait à se glisser entre la poitrine et la chemise. Il la saisit alors, à quelques centimètres en arrière du cou ; l’animal, se sentant pris, se retourna et l’atteignit à l’index de la main droite de ses deux crochets au niveau de la première phalange. Baguess laissa, tomber l’animal qu’il écrasa du pied.

Quelques instants après l’accident, le blessé agrandit la blessure du doigt et fit sortir quelques gouttes de sang et se disposait à rentrer à la maison, lorsqu’il se sentit défaillir. « Je fus obligé, me dit-il, de me coucher à terre et je restai ainsi ayant perdu connaissance pendant une heure au moins. Cependant je recouvrai mes sens, mais malgré mon plus vif désir de rentrer à la maison d’habitation dont la porte ouverte était à quelques pas de moi, je ne pus me redresser ni ramper jusque-là. J’étais comme paralysé. »

On vint enfin à son secours, on le transporta sur un lit, on lui fit boire quelques gouttes d’ammoniaque dans de l’eau. C’est alors qu’il fut pris de vomissements séreux et de selles involontaires avec tendance syncopale, refroidissement des extrémités. Cet état persista toute la nuit, et l’on s’attendait à sa mort prochaine, lorsque le lendemain, vers 10 heures, il fut visité par mon confrère le Dr Plicque, de Lezoux, qui jugea son état des plus graves et qui m’affirmait il y a quelques semaines qu’il ne s’attendait guère à le voir revenir d’aussi loin.

C’est à ce moment qu’on lui administra des boissons alcooliques et chaudes, qu’on lui réchauffa les extrémités, et le deuxième jour, on le transporta à Clermont où je le visitai chaque jour. Je vis Baguoss quatre jours après son accident. En quelques mots, voici ce que je constatai :

État local. — Gonflement œdémateux de tout le membre inférieur droit jusqu’à la région dorsale inférieure, aspect ecchymotique couleur lie de vin ou noirâtre.

Les piqûres, au nombre de deux, assez écartées au-dessus de l’articulation du genou, présentent un gonflement inflammatoire très appréciable.

Le membre supérieur droit offre le même aspect que je viens de signaler pour le membre inférieur. Les ganglions ne sont pas engorgés soit à l’aine, soit à l’aisselle, on ne sent pas de cordon induré sur le trajet des vaisseaux lymphatiques et cependant la teinte ecchymotique est plus accusée à la partie interne des membres qu’à la partie externe.

État générai. — Le malade est très affaissé, son teint est subictérique. À diverses reprises, je l’engage à se lever de son lit. Le blessé, à peine assis sur un fauteuil, est pris de syncope, et je suis obligé de le faire replacer dans son lit. Le pouls est petit, régulier, très dépressible. Les battements du cœur sont faibles, mais réguguliers, le malade ne peut digérer que du lait ou des boissons, tous les aliments solides sont rendus quelques instants après leur ingestion dans l’estomac.

Les urines sont normales, très mousseuses, mais ne présentent aucune trace de sucre ni d’albumine.

Le sang examiné est diffluent, présentant un caillot noir s’écrasant facilement sous le doigt. Le sérum est plus abondant et plus coloré ; quant aux globules, ils ne m’ont semblé altérés ni dans leur forme ni dans leur nombre. Les leucocytes n’y sont pas plus nombreux que dans le sang normal.

Éffets consécutifs. — Les symptômes d’adynamie que je viens de signaler disparaissent lentement. Au quinzième jour, le blessé éprouvait encore quelque peine à rester longtemps assis. L’ecchymose du membre supérieur et inférieur droit ainsi que l’œdème diminuent peu à peu, mais comme Baguess était impropre au travail, il partit quinze jours après son accident pour son pays natal où il resta un mois. Comme à Clermont, il ne put s’habituer à manger de la viande rôtie ou non, qu’il rendait à chaque fois. Le lait seul était bien supporté. Enfin trois mois et demi après sa blessure, Baguess était encore dans un état de faiblesse considérable ; il ne pouvait pas encore travailler et souffrait de douleurs gastralgiques assez violentes.

OBSERVATION XII

Morsure de vipère. — Accidents graves. — Emploi du jaborandi. — Guérison.
(Dr Josso. — In Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie. — Paris, 1882 ; 2 s. XIX, p. 835.)

Le samedi 13 mai 1882, je fus consulté dans la matinée par une fermière d’Orvault, gros bourg situé aux portes de Nantes, dont une servante de ferme avait été piquée par un aspic rouge et dont l’état était des plus alarmants. Je demandai quelques détails et voici ce qui me fut raconté.

La blessée, fille de 23 ans, d’une santé fort délicate, fut placée à la campagne, chez cette fermière, par la commission des enfants assistés, afin qu’elle pût se fortifier au milieu des rudes travaux des champs. Le mercredi 10 mai 1882, elle était occupée à sorcier les blés, lorsqu’elle fut piquée par un aspic rouge qu’elle avait pris à pleine main, croyant avoir affaire à un serpent inoffensif.

La vipère la mordit avec fureur dans le repli Interdigital, entre le médius et l’index gaucho, et la douleur fut assez vive pour obliger cette fille à examiner avec attention la partie blessée ; elle ne vit que trois petites gouttelettes de sang sourdre à l’endroit des piqûres.

Assez effrayée, elle reprit le chemin de la ferme, et raconta à sa maîtresse ce qui venait de lui arriver. Celle-ci se hâta d’appliquer une ligature sur le poignet, et de faire tremper dans l’eau salée la main blessée. La malade se plaint d’un vif engourdissement qui remonte jusqu’à l’épaule ; l’avant-bras commence à enfler. Deux heures après, en prenant son repas, la malade pâlit, pousse un cri aigu et perd connaissance. On s’empresse de la coucher et on envoie chercher le médecin, vieil officier de santé de beaucoup d’expérience.

Celui-ci, domicilié à quelques lieues plus loin, ne peut venir que le lendemain, et constate tous les signes d’une envenimation aiguë. L’œdème a considérablement augmenté ; il a envahi le cou, la poitrine, le tronc jusqu’aux lombes ; quelques taches violacées se montrent, en particulier à la partie postéro-interne du bras, dont la température a considérablement baissé (la fermière prétend qu’il était froid comme un cadavre) ; des vomissements sont survenus, d’abord alimentaires, puis glaireux et striés de sang ; selles diarrhéiques fétides ; toux opiniâtre sans expectoration ; prostration extrême entrecoupée de délire intense (la malade se voit entourée de serpents qui l’assiègent).

Le lendemain 12, quelques convulsions apparaissent, spécialement aux muscles du visage ; la faiblesse est extrême, le moindre mouvement détermine des lipothymies. Malgré l’usage de l’acide phénique, intus et extra, les choses ne se sont point améliorées et tel était l’état de la malade lorsque je fus consulté.

Me souvenant d’un article du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, consacré au jaborandi, et donnant cette plante comme journellement employée au Brésil dans l’envenimation ophidienne, je donnai à la fermière une ordonnance pour 4 grammes de jaborandi à faire infuser dans un verre d’eau lui recommandant, après lui avoir bien décrit l’action du médicament, de faire prendre un peu de cognac à la malade si elle se sentait trop faible une fois la sudation terminée.

Le jaborandi tut pris vers deux heures de l’après-midi du 13 ; la salivation fut abondante et dura plus d’une heure et demie. La sudation, des plus copieuses, dura plus de deux heures, et une moiteur notable persista pendant toute la nuit et une partie de la matinée du lendemain ; la toux et le délire ont cessé les premiers ; la prostration beaucoup moindre permet à la malade de causer avec les personnes qui l’entourent, on la change de lit sans que l’évanouissement survienne ; à peine dans le lit où on vient de la coucher, elle s’endort d’un sommeil paisible, qui dure quatre heures ; au réveil, elle crie la faim et demande à se lever ; on lui représente que la nuit est venue et qu’il vaut mieux dormir. Elle passe une excellente nuit et veut sortir du lit dès le matin ; mais la fermière l’oblige, par précaution, à rester au lit toute la journée du dimanche 14. Le lundi enfin, la malade se lève, prétendant qu’elle est guérie ; de fait elle reprend ses occupations, malgré de vives douleurs dans le bras blessé ; l’oedème ne disparaît que très lentement, et existait encore trois semaines après l’accident.

OBSERVATION XIII

Observation de morsure, de vipère.
(Dr Louis Roché, de Toucy. — Bulletin de la Société médicale de l’Yonne. — Auxerre, 1887 ; tome XXVII, p. 49-55.)

Le 24 juillet 1886, à onze heures du matin, on amena à mon cabinet le nommé B…, de Maurepas, commune de Merry, qui venait, dit-on, d’être mordu par une vipère à l’index de la main droite. Cet homme, âgé de 30 ans, d’une force et d’une vigueur peu communes, était en train de remuer un tas de pierres, lorsqu’il se sentit mordu au doigt. Sans prendre même la peine de regarder quel était l’animal qui avait produit la piqûre, il se serra le doigt avec son mouchoir, retourna au village dont il n’était éloigné que d’une centaine de mètres ; là, un voisin, garde forestier, lui serra tant qu’il put le doigt avec une ficelle. Puis on le mit en voiture et on me le conduisit. Après l’accident, d’autres personnes fouillèrent dans le tas de pierres et y trouvèrent une vipère commune, de taille moyenne, de couleur assez foncée, qui fut tuée immédiatement.

À l’arrivée de B… dans mon cabinet, une heure et demie environ après la morsure, l’extrémité du doigt est pâle, exsangue, elle est tellement serrée par la ligature qu’elle est complètement insensible. On remarque près du milieu de la pulpe de la première phalange deux petites piqûres distantes de 7 à 8 millimètres qui ont déjà été cautérisées avec de l’ammoniaque. L’état général n’est pas mauvais, cependant le malade est agité, anxieux, il éprouve un certain malaise, son pouls offre 92 pulsations, et il a quelques nausées.

J’agrandis la plaie et je la cautérise avec un mélange d’acide phénique et d’alcool à parties égales. Je prescris une infusion de fleurs de sureau additionnée de rhum qu’on donnera aussi chaude que la malade pourra la supporter.

J’ordonne de faire prendre toutes les demi-heures une cuillerée de la potion suivante : eau distillée, 100 ; eau de menthe, 20 ; teinture de cannelle, 6 ; acétate d’ammoniaque, 10.

Puis je conseille ou malade de se rendre chez un parent habitant Toucy, pour qu’il soit plus à ma portée et que je puisse le visiter plus souvent.

Deux heures après on vient me chercher. Le malade a été couché dans un lit bien chaud ainsi que je l’avais recommandé, il a suivi les prescriptions exactement, mais il n’a pas transpiré. L’anxiété est vive, la face vultueuse, il a vomi plusieurs fois, le pouls petit et accéléré (112 pulsations), le corps froid, la voix basse et faible. Bien que la ligature ait été tellement serrée, que l’extrémité du doigt placé au-dessous soit complètement insensible, néanmoins l’avant-bras commence à se tuméfier. J’enlève cette ligature après l’avoir remplacée par une outre placée au dessus du coude. Je fais prendre du punch chaud, du café, et recouvrir le membre de compresses imbibées d’eau ammoniacale.

8 heures du soir. — L’état s’est légèrement amélioré, l’œdème n’a pas augmenté, les vomissements ont cessé. Bien qu’il y ait une anxiété précordiale très vive, que la face soit toujours violacée, la peau s’est réchauffée, le pouls est moins faible et moins accéléré.

Le malade ressent des fourmillements non seulement dans l’avant-bras au-dessous de la ligature, mais encore au-dessus.

Je prescris la continuation de la potion stimulante en éloignant les cuillerées. Comme boisson, infusion de menthe additionnée de rhum. Mêmes lotions sur les membres.

26 juillet. — État relativement satisfaisant. Le malade a dormi 2 heures, il a eu deux vomissements bilieux. Absence presque complète d’urine (quelques cuillerées à peine rendues en plusieurs fois avec une grande difficulté). La figure est plus calme, moins violette ; il a transpiré assez abondamment. Le pouls a retrouvé une certaine force (88 puls.).

Le besoin de prendre un peu de nourriture se fait sentir. Quelques douleurs dans le membre droit supérieur depuis l’épaule jusqu’à la main alternant avec des fourmillements très pénibles. Une garde-robe bilieuse a lieu pendant ma visite.

Je conseille un peu de bouillon froid, et un verre à Bordeaux de vin vieux, continuation de l’infusion de menthe et de la potion stimulante ; et, comme le malade désire vivement rentrer chez lui, j’autorise son transport à Maurepas dans l’après-midi.

27 juillet. — B… n’a pas été trop fatigué de son voyage, néanmoins il a passé une mauvaise nuit, n’a pas formé l’œil, il éprouve une vive douleur épigastrique, a les traits crispés, il a eu des sueurs froides, fort peu d’urines. Il se plaint beaucoup du bras. En examinant le membre, je vois que cet œdème a dépassé de beaucoup ma seconde ligature et qu’il a envahi non seulement l’avant-bras, mais tout le bras jusqu’à l’épaule.

Doux ou trois petites phlyctènes se montrent sur la face antérieure du membre.

Je place une ligature dans l’aisselle, se nouant au-dessus de l’épaule et j’enlève celle du coude.

J’ordonne des frictions stimulantes avec le baume de Fioraventi et je fais prendre d’heure en heure une cuillerée de la potion suivante :

Julep gommeux, 120 ; sirop de menthe, 30 ; acide phénique, 0,50.

28 juillet. — La soirée et la nuit ont été très mauvaises. Syncopes, sueurs froides, vives douleurs épigastriques, garde-robe bilieuses. Engourdissement dans tout le membre et extension de l’œdème qui gagne le tronc. En mon absence, on mande mon confrère le docteur Duguyot, qui voit B… pendant la nuit et prescrit une potion stimulante ainsi que des frictions.

À mon arrivée auprès du malade, vers 9 heures du matin, je trouve une anxiété vive, une dyspnée très prononcée. Tout le membre supérieur droit et une partie du thorax du même côté sont très tuméfiés et violacés, assez nombreuses phlyctènes sur le bras et l’avant-bras, quelques-unes sur le tronc. Pouls petit (120 puls.). Urines plus abondantes et un peu rouges sans sédiments.

Je fais avec un bistouri quatre larges incisions intéressant toute l’épaisseur de la peau du membre, deux à l’avant-bras, deux au bras, j’en fais également deux sur les côtés du tronc ; j’enlève la ligature qui me semble désormais inutile et je fais envelopper le membre ainsi que le tronc de compresses d’eau de sureau bien chaudes qu’on renouvellera fréquemment. En même temps je fais continuer la potion phéniquée, et je donne au malade du thé au kirsch.

29. — Amélioration assez grande de l’état général, plus de syncopes, de nausées, ni de malaises persistants aussi grands, mais douleur épigastrique. Le malade a dormi, l’œdème n’a fait que de faibles progrès du côté du tronc. Une sérosité abondante s’écoule par les incisions. L’urine toujours un peu rouge est en quantité plus notable.

J’entoure tout le membre et l’épaule d’une bande roulée et j’applique sur le tronc un large bandage de corps.

Bouillon, jus de viande, vin, kirsch et potion phéniquée.

30. — La compression n’a pu être supportée, et le malade a enlevé quelques heures après leur application la bande roulée et le bandage de corps.

Toutefois l’amélioration générale et locale est évidente. Le membre est bien moins violacé, l’œdème diminue. Aucune nouvelle phlyctène n’apparaît ; les anciennes s’affaissent, la tuméfaction du tronc a diminué également. Mon attention se porte sur le liquide qui s’échappe en abondance des incisions que j’ai pratiquées. Ce liquide est d’un jaune safrané tachant les pièces de pansement, qui ne peuvent être nettoyées ni par la lessive ni par l’eau de javel. J’examine les autres parties du corps, les conjonctives, la région hépatique, je ne trouve en aucun point de l’ictère, le foie n’est pas tuméfié. Les urines maintenant abondantes sont claires, limpides, et d’un jaune paille. Les phénomènes généraux s’amendent également dans de grandes proportions.

Depuis ce jour le malade marche rapidement vers la guérison. Le 1" août, l’état général est excellent, la tuméfaction du tronc a complètement cessé, celle du membre est presque nulle. Une des incisions du thorax est en voie de cicatrisation et ne laisse plus suinter de liquide, les autres donnent toujours en abondance cette sérosité safranée dont j’ai déjà parlé et pourtant aucune trace d’ictère n’apparaît.

Je cesse les potions phéniquées, les stimulants et j’alimente le malade

Le 2, j’applique une bande roulée qui est cette fois bien supportée. L’écoulement jaune continue toujours et ne cesse que le 8, époque où les plaies sont en pleine voie de cicatrisation.

Le malade fut longtemps encore avant de pouvoir se servir de son membre et, plus d’un mois après, il ressentait encore des douleurs tantôt dans le bras, tantôt dans l’avant-bras, et était loin d’avoir recouvré la force qu’il possédait auparavant.

OBSERVATION XIV

Piqûre de vipère aspis.
(P. Dumont, bibliothécaire de l’Université de Nancy. In Revue médicale de l’Est, 1901.)

Pendant les vacances de 1901, à Liverdun, le 21 août, à 11 heures du matin, j’ai été piqué par une vipère aspis de 0.59 m, que j’avais capturée une demi-heure auparavant et rapportée vivante dans un petit filet à mailles assez serrées pour croire à l’impossibilité de la sortie de la tête. La piqûre eut lieu quand, voulant saisir la vipère par le cou, à travers le filet, pour la montrer de près, j’approchais ma main gauche de ce filet, sans m’être aperçu que la tête était sortie par une maille. Un seul crochet me piqua la deuxième phalange de l’index, au milieu de sa longueur et à la partie supéroexterne. La douleur fut très peu vive, au point que je dus constater par la présence d’une goutte de sang, que j’avais réellement été piqué.

Ayant à Liverdun du sérum antivenimeux de Calmette, et une seringue à injection, qui m’auraient permis, en cas de symptôme tant soit peu alarmant, de me traiter par ce moyen, je résolus de faire l’expérience qui s’offrait à moi et me contentai d’opérer immédiatement une succion énergique (sans débrider la petite plaie).

J’estime à quatre ou cinq gouttelettes la quantité de sang que je retirai ainsi par la piqûre ; ce fut l’affaire d’environ une minute, pendant laquelle je comprimai le doigt à l’aide de la main droite, afin de donner issue à la plus grande quantité de matière possible. Quand il ne sortit plus de sang, on apercevait à peine un petit point rouge-brun qui indiquait le lieu de la piqûre. Une demi-heure après, je ressentais dans le doigt un engourdissement plus gênant que douloureux, qui se propagea bientôt aux trois autres doigts et non au pouce. Une heure après, la piqûre avait pris un aspect un pou livide et n’était le siège d’aucune douleur à la pression et à une légère percussion. Vers deux heures de l’après-midi, les doigts enflèrent modérément, pas plus le doigt piqué que les autres, le siège de la piqûre présentait une petite papule allongée, d’un demi-centimètre dans le sens du doigt, et avait pris une coloration rouge vif ; l’œdème se propagea dans l’après-midi à la région métacarpienne supérieure, puis au poignet, avec une douleur très supportable, analogue à celle qu’aurait produite un coup de bâton un pou fort sur le dos de la main. Le soir, mêmes symptômes, s’étendant jusqu’au coude et impossibilité, en raison de l’enflure, de fermer complètement la main ; toujours absence de douleur au point piqué. Le lendemain matin, l’enflure avait gagné le tiers inférieur du bras qu’elle ne devait, du reste, pas dépasser. J’avais affaire à Nancy, et fis le voyage sans aucune gêne, la pression et la percussion de la main et du bras causant seulement une légère douleur. Le lendemain, l’enflure du bras avait presque disparu, celle de la surface dorsale de la main persistant seule ; le lieu de la piqûre toujours un peu rouge était le siège d’un léger prurit, ainsi du reste que l’avant-bras et le bras. Le 24, l’enflure diminue toujours, au point que après une immersion de la main pendant quelques minutes, dans la rivière, je peux fermer le poing, presque complètement. Le 25 au matin, il ne subsiste plus qu’un peu d’œdème de la région métacarpienne avec démangeaison de celle-ci et du doigt piqué, et un peu d’empâtement du poignet. Le 26, la main est presque entièrement revenue à son état naturel ; il n’existe plus qu’un léger empâtement du poignet et une assez vive démangeaison du doigt piqué ; ce prurit s’accentua dans la nuit et le lendemain, le 28 au matin, je dus pour le calmer mettre sur le doigt un cataplasme de mie de pain que je renouvelai le soir, oû il était devenu presque insupportable. Il se continua du reste pendant toute la nuit pour ne plus se manifester le 29 qu’à la phalange piquée qui présentait un léger œdème à son articulation supérieure ; le 30 toute manifestation avait cessé.

Je noterai comme phénomène général une somnolence assez forte dont je fus pris le jour de l’accident, vers 3 heures après-midi au bord de l’eau où je pêchais à la ligne Un verre de café en eut facilement raison.

J’ai constaté comme circonstance intéressante, que la vipère était en pleine digestion d’un gros mulot.

OBSERVATION XV (inédite.)

(Due à l’obligeance du Dr Bouchon, de Toul.)

Madame Biquelet, âgée de 29 ans, a été le vendredi 21 juillet vers 10 heures du matin, mordue à la face externe de la première phalange de l’index droit à un centimètre au-dessus du premier pli du doigt.

Une incision horizontale ayant la morsure pour centre avait été faite par un parent au moyen d’un rasoir.

La piqûre ressemblait à une piqûre d’épingle par laquelle se serait produit un écoulement plus abondant que d’ordinaire ; la sensation éprouvée par la blessée avait aussi été la même que celle ressentie lorsqu’on est piqué par une forte aiguille.

Immédiatement après l’accident le doigt avait été fortement lié à sa racine et la plaie vigoureusement sucée.

La blessée entre à l’hôpital de Toul à 11 heures ; c’est-à-dire une heure après l’accident ; dès ce moment elle est prise de vomissements bilieux qui dureront jusque vers deux heures de l’après-midi, soit trois heures environ.

Pas de maux de tête, pas de syncope, pas de fourmillement dans le membre lésé.

Dès le soir de ce jour vendredi, la main est enflée ; l’avant-bras ne présente rien d’anormal, mais au niveau du ganglion épi trochléen rougeur et douleur, et à partir de ce ganglion jusqu’à l’aisselle traînée lymphatique.

Samedi matin 22. — Gonflement œdémateux dur de la main, de l’avant-bras, du bras et de l’épaule, phlyctène sur l’index autour de la plaie, sur le médius et dans le pli du coude ; rougeur et douleur très vive dans le creux axillaire. Pas d’appétit, constipation, à part ces deux faits, état général satisfaisant. Température 36°2 matin et soir.

Dimanche matin 23. — L’œdème a gagné la partie droite de la poitrine ; le sein est dur ; la partie droite du dos est aussi œdématiée. Pas d’appétit, une selle normale. Température 36°2, le matin et le soir.

Lundi 24. — L’œdème a gagné le ventre et les reins, toujours la partie droite seulement, l’appétit revient un peu, une selle normale. Température 36°2 matin et soir.

Mardi 25. — État stationnaire de l’œdème qui, peut-être, est un peu moins dur. Augmentation de l’appétit, une selle normale. Température 36°2 le matin, 36°6 le soir.

Mercredi 26. — Diminution de l’œdème ; tension moins forte des téguments ; diminution de la douleur à la pression, mouvements du bras un peu plus faciles ; jusqu’à ce jour les mouvements étaient impossibles, l’œdème formant comme une gaine rigide et dure autour de tout le membre, température 36°6 le matin, 37° le soir.

Jeudi 27. — Le gonflement continue à diminuer surtout ou niveau du sein et de l’épaule ; au niveau de la main œdème un peu moins dur, encore dur ou bras, au coude et à l’avant-bras. Les phlyctènes signalées au début persistent, ainsi que le gonflement autour de la piqûre.

Légère gingivite due probablement au traitement. Six selles dans la nuit et dans la matinée, dont la cause probable est l’alimentation, la malade ayant voulu, la veille, manger des crudités. Température 36° le matin, 38° le soir.

Vendredi 28. — Diminution du gonflement. Température 36°9 le matin, 37° le soir.

Samedi 29. — Le gonflement du membre continue à diminuer, les phlyctènes ont séché, l’épaule et la poitrine sont revenus à leur état normal ; au niveau de la main et de l’avant-bras, œdème très mou ; à la partie interne du bras, persistance de la rougeur et de l’œdème dur.

La malade, qui se lève depuis deux jours, sort de l’hôpital.

Traitement. — Friction d’onguent gris sur la main et l’avant-bras ; enveloppement de tout le membre avec des compresses imbibées d’une solution de permanganate de potasse à 1‰. Infusion de café le premier jour.

Aucun changement dans le traitement local jusqu’au jeudi 27 où les frictions à l’onguent gris furent abandonnées et où les compresses de permanganate furent remplacées par des compresses d’eau bouillie.

Jeudi 3 août. — La malade qui a passé quelques jours chez elle, vient à la visite de l’hôpital.

L’état général est très bon ; l’avant-bras est complètement désenflé ; le bras aussi sauf à la partie interne où il y a encore un peu de dureté. Encore un peu d’œdème sur la face dorsale de la main ; les phlyctènes ont disparu, le doigt est revenu à son état normal ; la coupure est cicatrisée.

2o  Accidents d’échidnisme aigu. — Emploi de la sérothérapie.

A. — Morsures de « Vipera aspis »

OBSERVATION XVI

Piqûre de vipère. — Sérum artificiel et sérum de Calmette.
(Dr Subercaze, de la Ferté-Alais. — Journal de médecine et de chirurgie pratiques. Paris, 1900, t. 71, p. 603 et 604).

Le 12 juin dernier, le jeune Victor B…, de Marchois, 13 ans, à 9 heures ½ du matin, était occupé à couper de l’herbe avec une faucille, lorsqu’il fut piqué à la main droite par une vipère rouge brun, d’environ 80 centimètres de longueur et du diamètre d’une pièce de cinq francs. Violente sensation de morsure ; la mère et l’enfant sucent la plaie ; au bout d’une ou deux minutes, engourdissement total de la main, puis du bras, l’extension des doigts impossible ; pâleur du visage, menace de syncope, soif vive. Rentré en hâte chez lui, avec l’aide de sa mère, l’enfant perd connaissance pendant dix minutes ; la mère pratique une ligature excessivement serrée au tiers moyen du bras et m’amène son fils en voiture ; nausées et petite syncope durant le trajet.

Je vois le malade à 10 heures 45 : œdème considérable de toute la main et de l’avant-bras droits, jusqu’à trois travers de doigt au-dessus de la ligature qui disparait dans un profond sillon. Sur l’éminence thénar, deux petits points noirs, écartés d’un centimètre, dans lesquels, avec une aiguille fine je recherche en vain les crochets. Cautérisation profonde au thermo-cautère et injection autour des points bruns de 3 centimètres cubes de permanganate de potasse au dixième. J’enlève la ligature, recouvre la plaie et l’avant-bras de compresses imbibées de permanganate au millième et B… retourne chez lui où je le revois à quatre heures de l’après-midi.

La journée a été tragique : douleurs intolérables dans tout le bras à demi fléchi et triplé de volume ; l’extension en est impossible ; l’œdème blanc verdâtre a gagné l’épaule ; la plus légère pression y est excessivement douloureuse et l’enfant pousse des plaintes perpétuelles ; dyspnée, le pouls irrégulier bat à 63 ; pas d’urines depuis ce matin onze heures. Pas de souffle au cœur, rien au poumon. Je fais dans la paume de la main 5 nouvelles injections de un centimètre cube de permanganate et fais donner du café très fort ; acétate d’ammoniaque 10 grammes. Puis je téléphone à l’institut Pasteur, pour avoir du sérum de Calmette ; mais il faut s’adressera l’institut de Lille, ce que je fais par dépêche.

Durant la nuit, le délire est continu : sueurs froides profuses ; quelques urines rouges. À huit heures du matin, 60 pulsations, pas d’albumine, la dyspnée est moins forte. L’œdème grossit, envahit tout le bras et a gagné la région pectorale jusqu’au-dessus du sein droit, la région axillaire s’empâte aussi. Sur la paume et sur le poignet, trois phlyctènes brunâtres de 2 centimètres de large ; cris au moindre attouchement ; anorexie ; hypothermie très sensible de tout le membre droit. Nouvelles injections de 5 centimètres de permanganate au dixième.

À trois heures, le sérum n’arrivant pas, j’injecte dans la fosse iliaque droite, un demi-litre de sérum artificiel et en fais prendre un demi-litre en lavement. L’enfant a un frisson violent à six heures ; il délire pendant quelques minutes, puis il est pris d’un accès de rire convulsif qui dure une demi-heure ; il s’endort à huit heures après avoir uriné et été abondamment à la selle ; la dyspnée paraît se calmer.

Le 14 à 7 heures, B… a bonne mine ; il respire normalement. Bien qu’il n’ait pas beaucoup dormi, il a passé une nuit calme, mais a été tourmenté par une soif vive. Les douleurs ne sont plus continues, le bas ventre dans le même état, sans nouvelles phlyctènes ; pouls à 80 égal et régulier. Malgré l’amélioration qui semble manifeste, j’injecte dans le bras gauche un centimètre cube du sérum de Calmette que je viens de recevoir. Le soir, le flanc droit est douloureux ; sensation de brûlures, sans aucune irritation cutanée au point piqué. Même état avec engourdissement égal.

Le 15, la pression seule fait apparaître la douleur ; les mouvements sont encore pénibles, mais l’engourdissement a disparu ; le bras reste en demi-flexion, la main en griffe ; la coloration brune de l’œdème pâlit. Aucun appétit ; pouls à 80, urines et selles normales ; pas d’albumine.

Le 16, l’œdéme rétrocède à partir de l’épaule : plus de godet à la pression sur la région pectorale ; l’œdème est jaune ; le coude peut être mobilisé, douleurs moins pénibles. Le malade demande à manger, s’intéresse à ce qui l’entoure. Autour de la piqûre de sérum de Calmette, éruption de nombreuses petites vésicules rouges, morbilliformes, indolores, s’étendant en ceinture sur une longueur de 20 centimètres.

Le 17, excellent état général ; les phlyctènes brunes de la main et du poignet s’affaissent ; l’œdème continue à diminuer rendant faciles les mouvements du coude et du poignet, mais les doigts restent à moitié fléchis.

Le 20, la main seule est enflée, paume et dos ; l’enfant va très bien, a recouvré tout son appétit et sa gaîté. Pouls à 94 ; les vésicules du flanc gauche ont disparu ; pas d’albumine.

Le 24, tout œdème a disparu ; les mouvements sont devenus normaux, mais la main paraît lourde au petit malade qui pense cependant à se mettre au travail. Il vient me voir le 29 tout à fait rétabli.

OBSERVATION XVII (inédite)

Morsure de « Vipera aspis ». — Sérum de Calmette.
(Due à l’obligeance de M. le professeur Février).

Le 8 mai 1905, le soldat Bidard était de planton au champ de tir de la forêt de Haye, pour interdire aux personnes l’accès des points rendus dangereux par les exercices de tir. Étant un peu fatigué, il voulut s’asseoir sur un tas de feuilles mortes, au bord de la route et porta la main droite à terre pour s’appuyer. À ce moment il se sentit piqué sur la face dorsale de la main droite entre le pouce et l’index, par une vipère. (Il s’agit d’une Vipera aspis, femelle, qui ne renfermait pas de petits. Elle mesurait 67 centimètres de longueur et était à jeun). Il était environ 9 heures. La tête de la vipère resta fixée à la main, car elle n’avait pu dégager ses crochets. Il arracha le reptile de la plaie et lui écrasa la tête avec son soulier. Il suça ensuite la plaie, mais 10 minutes seulement après avoir été mordu.

Bidard ne parla d’abord à personne de son accident. Mais voyant sa main gonfler rapidement, il appela le sergent de garde pour être relevé de son poste. Au champ de tir, l’infirmier de service fit avec son canif un léger débridement de la plaie. Il n’y avait, en effet, qu’un seul crochet qui avait pénétré et il appliqua de la teinture d’iode. En même temps il plaçait un lien constricteur à la partie inférieure de l’avant-bras.

Le blessé fut alors dirigé sur l’infirmerie du 26e d’infanterie où il arriva vers 10 heures 45. En cours de route il avait eu des vomissements et une selle involontaire. À l’infirmerie, on lui fit aussitôt une injection sous-cutanée de permanganate de potasse aux environs de la morsure et on prescrivit du thé alcoolisé.

8 mai. — Vers midi ¾, il arrive à l’hôpital de Nancy, où le médecin de son régiment qui l’avait accompagné, M. le docteur Masson, fait séance tenante une première injection sous cutanée de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux. En même temps le lien constricteur est enlevé.

Trois quarts d’heure après nous voyons le blessé. C’est un homme vigoureusement constitué. Il est couché sur le dos, le membre supérieur droit étendu le long du corps. La face est pâle, légèrement couverte de sueur et exprime l’anxiété ; il se plaint de vertiges, de maux de tête et accuse une sensation de froid. Le pouls est petit, filant.

Sur la face dorsale de la main, dans l’espace compris entre le premier et le deuxième métacarpien, on trouve une petite plaie longue de 6 à 7 millimètres au centre de laquelle était la piqûre faite par le crochet. La main est considérablement tuméfiée, d’une couleur livide, avec quelques petites phlyctènes. Le gonflement remonte jusqu’au tiers supérieur de l’avant-bras, dépassant la trace très visible du lien constricteur appliqué au champ de tir. Les parties tuméfiées sont le siège d’un engourdissement.

À 2 heures ½ nous pratiquons une deuxième injection de dix centimètres cubes de sérum antivenimeux. Le blessé est couvert de draps chauds et des bouillottes sont placées dans son lit.

Dans l’après-midi, efforts de vomissements, maux de tête violents. Le pouls est toujours très faible, presque imperceptible. Bidard est toujours froid.

Injection de caféine et d’huile camphrée. Température 37°5.

Vers 5 heures, le malade se réchauffe et se sent mieux. Le pouls se relève ; il est à 90. La soirée est relativement bonne, mais la nuit est un peu agitée.

9 mai. — Le malade a meilleur aspect, il est un peu rassuré. Le gonflement a progressé ; il atteint maintenant les deux tiers inférieurs du bras. La peau est d’un rouge livide, tendue, un peu luisante. Tout le membre est le siège d’un engourdissement douloureux et les mouvements qu’on lui imprime sont assez pénibles pour arracher des plaintes au malade. La température 37°, le pouls 93, il est plein et bien frappé.

Bidard n’a point d’appétit. Il boit avec plaisir du thé alcoolisé, mais dans la journée il se sent la bouche pâteuse et demande de la limonade tartrique. Il urine peu et difficilement. La température 37°2. Le gonflement occupe maintenant le moignon de l’épaule et déborde un peu sur le thorax. Vers 7 heures du soir, il commence à s’agiter et à se plaindre d’un refroidissement général, en même temps que de douleurs vives dans le côté droit du tronc. Puis vers 8 heures ½ se manifeste de l’oppression qui devient bientôt assez intense pour que le médecin de garde, M. le docteur Notin soit appelé.

Il constate qu’un œdème assez intense a envahi le bras droit, le cou et la moitié droite du thorax. Le pouls est assez faible. Une nouvelle dose de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux lui est injectée. Le malade n’urine pas, n’a pas de selle. On le réchauffe on fait une injection d’huile camphrée. À 9 heures, la dyspnée est assez intense pour qu’un moment on agite la question de la trachéotomie. Cependant l’agitation et la dyspnée s’atténuent un peu et vers 11 heures ½ la crise est à-peu-près terminée. Mais le blessé reste sous une profonde impression de terreur ; à 4 heures ½, il fait de nouveau appeler le médecin de garde, disant ne plus respirer. Ce dernier constate dans son rapport qu’il a trouvé cet homme un peu affolé, mais que son état n’avait pas changé depuis minuit.

10 mai. — Bidard se sent mieux. Il est moins oppressé, mais il se remue très difficilement car il ne peut déplacer son bras sans souffrir. Température 36° le pouls est bon. L’œdème est toujours très marqué.

Les urines recueillies dans les 24 heures : 450 grammes. L’analyse montre 0,2 g d’albumine pour 1000, de nombreux globules


Extension de l'œdème au cinquième jour.


sanguins et quelques rares cellules vésicales. Dans la journée, pas d’appétit. Injection de caféine, champagne. Les urines sont toujours peu abondantes. Température 37°2.

Pas de selle. Vers le soir un peu d’agitation due sans doute, à l’inquiétude.

11 mai. — Contre son attente, le malade n’a pas passé une trop mauvaise nuit. Température 36°8. L’œdème tend à s’affaisser un peu. Mais le gonflement s’étend sur le côté gauche du thorax et vers la partie inférieure du tronc, notamment sur les parties latérales. La teinte rouge livide dont nous avons parlé, révèle son extension. La respiration est libre. L’appétit revient. Le bras est toujours douloureux à la palpation.


Extension de l’œdème au cinquième jour.


Vers 6 heures du soir, il a avec beaucoup d’efforts une selle peu abondante, liquide et noirâtre. Vers 11 heures, nouvelle selle noirâtre toujours peu abondante. Température 37°1. La nuit, il se sent beaucoup mieux et s’endort.

12 mai. — Nuit très bonne. Température 36°8. L’appétit revient et Bidard mange avec plaisir. Dans la journée légère épistaxis. L’œdème et la teinte livide descendent maintenant sur les lianes jusqu’à la crête iliaque. Voici du reste la localisation exacte du gonflement et des plaques ecchymotiques.

C’est surtout le membre supérieur droit qui est le siège de la tuméfaction. Il est presque doublé de volume. Le gonflement s’étend au tronc et déborde un peu à gauche sur le moignon de l’épaule et le tiers supérieur de la face interne du bras.

Un œdème considérable envahit la partie antérieure de la poitrine du côté droit, bien marqué jusqu’à la ligne médiane. Il remonte en haut jusqu’à la racine du cou empiétant un peu sur la région sous-hyoïdienne. En arrière, il s’étend jusqu’à la ligne des apophyses épineuses, gagnant en haut la partie inférieure de la région de la nuque et limité en bas par une ligne horizontale passant par l’angle inférieur de l’omoplate.

Le doigt y creuse des empreintes de deux centimètres de profondeur.

Au-delà de la ligne médiane, l’œdème va s’atténuant considérablement, mais son extension est accusée par un peu d’empâtement de la peau et surtout par les suffusions ecchymotiques qui l’accompagnent. Cette teinte livide est cependant moins marquée que sur les parties très œdématiées. Toute la partie antérieure de la poitrine jusqu’à une ligne passant par la base du thorax, est couverte de suffusions. Elles se prolongent sur le flanc gauche, jusqu’à la crête iliaque par une bande large de 3 centimètres. À droite cette bande beaucoup plus large se prolonge sur le tiers de la face postérieure du tronc empiétant en bas sur la région fessière et rejoignant en haut les maculatures de la région scapulaire.

Le soir, la température monte à 37°8. Bidard est agité. Il se plaint de maux de reins qui l’empêchent de dormir. En même temps il est pris d’épistaxis au milieu de la nuit.

13 mai. — Bidard souffre toujours de son lumbago. La palpation ne révèle rien du côté des reins ni du rachis. La pression est douloureuse sur toute la surface des régions lombaires et fessières. Température, le matin 37°1. Le malade se plaint de tousser et de cracher un peu. C’est, dit-il, la fin d’un rhume dont il souffrait au moment de son accident. Quelques gros râles muqueux dans les deux poumons, quelques crachats muco-purulents ; potion avec du sirop de tolu, de l’eau, de laurier cerise et X gouttes de teinture d’opium. Le gonflement reste stationnaire.

Température du soir 37°.

14 mai. — Même état. Température du matin 36°4. Le soir, température 37°5. L’œdème tend à disparaître.

15 mai. — Le malade se plaint d’un point de côté à droite avec un pou d’oppression. Il a toussé davantage. Les crachats sont constitués par un mélange de mucosités et de sang noir. L’auscultation révèle des râles fins sur un point très limité de la partie moyenne du poumon droit. La percussion ne donne pas de diminution de sonorité bien appréciable si ce n’est peut-être une très légère atténuation en regard du foyer des râles. Application de ventouses en arrière. Potion calmante. Température du soir 38°4.

16 mai. — La nuit a été un peu agitée. L’oppression persiste mois moindre. L’auscultation donne toujours les mêmes signes. Expectoration de quelques crachats sanguinolents noirâtres. Température 37°5. L’après-midi, le malade se sent mieux. Température 37°6. L’expectoration diminue. L’analyse des urines montre encore des traces d’albumine.

17 mai. — Température 36°7. Le malade se sent très bien. Il n’a plus d’oppression, ni de toux. L’auscultation ne révèle plus que quelques râles assez fins qui ne se montrent que par bouffées. L’appétit revient et le malade demande à manger. 2 degrés. Température soir 37°4.

18 mai. — Température du matin 37°. Plus d’oppression, plus de toux. Rien au poumon à l’auscultation. Sommeil normal. Appétit excellent. Le bras est toujours tuméfié. Les mouvements sont encore gênés et douloureux.

22 mai. — Le gonflement et la tension des téguments se sont beaucoup atténués. La teinte livide s’efface peu à peu. Le bras a beaucoup diminué de volume, mais ces points sont le siège de prurit.

27 mai. — Le bras a repris son aspect normal. C’est à peine si on observe une légère nuance plus foncée au niveau des points qui étaient le siège du gonflement et de la teinte livide. La peau desquame finement. Prurit marqué.

8 juin. — Bidard tout à fait rétabli part en convalescence. Il a maigri et son teint est encore pâle.

B. — Morsures de « Pelias berus ».

OBSERVATION XVIII

Morsure de vipère. — Cas de (guérison par le sérum de Calmette.
Dr Marchand, des Montils (Loir-et-Cher.) (Journal de médecine de Bordeaux, 1897, no 36, p. 433.)

Le vendredi 23 juillet, vers onze heures du matin, Jules Rellier, âgé de vingt-six ans, fauchait dans un endroit humide, lorsqu’il fut mordu au talon par une vipère de forte taille (vipera berus). La morsure profonde, était située à la partie externe du pied, à un centimètre en arrière de la malléole, à trois centimètres au-dessus du rebord plantaire ; elle est constituée par deux entailles de la peau, distantes d’un centimètre. Immédiatement après l’accident, le malade quitta son travail, se serra fortement la jambe au tiers inférieur avec son mouchoir, lit saigner la plaie et se rendit chez moi en toute hâte, effectuant ainsi, à cloche-pied, une marche d’un kilomètre environ.

Quand je le vis, vingt minutes à peine s’étaient écoulées depuis l’accident, le faciès était altéré, le pouls rapide. Le malade avait vomi deux fois ; il se plaignait de maux de tête, de défaillance générale et « avait peur, disait-il, de se trouver mal ». Le pied et la jambe étaient douloureux à la pression, une légère tuméfaction se montrait dans la région peri-malléolaire, autour des morsures qui saignaient un peu.

Séance tenante, après un copieux lavage de la plaie avec une solution de permanganate, je fais à la région antéro externe de la partie moyenne de la cuisse une injection de sérum de Calmette de 10 centimètres cubes ; ensuite, j’enveloppe la jambe d’un pansement antiseptique humide jusqu’à la hauteur du genou.

Le malade reprend haleine et courage. Après un quart d’heure de repos, il se rend chez lui, à pied (il demeure à cent mètres de chez moi).

Le soir, je revois mon malade. Il est au lit avec une température de 37°2, un pouls de 60 pulsations ; aucun malaise, pas de mal de tête ; il n’a plus vomi ; il a pris un peu de bouillon, un peu de tilleul alcoolisé. Il se plaint de la jambe, qui est enflée jusqu’au genou ; la douleur est plus grande au mollet qu’à la malléole. Enveloppement humide.

La nuit est bonne, le malade dort plusieurs heures, mais la jambe le fait toujours souffrir.

Le 24 juillet, au matin, je le trouve gai, sans fièvre, ayant faim. Autour de la morsure, l’œdème est devenu considérable comme épaisseur et remonte avec la même intensité, jusqu’au cou-de-pied ; le mollet et la cuisse sont enflés mais bien moins. Je pratique une seconde injection de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux dans le tissu cellulaire de la paroi abdominale.

La journée est bonne ; à aucun moment, du reste, le malade n’a eu de fièvre ; les points où j’ai fait les injections sont à peine sensibles à la pression.

Le soir, je trouve mon malade en bon état général ; la jambe est toujours enflée ; il se plaint surtout du mollet. Pensant à un état de contracture possible, produit par la marche rapide à cloche-pied effectuée après l’accident, je lui fais donner un bain.

Le surlendemain, 25 juillet, le malade ne présente plus comme symptôme qu’un œdème assez considérable de la région péri-malléolaire et du tiers inférieur de la jambe.

Cet œdème se résorbe lentement, mais graduellement les jours suivants.

OBSERVATION XIX

Vipère péliade.
(Dr Clamouse}, à St-Épain (Indre-et-Loire). In Notice sur le sérum antivenimeux et sur le traitement des morsures de serpents. Lille, 1901, Danel édit. p. 36.)

Mademoiselle Léonie C…, domestique de ferme, 19 ans, mordue le 1er  juin 1900 par une vipère rouge à la face dorsale de l’annulaire gauche.

Symptômes d’intoxication assez graves. En l’absence du sérum, injection de liqueur de Labarraque à 1/12. Le sérum réclamé à Tours est injecté 38 heures après l’accident, le 2 juin à 11 heures du soir.

Le 3 juin au matin, amélioration très sensible.

Le 7 juin, état général excellent. Guérison.

OBSERVATION XX

Vipère péliade.
(Dr E. Morau, à Neung-sur-Bouvron (Loir-et-Cher), ibid., p. 37.)

A. B… âgé de 12 ans, habitant Villeny, canton de Neung-sur-Beuvron (Loir-et-Cher) est mordu, le 23 juin 1900, à la malléole externe du membre inférieur gauche. Les parents se contentent de mettre une ligature au-dessus de la plaie, et m’amènent l’enfant à 9 heures du matin. Absent de chez moi, je ne vois l’enfant qu’à midi un quart, en rentrant.

Tuméfaction de tout le pied. Ecchymose de la peau jusqu’à moitié de la jambe. État général excellent. Je fais antiseptiquement une injection de 10 centimètres cubes de sérum antivenimeux au flanc droit. Potion à l'acétate d’ammoniaque et sirop d’éther. Enveloppement humide de la plaie et de la partie tuméfiée.

Je revois, chez lui, l’enfant le lendemain. Œdème et tuméfaction généralisés du membre mordu. Cœur excellent. Pas de vomissements, pas de fièvre. Je refais une injection de 20 centimètres cubes de sérum et fais continuer les enveloppements humides phéniqués de tout le membre. État très bon.

Le 25 juin, à ma visite, pas de fièvre. Arythmie du pouls. Fais continuer la médication. Je suis quatre jours sans revoir le malade, quand je suis appelé par dépêche. Je trouve l’enfant avec fièvre 39°. Tuméfaction complète de la jambe gauche, de l’abdomen et du tronc avec taches ecchymotiques. Ordonne quinine. Arythmie du pouls et du cœur, ordonne digitale et potion tonique de Jaccoud.

La fièvre provenait d’une congestion pulmonaire, à droite et en bas. Je fais mettre ventouses en alternant avec cataplasmes sinapisés.

Je revois l’enfant deux jours après. La congestion existait toujours. Fièvre 39°, mais la tuméfaction générale tendait à diminuer.

Le 4 juillet, je revois l’enfant. Plus qu’un léger œdème. État général très satisfaisant. Plus de fièvre. L’enfant s’achemine à grands pas vers la guérison. La jambe va bien et la plaie est presque guérie.

En résumé : Morsure très grave et surtout injection de sérum faite très tardivement, quatre heures après l’accident et complications imprévues du côté du poumon qui ont retardé d’autant la guérison.

3o  Accidents d’échidnisme aigu. Cas mortels.

OBSERVATION XXI

Piqûre de vipère. — Mort au troisième jour.
(M. Viaud-Grand Marais, Gazette des hôpitaux, Paris, 1868, no 62, p. 246.)

Le 28 juin 1865, vers 7 heures du matin, la veuve Bretagne, âgée de 61 ans, du village de la Renouerie, commune de Saint-Mars-de-Coutais, gardait ses vaches le long d’une haie ; elle était pieds nus dans ses sabots et marchait en filant sa quenouille. Tout à coup elle ressentit une vive douleur au bas de la jambe gauche, et recula effrayée, une vipère rouge sur laquelle elle avait monté s’enfuyait dans le buisson voisin. La femme Bretagne regagna avec peine son domicile, situé à près d’un kilomètre de là. De retour chez elle, elle lava à l’eau salée l’endroit mordu et enleva ainsi une petite quantité de sang répandue au voisinage des piqûres. La tuméfaction d’abord limitée autour du point atteint par les crochets s’étendit avec rapidité ; à neuf heures on appliqua au-dessus du genou un mouchoir plié en cravate. Cette constriction assez lâche n’empêcha pas l'œdème de gagner la cuisse. Le mal progressant toujours, on envoya chercher M. Patry, médecin à Port-Saint-Père, et ancien interne des hôpitaux de Nantes, auquel nous devons cette observation.

Notre confrère n’arriva près de la malade qu’à midi, c’est à dire cinq heures après l’accident, et voici les symptômes qu’il constata.

La veuve Bretagne offrait beaucoup d’agitation et d’anxiété. Elle avait de la difficulté à respirer, des lipothymies et des nausées suivies de vomissements bilieux. Elle était entièrement refroidie et couverte d’une sueur glacée ; ses yeux hagards donnaient à sa physionomie une étrange expression de terreur ; son pouls était fréquent et petit. La malade répétait sans cesse qu’elle allait mourir.

L’examen de la jambe fit reconnaître, à trois centimètres environ au-dessus de la malléole interne, deux piqûres profondes, distantes de quelques millimètres et entourées d’un cercle inflammatoire. Une douleur aiguë s’étendait de ce point à tout le membre et était exagérée par la pression ; la tuméfaction gagnait la hanche ; il y avait gêne très prononcée des mouvements ; la peau de la jambe offrait une teinte jaune verdâtre, plus marquée à la cuisse, où la lividité prenait l’aspect de marbrures.

À sa première visite, M. Patry administra 20 gouttes d’alcali dans une infusion de tilleul, conseilla une potion à l’acétate d’ammoniaque, des infusions aromatiques alcoolisées et de vin chaud. Il fit une incision cruciale sur la blessure, et par la succion directe pratiquée à plusieurs reprises, retira une certaine quantité de sang. Il la lava ensuite avec de l’ammoniaque et prescrivit des frictions aromatiques chaudes et fréquemment renouvelées sur tout le corps. Une compresse imbibée d’eau ammoniacale fut maintenue sur la malléole.

29 juin. — Mêmes symptômes généraux que la veille mais exagérés. L’anxiété est extrême et le refroidissement complet. La veuve Bretagne, dans un état d’anéantissement profond, a un pouls misérable ; l’œdème s’est généralisé ; le membre gauche devenu énorme est couvert de phlyctènes.

M. Patry fait envelopper la partie malade dans des feuilles de lierre chauffées au four et continuer les boissons excitantes autant que le permet l’état de l’estomac.

30 juin. — L’œdème a pris une telle extension que la blessée ne peut plus soulever ses paupières. Elle répond à peine aux questions qu’on lui adresse, tant est grande sa torpeur ; son intelligence, du reste est affaiblie. Son pouls est filiforme et intermittent ; les syncopes se rapprochent ; il y a une prostration générale des forces. La malade refuse de prendre le moindre liquide et accuse une violente douleur dans le côté gauche du thorax. Ce triste état va en s’exagérant et se termine à quatre heures du soir par la mort après deux heures de pénible agonie.

OBSERVATION XXII

Piqûre de vipère. — Enfant de six ans. — Mort le même jour.
(Dr Bourdin, de Sainte-Pazanne, rapportée par Viaud-Grand-Marais, Gazette des hôpitaux, Paris 1868, No62, p. 246.)

Au mois de juin 1827, le jeune Vilain, âgé de 6 ans, du village de la Grouyère-en-Sainte-Pazanne, fut mordu à onze heures du matin par une vipère. Dans l’après-midi, l’enfant offrait un œdème général. Le père avait envoyé à Chinière prendre conseil d’un homme redouté par ses sortilèges, portant le nom de guerre d’IHenri du grand Houx. Le sorcier se rendit dans un champ, fit des invocations et consulta son oracle, bœuf noir désigné par les paysans sous le nom de Grand Diable. Le bœuf levait la patte droite ou la gauche, suivant que sa réponse était affirmative ou négative. Henri du grand Houx promit la guérison du blessé qui, pendant toutes ses manœuvres n’avait reçu aucun soin. Au retour du messager l’enfant était dans un coma profond. Il succomba le jour même malgré le cataplasme de lait caillé prescrit par le conjureur.

OBSERVATION XXIII

Cas de mort par la morsure d’une vipère.
(Dr Fredet (Clermont-Ferrand), Gazette des hôpitaux, Paris 1872, XLV, 12 septembre. Rapportée par Kaufmann, in Les Vipères de France, p. 39.)

Le 25 avril 1872, le nommé R… (Antoine), âgé de 47 ans, cultivateur valeur à St-Amand-Tallende (Puy-de-Dôme), travaillait dans une vigne située sur le coteau de la Serre, près de St-Amand. Après son repas de midi, suivant l’habitude des gens de la campagne, il voulut prendre quelque repos ; il dormait depuis un quart d’heure environ, lorsqu’il sentit un corps froid s’agiter sur sa poitrine. Il y porta instinctivement la main, mais ce mouvement était à peine fait qu’il ressentit une vive douleur au-dessus du sein gauche ; il se réveilla en sursaut, et quelle n’est pas sa frayeur en voyant sous sa chemise entrouverte, une vipère énorme, par laquelle il venait d’être mordu et qu’il rejette avec effroi loin de lui. Son premier soin fut celui de la vengeance ; il se mit à poursuivre le reptile qui fuit devant lui et qu’il ne peut atteindre.

Aidé alors d’un de ses compagnons, qu’il réveille, B… essaye de se cautériser avec deux allumettes enflammées ; il se frictionne ensuite vigoureusement avec de la terre sèche à laquelle les gens de nos campagnes attribuent une vertu curative. Mais sentant ses forces défaillir il se rend à St-Amand, soutenu par son camarade. Là il va trouver un des médecins de cette localité. Quand il arriva chez notre confrère, le blessé était pâle, couvert d’une sueur froide ; il existait de la soif et des vomissements ; il n’y avait pas encore de gonflement (trois quarts d’heure après l’accident). On fit alors une incision pour agrandir les piqûres, et la femme du blessé pratiqua des succions énergiques. On prescrivit des frictions avec de la flanelle chaude, une potion à l’ammoniaque. Cette dernière préparation fut même appliquée sur la plaie.

Néanmoins les forces allaient s’affaiblissant, et cinq heures après l’accident, le malade sentait ses extrémités se refroidir, les vomissements continuaient, et symptômes plus graves, une hémorragie assez abondante se déclarait par l’intestin et la vessie. Le vin chaud, le vin de quinquina furent inutilement employés pour relever les forces du blessé, qui, douze heures après avoir été mordu succombait présentant tous les symptômes d’une violente intoxication. On observait sur ce malheureux un engorgement œdémateux généralisé, et, par places des taches brunes, noirâtres, dues à l’épanchement du sang dans les mailles du tissu cellulaire. L’autopsie n’a pas été faite.

OBSERVATION XXIV

(Dr Boille, de Buzançais. Journal de médecine et chirurgie pratique, Paris, 1874, XLV, p. 450.)

Le 1er  juillet 1871, une jeune fille, de 11 ans mit la main sur un nid ; un serpent s’y était blotti et la pique. Pendant huit jours on la laisse aux soins d’un sorcier, malgré les amulettes, le mal progresse ; on m’appelle. Je trouve cette jeune fille, qui était forte, presque mourante. La main mordue, l’avant-bras, le bras et toute la partie antérieure de la poitrine, étaient tuméfiés, couverts de taches violettes et de phlyctènes : les unes à sérosité roussâtre, les autres à sérosité sanguinolente. Quoique faisant les plus grands efforts pour respirer, elle n’y parvenait pas et s’asphyxiait. Le soir de ce même jour, elle était morte.

OBSERVATION XXV

(Dr Boille, de Buzançais (Indre). — Ibid.).

Le 6 avril 1874, un garçon de 7 ans s’amusait à cueillir des fleurs, lorsque soudain il fut piqué sur le dos de la main droite. Une heure après, un médecin appliquait des ventouses, cautérisait avec de l’ammoniaque et liait le bras au-dessus du coude.

La tuméfaction augmente, j’arrive à mon tour et je cautérise avec une pointe de feu, les deux piqûres distantes de un centimètre l’une de l’autre. Le bras était déjà tuméfié et luisant, de la fièvre existait, mais pas de vomissements.

La nuit qui suivit ne fut qu’un délire continu. Á mon arrivée, le lendemain matin, je trouvai l’intelligence rétablie et la respiration facile ; la fièvre persistait et la tuméfaction avait gagné la région deltoïdienne. De nombreuses taches d’un rouge vineux coloraient tout le membre malade, enfin il y avait une hyperesthésie telle de la peau, que même le passage du doigt sur l’épiderme était douloureux.

Ces symptômes cependant perdirent peu à peu de leur acuité et du 8 au 12 avril, l’état de cet enfant alla s’améliorant.

Les toniques sous toutes les formes furent donnés et l’appétit était revenu. Mais la tuméfaction avait persisté, gagné même du terrain car le côté gauche de la poitrine était envahi et, 1’hyperesthésie était toujours considérable.

Toute inquiétude avait presque disparu, quand dans la soirée du 12 avril on vint me chercher. Je trouve cet enfant dans une profonde somnolence, ayant une gêne considérable pour respirer et ne sortant de sa torpeur que lorsque du doigt, on effleurait la peau de n’importe quelle région du corps.

L’auscultation permettait à peine d’entendre le murmure respiratoire, quoique les côtés se soulevassent avec une extrême énergie. Les ecchymoses étaient très nombreuses et formaient de larges plaques qui couvraient la poitrine en avant et en arrière.

Cet enfant mourut la nuit même.

J’eus la pensée de pratiquer la transfusion du sang, je me reproche de ne l’avoir pas tentée. Cet enfant quoique bien constitué était lymphatique, mais son moral n’avait été nullement ébranlé par l’accident.

OBSERVATION XXVI

Morsure de vipère, mort. — Traitement à suivre.
(Dr de Boismarmin (de Chitray). (Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1875, XLVI, p. 350-354.)

Le 30 juin, vers huit heures du matin, le sieur Jules P…, âgé de douze ans, d’une constitution moyenne, regarde, de prés, un trou dans une pierre ; il est mordu au front par une vipère, à deux centimètres au-dessus du sourcil gauche.

Une heure après on me l’amène en voiture ; il a eu deux ou trois vomissements bilieux durant le trajet. La figure est pâle ; le père a incisé la piqûre avec un couteau ; sa plaie, de deux centimètres est au centre d’une bosse de quatre centimètres de diamètre environ, pareille à celle que produirait une forte contusion sur le front. La plaie ne saigne plus ou à peine.

Je pratique une deuxième incision, de manière à former une incision cruciale. Je mets une ventouse, et je retire à grand-peine près d’une cuillerée de sang. Je lave avec de l’ammoniaque liquide à plusieurs reprises au moyen d’une compresse largement imbibée. L’enfant, qui est déjà dans l’état de prostration le plus complet a deux selles coup sur coup. Je termine par la cautérisation au fer rouge. Application d’une compresse avec un mélange d’huile et d’ammoniaque sur le front ; potion avec 15 gouttes d’ammoniaque, à prendre alternativement avec du thé chaud et de l’eau-de-vie.

À midi, amélioration. L’enfant glacé jusqu’à ce moment, s’est réchauffé ; le pouls misérable à 9 heures, est remonté et modérément fréquent. La parole est meilleure ; la prostration est bien moindre ; le gonflement de la face gagne beaucoup. À 7 heures du soir, pouls redevenu misérable. La soif est intense, l’agitation est grande : il change de place sur son lit à chaque instant.

1er  juillet. 7 heures du matin. — Nuit très agitée : a dormi à peine 1 heure en plusieurs fois, est baigné de sueur à ces moments, mais la sueur s’arrête quand il se réveille.

A uriné deux ou trois fois. Le gonflement descend encore et sur le haut de la poitrine, en avant et en arrière.

Langue humide et à peine chargée ; pouls misérable et fréquent ; bras et mains froids. Le reste du corps n’est pas chaud, malgré les couvertures et les tuiles chaudes,

Hyperesthésie remarquable de la peau du cou et de la face. A pris environ cent grammes d’eau-de-vie et très peu de la potion ammoniacale.

Prescription. Vin chaud et sucré, infusion de café, thé et eau-de-vie.

2 heures après-midi. — Agitation extrême, délire ; sentiment d’oppression au creux épigastrique ; gonflement s’étendant sur presque toute la poitrine en avant et en arrière ; l’œdème est très considérable au cou. Là et sur la poitrine la peau est violette ; les membres inférieurs sont presque froids. Avec des frictions et des sinapismes, il éprouve une amélioration variable vers 4 heures du soir ; il peut boire un verre de lait en deux fois. Je pratique quelques mouchetures sur le cou ; il sort de la sérosité rougeâtre, urines sanguinolentes.

2 juillet, 8 heures du matin. — Le délire et l’agitation ont repris hier à 9 heures et durent encore, mais moindres depuis 2 heures du matin. Le pouls est imperceptible ; on ne sent qu’une ou deux pulsations de temps en temps. Ne veut plus boire que de l’eau fraîche pure ou avec un peu de vin. Cependant il a bu deux petites cuillerées de lait ce matin. Rend quelques gaz par la bouche ; il avait déjà des éructations hier, mais moins. A eu deux selles diarrhéiques pendant la nuit. Urines rares, mais non sanguinolentes. L’œdème du cou, de la face et des paupières a un peu diminué ; il se fonce en couleur. L’hyperesthésie de la peau œdématiée est très grande.

Ne boit plus que par gorgées.

Prescription : Infusion de quinquina.

4 heures. — Pouls moins mauvais. Se trouve un peu mieux ; deux ou trois selles liquides ; à peine quelques gouttes d’urine. Il s’échappe de la sérosité rougeâtre à travers les paupières fermées. Les mouchetures suintent aussi, mais faiblement. Pas d’oppression. Se relève assez facilement dans son lit.

Prescription : Quelques gouttes de perchlorure de fer dans de l’eau par cuillerée, ou l’infusion de quinquina si on ne peut faire prendre le perchlorure.

Nuit mauvaise, agitation et délire ; doux ou trois selles. A uriné sous lui. Plusieurs vomissements bilieux.

3 juillet, 7 heures du matin. — Grande prostration. Se plaint du ventre et de l’hypocondre droit, se sont entièrement mal. Absence complète de pouls. La figure et le cou sont notablement désenflés.

Mort à 7 heures et demie du matin.

OBSERVATION XXVII

Observation d’un cas de morsure de vipère traitée par les injections d’ammoniaque et terminée par la mort.
(M. Alba, d’Attignéville. — Revue médicale de l’Est, 1876, p. 187-189, citée par Kaufmann, dans Les Vipères de France, p. 49.)

Henry Louis, d’Autigny-la-Tour, garçon de 9 ans, tempérament lymphatico-sanguin, est piqué le 8 août 1874, vers 3 heures de l’après-midi, entre l’index et le médius droits à la naissance des doigts par une vipère de la grosseur de l’index d’un adulte. Arrivé près de lui, vers 7 heures du soir, je trouve la main et le poignet bleu-noirâtre, énormément tuméfiés, tant par suite de la blessure que par l’effet d’une ligature qu’on y avait appliquée, et qui était très fortement serrée. Avant mon arrivée et environ une heure après l’accident, on avait cautérisé la place à l’ammoniaque et donné à l’intérieur quelques gouttes du même liquide. Il y a eu plusieurs vomissements ; le malade est anxieux et couvert d’une sueur froide et visqueuse, température normale, pouls 85. Débridement de la plaie, cautérisation à l’ammoniaque, suivis d’un écoulement abondant d’un liquide séro-sanguinolent. Au bout de trois quarts d’heure, les douleurs causées par l’étranglement sont si vives que je suis obligé d’enlever la ligature. Boissons chaudes et stimulantes, rhum, vin chaud à la cannelle, café.

Le 9, à 9 heures du matin, je revois le malade. La nuit a été agitée : deux vomissements ; gonflement et coloration bleuâtre de tout le membre supérieur, se prolongeant sur le thorax en avant et en arrière, occupant exactement le côté droit, limités en bas par une ligne partant du sein et aboutissant à deux travers de doigt au-dessous de l’angle du scapulum. Ce gonflement est très douloureux. Écoulement séreux, jaunâtre, très abondant par l’incision pratiquée hier. Température normale ; respiration 24 pouls 135. Soif vive. Injection hypodermique, au-dessus du soin droit, d’une seringue pleine d’une dilution ammoniacale au 1/8, ma seringue contenant 12 gouttes. Douleurs immédiates assez vives, pourtant supportables.

Mouchetures sur tout l’avant-bras. Même traitement interne que la veille.

Visite du 10, à 9 heures du matin. Journée d’hier et nuit mauvaises ; anxiété, vomissements, agitation, parfois du délire. De 8 heures du soir à 4 heures du matin, l’enfant a été comme glacé, malgré les frictions avec des linges chauds et les boissons stimulantes chaudes ; les mouchetures donnent un suintement abondant ; à l’endroit de la piqûre pratiquée pour l’injection existe une escarre de la grandeur d’une pièce de 1 franc. Le gonflement fait maintenant tout le tour du thorax. Sueurs visqueuses, pouls petit, serré, filiforme, souvent imperceptible, vers 160. Respiration à 30. Le malade, considéré comme perdu, meurt vers six heures du soir.

OBSERVATION XXVIII

Cas de morsure de vipère. — Mort.
(Dr Fredet. — Union médicale. Paris, 1878, 3 s. XXV, rapportée par Kaufmann dans son livre : Les Vipères de France, p. 41.)

Il y a deux ans, je donnai des soins à un homme de soixante ans environ qui succomba au cinquième jour, après avoir été piqué au pouce par une vipère. Cet homme travaillait dans une vigne, et en y arrivant le matin, il voulut déposer une bouteille de vin qu’il apportait pour se désaltérer dans la journée, dans une sorte de cave ou de trou que les vignerons ménagent toujours dans les vignes pour mettre leur boisson au frais. En y enfonçant son bras, il se sentit piqué au pouce, mais n’y prit point garde. Il continua son travail, et ce ne fut que vers le milieu du jour, que, voyant son bras gonfler, il rentra chez lui pour se mettre au lit.

Ses fils à qui il raconta ce qui venait de lui arriver voulurent s’assurer du fait, bouleversèrent avec la pioche la petite cave où leur père supposait que s’était caché le reptile ; ils trouvèrent en effet une vipère qu’ils tuèrent et qui vraisemblablement était celle qui avait mordu leur père.

Je vis ce malheureux le lendemain de la piqûre ; le bras était énorme, parsemé de taches noirâtres. Les forces étaient déprimées, les extrémités froides. Je fis quelques débridements sur le membre malade et employai tout ce qu’on a l’habitude de recommander en pareil cas. Rien n’y fit ; le blessé succomba au cinquième jour, dans un coma profond.

OBSERVATION XXIX

Cas de morsure de vipère. — Mort.
(Dr Fredet. — Union médicale, Paris, 1878, 3. s. XXV, rapportée par Kaufmann, in Les Vipères de France, p. 41.)

En 1873, au mois de juillet, dans la commune d’Eygurande, le jeune Désiré Poisson, âgé de 9 ans, était endormi sous un chêne, lorsque tout à coup il se met à pousser des cris de douleurs et à s’écrier ; « Je sens quelque chose de froid sur mon ventre et je souffre beaucoup On accourut, on le déshabilla et l’on trouva sous sa chemise une énorme vipère aspic par laquelle il venait d’être mordu ; trois heures après l’accident l’enfant succombait.

OBSERVATION XXX

Cas de morsure de vipère. — Mort.
(Dr Fredet. — Union méd., Paris, 1878, 3. s. XXV, rapportée par Kaufmann, in Les Vipères de France, p. 42.)

Dans la même année, dans le canton de Lezoux, Jeannette Brousse, âgée de 11 ans, glanait dans un champ de blé. Elle était pieds-nus. En marchant elle mit le pied sur une vipère étendue dons un sillon. Ce reptile se redressant, la mordit au niveau de la malléole externe de la jambe gauche, en deux points différents. L’enfant fut aussitôt transportée chez ses parents et malgré les soins éclairés d’un médecin appelé en toute hâte, succombait deux heures après avoir été mordue.

OBSERVATION XXXI

(Urueta. — Thèse de Paris, 1884, p. 40.)

M. G…, peintre de chasses, travaillait dans la forêt de Fontainebleau avec son fils, âgé de 10 ans, lorsque celui-ci se plaignit d’avoir été blessé à la cheville. Le père n’avait pas soupçonné que l’enfant eût été mordu par une vipère. Cependant au bout de dix minutes, l’enfant pâlit, se sentit mal et s’affaissa.

On enleva la chaussure et alors on put constater la marque des crochets de la vipère.

Rentré à la maison peu de temps après, il était déjà cependant trop tard pour donner des soins avec chance de succès, et, en effet, l’enfant mourut le surlendemain par asphyxie.

4o  Accidents chroniques de Échidnisme

OBSERVATION XXXII

(M. Thinus, rapportée par M. Souheiran dans son livre : De la vipère, de son venin et de sa morsure, Paris, 1855, p. 88-83.)

Au mois d’avril 1849, M. de L…, homme de 35 ans, d’une taille et d’une force pou ordinaire, sortant de déjeuner au château des Pressoirs, en face Thornery, aperçut une vipère qui, a son approche, se glissa sous un grès. Il eut l’imprudence, pour déplacer ce grés, de placer sa main droite dessous, et se sentit à l’instant piqué à l’index. Il tua la vipère, et sans s’occuper autrement de sa blessure que de la frotter un peu et de l’essuyer à plusieurs reprises avec son mouchoir, il se fit transporter de l’autre côté de la Seine et prit à pied le chemin de Fontainebleau.

Mais une heure à peine s’était écoulée depuis la piqûre, qu’il éprouva des frissons, des étourdissements, des nausées qui augmentèrent à tel point qu’il fut obligé de s’asseoir et perdit connaissance.

Il fut trouvé en cet état par des gens de Thomery, qui venaient à Fontainebleau avec une charrette, sur laquelle ils le mirent et l’apportèrent jusqu’à un hôtel de la ville.

On lui donna aussitôt quelques soins qui lui firent reprendre connaissance ; mais les vomissements et les selles continuèrent toute la journée.

Le médecin qui lut appelé lui avait d’abord une saignée, puis lui fit administrer des potions éthérées et ammoniacales, puis ensuite quelques prises de thériaque. Tous les accidents cessèrent dans les 24 heures, mais il lui resta pendant plusieurs jours une fièvre assez violente et beaucoup de malaise. La main et le bras restèrent pendant plus de trois semaines enflés et douloureux, et à la dernière phalange du doigt, à l’endroit de la piqûre, il se détacha, environ un mois après, une escarre de notable dimension.

Un fait très remarquable et que j’ai vu se produire plusieurs fois dans d’autres cas, c’est que tout le côte droit (côté piqué), sur les membres comme sur le corps, était marqué de taches jaunes, noirâtres et rouges ; ces taches subsistèrent quelque temps encore après la guérison.

M. de L… nous a tout récemment affirmé (1855) que, depuis cet accident, il éprouve chaque année dans les premiers jours d’avril, époque à laquelle il a été piqué, des douleurs assez vives dans le bras droit et une lassitude générale, accompagnée de malaise : cet état dure une trentaine de jours.

OBSERVATION XXXIII

Effets incroyables d’une morsure de vipère.
(Barbier. — Gazette médicale de Lyon, 16 septembre 1867, no 92.)

Le 24 juin 1857, la femme Vivier, de Pradines, 50 ans, laveuse, se rendait à trois heures du soir à la rivière. Sur son banc à laver elle aperçoit une vipère enroulée comme une aune de boudin et faisant la sieste au soleil. Elle s’approche doucement, et d’un coup de son batillon, elle écrase le reptile qui rend son âme, se déroule et s’en va à vau l’eau ; puis, la conscience tranquille, elle se met à l’ouvrage.

Le deuxième jour rien ; le troisième jour, étant à la messe, la femme Vivier est prise d’une lipothymie suivie de frissons, nausées, etc., la main enfle. Le quatrième jour, elle fait à pied 16 kil. pour venir me consulter à mon cabinet. L’avant-bras droit est œdématié jusqu’au coude, le dos de la main l’est plus encore, en même temps qu’il est bleui et couvert de phlyctènes. Je m’assure que la main n’offre aucune écorchure. J’aperçois seulement une érosion sur la face interne et inférieure de l’avant-bras, une usure de l'épiderme par l’action de laver ; c’est par là sans doute qu’a du s’effectuer l’absorption du venin.

Je pansai et Dieu guérit la malade en un mois.

L’année suivante et les trois autres années suivantes, en tout quatre ans, à la même époque (autour delà Saint-Jean), retour dos mêmes accidents, même traitement ; même résultat au bout d’un mois.

Depuis le mois de juillet 1860, je n’ai plus revu la malade, soit qu’elle ait changé de médecin, soit qu’elle se soit soustraite à toute espèce de traitement.

Il y a quelques jours, enfin, j’ai eu l’idée de demander de ses nouvelles à une femme de Pradines, sa voisine. « Elle est morte m’a répondu celle-ci, il y a peu de temps, après avoir éprouvé les mêmes accidents toutes les années, sans exception, à la même époque », c’est-à-dire au dixième retour si singulièrement périodique de son mal.

OBSERVATION XXXIV

(M. Thomas, naturaliste à Nantes. — Rapportée par M. Viaud-Grand-Marais. (Gazette des hôpitaux, Paris, 1868, no 62, p. 245.)

Vers le milieu du mois de septembre 1836, un homme de Vertou labourait un champ près des Sorinières et suivait nu-pied sa charrue. Le soc heurta un aspic rouge de forte taille, qui se rua sur le malheureux cultivateur et lui enfonça profondément ses deux crocs au-devant du cou-de-pied gauche. Le blessé vigoureux et dans la force de l’âge ne put continuer son travail. Il plaça au-dessus de son genou une ligature qui n’empêcha pas la tuméfaction d’envahir en moins d’une demi-heure le membre entier. Transporté chez un propriétaire voisin, il fut traité intus et extra avec de l’alcali, et de là, conduit à son propre domicile. Six semaines après, il boitait encore ; les ecchymoses n’avaient point complètement disparu, et les piqûres, transformées en ulcères, laissaient suinter un liquide sanieux, les troubles digestifs et même les nausées revenaient de temps en temps. Le blessé avait considérablement vieilli, il manquait de force pour les travaux dos champs, et mourut dix-huit mois après, sans avoir pu se remettre de cet état valétudinaire.

OBSERVATION XXXV

Observation d’un cas de morsure de vipère ayant entraîné la mort 60 jours après l’accident.
(M. Perut de Chatenois. — Revue médicale de l’Est, 1876, v. p. 248.)

X., âgé d’environ 36 ans, scieur de long, accompagné de quelques camarades de chantier, allait les bras pendants, d’un point à un autre de la coupe forestière, où ils travaillaient, lorsqu’il fut mordu au médius de la main droite par une vipère. Il poussa un cri et s’affaissa instantanément sur lui-même. Ses compagnons profitèrent de son évanouissement pour le secourir à leur manière : ils commencèrent par faire une vigoureuse ligature au moyen d’une ficelle, au-dessus de la plaie digitale ; puis, non contents de cette précaution, ils enlevèrent, dans les mêmes conditions, un anneau de chair intéressant la peau et les tissus sous-jacents jusqu’à l’os, croyant ainsi avoir intercepté toute voie de communication au venin.

Malgré ces moyens plus énergiques que raisonnés, les accidents allèrent leur train ; les phénomènes habituels se produisirent, sans néanmoins présenter une grande intensité locale ; je veux parler surtout de la tuméfaction et de la douleur vers la région atteinte. Toujours est-il que 25 ou 30 jours après, le malade, indemne de tout accident local, restait avec un état de stupeur, d’anéantissement, qui le rendait impropre, non seulement à tout travail, mais même à toute relation sociale.

Il se présente alors à l’hôpital, où il fut reçu avec empressement. Hébété, hagard, sans énergie, prêt à pleurer à tout propos ou à s’effrayer de tout ou de rien, c’était un type frappant de cet état pathologique qui résulte de l’action des poisons stupéfiants. Ce malade fut l’objet de la sollicitude du chef de service, qui lutta par tous les moyens possibles contre cette situation. Mais, ni les stimulants, ni les toniques, ni les excitants spéciaux du système nerveux, ni l’hygiène morale, ne purent relever ce malheureux. Il succomba ou plutôt s’éteignit après un mois de séjour à l’hôpital, 60 jours, environ après son accident, sans avoir présenté, depuis son entrée, aucun symptôme local, mais simplement par défaut ou faiblesse d’innervation, par affaissement, par augmentation progressive de l’état d’anéantissement qui s’était manifesté dès le début, et s’est prolongé sans interruption jusqu’à la mort.

OBSERVATION XXXVI

(Docteur Urueta. — Thèse de Paris, 1884, p. 40.)

Un paysan des environs de Charny (Yonne) fut piqué à la main, entre le pouce et l’index, par une vipère. Cet homme ne succomba pas, mais conserva une paralysie du bras et du côté correspondant à la morsure.

TABLE DES MATIÈRES

Chapitre premier. – Serpents venimeux et venins en général 
 8
Chapitre II. – Composition du venin de vipère 
 15
Chapitre III. – Diverses propriétés du venin. – Action hémolytique. – Action sur la coagulation du sang. – Action protéolytique 
 21
§ 1. – Historique 
 21
§ 2. – Action hémolytique 
 27
§ 3. – Action du venin sur la coagulation du sang 
 32
§ 4. – Action protéolytique 
 34
§ 5. – Conclusions 
 36
Chapitre IV. – Action du venin de vipère sur l’organisme animal. – Physiologie et anatomie pathologiques 
 41
§ 1. – Envenimation en général 
 41
§ 2. – Lésions locales (Échidnase) 
 43
§ 3. – Lésions cellulaires : neurotoxiques, hépato et néphrotoxiques (Échidnotoxine) 
 46
A. – Troubles de la sensibilité 
 47
B. – Perturbation de la pression sanguine et troubles circulatoires 
 48
C. – Ralentissement des combustions interstitielles 
 50
D. – Anatomie pathologique 
 51
E. – Lésions produites par l’échidnotoxine en dehors du système nerveux 
 53
§ 4. – Congestions et hémorragies viscérales 
 56
§ 5. – Mécanisme de la mort 
 61
Chapitre V. – L’envenimation vipérique chez l’homme. – Pathologie 
 66
§ 1. – Envenimation en général 
 66
§ 2. – Lésions locales (Échidnase) 
 67
§ 3. – Phénomènes généraux résultant de l’action du venin sur le système nerveux et sur le rein (Échidnotoxine) 
 75
A. – Troubles de la sensibilité et de la mobilité 
 75
B. – Perturbation dans la pression sanguine et troubles circulatoires 
 77
C. – Ralentissement des combustions interstitielles 
 78
D. – Lésions produites sur l’échidnotoxine en dehors des centres nerveux 
 78
§ 4. – Congestions et hémorragies viscérales 
 79
§ 5. – Marche de la maladie 
 80
§ 6. – Mécanisme de la mort 
 82
§ 7. – Envenimation chronique 
 84
§ 8. – Pronostic 
 87
Chapitre VI. – Action de quelques substances chimiques et diastases sur le venin 
 93
Chapitre VII. – La sérothérapie antivenimeuse 
 101
§ 1. – Historique 
 101
§ 2. – Sérothérapie antivenimeuse 
 107
§ 3. – Mesure du pouvoir antitoxique du sérum antivenimeux 
 111
Chapitre VIII. – Mécanisme de l’immunité 
 117
§ 1. – Le venin de vipère et l’échidnovaccin 
 117
§ 2. – Animaux à immunité naturelle contre le venin 
 122
§ 3. – Substances antitoxiques dans le sang de mammifères sensibles au venin de vipère 
 128
§ 4. – Substances capables d’engendrer une réaction vaccinale 
 129
§ 5. – Rôle des leucocytes du système nerveux dans le mécanisme de l’immunité 
 130
§ 6. – Relations entre le sérum antivenimeux et certaines toxines et entre certains sérums antitoxiques et le venin 
 132
Chapitre IX. – Traitement des morsures de vipères 
 137
1o  Accidents d’échidnisme aigu. – Intoxication plus ou moins grave 
 149
2o  Accidents d’échidnisme aigu. – Emploi de la sérothérapie 
 179
A. – Morsures de Vipera aspis 
 179
B. – Morsures de Pelias berus 
 188
3o  Accidents d’échidnisme aigu. – Cas mortel 
 191
4o  Accidents chroniques de l’échidnisme 
 202

Nancy, Imp. A. Chépin-Leblond, 21, rue St-Dizier.